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Décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997 - Observations du gouvernement

Loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration
Non conformité partielle

Observations du Gouvernement en réponse aux saisines du Conseil constitutionnel en date du 27 mars 1997 par plus de soixante sénateurs et par plus de soixante députés :
Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, adoptée le 26 mars 1997.
Des nombreux développements que les auteurs de ces saisines consacrent à la critique de ce texte, et si l'on met à part les arguments d'ordre politique qui ne font que prolonger le débat qui a eu lieu devant le Parlement, se dégagent essentiellement deux idées :
: d'une part, la loi imposerait aux libertés protégées des étrangers, même lorsqu'ils sont en situation irrégulière, des contraintes qui ne seraient pas justifiées ;
: d'autre part, de telles contraintes ne pourraient relever que de l'autorité judiciaire, et plus particulièrement des juges du siège.
Avant d'aborder l'examen des griefs adressés à chacune des dispositions contestées, le Gouvernement entend, à titre liminaire, récuser ces deux prémisses.
En premier lieu, le postulat de départ qui fonde les saisines semble ignorer que le problème de l'immigration irrégulière est un problème de société, en France comme dans la plupart des grands pays développés. Elle est la source de difficultés sociales et de problèmes d'intégration qui mettent en cause l'ordre public.
L'exécutif se doit d'y remédier dans le cadre légal de la police spéciale des étrangers, laquelle est naturellement placée, s'agissant d'une police administrative, sous le contrôle du juge administratif.
Cette police est naturellement définie pour l'essentiel par la loi, car elle met en cause des situations individuelles, dans des conditions qui la rattachent aux catégories de l'article 34 de la Constitution. Mais elle n'en reste pas moins une police administrative obéissant aux principes dégagés par la jurisprudence, et notamment celui tiré de l'équilibre indispensable entre deux exigences l'une comme l'autre d'ordre constitutionnel : les droits et libertés des intéressés, d'une part ; et les nécessités de l'ordre public, d'autre part.
Cette conciliation, qui a été consacrée au rang des principes fondamentaux s'imposant au législateur par la décision n° 93-325 du 13 août 1993, doit être réalisée avec pragmatisme et discernement.
Au demeurant, c'est bien à partir de l'expérience acquise depuis les lois des 24 août et 30 décembre 1993 que le Gouvernement a estimé nécessaire de proposer au Parlement les ajustements techniques dont la loi déférée est la traduction formelle.
En raison de cette indispensable conciliation entre exigences de niveau constitutionnel, aucune des mesures figurant dans ce texte ne peut être appréciée, même au plan strictement juridique, indépen-damment des données concrètes qui ont conduit les pouvoirs publics à estimer nécessaire chacune des dispositions adoptées.
L'analyse par article, sans reprendre leur discussion en opportunité, que reflètent les débats parlementaires, en présentera néanmoins l'intérêt pratique, pour montrer que la loi déférée a bien concilié avec réalisme et mesure les nécessités de l'ordre public avec les droits et libertés en cause.
En second lieu, il n'est pas davantage possible d'accepter l'idée, qui sous-tend les recours, selon laquelle la police des étrangers devrait relever d'un contrôle purement judiciaire. Comme le souligne la décision n° 89-261 DC du 28 juillet 1989, l'article 66 de la Constitution ne requiert l'intervention de l'autorité judiciaire que lorsque est en cause la liberté individuelle, au sens précis de ce terme, tandis que les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République conduisent à réserver à la juridiction administrative le contrôle des actes de la puissance publique, au nombre desquels figurent ceux qui sont pris au titre de la police des étrangers, à commencer par la délivrance des titres de séjour et les mesures d'éloignement. La même décision souligne que la garantie effective des droits des intéressés peut être satisfaite aussi bien par la juridiction administrative que par la juridiction judiciaire.
Du point de vue des voies de recours ouvertes aux étrangers, il importe surtout de souligner que, dans le cadre de la loi déférée, les compétences générales du juge administratif ne sont en rien remises en cause, pas plus que celles que détient l'autorité judiciaire dans le cas particulier où se trouve mise en jeu la liberté individuelle, au sens de la l'article 66 de la Constitution.
