Titre VII
N° 10 - avril 2023
Chronique Conseil constitutionnel et jurisprudence de la CEDH (juillet à décembre 2022)
La mise en perspective des jurisprudences constitutionnelle et européenne, depuis la première édition de cette chronique il y a dix ans, a permis de mettre en évidence une large convergence des standards de protection, ce qui est essentiel. Mais, sans renoncer à sa singularité, le Conseil constitutionnel gagnerait sans doute à s'inscrire plus clairement, à l'instar d'autres juridictions constitutionnelles, dans un dialogue affiché avec la Cour de Strasbourg.
Il pourrait aussi s'inspirer de certaines de ses méthodes, ce qui renforcerait la légitimité et l'acceptabilité de ses décisions. La motivation des décisions QPC demeure, en effet, assez souvent peu fournie. C'est particulièrement le cas lorsque le Conseil se limite à affirmer, sans aucune explication, qu'un grief relatif à la méconnaissance de tel ou tel droit doit être écarté.
Les décisions commentées portent sur le principe d'égalité, le principe d'individualisation des peines, le droit à un recours juridictionnel effectif et certains droits substantiels.
A) Principe d'égalité
Sans surprise, le Conseil conclut, dans la décision n° 2022-1003 QPC du 8 juillet 2022, Association Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles, à la constitutionnalité de la seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 2141-2 du Code de la santé publique, laquelle réserve l'accès à l'assistance médicale à la procréation (AMP) à tout « couple formé d'un homme et d'une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée »(1).
Alors que la requérante estimait contraire à l'article 6 de la DDHC l'exclusion de l'accès à l'AMP des hommes, nés femmes à l'état civil et ayant changé la mention de leur sexe à l'état civil, mais conservant leurs capacités gestationnelles, le Conseil fixe strictement le cadre de son examen en rappelant que l'article 61-1 de la Constitution ne lui confère pas « un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement », mais qu'il est, cependant, tenu de contrôler que ce dernier « ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel » (paragr. 5).
Il ne peut ensuite que constater l'existence d'une différence de traitement entre les hommes seuls ou en couple avec un homme qui ont accès à la PMA et « les personnes, nées femmes à l'état civil, qui ont obtenu la modification de la mention relative à leur sexe tout en conservant leurs capacités gestationnelles » qui en sont exclues (paragr. 7).
À ce stade, est relevé le fait qu'il ressort des travaux préparatoires que « le législateur a entendu permettre l'égal accès des femmes à l'assistance médicale à la procréation, sans distinction liée à leur statut matrimonial ou à leur orientation sexuelle » et a considéré que « la différence de situation entre les hommes et les femmes, au regard des règles de l'état civil, pouvait justifier une différence de traitement, en rapport avec l'objet de la loi, quant aux conditions d'accès à l'assistance médicale à la procréation ». Or, le Conseil ne peut substituer son appréciation à celle du législateur (paragr. 8). Et il faut dire que les propositions d'amendements visant à étendre l'accès à l'AMP avaient été rejetées, le législateur s'en tenant au critère de la mention du sexe figurant à l'état civil.
En présence de questions de société intéressant le droit des personnes et de la famille, le Conseil fait preuve de self-restraint, ce qui confine à l'absence de contrôle. Mais, si la Cour européenne a beaucoup œuvré en faveur de la reconnaissance des droits des personnes transgenres(2), elle prend souvent en compte l'existence d'un consensus européen qui, en la matière, n'existe pas(3). Aussi la position du juge constitutionnel n'emporte-t-elle pas de contrariété avec la Convention européenne.
