Titre VII

N° 10 - avril 2023

Le secret des délibérations des institutions politiques et administratives

Résumé

Le secret des délibérations qui vaut pour les autorités juridictionnelles peut être appliqué aussi aux institutions politiques et administratives, au sens du secret du débat et du vote au sein de ces institutions, pour autant qu'elles sont collégiales, que ce vote porte sur un avis ou sur une décision de l'institution concernée. Sont ainsi protégés des secrets légalement prévus dont le secret professionnel de droit commun et le secret de la défense nationale, spécifiquement, au sein du Conseil des ministres comme du Conseil de défense et de sécurité nationale, en passant, notamment, par le Conseil d'État dans sa fonction consultative ou les autorités administratives indépendantes, dans un souci qui est, ici, de systématisation, et non d'exhaustivité.

Le secret est l'expression du pouvoir. Celui qui sait et qui est seul à savoir détient un avantage qui peut être décisif dans son action présente ou future. Or, au début des sociétés organisées, le pouvoir a eu à émerger en vue, précisément, de leur organisation, avant d'assurer sa propre consolidation. Des termes du chapitre XVIII du Prince de Machiavel, intitulé « Comment les princes doivent tenir leur parole », il se déduit que le prince est écouté quand il sait, contrairement au plus grand nombre, quel parti prendre et sur quoi assoir son jugement. Tenir sa parole, c'est aussi la retenir ; c'est savoir, mais encore se taire. Cette décision, il peut la prendre sur l'avis d'une institution collégiale, sauf à ce qu'elle soit prise par cette institution. Le secret des délibérations s'articule alors en un double secret parce que la délibération est, par définition, l'addition, au sein de l'institution collégiale, d'un débat et d'un vote(1) :

  • un premier secret relatif au contenu du débat sur la décision à prendre en collégialité (institution délibérante) ;

  • un second secret relatif au résultat de ce débat sur la décision prise ou à prendre par l'autorité compétente. Cette autorité, c'est soit cette collégialité elle-même, instance délibérative dont le vote vaut prise de décision, soit une autorité individuelle, qu'elle ait été incluse ou non dans cette collégialité, instance consultative dont le vote vaut avis pour l'auteur de la décision encore à prendre.

En somme, le secret des délibérations est un secret au carré qui cumule le secret du débat, en amont du vote, et le secret du vote à l'issue du débat, que la décision résulte de ce vote ou qu'elle se situe en aval du vote : dans le premier cas, l'institution est l'autorité qui décide de façon secrète ; dans le second cas, l'institution conseille de façon secrète l'autorité qui décide, la décision elle-même pouvant rester secrète, sauf à être ou même à devoir être rendue publique.

Il est vrai que, dans l'histoire du droit français, le pouvoir du souverain n'a pas empêché l'émergence d'autorités judiciaires distinctes des autorités administratives, puis, avec la Révolution française et le transfert consécutif de la souveraineté du Roi à la Nation, la constitution de trois pouvoirs, assurés séparément par la représentation nationale, le chef de l'État et les juridictions judiciaires. Il en résulte, dans la durée, une conjonction instable d'institutions diverses et variables, construite sur :

  • des institutions politiques qui sont celles des deux pouvoirs de décision : législatif et exécutif, à côté d'un prétendu pouvoir judiciaire qui, après transfert de la justice administrative, devenue également souveraine au fond(2), renvoie, en définitive, aux décisions des autorités juridictionnelles(3) ;

  • des institutions administratives, indépendantes ou dérivées de l'exécutif, qui peuvent être de conseil auprès de ces deux pouvoirs de décision, sinon être elles-mêmes, par exception, des institutions indépendantes, en mesure de décider en lieu et place de l'exécutif.