Pour en finir avec les généralités, deux affirmations des requérants doivent être démenties :
: d'une part, la prétendue insuffisance du contrôle juridictionnel, alors qu'à l'évidence bien peu de domaines juridiques font ainsi intervenir d'aussi près l'ensemble de l'appareil juridictionnel, sans qu'il soit nécessaire que chaque disposition de la loi le rappelle expressément ;
: d'autre part, le refus des saisissants d'admettre l'intervention du parquet en qualité de garant de la liberté individuelle, alors que celui-ci fait pleinement partie de l'autorité judiciaire, comme le Conseil constitutionnel l'a rappelé dans la décision n° 93-326 du 11 août 1993, et que son indépendance, dans le cadre de son statut propre, est garantie tant par l'article 64 de la Constitution que par la longue tradition de la magistrature debout.
Ceci va au-delà de la seule inamovibilité des magistrats du siège et institue, comme l'avait dit en 1958 le garde des sceaux, M Michel Debré, « une véritable indépendance des magistrats » (discours devant le comité consultatif constitutionnel, Maus, Favoreu et Parodi, septembre 1992, page 673). Ceci vaut sans préjudice de la réflexion en cours sur la justice et la bonne application de la loi.
Sous le bénéfice de ces observations préliminaires, les critiques adressées par les auteurs des saisines à chacun des articles contestés appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I : Sur l'article 1er
Cette modification de l'article 5-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France introduit un nouveau cas de refus du visa de certificat d'hébergement lorsque « les demandes antérieures de l'hébergeant font apparaître un détournement de la procédure au vu d'une enquête demandée par le représentant de l'Etat aux services de police ou unités de gendarmerie ».
A : En premier lieu, les députés requérants estiment que cette disposition donne au préfet le pouvoir de porter une atteinte grave à la liberté individuelle.
1. Il convient d'abord de rappeler ce qu'est le certificat d'hébergement et de souligner les risques de dévoiement auxquels la loi entend faire échec.
a) Le certificat d'hébergement, contrairement à ce qui a été prétendu çà et là, n'est nullement une obligation faite à tout hébergeant de déclarer l'étranger qu'il héberge. Il est une facilité offerte à un étranger venant en France pour une visite privée, c'est-à-dire en dehors d'un cas de visite touristique ou de voyage d'affaires, pour obtenir un visa « visiteur ». Cette facilité a pour conséquence concrète de diminuer substantiellement le montant des ressources dont l'étranger doit justifier pour son séjour en France, séjour luimême limité à trois mois au plus. A la différence d'un voyage touristique par exemple, le titulaire d'un certificat d'hébergement n'a pas à justifier d'une réservation hôtelière, et il peut faire état d'un niveau de ressources réduit.
Le certificat d'hébergement permet ainsi à des étrangers ne disposant pas de ressources importantes d'obtenir un visa « visiteur » afin de se rendre en France à titre privé, par exemple dans le cadre d'une visite familiale ou bien pour y rencontrer des relations.
b) Cette facilité joue non pas à l'encontre, mais bien en faveur des visiteurs étrangers. Toutefois, il convient d'éviter qu'elle ne donne lieu à des dévoiements. Or l'expérience a montré que, depuis sa création en 1982, le certificat d'hébergement avait effectivement donné lieu à de tels abus. Telle est bien la raison pour laquelle le décret du 27 mai 1982 a été substantiellement révisé par un décret du 30 août 1991, qui a notamment prévu la présentation personnelle de l'hébergeant en mairie, les contrôles que celle-ci effectue sur les demandes et la possibilité d'une visite domiciliaire de l'Office des migrations internationales.
Force est pourtant de reconnaître que le résultat n'est pas entièrement satisfaisant.
Les détournements de procédure que la disposition critiquée vise à conjurer peuvent s'illustrer à travers les quatre exemples suivants :
: dans une commune des Yvelines, un même hébergeant a souscrit 27 certificats d'hébergement en une seule année, au bénéfice de ressortissants dont l'expérience a montré, après une enquête de police, qu'aucun ne s'était rendu au domicile de l'hébergeant ;
: dans une autre commune, en 1995, neuf certificats d'hébergement ont été souscrits et huit en janvier de l'année suivante au bénéfice du même hébergeant ;
: troisième exemple : des demandes multiples de certificats d'hébergement ont été souscrites par un même hébergeant au bénéfice de jeunes filles, dans des circonstances permettant de présumer, comme la suite l'établit, la constitution d'un réseau de prostitution ;
: un dernier exemple de détournement de procédure est la souscription de certificats d'hébergement par un ressortissant pour recevoir ses enfants, alors que ceux-ci résidaient déjà régulièrement en France, ce qui laisse à penser que les certificats d'hébergement ont été souscrits au bénéfice d'étrangers mineurs rentrant irrégulièrement en France sous une fausse identité.