Avait, par ailleurs, été évoquée, dans une précédente chronique, la décision n° 2021-944 QPC du 4 novembre 2021, Association de chasse des propriétaires libres, dans laquelle le Conseil avait jugé que le fait de réserver le droit d'opposition à l'inclusion de terrains dans le territoire d'une association communale de chasse agréée « aux propriétaires et aux associations de propriétaires ayant une existence reconnue lors de la création de l'association » et donc à en exclure les associations de propriétaires constituées après la création de l'association communale ne contrevenait pas au principe d'égalité(4). Or, depuis lors, la Cour de Strasbourg, saisie par le Conseil d'État d'une demande d'avis consultatif sur le fondement du Protocole 16, a pris position sur les critères pertinents pour apprécier la compatibilité avec l'article 14 - la clause de non-discrimination - combiné avec l'article 1 du Protocole 1, garantissant le droit au respect des biens, de la différence de traitement incriminée(5). L'avis rendu confirme qu'en l'absence d'opposition éthique à la chasse, l'État dispose d'une large marge d'appréciation pour décider d'une réglementation de l'usage d'un bien afin de garantir un équilibre agro-sylvo-cynégétique.
Résolument placé sous les auspices du principe de subsidiarité, l'avis de la Cour permet de considérer la différence de traitement en jeu, seulement soumise à un contrôle de la proportionnalité stricto sensu, compatible avec la Convention. Il ne remet donc pas en cause le choix du législateur, conforté par la position du Conseil constitutionnel. Toutefois, il convient de relever que, pour le juge européen, l'examen du caractère analogue des situations doit être fondé sur « des éléments de nature objective » et une appréciation des situations « dans leur globalité » (paragr. 67-69). Et il ne peut conduire à ce que l'objectif poursuivi permette à lui seul d'empêcher de constater le caractère comparable des situations, sauf à vider l'article 14 de sa substance en faisant obstacle au contrôle (paragr. 71). Aussi, quand bien même deux catégories de personnes sont « placées dans des situations apparemment différentes », il faut rechercher si elles « ne présentent pas, au regard du grief dénoncé (...) des similitudes dont l'importance serait prédominante par rapport aux différences ». Et la Cour de relever à cet égard le fait que les propriétaires fonciers, qui pratiquent la chasse et mettent en commun leurs terrains au profit d'une association, qu'elle soit communale ou regroupant des propriétaires, permettent ce faisant aux autres membres de cette association de pratiquer la chasse sur leur terrain (paragr. 70). Dès lors, il est possible de considérer que les intéressés sont dans des situations analogues.
Cette démarche est différente de celle du Conseil constitutionnel qui considère que « nbsp ; fondée sur une différence de situation », la différence de traitement en jeu est en rapport avec l'objet de la loi (paragr. 11). Est relevé le fait que le législateur a « entendu prévenir le morcellement et le rétrécissement des territoires de chasse des associations communales et assurer ainsi la stabilité et la viabilité de ces territoires » pour ensuite considérer qu'* *« nbsp ;une association de propriétaires créée après une association communale, en regroupant les terrains de ses membres pour organiser leur activité cynégétique alors que leurs droits de chasse ont été transmis à l'association communale lors de sa création, ne peut avoir pour but que de retirer ceux-ci du périmètre de cette dernière » puisque les propriétaires concernés ne remplissent pas séparément les conditions prévues par la loi pour bénéficier du droit de retrait (paragr. 9 et 10). Partant, pareille association ne se trouve pas dans une situation analogue à « une association de propriétaires existant avant l'association communale, et qui gérait déjà un patrimoine cynégétique, ou qu'un propriétaire détenant à lui seul un terrain atteignant la superficie minimale requise » (paragr. 11).
La mise en perspective de ces deux approches confirme, à tout le moins, l'importance du pouvoir conféré au juge lorsqu'il s'agit d'apprécier la comparabilité des situations en jeu.
B) Principe d'individualisation des peines
La décision n° 2022-1017/1018 QPC du 21 octobre 2022, M. Lucas S. et autre, permet de rappeler l'approche plus généreuse du Conseil constitutionnel s'agissant de l'application de certaines garanties - ici, le principe de l'individualisation des peines - aux procédures disciplinaires(6).
Se trouvait en cause, en l'espèce, l'article L. 242-7, paragraphe III du Code rural et de la
pêche maritime selon lequel, si, dans un délai de cinq ans à compter de la date de notification d'une sanction assortie d'un sursis, dès lors que cette sanction est devenue définitive, la chambre de discipline prononce une nouvelle suspension du droit d'exercer la profession de vétérinaire, la première sanction devient exécutoire, sans préjudice de l'application d'une nouvelle sanction. Selon les requérants, ce dispositif, assez commun en matière disciplinaire, méconnaissait, en effet, l'article 8 de la Déclaration en ce qu'il permettait l'application automatique de la première sanction sans que le juge décidant d'une nouvelle peine soit à même d'y faire échec ou d'en moduler les effets.