En droit positif, le secret des délibérations est légalement imposé, au sein de ces institutions, à un double titre :

  • généralement, au titre du secret professionnel de l'article 226-13 du Code pénal, la révélation d'une information à caractère secret étant punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Il faut préciser que ce secret de droit commun est applicable, sauf exceptions légalement prévues(4), aux personnes qui en sont dépositaires :

. par profession : c'est le cas, notamment, de tous les agents publics(5) ;

. hors profession : par état ou en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire. Cela vaut donc, hors texte exprès à cet effet, pour un ministre qui n'est « pas moins tenu au respect du secret qu'impose la nature des informations qui lui sont transmises, en raison de sa fonction »(6) ;

  • spécialement, au titre d'un autre secret protégé par la loi(7) dont le secret de la défense nationale, régi par l'article 413-9 du Code pénal et portant, en particulier, pour les personnes semblablement dépositaires(8), sur les documents ou informations intéressant la défense nationale qui,

. soit ont fait l'objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès ;

. soit peuvent faire l'objet de telles mesures dès lors que leur connaissance, par divulgation ou accès, est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d'un secret de la défense nationale.

La compromission du secret de la défense nationale est punie de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende pour les personnes dépositaires de ce secret(9), qu'elles le soient ès qualités ou sur habilitation délivrée dans les conditions réglementairement prévues(10).

Dès lors que le secret des délibérations est retenu dans une institution collégiale, politique ou administrative, il est fait logiquement obstacle à la communication des éléments relatifs au débat et au vote au sein de cette institution de même qu'à la motivation de l'avis donné ou de la décision prise par ce vote qui serait susceptible de fournir la même information secrète tant, du moins, que cet avis ou cette décision n'est pas rendu public par l'autorité politique ou administrative compétente pour ce faire dans la mesure où cette publicité est nécessaire ou seulement possible. On peut illustrer cette convergence en se rapportant aux délibérations couvertes, par exemple, par le secret de la défense nationale :

  • le Code du patrimoine prévoit la communication de plein droit des archives publiques à l'expiration d'un délai de cinquante ans, en principe, à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, pour les documents dont la communication porte atteinte au secret de la défense nationale, et qui ont pour ce motif fait l'objet d'une mesure de classification à cet effet(11) ;

  • le Code des relations entre le public et l'administration dispose que doivent être motivées les décisions qui refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte au secret de la défense nationale(12).

Mais, est-il si simple de distinguer entre institution politique et institution administrative, qui se rapportent à un même exécutif ambivalent ? Ainsi, le Conseil des ministres est :

  • une institution politique, composée de membres de l'exécutif : le président de la République qui le préside, le Premier ministre et les ministres, dans le cas où il délibère d'un projet de loi(13) : sous réserve de la perturbation créée par la cohabitation, le débat y est rare et bref, à l'initiative du président de la République qui dégage le consensus valant accord ;

  • une institution administrative lorsque, notamment, un décret réglementaire ou individuel est pris en Conseil des ministres, après sa consultation préalable obligatoire et son accord sur la décision du président de la République qui signe un tel décret(14).

Voilà donc une institution qui peut délibérer en tant qu'institution politique pour décision et administrative pour avis. Dans ces deux hypothèses, le secret des délibérations s'impose ès qualités à ses membres, la violation du secret professionnel ou, le cas échéant, la compromission du secret de la défense nationale, selon l'objet général ou cet objet spécial de l'information divulguée, pouvant engager la responsabilité politique du Gouvernement solidaire ou du président de la République ou la responsabilité politique ou pénale de tel ou tel membre du Gouvernement(15).

Sur cette toile de fond qui cherche à repérer les termes d'un inventaire complexe, on peut dessiner, à grands traits, quelles sont, en droit positif, les deux configurations dans lesquelles le secret des délibérations, tel que défini, peut être repéré, selon qu'en France, les institutions politiques ou administratives sont de décision (I) ou de consultation (II).

I. SECRET DES DÉLIBÉRATIONS ET INSTITUTIONS DE DÉCISION

Des institutions de décision peuvent voir leurs délibérations, décision comprise, couvertes par le secret, qu'elles soient politiques (A) ou administratives (B).