Les détournements de procédure existent donc malheureusement, même si l'on veut croire qu'ils restent en nombre limité.
Mais le dévoiement de la procédure, par lui-même et plus encore par ses mobiles, est trop grave pour qu'il soit refusé à l'autorité administrative, qui vise les certificats d'hébergement, d'opposer l'existence d'un détournement de procédure antérieurement à une nouvelle demande.
Naturellement, elle ne doit pas le faire sans être éclairée au préalable et sans avoir pu établir la fraude à la loi, d'où la nécessité d'une enquête menée par un service de police ou une unité de gendarmerie. Cette enquête a bien le caractère d'une enquête administrative s'insérant dans une procédure administrative, même si, le cas échéant, la constatation ou la présomption d'un délit peut déboucher, dans les cas qui le justifient, sur une procédure judiciaire. Mais ceci ne relève pas de l'article 5-3 de la loi et l'enquête administrative dont il s'agit est du type de celles que les services de police pratiquent régulièrement. Elle reste dans le cadre légal actuel de leurs attributions de police administrative.
2. Ceci étant précisé, c'est en vain que les députés requérants allèguent l'existence d'une atteinte grave à la liberté individuelle ou d'une imprécision de la loi.
En effet, la notion de détournement de procédure ou de fraude à la loi est largement codifiée par la jurisprudence administrative et l'atteinte à la liberté est en l'espèce strictement motivée par le dévoiement de la procédure dont s'est précédemment rendu coupable l'hébergeant et lui seul. Il va de soi que le contrôle des juridictions administratives est pleinement assuré et conjure tout risque d'arbitraire, contrairement à ce que feignent de croire les députés requérants.
Quant à l'imputation selon laquelle la disposition incriminée serait utilisée pour faire échec à l'entrée d'étrangers d'origines indésirables, elle relève d'une polémique étrangère au débat juridique.
3. Que l'administration puisse légitimement invoquer le détournement de procédure pour faire échec à la poursuite de fraudes par des professionnels de l'hébergement factice ne souffre aucune critique juridique. On peut d'ailleurs rappeler qu'elle pourrait le faire, même sans texte, au nom du principe fraus omnia corrumpit.
Le législateur a eu essentiellement le souci d'encadrer ce pouvoir.
4. Dans ces conditions, l'on ne voit pas en quoi l'intervention de l'autorité judiciaire serait nécessaire dans une procédure administrative de cette nature. On peut d'ailleurs se demander si elle serait constitutionnellement possible. Le visa d'un certificat d'hébergement est bien un acte administratif qui ressortit à la compétence des juridictions administratives. Un éventuel refus de visa de certificat d'hébergement n'a pas le caractère d'une sanction, contrairement à ce que soutiennent les députés requérants. Il vise à prévenir un trouble de l'ordre public, comme il est de droit en matière de police administrative, ce trouble étant constitué par l'aide à l'entrée et au séjour d'étrangers en France en violation de la loi.
B : En second lieu, les députés requérants reviennent sur le débat parlementaire qui a eu lieu sur le thème des fichiers.
Il importe d'abord d'observer que la loi n'a ni pour objet ni pour effet nécessaire de créer par elle-même un quelconque fichier. La saisine nous fait donc tomber ici dans le procès d'intention.
Certes, le ministre de l'intérieur, au cours du débat parlementaire, a été amené à expliciter l'interprétation pratique que le Gouvernement faisait de la rédaction de l'article 1er proposé par M Mazeaud, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui est l'auteur de la disposition finalement adoptée.
Selon cette interprétation, un fichier des étrangers hébergés serait en effet créé. L'étude menée fait apparaître l'efficacité du traitement automatisé d'informations nominatives, au sens des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique et aux libertés, dans la lutte contre le dévoiement du certificat d'hébergement.