En présence d'une « sanction ayant le caractère d'une punition », le Conseil examine donc si le principe selon lequel une sanction disciplinaire ne peut être appliquée qu'à condition que le juge compétent l'ait expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à l'espèce a été respecté, ce qui est bien le cas ici.
Confronté à une procédure disciplinaire pouvant aboutir à l'interdiction d'exercer une profession, le juge européen a certes considéré que l'article 6 § 1 de la CEDH était applicable en matière civile c'est-à-dire lorsqu'existe une « contestation sur des droits et obligations de caractère civil », notion autonome dont il a donné une définition européenne(7). Mais l'applicabilité de cette disposition conventionnelle ne permet pas de bénéficier des garanties propres à la « matière pénale » au sens de la Convention. C'est pourquoi l'approche du juge constitutionnel apparaît, ici, plus protectrice.
C) Droit à un recours juridictionnel effectif
Trois décisions relatives au droit à un recours juridictionnel effectif retiennent plus particulièrement l'attention.
Se trouvait en cause, dans la décision n° 2022-1023 QPC du 18 novembre 2022, M. Mikaël H., la constitutionnalité de la première phrase de l'article 113-8 du Code pénal(8) au regard de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
Cette disposition réserve au ministère public l'exercice de la poursuite de certains délits commis à l'étranger à l'encontre d'un ressortissant français, privant dès lors la victime de ces infractions de la faculté de mettre en mouvement l'action publique(9).
La requête du ministère public doit être précédée d'une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d'une dénonciation officielle par l'autorité du pays où le fait a été commis.
Pour le Conseil constitutionnel, le dispositif en jeu ne méconnaît, cependant, pas le droit à un recours juridictionnel effectif, lequel implique qu'il ne soit pas « porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction » (paragr. 4). En effet, même en l'absence d'engagement de poursuites par le ministère public, la partie lésée a la possibilité d'obtenir réparation du dommage que lui ont personnellement causé les faits délictueux devant le juge civil.
La position du Conseil est, ici, en harmonie avec celle de la Cour de Strasbourg pour laquelle le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès à un tribunal est un aspect, « n'est pas absolu ». En effet, s'agissant « d'un droit que la Convention reconnaît sans le définir au sens étroit du mot, il y a place, en dehors des limites qui circonscrivent le contenu même de tout droit, pour des limitations implicitement admises »(10). C'est notamment le cas concernant les conditions de recevabilité des recours puisque ce droit « appelle de par sa nature même une réglementation par l'État, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation ». Toutefois, ces limitations ne sauraient « restreindre l'accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tel que son droit à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même » et « ne se concilient donc avec l'article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé »(11).
Dans cette perspective, le droit d'accès à un tribunal est violé seulement si « la réglementation en cause cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir la substance de son litige tranchée par la juridiction compétente »(12).
Appelé à examiner une allégation de violation du droit d'accès à un tribunal sous l'angle de l'article 6 § 1 de la CEDH combiné avec l'article 13 en raison de l'irrecevabilité opposée à la plainte avec constitution de partie civile du requérant, le juge européen estime ainsi que l'article 113-8 du Code pénal français, applicable seulement en matière délictuelle, « tient compte des difficultés auxquelles se heurtent les enquêteurs pour diligenter des investigations en territoire étranger », l'exclusivité de la compétence du ministère public concourant, dès lors, « à la bonne administration de la justice dans la mesure où elle vise à éviter que l'action publique ne soit mise en mouvement pour des faits dont l'élucidation ou la poursuite s'avèrent compromis »(13).