A. Secret et institutions politiques de décision

Au premier rang des institutions politiques de décision, il y a les deux assemblées parlementaires. Il n'est qu'une seule disposition du texte de la Constitution qui impose le secret de leurs délibérations : alors que «  les séances des deux assemblées sont publiques » et qu'ainsi les débats en séance sont publics, ce qui correspond à une exigence de démocratie politique, le compte-rendu de leurs délibérations étant publié intégralement au Journal officiel des débats de l'Assemblée nationale et du Sénat(16), l'alinéa 2 du même article 33 précise aussitôt que « chaque assemblée peut siéger en comité secret à la demande du Premier ministre ou d'un dixième de ses membres ». On observera que, dans sa première décision sur le règlement de l'Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel a déclaré l'inconstitutionnalité de l'article 51-1 qui prévoyait que l'assemblée siège de droit en comité secret à la demande du Premier ministre, car dans cette hypothèse notamment, c'est là, selon le texte, non pas une obligation, mais bien une faculté, à la libre appréciation de l'assemblée concernée(17).

Mais ce secret peut concerner aussi les délibérations en commission d'enquête, en cas de travaux « non publics » d'une telle commission, sur le fondement de l'ordonnance du 17 novembre 1958 portant loi organique relative au fonctionnement des assemblées parlementaires(18). Le secret des délibérations est ici pénalement sanctionné, pour atteinte au secret professionnel(19), en cas de divulgation ou de publication d'une information relative aux travaux non rendus publics dans le rapport de la commission d'enquête(20). Il faut y ajouter la sanction disciplinaire qui peut également frapper le député coupable d'un tel manquement à l'obligation du secret ainsi que l'impossibilité de droit où il se trouve alors d'être désigné dans une nouvelle commission d'enquête(21).

Et, dans le contexte de la lutte contre le terrorisme sur le territoire national, mais aussi par anticipation du renforcement de l'institution parlementaire opéré par la seconde révision constitutionnelle de 2008, la loi du 9 octobre 2007 crée spécifiquement la délégation parlementaire au renseignement (DPR), commune à l'Assemblée nationale et au Sénat, avec pour mission d'exercer le contrôle parlementaire de l'action du Gouvernement en matière de renseignement et d'évaluer la politique publique en ce domaine. Elle est donc rendue destinataire d'informations obtenues par des documents utiles ou des auditions nécessaires à l'accomplissement de sa mission, mais dans les limites prévues par la loi quant aux éléments fournis et aux personnes entendues, en fonction de son besoin d'en connaître. Sont exclues, entre autres, les données - faits ou actes - dont la communication pourrait mettre en péril les personnels des services intéressés ou concerner les modes d'acquisition du renseignement ainsi que les opérations en cours ou à venir. Une telle mission implique, bien entendu, le secret des délibérations de la délégation au titre, non du secret professionnel, mais du secret de la défense nationale qui couvre, dès lors, l'ensemble de ses travaux. À ce secret qui n'est pas méconnu par le rapport public de l'année d'activité de la délégation, pour ce qu'il en dit hors information ou élément d'appréciation protégés par le secret de la défense nationale, sont donc tenus, aux conséquences de droit au cas de sa compromission, les parlementaires, ès qualités, membres de la délégation, ainsi que les agents des assemblées, sur habilitation, désignés pour les assister.

B. Secret et institutions administratives de décision

Dans le cas de toutes les institutions administratives, le secret des délibérations ne tient pas seulement à l'obligation de secret professionnel à laquelle les membres de cette institution, ici collégiale, sont soumis en tant qu'agents publics(22). Lorsqu'il s'agit d'une autorité administrative ou publique indépendante (AAI ou API), selon qu'elle a ou non, la personnalité morale, cela tient aussi et surtout à l'institution elle-même dont l'administrativité suppose le secret dans le processus d'élaboration de la décision à suivre, avant que l'autorité ne rende publique sa décision.

La loi du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes(23) prévoit, au titre de la déontologie de ses membres, que « les membres et anciens membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes sont tenus de respecter le secret des délibérations » et qu' « ils sont soumis au secret professionnel »(24). La même obligation déontologique vaut logiquement pour les personnes qui assistent les membres de l'autorité, que ce soit directement par la loi institutive(25) ou indirectement par son règlement intérieur(26).