Comme il est strictement impensable aujourd'hui de traiter manuellement l'enregistrement et le suivi des certificats d'hébergement délivrés, enregistrement dont le Conseil d'Etat, dans une décision M Poirrez du 15 janvier 1996 (n° 130607), a reconnu la légalité, il serait opportun de mettre en uvre un système informatique permettant tout à la fois l'édition commode et rapide des certificats d'hébergement et le rapprochement entre les visas délivrés et le retour des certificats d'hébergement conformément au V de l'article 1er.
Il est donc probable que le traitement nécessaire comportera le nom de l'hébergé, sa nationalité, la période de son séjour et l'adresse à laquelle il se rend. Mais il n'est nullement nécessaire que le nom de l'hébergeant y soit inscrit. Par ailleurs, dans l'hypothèse où le certificat d'hébergement est retourné à la préfecture selon une procédure qui devra être définie par le décret en Conseil d'Etat mentionné au VI de l'article, le rapprochement avec les données figurant dans le traitement amènera à la destruction non seulement du certificat d'hébergement sous sa forme papier, mais à l'effacement de toutes données dans le système, dans le délai d'un mois suivant ce rapprochement, délai qui paraît compatible avec la recommandation inscrite dans le rapport annuel de la Commission nationale de l'informatique et des libertés pour 1994.
Dès lors, les documents et informations ne seront pas conservés en tout au-delà de quelques mois, compte tenu de la limite fixée à un court séjour qui est de trois mois. Au total, dans le cas d'un rapprochement à l'issue du séjour avec le certificat d'hébergement retourné vers la préfecture, la durée de conservation dans le système sera inférieure à six mois.
Enfin, il n'est nul besoin, compte tenu de la compétence dévolue exclusivement au préfet dans chaque département, de constituer un fichier national, ni même d'interconnecter les fichiers départementaux. En effet, c'est bien au niveau du département et de lui seul que sera gérée cette compétence et que seront effectués les rapprochements entre les informations enregistrées au moment du visa du certificat d'hébergement et celles figurant sur les certificats d'hébergement effectivement retournés à la préfecture.
Dans l'hypothèse où il n'y a pas rapprochement, c'est-à-dire lorsque l'étranger hébergé ne satisfait pas aux obligations visées au V de l'article 1er, l'effacement ne peut pas être instantané. Dès lors, il reviendra à l'acte réglementaire, soumis aux contrôles prévus par la législation sur l'informatique et les libertés, de définir une période de temps pendant laquelle la conservation des données sera autorisée. En tout état de cause, la législation s'oppose à ce que cette limite de temps soit indéfinie.
II. : Sur l'article 3
Les parlementaires saisissants adressent trois types de critiques à cet article.
A : Est en premier lieu visé l'article 8-1 nouveau de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui donne aux services de police et aux unités de gendarmerie la possibilité de retenir le passeport d'un étranger en situation irrégulière.
1. Le Gouvernement entend, tout d'abord, fournir les indications de fait suivantes.
En premier lieu, la mesure contestée correspond à une véritable nécessité. En effet, l'une des principales difficultés, dans l'exécution des mesures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière, tient au fait qu'ils sont dépourvus de documents transfrontière.
La disposition en cause a donc une vertu essentielle : lorsqu'un étranger est interpellé en situation irrégulière et détient toujours un document de voyage en cours de validité, elle permet que ce document de voyage soit sauvegardé, en particulier contre les man uvres de l'intéressé qui sait, le plus souvent, que ce document de voyage est la clé de son éloignement.
Au demeurant, cette disposition consacre une pratique qui a donné lieu à un arrêt de la Cour d'appel de Paris (préfet de police de Paris contre M Meftali du 19 janvier 1994), qui considère que la rétention du passeport n'est pas manifestement insusceptible de se rattacher à l'exercice d'un pouvoir conféré à l'administration, et dès lors ne saurait constituer une voie de fait.