Les limites à l'exercice du droit d'accès résultant de l'article 113-8 du Code pénal ne portent donc pas atteinte à la substance même de ce droit. En l'espèce, le parquet n'avait pas délivré de réquisitoire introductif afin de diligenter une enquête sur les faits dénoncés, mais avait, dans ses réquisitions, demandé à ce que la plainte du requérant soit déclarée irrecevable, matérialisant ainsi son intention de ne pas poursuivre son épouse. Et la Cour de relever également que le requérant, après avoir eu connaissance de l'irrecevabilité opposée à sa plainte avec constitution de partie civile, avait toujours la possibilité de saisir les juridictions civiles (paragr. 33).
Dans la décision n° 2022-1020 QPC du 28 octobre 2022, Mme Célia C., le Conseil constitutionnel devait examiner la constitutionnalité du dernier alinéa de l'article 99 du Code de procédure pénale (CPP)(14) au regard de l'article 16 de la DDHC.
Aux termes de la disposition en jeu, en cas d'appel de l'ordonnance du juge d'instruction refusant la restitution d'un objet placé sous main de justice par un tiers à l'information judiciaire, ce dernier peut être entendu par le président de la chambre de l'instruction ou la chambre de l'instruction, mais il ne peut prétendre à la mise à disposition de la procédure. Or, pour la requérante, l'impossibilité d'accéder au dossier de la procédure, en vue de préparer le recours en appel, méconnaîtrait le droit à un recours juridictionnel effectif.
Après avoir relevé que le refus de restitution d'un bien n'est possible que dans certaines hypothèses limitativement énumérées(15), le Conseil met l'accent sur le fait que le juge d'instruction statue par ordonnance motivée. Aussi le tiers est-il à même de contester les motifs de la décision de refus. En outre, il a le droit d'être entendu par la chambre de l'instruction.
Par ailleurs, l'impossibilité d'accès au dossier de la procédure vise légitimement à préserver le secret de l'enquête et de l'instruction et à protéger les intérêts des personnes concernées par celles-ci. Ce faisant, le législateur a donc « nbsp ;*poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et entendu garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d'innocence, qui résulte des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789 » (paragr. 8).
Et, au surplus, l'article 99 du CPP n'interdit pas à la chambre de l'instruction, si elle le jugeait nécessaire, de communiquer au tiers appelant certaines pièces du dossier, le Conseil se référant, ici, à la pratique de certaines juridictions(16).
Enfin, postérieurement à la phase d'instruction, si la restitution d'un objet est sollicitée en cas de non-lieu ou de renvoi devant la juridiction de jugement, les procès-verbaux relatifs à la saisie peuvent alors être communiqués aux personnes, autres que les parties, qui prétendent avoir un droit sur des objets placés sous main de justice (art. 373 et 479 du CPP). À l'instar du juge européen, le Conseil procède donc à une appréciation in globo de la procédure en jeu, une demande de restitution d'un objet par un tiers à la procédure pouvant être faite à différents stades de la procédure.
Pour sa part, la Cour de cassation considère que l'accès limité de l'appelant d'une ordonnance de saisie pénale aux pièces de la procédure ne méconnaît pas les articles 6 et 13 de la Convention européenne et l'article 1er du Protocole 1 dans la mesure où est garanti « un juste équilibre entre les droits de la personne concernée par la saisie et la nécessité de protéger le secret de l'enquête et de l'instruction »(17).
Au visa de l'article 6 de la Convention, elle considère que ce dernier « nbsp ;*ne peut prétendre qu'à la mise à disposition des seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu'il conteste et qu'il a eu connaissance des faits à travers l'ordonnance déférée et les réquisitions du ministère public qui détaillent les éléments du dossier le concernant ». Toutefois, la Cour de cassation fait peser sur la chambre de l'instruction l'obligation de communiquer les pièces sur lesquelles elle se fonde dans ses motifs décisoires(18).