Du reste, comme c'est le cas des jurés des cours d'assises(27), les membres des jurys d'examens ou de concours sont également tenus par le secret des délibérations(28). Par un arrêt remarqué, le Conseil d'État est venu considérer que, par les dispositions de la loi du 17 juillet 1978 sur la communication des documents administratifs, « le législateur n'a pas entendu porter atteinte au principe d'indépendance des jurys d'où découle le secret de leurs délibérations et, par suite, permettre la communication tant des documents de leurs délibérations que ceux élaborés préalablement par les jurys en vue de leurs délibérés »(29). Cette solution, qui vaut pour un jury d'examen ou de concours, implique que la décision de ce jury, autorité souveraine, ne soit pas motivée(30). Et, toute violation de ce secret emporte annulation de la décision du jury(31), nonobstant la poursuite pénale ou disciplinaire qui pourrait être engagée contre leur auteur ou chacun de leurs auteurs.

II. SECRET DES DÉLIBÉRATIONS ET INSTITUTIONS DE CONSULTATION

Des institutions de consultation peuvent aussi voir leurs délibérations, avis compris, couvertes par le secret, qu'elles soient indépendantes (A) ou dérivées de l'exécutif (B).

A. Secret et institutions indépendantes de consultation

Les institutions indépendantes de consultation se conçoivent auprès de l'exécutif. La plus importante et la plus connue d'entre elles est certainement le Conseil d'État dont la fonction consultative est, pour des raisons historiques, sinon sociologiques, dans la dénomination même. Pourtant, c'est dans le Code de justice administrative que, de façon inappropriée, sont consignées les dispositions relatives à ses attributions en matière administrative et législative(32). Encore faut-il préciser que cette fonction consultative est également attribuée, par le même Code, aux autres juridictions administratives générales : tribunaux administratifs et cours administratives d'appel(33). Or, l'article L. 8 de ce Code, qui se rapporte à leur seule fonction juridictionnelle(34), est inopérant pour protéger le secret de leurs délibérations en tant qu'institutions indépendantes de consultation. Il faut se reporter, en ce cas, à la Charte de déontologie de la juridiction administrative dont la nouvelle version résulte, de façon discutable au regard du recours à la loi, celle du 20 avril 2016, pour déterminer la déontologie et les droits et obligations des fonctionnaires, de la décision du vice-président du Conseil d'État en date du 14 mars 2017, plusieurs fois complétée depuis lors. Au paragraphe 54 de la Charte, on lit que « le délibéré des formations consultatives est, comme celui des formations contentieuses, couvert par le secret, même si, par nature, il s'agit d'un secret partagé avec le Gouvernement ou son représentant », comprendre l'autorité administrative déconcentrée de l'État. Du secret des délibérations résulte une relation de confiance entre l'autorité politique ou administrative et la formation consultative, « condition essentielle du fonctionnement harmonieux et efficace » de cette formation. La Charte précise les trois « aspects » de ce secret, autant d'étapes remises ici dans le bon ordre : secret de l'ordre du jour ; secret des opinions émises au cours des débats ; secret du sens des avis rendus, avant divulgation autorisée par le Gouvernement ou son représentant, sauf - c'est à ajouter - divulgation de ces mêmes avis par ces destinataires de la consultation.

De plus, les membres des juridictions administratives territoriales peuvent aussi avoir à prendre part à des commissions administratives dans le cadre de leurs « activités administratives »(35). De façon cohérente, le paragraphe 55 de la Charte précise que le secret s'impose également en ce qui concerne, pour ces institutions, « la participation de leurs membres aux délibérations des commissions administratives dans lesquelles ils sont appelés à siéger », au titre d'une charge souvent regardée comme indue.

Il en est de même, sur une base juridique mieux assurée, des membres de la Cour des comptes et des chambres régionales ou territoriales des comptes. Car, quand, à son entrée dans le corps, chaque magistrat financier prête serment de « garder le secret des délibérations »(36), c'est dans toutes les activités qui lui incombent, toujours exercées collégialement, qu'il prend solennellement cet engagement : celles juridictionnelles, mais aussi celles,  nombreuses et fréquentes, non juridictionnelles, en liaison avec la connaissance de la gestion des ordonnateurs à travers le jugement des comptes des comptables publics ou en conséquence des enquêtes diligentées dans le cadre de la mission de contrôle des finances publiques et d'évaluation des politiques publiques(37). La consultation conduite par ces institutions, ici administratives, en toute indépendance et dans le secret des délibérations jusqu'à la publication des résultats de leur contrôle ou évaluation, au moment et de la façon prévue(38), vise donc à une meilleure administration.