On doit souligner la grande diversité des situations auxquelles l'autorité administrative aura à faire face. Dans l'hypothèse par exemple d'un étranger en situation irrégulière sans autre circonstance particulière, l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière doit pouvoir intervenir immédiatement et normalement son éloignement doit pouvoir suivre dans un délai aussi bref que possible, éventuellement après une période de rétention administrative limitée par les dispositions de l'article 35 bis de l'ordonnance. Mais il peut se faire que l'étranger en situation irrégulière soit par ailleurs l'objet de poursuites pénales, par exemple parce qu'il refuse d'embarquer, et, dans cette hypothèse, on voit bien qu'il devient nécessaire de conserver son passeport jusqu'au moment de son éloignement effectif qui peut intervenir deux à trois mois plus tard. De même encore, lorsqu'une affaire pénale est conduite parallèlement et l'amène à séjourner en prison pour une durée plus longue.
En deuxième lieu, on doit souligner que la loi parle de la retenue du passeport ou du document de voyage, en aucun cas d'une confiscation définitive. Cette retenue n'a qu'un objet : s'assurer que l'étranger, lorsqu'il quittera le territoire, disposera du document lui permettant effectivement de quitter la France.
On peut observer que les législations de pays voisins comportent des dispositions analogues. Ainsi l'article 42, alinéa 6, de la loi sur les étrangers applicable en Allemagne dispose-t-elle : « doit être pris en dépôt le passeport ou laissez-passer de tout étranger devant quitter le territoire jusqu'à son départ ». De même au Royaume-Uni : lorsqu'une personne est interpellée en situation irrégulière ou fait l'objet d'une mesure d'éloignement, la remise de son passeport aux autorités de police est prévue. C'est également le cas en Finlande et en Suisse.
2. Dans ces conditions, aucun des griefs adressés à cette disposition ne peut être retenu.
Il est allégué tout d'abord que le passeport ne pourrait être confisqué par une autorité française, alors qu'il est la propriété d'un Etat étranger.
Mais outre qu'il est inexact de parler de confiscation, on rappellera que le grief tiré de la violation de traités internationaux est inopérant dans le débat constitutionnel.
On soulignera ensuite que, contrairement à ce que soutiennent les députés requérants, la nécessité d'une telle mesure ne prive pas pour autant l'intéressé de la liberté de quitter le territoire, conformément aux termes de la décision du 13 août 1993 dont se prévaut la saisine. Elle ne prive en aucune façon l'étranger concerné de la possibilité de choisir le lieu où il quittera le territoire national et son pays de destination. Il reviendra à l'étranger dont le passeport a été retenu de faire connaître à l'autorité de police l'endroit par lequel il entend quitter le territoire et c'est à cet endroit que devra lui être remis son document de voyage. Ceci correspond d'ailleurs à une pratique suivie par les préfectures.
Il est également reproché à la disposition contestée de n'avoir pas prévu, comme préalable à la rétention du passeport, la prise d'une mesure d'éloignement, tel un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Ceci revient à méconnaître la pratique de ce type de situation. Au moment de l'interpellation, il est encore possible que l'étranger dispose de son document de voyage. Il importe de le saisir immédiatement. Si l'on attendait que l'intéressé fasse l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière, sous forme d'arrêté préfectoral, cela signifierait qu'un espace de temps d'environ vingt-quatre heures s'écoule, temps pendant lequel l'étranger interpellé pourrait détruire ou dissimuler le document en cause.
Au demeurant, lors de l'interpellation d'un étranger en situation irrégulière, il arrive que l'intéressé choisisse de repartir volontairement dans son pays, ce qui lui permet d'ailleurs de disposer, dans certains cas, de facilités, telle la prise en charge de son voyage et l'octroi d'un pécule de départ par l'Office des migrations internationales. Cette voie doit rester ouverte, tout en ayant la garantie de la réussite de l'éloignement grâce à la retenue du passeport.
Tout aussi vaine est l'argumentation relative à la durée pendant laquelle le passeport pourra être retenu. Naturellement, cette retenue ne pourra être que de courte durée. Aussi la loi laisse-t-elle ouverte l'hypothèse dans laquelle le passeport est restitué à l'intéressé, sur le territoire français, avant sa sortie du territoire. On doit envisager à cet égard, notamment, le cas de la régularisation du séjour de l'étranger en France.
Mais la définition d'une durée de rétention du passeport, invoquée par les requérants, n'était en tout état de cause pas du domaine de la loi et l'on voit bien que cette durée sera strictement proportionnée aux besoins de l'autorité administrative, qui ne pourra aller au-delà de la contrainte nécessaire, cette stricte proportion étant placée sous le contrôle de la juridiction administrative.