Elle prend, par ailleurs, appui sur la jurisprudence européenne, soulignant que, pour la Cour de Strasbourg, le droit à une divulgation des preuves pertinentes n'est pas absolu en présence d'intérêts concurrents, comme la garantie de la sécurité de témoins ou la nécessité de garder secrètes des méthodes policières de recherche des infractions et l'intérêt de l'accusé à se les voir communiquer(19). Cependant, les mesures restreignant les droits de la défense doivent être absolument nécessaires(20) et suffisamment compensées par la procédure suivie devant les autorités judiciaires(21). Elle se réfère à des affaires concernant les phases d'enquête et d'instruction et les droits des parties à la procédure. Mais le juge européen, s'il consacre un droit d'accès au dossier et aux pièces de la procédure au profit des parties dans le cadre de la procédure judiciaire(22), a pu aussi admettre des restrictions à l'accès au dossier aux stades de l'ouverture d'une procédure pénale, de l'enquête et de l'instruction. À ses yeux, « l'article 6 de la Convention ne saurait être interprété comme garantissant un accès illimité au dossier pénal dès avant le premier interrogatoire par le juge d'instruction, lorsque les autorités nationales disposent de raisons relatives à la protection des intérêts de la justice suffisantes pour ne pas mettre en échec l'efficacité des investigations »(23).
Il convient, toutefois, de relever in fine que la Cour de cassation admet un régime de la communication de pièces devant la juridiction de jugement analogue à celui applicable devant la chambre de l'instruction, au visa de l'article 1 du Protocole 1 aux termes duquel, en présence d'une réglementation de l'usage d'un bien, « les intéressés doivent bénéficier d'une procédure équitable, qui comprend le droit au caractère contradictoire de l'instance ». Ainsi « la juridiction correctionnelle qui statue sur la requête en restitution d'un objet placé sous main de justice présentée par un tiers est tenue de s'assurer, si la saisie a été opérée entre ses mains ou s'il justifie être titulaire de droits sur le bien dont la restitution est sollicitée, que lui ont été communiqués en temps utile, outre les procès-verbaux de saisie ou, en cas de saisie spéciale, les réquisitions aux fins de saisie, l'ordonnance et, le cas échéant, la décision de saisie, conformément au deuxième alinéa de l'article 479 du code de procédure pénale, les pièces précisément identifiées de la procédure sur lesquelles elle se fonde dans ses motifs décisoires »(24). Or, à ce stade, la protection du secret de l'instruction n'est plus en jeu.
S'agissant, en l'espèce, d'une mesure temporaire assortie de l'octroi de certaines garanties aux tiers à la procédure, la position du Conseil ne paraît pas heurter le standard européen.
Se trouvait, par ailleurs, en cause, dans la décision n° 2022-1021 QPC du 28 octobre 2022, Mme Marie P., la conformité du troisième alinéa de l'article 60-1 du CPP - « À peine de nullité, ne peuvent être versés au dossier les éléments obtenus par une réquisition prise en violation de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse » -, et du quatrième alinéa de l'article 100-5 du même code selon lequel « À peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un journaliste permettant d'identifier une source en violation de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ».
La requérante reprochait, en effet, à ces dispositions de ne pas permettre à un journaliste de présenter une requête en nullité d'un acte d'investigation accompli en violation du secret de ses sources, lorsqu'il est tiers à la procédure à l'occasion de laquelle un tel acte a été réalisé et pointait qu'aucune autre voie de droit ne lui permettait de faire constater l'illégalité de cet acte. Alors qu'elle alléguait la violation de plusieurs droits, le Conseil limite son examen au droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la DDHC.
Les dispositions en jeu interdisent, à peine de nullité, de verser au dossier de la procédure les éléments obtenus par une réquisition prise en violation du secret des sources d'un journaliste, protégé par l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, et de transcrire les correspondances avec un journaliste permettant d'identifier une source en violation de ces mêmes dispositions. Mais, aux termes de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, un tiers à la procédure, y compris un journaliste, ne peut pas demander l'annulation d'un acte qui aurait été accompli en violation du secret des sources (paragr. 12).
Au cours de l'information judiciaire, seuls les acteurs de la procédure, soit le juge d'instruction, le procureur de la République, les parties ou le témoin assisté peuvent, en effet, saisir la chambre de l'instruction aux fins d'annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure (art. 170 et 173 du CPP). Le législateur a ainsi « entendu préserver le secret de l'enquête et de l'instruction et protéger les intérêts des personnes concernées par celles-ci », poursuivant, dès lors, les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et entendant garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d'innocence, qui résulte des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789 (paragr. 13).