B. Secret et institutions dérivées de consultation

Les institutions dérivées de consultation se conçoivent, en revanche, au sein de l'exécutif. Il en est ainsi du secrétariat général de la présidence de la République ou des cabinets ministériels, y compris celui du Premier ministre, encore qu'ils soient rarement réunis de façon collégiale. Il en est de même des conseils présidés par le chef de l'État ou comités présidés par le Premier ministre, selon une nomenclature usuelle de science politique. Le secret des délibérations garantit la relation de confiance qui doit exister entre les autorités politiques et leurs collaborateurs et l'efficacité des politiques publiques qui seront mises en œuvre(39).

On se contentera d'illustrer le propos par cet exemple pertinent d'institution dérivée de consultation, donné par le Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN) qui résulte de la fusion, par le décret en Conseil des ministres du 24 décembre 2009, du Conseil de défense de 1962 et du Conseil de sécurité intérieure de 2002. Ce Conseil, qui, sous la présidence du chef de l'État(40), réunit le Premier ministre, les ministres responsables et les autorités civiles ou militaires concernées, peut siéger en formation plénière ou restreinte pour définir les orientations en matière de programmation militaire, de dissuasion, de conduite des opérations extérieures, de planification des réponses aux crises majeures, de renseignement, de sécurité économique et énergétique, de programmation de sécurité intérieure concourant à la sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme(41), mais aussi en formation spécialisée, comme Conseil national du renseignement(42) ou comme Conseil des armements nucléaires(43). Au surplus, ce Conseil connaît des configurations nouvelles, voulues par le président de la République, en correspondance à des situations récentes de crise majeure, écologique depuis mai 2019, sanitaire depuis mars 2020 ou encore énergétique depuis décembre 2022.

On conçoit sans peine que, de telles attributions, même consultatives, dans le champ de la défense et de la sécurité nationale implique un secret des délibérations qui est le secret de la défense nationale, sauf à mobiliser, à défaut, le secret professionnel, aux conséquences politiques ou juridiques pour chacun des membres du Conseil qui méconnaîtrait, selon le cas, l'un ou l'autre de ces deux secrets. Sont ainsi couverts les débats et les avis consignés dans les comptes rendus des délibérations que le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale établit lors des réunions de ce Conseil. Mais, il va de soi que la consultation toujours secrète, de bout en bout, de ce Conseil, dans toutes ses déclinaisons possibles, ne dessaisit en rien les institutions régulièrement compétentes en aval, au sein du pouvoir exécutif, toujours compétent pour prendre les décisions requises en faveur de la sécurité nationale, avec le concours et sous le contrôle du Parlement, dans le cadre de ses compétences et procédures(44).

On doit, pour conclure, souligner que cette présentation visait à proposer un schéma dans lequel inscrire les institutions politiques et administratives, si nombreuses et si différenciées, qui se rejoignent sur un point au moins : le secret des délibérations entendu, ici, au sens large et strict du débat et du vote tout à la fois, sans volonté ni souci d'exhaustivité. La doctrine est ainsi faite qu'elle peut se contenter de construire un casier sans chercher à remplir complètement les cases. Dans la méthode, il y a du Cuvier dans tout universitaire, ce faiseur revendiqué de systèmes.

(1): Ou discussion au lieu de débat(s) et scrutin au lieu de vote. Cette définition refuse que la délibération (ou « délibéré » souvent devant une juridiction) soit considérée comme le seul débat (mais, Const., art. 46, al. 2- 1re phr ; ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, art. 3 ; C. proc. pén., art. 356, al. 1er) ou comme le seul vote (mais, C. proc. pén., art. 447) ; elle est les deux à la fois, comme dit par Const., art. 10 et 46, al. 2, 2de phr. ou par Cons. const., déc. n° 2012-658 DC du 13 décembre 2012, Loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, cons. 60, au sujet du Haut Conseil des finances publiques.