S'agissant enfin de la validité du récépissé délivré en échange de la remise du passeport, l'autorité administrative fera en sorte que ce document permette à l'intéressé d'exercer ses droits fondamentaux pendant la durée de son maintien en France, jusqu'à son départ du territoire. Le texte de la loi dit explicitement que le récépissé tient lieu de document d'identité. Celui-ci doit donc lui permettre, dans toute la mesure nécessaire, d'exercer ses droits constitutionnellement garantis.
B : Est en second lieu contesté l'article 8-2 nouveau de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relatif aux visites de véhicules.
Cet article habilite les officiers de police judiciaire à procéder, sur instruction du procureur de la République, à une visite sommaire des seuls véhicules n'ayant pas le caractère de voitures particulières, dans une bande de 20 kilomètres au voisinage des frontières terrestres de la France avec les Etats parties à la convention de Schengen.
Les requérants adressent cinq types de critiques à cette disposition.
1. Ils mettent d'abord en cause le caractère imprécis du terme « instructions ».
Mais la différence sémantique qu'ils semblent percevoir entre ce terme et celui d'« autorisation » n'existe pas. Le texte du Gouvernement comportait le mot « autorisation », l'Assemblée nationale lui a préféré le terme d'« instruction » en ayant pour objectif de mieux encadrer l'action des services de police. Il va de soi, ainsi que cela ressort clairement du texte de la loi, que cette autorisation est délivrée au coup par coup, compte tenu des circonstances de chaque espèce, et non pas globalement, comme voudraient le faire croire les saisissants.
2. Ces derniers font ensuite valoir que le législateur aurait dû subordonner à l'intervention d'un magistrat du siège la possibilité de procéder à de telles visites sans l'accord du conducteur.
Une telle exigence ne découle nullement de la Constitution, dont l'article 66 vise également, comme il a été rappelé plus haut, les magistrats du parquet.
Les requérants se méprennent, ici comme ailleurs, sur la portée des décisions n° 75-76 DC du 12 janvier 1977 et n° 94-352 DC du 18 janvier 1995. En particulier, cette dernière décision fait droit à une argumentation qui invoquait précisément la nécessaire intervention du procureur de la République.
En l'espèce, le degré d'atteinte à la liberté individuelle doit être d'autant plus relativisé que le législateur n'a prévu qu'une visite sommaire et que, du fait de l'exclusion des voitures particulières, une telle visite ne peut concerner que les camions ou les véhicules utilitaires de plus de 3,5 tonnes, ce qui revient à privilégier la visite des véhicules qui ne peuvent être en aucune façon rattachés à la sphère privée.
3. Le troisième grief, qui critique le fait que le conducteur du véhicule puisse être « retenu », repose sur une lecture erronée de la loi.
Il est vrai que, dans l'hypothèse où le conducteur refuse la visite sommaire à laquelle entendent procéder les services de police, il revient au parquet de décider de son principe et, dans l'attente de cette décision, le véhicule peut être immobilisé pendant une période d'au plus quatre heures. Mais pendant ce temps, qui d'ailleurs peut être beaucoup plus court, le conducteur du véhicule n'est nullement astreint à demeurer dans son camion et sa liberté individuelle n'est l'objet d'aucune contrainte. Pendant cette brève période de temps, il aura donc tout loisir, s'il le juge utile, d'entrer en contact avec toute personne de son choix, la loi ne pouvant s'interpréter comme comportant plus de sujétions pour le conducteur que ce qu'elle énonce explicitement.
4. Quant aux critères selon lesquels tel ou tel véhicule serait contrôlé, il n'y a pas lieu d'en définir a priori, pas plus qu'il n'en est prescrit dans le quatrième alinéa de l'article 78-2 du code de procédure pénale relatif aux contrôles d'identité dans la bande de 20 kilomètres au voisinage de nos frontières avec les Etats parties à la convention de Schengen.