Partant, un journaliste, tiers à la procédure, ne peut bénéficier de la protection du droit au respect de ses sources par cette voie. Mais, pour le Conseil, il dispose d'autres moyens.
Lorsqu'un acte d'investigation accompli en violation du secret des sources est constitutif d'une infraction, le journaliste qui s'estime lésé par celle-ci peut mettre en mouvement l'action publique devant les juridictions pénales en se constituant partie civile et demander la réparation de son préjudice. Et si en application de l'article 6-1 du CPP, l'action publique ne peut être exercée dans le cas où l'illégalité de l'acte ne serait pas soulevée par le juge d'instruction, par le procureur de la République, par les parties ou par le témoin assisté, et définitivement constatée par la juridiction qui en est saisie, le journaliste conserve la possibilité d'invoquer l'irrégularité de cet acte à l'appui d'une demande tendant à engager la responsabilité de l'État du fait de cette violation (paragr. 14). Mais une action en responsabilité, si elle permet au journaliste de demander réparation du préjudice causé par l'irrégularité de l'acte, ne peut conduire à l'annulation de l'acte ayant porté atteinte au secret de ses sources(25). Pour autant, pour le Conseil, « le législateur n'a pas, compte tenu de l'ensemble des voies de droit qui sont ouvertes, méconnu le droit à un recours juridictionnel effectif » (paragr. 15).
En admettant qu'un journaliste, tiers à la procédure, ne puisse faire constater par une juridiction le caractère illégal des actes d'investigation réalisés en violation du secret des sources et ordonner la suppression des procès-verbaux les relatant, l'approche du Conseil constitutionnel n'est guère protectrice du droit à la protection des sources journalistiques. Or, pour la Cour européenne, cette protection, « l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse », doit être garantie, sauf en présence d'« un impératif prépondérant d'intérêt public », afin de ne pas dissuader « les sources journalistiques d'aider la presse à informer le public sur des questions d'intérêt général »(26). La protection de ce droit est, en outre, renforcée par l'exigence de consacrer des « garanties légales adéquates »(27). Mais il est vrai que le Conseil considère qu'« aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement (...) un droit au secret des sources des journalistes »(28). En outre, il décide, en l'espèce, d'écarter, sans aucune motivation, le grief relatif au droit à la liberté d'expression alors qu'est en cause la difficile conciliation entre l'exercice de la liberté de la presse, dont la protection des sources est une composante, et les exigences également légitimes de l'enquête et de l'instruction (paragr. 16)(29).
D) Principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et liberté personnelle
Était en cause, dans la décision n° 2022-1022 QPC du 10 novembre 2022, Mme Zohra M. et a., la conformité du troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du Code de la santé publique selon lequel « les directives anticipées s'imposent au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement, sauf en cas d'urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale »(30).
Les requérantes reprochaient à ces dispositions de permettre à un médecin de prendre une telle décision, au motif que les directives anticipées, par lesquelles un patient a exprimé sa volonté que soient poursuivis des traitements le maintenant en vie, « apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale », sans assortir ce dispositif de garanties suffisantes. Aussi méconnaissait-il le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, la liberté personnelle et la liberté de conscience.
Le Conseil devait donc examiner si le législateur avait bien fixé des garanties propres à assurer le respect du principe de sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d'asservissement et de dégradation garanti par Préambule de la Constitution de 1946 et de la liberté personnelle, proclamée par les articles 1er, 2 et 4 de la Déclaration.
À ses yeux, en permettant au médecin d'écarter des directives anticipées, « le législateur a estimé que ces dernières ne pouvaient s'imposer en toutes circonstances, dès lors qu'elles sont rédigées à un moment où la personne ne se trouve pas encore confrontée à la situation particulière de fin de vie dans laquelle elle ne sera plus en mesure d'exprimer sa volonté en raison de la gravité de son état ». Aussi ce dernier a-t-il ainsi « entendu garantir le droit de toute personne à recevoir les soins les plus appropriés à son état et assurer la sauvegarde de la dignité des personnes en fin de vie » (paragr. 11). Or, dans la mesure où il « ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement », le Conseil constitutionnel ne peut substituer son appréciation à celle du législateur, sous réserve que les conditions prévues pour pouvoir écarter des directives anticipées ne soient pas manifestement inappropriées à l'objectif poursuivi (paragr. 12).