(2): Loi du 24 mai 1872 sur la réorganisation du Conseil d'État, art. 9.

(3): Const., art. 62, al. 3. Sur le secret de leurs délibérations et par ex. pour les membres des juridictions civiles de droit commun, CPC, art. 448 et ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature, art. 6.

(4): C. pén., art. 226-14.

(5): CGFP, art. L. 121-6 qui renvoie à l'art. 226-13 préc. C. pén., sous réserve des exceptions de l'art. 226-14 préc.

(6): CJR, 30 septembre 2019, Jean-Jacques Urvoas.

(7): Ceux énumérés à l'art. L. 311-5 CRPA ou le secret des affaires (C. com., art. L 152-1), créé par la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018.

(8): C. pén., art. 413-10. Toutefois, la mission peut être aussi « permanente ».

(9): La peine encourue est réduite à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende pour les autres personnes (C. pén., art. 413-11), la tentative du délit de compromission étant punie des mêmes peines pour leurs auteurs (art. 413-12).

(10): Décret du 2 décembre 2019 relatif aux modalités de classification et de protection du secret de la défense nationale et instruction générale interministérielle n°1300 sur la protection du secret de la défense nationale, approuvée par l'arrêté du Premier ministre en date du 13 novembre 2020, mod. arrêté 9 août 2021, et annexée à l'arrêté modificatif.

(11): C. patr., art. L. 213-2-I-3 °. Ce délai d'archivage de cinquante ans qui peut être prolongé pour certains de ces documents, est de cent ans pour les documents dont la communication est de nature à porter atteinte à la sécurité de personnes nommément désignées ou facilement identifiables, impliquées dans des activités de renseignement (art. L. 213-I-5 °, al. 2). Il est perpétuel pour les documents relatifs aux armes nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques (NRBC - art. L. 213-2-II).

(12): CRPA, art. L. 211-2-7 ° avec, ici, renvoi aux dispositions du b du 2 ° de l'art. L. 311-5.

(13): Const., art. 10 et 39, al. 2.

(14): Ibid., art. 13, al. 1er ; v. CE, Ass., 10 septembre 1992, Meyet, n° 140 376.

(15): Ibid., art. 49, al. 2 ou 68 ou 8, al. 2 ou encore 68-1 respectivement.

(16): La Constitution ne mentionne pas (encore) les deux chaînes parlementaires de télévision et le site Internet de chacune des deux assemblées.

(17): Cons. const., déc. n° 59-2 DC du 24 juin 1959, Règlement de l'Assemblée nationale et ce règlement, art. 51-1 à -3  ; v. égal., règlement du Sénat, art. 32-4 à -6.

(18): Art. 6-IV, al. 1er ; règlement de l'Assemblée nationale, art. 144-1. Ce secret continue à s'appliquer au rapport adopté par cette commission si l'Assemblée nationale, réunie en comité secret, en décide ainsi (art. 144-2-2 et -3).

(19): C. pén., art. 226-13, préc.

(20): Ordonnance du 17 novembre 1958 préc., art. 6-IV, al. 4.

(21): Règlement de l'Assemblée nationale, art. 142-2.

(22): CGFP, art. L. 121-6 qui renvoie à l'art. 226-13 préc. C. pén., sous réserve des exceptions prévues à l'art. 226-14.

(23): Ce statut s'applique aussi aux deux des dix-huit AAI qui rendent des avis, et non des décisions : la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) et la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN).

(24): Art. 9, al. 4. La formulation est surprenante, car le secret des délibérations est un secret professionnel. Les membres de l'autorité peuvent avoir à respecter tout autre secret protégé par la loi, en relation avec la compétence du collège, tel que le secret des affaires au sein de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP - règlement intérieur, annexé à sa déc. n 2020-1491, art. 19 et 27).

(25): Par ex. pour les personnels des services de l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA) qui est l'une des seize AAI de décision, C. aviation civ., art. L. 227-9, al. 4 et pour ceux de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) qui est l'une des sept API, C. sport, art. L. 232-7.

(26): Loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 préc., art. 13 ; par ex. la Charte de déontologie du 3 août 2021 impose aux agents de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) de « respecter le secret des délibérations de la commission » (art. 4, al. 4).