Au demeurant, et comme le Conseil constitutionnel l'a admis dans sa décision n° 93-323 du 5 août 1993, il est clair que la visite ne peut avoir lieu que dans la zone correspondant à une bande de 20 kilomètres au voisinage des frontières avec les Etats parties à la convention d'application des accords de Schengen, zone dans laquelle la décision du 5 août 1993 reconnaît que les risques particuliers d'infraction et d'atteinte à l'ordre public liés à la circulation internationale des personnes sont avérés. La suppression des contrôles aux frontières intérieures implique la nécessité de mesures compensatoires pouvant se traduire par des contraintes supplémentaires pour les personnes qui s'y trouvent.
On ajoutera que la visite est limitée au temps strictement nécessaire et se déroule en présence du conducteur. Elle donne lieu également à l'établissement d'un procès-verbal remis au conducteur, dont une copie est également adressée au procureur de la République qui peut ainsi exercer son contrôle. En pratique, cette intervention ne durera que les quelques instants nécessaires à la visite sommaire du véhicule. Cette visite n'ayant pour objet que de détecter la présence d'étrangers souhaitant s'introduire irrégulièrement en France et, plus précisément, de démanteler des filières d'introduction dont les étrangers « clients » sont les premières victimes, elle ne pourra donner lieu à une fouille approfondie du véhicule.
5. Enfin, le Conseil constitutionnel ne pourra davantage accueillir le grief adressé au dernier alinéa qui étend le champ d'application de cette mesure au département de la Guyane.
Cette extension est justifiée par les circonstances propres à ce département. Une estimation approximative de la population en situation irrégulière d'origine étrangère amène à considérer qu'environ le quart des résidents dans ce département sont des étrangers en situation irrégulière. La porosité des frontières, notamment avec le Surinam à l'ouest, est particulièrement préoccupante.
Ces circonstances constituent des « justifications appropriées tirées d'impératifs constants et particuliers de la sécurité publique », au sens de la décision du 5 août 1993 précitée et les moyens de contrôle effectivement disponibles sur place ne permettent pas d'améliorer la maîtrise de l'immigration irrégulière sans des dispositions dérogatoires au droit commun.
En tout état de cause, l'argumentation que les requérants tire d'une différence entre les frontières de ce département et celles qui séparent le territoire métropolitain des Etats parties à la convention de Schengen est inopérante : comme le souligne un récent arrêt d'assemblée du Conseil d'Etat (CE, 28 mars 1997, Société Baxter et autres n° 179049), le principe d'égalité n'implique pas que les situations différentes soient soumises à des régimes différents.
Au demeurant, l'article 73 de la Constitution permet, comme le Conseil constitutionnel l'a déjà jugé en matière d'immigration dans la décision du 13 août 1993, de tenir compte de « situations particulières » propres aux départements d'outre-mer. Celle-ci en est une assurément.
C : En troisième lieu, les requérants contestent l'article 8-3 nouveau de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relatif aux empreintes digitales.
1. Ils critiquent d'abord le premier alinéa, qui pose le principe suivant lequel les empreintes des étrangers qui sollicitent la délivrance d'un titre de séjour, ainsi que de ceux qui sont en situation irrégulière ou font l'objet d'une mesure d'éloignement, peuvent être relevées et mémorisées.
Cette critique appelle, de la part du Gouvernement, deux types d'observations.
a) En premier lieu, il importe de souligner que cette mesure répond à une véritable nécessité.
En effet, d'une part, la fraude documentaire sur les cartes de séjour est particulièrement importante. Le recueil des empreintes des titulaires véritables des titres de séjour mettra en échec une bonne part de cette fraude. C'est d'autant moins négligeable que les titres de séjour valent aussi justification de l'identité. Et l'on rappelle que tout Français demandeur d'une carte nationale d'identité dépose une empreinte digitale sur un formulaire qui est conservé par l'administration.
D'autre part, les personnes qui demandent un titre de séjour, mais ne se verront pas délivrer en définitive de titre, pourront être identifiées, dès lors que leurs empreintes auront été recueillies.
Cela donnera une valeur opérationnelle réelle aux mesures d'éloignement dont elles feront éventuellement l'objet.
b) En second lieu, on ne peut sérieusement soutenir, comme le font les auteurs de la saisine, que la constitution de tout fichier de données personnelles, par exemple tout fichier d'empreintes, porte atteinte, par elle-même, à la liberté individuelle. Une telle allégation met d'ailleurs en cause la valeur des procédures prévues par la loi du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
Il convient de rappeler qu'aucun fichier ne pourra être mis en uvre, au titre de l'alinéa premier de l'article 83, sans intervention préalable d'un acte réglementaire pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Celle-ci garantit, par son indépendance, la préservation des droits individuels et des libertés fondamentales en matière de fichiers. Au surplus, lorsque l'avis n'est pas favorable au projet présenté par le Gouvernement, il ne peut y être passé outre que sur avis conforme du Conseil d'Etat. Enfin, ces actes réglementaires sont soumis au contrôle juridictionnel du Conseil d'Etat siégeant en formation contentieuse.