Pratiquant donc, ici, un contrôle restreint, le juge constitutionnel constate que les dispositions en jeu ne sont, comme le soutenaient les requérantes, « ni imprécises, ni ambiguës » (paragr. 13). En outre, le dispositif est assorti de garanties. La décision du médecin ne peut, en effet, être prise qu'à l'issue d'une procédure collégiale. Elle est inscrite au dossier médical et portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches. La décision du médecin de limiter ou d'arrêter un traitement de maintien en vie au titre du refus de l'obstination déraisonnable peut également faire l'objet d'un contrôle judiciaire sachant qu'elle est notifiée dans des conditions permettant à la personne de confiance ou, à défaut, à sa famille ou à ses proches, de former un recours en temps utile.
L'approche du Conseil, qui s'inscrit dans le droit fil de la décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés, présente d'indéniables affinités avec celle de la Cour de Strasbourg. Confrontée, pour la première fois, dans l'affaire Lambert et autres c/ France, à la question de la compatibilité d'une décision d'arrêt d'un traitement maintenant artificiellement en vie une personne, cette dernière l'avait examinée au regard de l'obligation de protection de la vie consacrée par l'article 2 de la CEDH mise en balance avec le droit à l'autonomie personnelle garanti par l'article 8(31). S'agissant de « questions scientifiques, juridiques et éthiques complexes », elle avait concédé une large marge nationale d'appréciation et s'était placée sur le terrain des obligations positives - dont l'incompétence négative est en quelque sorte le pendant -, limitant dès lors son examen à la qualité du cadre législatif et procédural résultant de la loi dite Leonetti du 22 avril 2015 dans le respect du principe de subsidiarité(32).
(1): Article L. 2141-2 du Code de la santé publique dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.
(2): Voy. notamment Cour EDH, arrêt du 25 mars 1992, req. n° 13343/87, B. c/ France ; arrêt de la Gr. ch., du 11 juillet 2002, req. n° 28957/95, Christine Goodwin c/ Royaume-Uni et arrêt du 6 avril 2017, req. n° 79885/12 et a., A.P., Garçon et Nicot c/ France.
(3): Voy., par exemple, Cour EDH, arrêt du 31 janvier 2023, req. n° 76888/17, Y. c/ France, refus d'inscrire la mention « neutre » ou « intersexe » sur l'acte de naissance d'une personne intersexuée à la place de « masculin ».
(4): Nous nous permettons de renvoyer à cette chronique, Titre VII, n° 8, avril 2022.
(5): Cour EDH, Gr. ch., avis consultatif du 13 juillet 2022, n° P16-2021-002, relatif à la différence de traitement entre les associations de propriétaires « ayant une existence reconnue à la date de la création d'une association communale de chasse agréée » et les associations de propriétaires créées ultérieurement.
(6): Voy., précédemment, Cons. const., déc. n° 2019-815 QPC du 29 novembre 2019, Mme Carole L., et déc. n° 2019-798 QPC du 26 juillet 2019, M. Windy B., cette chron., Titre VII, n° 4, avril 2020.
(7): CEDH, arrêt du 28 juin 1978, req. n° 6232/73, König c/ Allemagne, § 95 et arrêt du 23 juin 1981, req. n° 6878/75 et a., Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique, § 48.
(8): Dans sa rédaction résultant de la loi n° 92-683 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions générales du Code pénal.
(9): Les délits concernés sont ceux visés dans les articles 113-6 et 113-7 du Code pénal.
(10): CEDH, arrêt du 21 février 1975, req. n° 4451/70, Golder c/ Royaume-Uni, § 38.
(11): CEDH, arrêt du 19 décembre 1997, req. n° 26737/95, Brualla Gómez de la Torre c/ Espagne, § 33.
(12): CEDH, arrêt du 24 avril 2008, req. n° 17140/05, Kemp et a. c/ Luxembourg, § 47.
(13): CEDH, arrêt du 11 juin 2009, req. n° 19/05, Laudette c/ France, § 32.