(27): C. proc. pén., art. 304 et Cass. crim., 25 mai 2016, n° 15-84099.

(28): Sur ce rapprochement, l'art. 9 de la loi du 29 juillet 1881 qui sanctionne d'une amende de 18 000 euros le fait de « rendre compte des délibérations intérieures, soit des jurys, soit des cours et tribunaux ». Un jury, tel que l'équipe pédagogique, qui propose de refuser l'admission d'un étudiant en première année de droit à la décision motivée en ce sens du président de l'université sollicitée, délibère secrètement pour rendre un avis, et non une décision, terme pourtant retenu par Cons. const., déc. n° 2020-834 QPC du 3 avr. 2020, UNEF, paragr. 13.

(29): CE, 17 février 2016, CNFPT, n° 371 453.

(30): CE, 22 juin 1992, Lartigue, n° 122 085.

(31): TA Lyon, 16 juin 1993, Mlle Anne Missonier, n° 92-05022.

(32): CJA, art. L. 112-1 à -6. Les avis du Conseil d'État et des juridictions administratives qui ne sont pas communicables (CRPA, art. 331-5-1 °), sont, en revanche, publiables par leur destinataire. Ainsi, depuis la déclaration du président François Hollande, lors de ses vœux aux corps constitués du 20 janvier 2015, l'avis du Conseil d'État sur la plupart des projets de loi est rendu public et joint au dossier parlementaire.

(33): CJA, art. L. 212-1 et R. 212-1, not.

(34): « Le délibéré des juges est secret ».

(35): Le Rapport public sur l'activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2021 ne dit rien sur l'activité consultative de ces juridictions, en dehors du Conseil d'État où il est alors prolixe (EDCE 2022, n° 73, p. 169-338). Le même secret des délibérations se conçoit au sein d'une commission d'étude formée par l'exécutif pour envisager la réforme d'une politique publique dont les travaux donnent lieu à un rapport rendu public : par ex, le comité Balladur sur la réforme de la décentralisation territoriale, fin 2008-début 2009.

(36): CJF, art. L. 120-3 et L. 220-4. Le serment est prêté en tant que magistrat, au sens organique du terme, pas pour la fonction juridictionnelle seulement.

(37): Pour la Cour des comptes, Const., art. 47-2.

(38): Les documents des juridictions financières dans leur fonction consultative (CJF, art. L. 141-3 et L. 241-1) qui ne sont pas communicables (CRPA, art. L. 331-5-1 °), sont, en effet, publiables. Le Rapport annuel de la Cour, élaboré avec le concours des chambres et dans le respect du secret des délibérations, avant d'être rendu public, est la modalité la plus connue de l'exercice de sa fonction consultative (CJF, art. L. 251-1 à -3 et R. 243-19).

(39): Il résulte de la combinaison des art. L. 213-2-I-1 ° C . patr. et L. 311-5-2 °-a CRPA que les documents dont la communication porte atteinte au « secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif », ne sont pas communicables avant l'expiration du délai d'archivage d'une durée de vingt-cinq ans (en ce sens, l'avis CADA n° 20192945 du 18 juillet 2019 qui s'appuie not. sur CE, 10 mai 1996, Mlle X et Mouvement de légalisation contrôlée, n° 163 607).

(40): C. déf., art. L. 1121-1 et R. 1122-2, al. 1er. Cette présidence est en rapport, pour partie, avec sa fonction de chef des armées (Const., art. 15).

(41): C. déf., art. R. 1122-1.

(42): Ibid., art. R. 1122-6 et -7.

(43): Ibid., art. R. 1122-9 et -10.

(44): Parmi les oppositions politiques à ce nouveau renforcement du pouvoir du président de la Ve République, la proposition de loi n° 5003 du 8 février 2022 de Mme Martine Wonner et autres députés visant à lever le secret défense des délibérations du Conseil de défense sanitaire.

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Olivier GOHIN. « Le secret des délibérations des institutions politiques et administratives », Titre VII [en ligne], n° 10, Le secret, avril 2023. URL complète : https://webview.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/le-secret-des-deliberations-des-institutions-politiques-et-administratives