(14): Dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
(15): Lorsque la restitution est de nature à faire obstacle à la manifestation de la vérité ou à la sauvegarde des droits des parties, lorsque le bien saisi est l'instrument ou le produit de l'infraction, lorsque la restitution présente un danger pour les personnes ou les biens ou lorsque la confiscation de l'objet est prévue par la loi.
(16): Commentaire site Internet, Cons. const., page 13.
(17): Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du 25 février 2015, n° 14-86.450
(18): Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du 13 juin 2018, n° 17-83.893. La chambre de l'instruction « qui, pour justifier d'une telle mesure, s'appuie sur une ou des pièces précisément identifiées de la procédure est tenue de s'assurer que celles-ci ont été communiquées à la partie appelante ».
En l'espèce, la chambre de l'instruction aurait dû s'assurer que l'appelant avait eu accès à la plainte de l'administration fiscale sur laquelle elle s'était fondée pour confirmer la saisie.(19): Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du 15 janvier 2020, n° 19-80.891, § 32 et arrêt de la Cour EDH du 26 mars 1996, req. n° 20524/92, Doorson c/ Pays-Bas, § 70.
(20): Cour EDH, arrêt du 23 avril 1997, req. n° 21363/93 et a., Van Mechelen et a. c/ Pays-Bas, § 58.
(21): Arrêts préc. Doorson, § 72 et Van Mechelen et a., § 54.
(22): Cour EDH, arrêt du 18 mars 1997, req. n° 22209/93, Foucher c/ France, violation de l'article 6 § 1 combiné avec l'article 6 § 3 du fait de la condamnation du requérant reposant exclusivement sur un procès-verbal alors qu'il n'avait pas eu accès au dossier. Voy. aussi Cour EDH, arrêt du 13 octobre 2009, req. n° 7377/03, Dayanan c/ Turquie.
(23): Cour EDH, arrêt du 9 avril 2015, req. n° 30460/13, A. T. c/ Luxembourg, § 81.
(24): Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du 21 octobre 2020, n° 19-87.071, §§ 17-18.
(25): Article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire.
(26): Cour EDH, arrêt du 27 mars 1996, req. n° 17488/90, Goodwin c/ Royaume-Uni, § 39. Cette jurisprudence a été implicitement reprise par la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes modifiant la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (article 2).
(27): Cour EDH, Gr. ch., arrêt du 14 septembre 2010, req. n° 38224/03, Sanoma Uitgevers B. V. c/ Pays-Bas, § 100.
(28): Cons. const., déc. n° 2015-478 QPC du 24 juillet 2015, Association French Data Network et a., cons. 16, cette chron., Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 50, janvier 2016, p. 161, et Cons. const., déc. n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016, Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, paragr. 17.
(29): Il est indiqué, dans le commentaire de la décision, que la critique de la requérante aurait mis « *bien plus en cause la question de l'effectivité des recours ouverts à un journaliste que celle du respect de sa vie privée ou de sa liberté d'expression et de communication *» (Cons. const., commentaire, site Internet, p. 17).
La Cour européenne tient également compte de la nécessité de préserver le secret de l'instruction qu'elle met en balance avec le droit à la liberté d'expression (par exemple, Cour EDH, Gr. ch., arrêt du 29 mars 2016, req. n° 56925/08, *Bédat c/ Suisse*).(30): Dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2020-232 du 11 mars 2020 relative au régime des décisions prises en matière de santé, de prise en charge ou d'accompagnement social ou médico-social à l'égard des personnes majeures faisant l'objet d'une mesure de protection juridique.
(31): Cour EDH, Gr. ch., arrêt du 5 juin 2015, req. n° 46043/14, § 142.
(32): Nous nous permettons de renvoyer à cette chronique pour une analyse plus détaillée, Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 57, octobre 2017, p. 241
Citer cet article
Hélène SURREL. « Chronique Conseil constitutionnel et jurisprudence de la CEDH (juillet à décembre 2022) », Titre VII [en ligne], n° 10, Le secret, avril 2023. URL complète : https://webview.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/chronique-conseil-constitutionnel-et-jurisprudence-de-la-cedh-juillet-a-decembre-2022
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