Ces garanties amènent à considérer, tant en ce qui concerne les informations effectivement reprises dans le traitement que les destinataires et l'usage qui pourrait en être fait, que l'ensemble des précautions nécessaires seront prises.
2. S'agissant du deuxième alinéa de l'article 8-3, les requérants mettent en cause l'accès des services de police et des unités de gendarmerie expressément habilitées au fichier dactyloscopique de l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides).
Il convient d'observer tout d'abord que cet accès, dont le principe est retenu par le législateur, devra lui aussi faire l'objet d'un acte réglementaire soumis à l'avis préalable de la CNIL. Cet avis portera nécessairement sur les modalités de consultation, aussi bien que sur la liste des agents expressément habilités au sein des services concernés.
Il est exact que cet article vient compléter la loi du 25 juillet 1952, portant création de l'OFPRA, et plus exactement le dernier alinéa de son article 3, aux termes duquel « les locaux de l'office ainsi que ses archives et, d'une façon générale, tous les documents lui appartenant ou détenus par lui sont inviolables ». Il est clair que les récits des demandeurs d'asile et tous les documents relatifs aux personnes dotées du statut de réfugié sont couverts par cette inviolabilité, laquelle découle nécessairement de l'application de la convention de Genève du 28 juillet 1951.
Toutefois, il n'apparaît pas que cette inviolabilité couvre les empreintes des personnes ayant demandé le statut de réfugié et ne l'ayant pas obtenu. Or, c'est précisément à ces seules empreintes que le législateur prévoit un accès au bénéfice et des agents habilités du ministère de l'intérieur ou des unités de la gendarmerie nationale.
Par ailleurs, et contrairement à ce que prétendent les requérants, la disposition en cause n'a ni pour objet ni pour effet de permettre l'accès aux empreintes digitales des personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou même en cours de procédure. En effet, la loi ne vise qu'un accès en vue de l'identification d'un étranger qui est en situation irrégulière ou fait l'objet d'une mesure d'éloignement. Par définition, il ne peut donc s'agir d'une personne ayant la qualité de réfugié (qui, par nature, dispose d'un droit au séjour). Il ne peut non plus s'agir d'une personne ayant la qualité de demandeur du statut, puisque celle-ci est en situation régulière et dispose d'un droit au maintien sur le territoire, tant qu'il n'a pas été statué sur sa demande.
La disposition législative incriminée vise donc exclusivement l'accès aux empreintes des personnes ayant demandé le statut de réfugié mais ne l'ayant pas obtenu, et ce en vertu d'une décision devenue définitive.
Il s'agit en pratique de près de 200 000 personnes depuis les origines du système dactyloscopique mis en place à l'OFPRA. Ces personnes, dont une proportion minoritaire a vu sa situation régularisée ou a pu être reconduite hors du territoire français, ne sont pas dans une situation différente de l'ensemble des étrangers en situation irrégulière poursuivant, en dépit de la loi, leur séjour sur le territoire français. La nécessité d'autoriser l'accès à cette information est donc en pratique particulièrement évidente, et l'on insistera sur le fait qu'il n'y a aucune raison de faire bénéficier ces personnes d'une quelconque immunité contre les services chargés d'appliquer la loi.
Encore une fois, les requérants se sont mépris sur la portée de la disposition législative en cause, puisque celle-ci ne met en aucune façon en question le droit d'asile.
III. : Sur les articles 4 et 5
Ces articles prévoient respectivement le retrait de la carte de séjour temporaire et le retrait de la carte de résident, lorsque l'employeur titulaire d'une telle carte s'est rendu coupable de faits sanctionnés par l'article L 341-6 du code du travail. Sont donc concernées les personnes ayant employé un étranger non muni d'un titre l'autorisant à exercer une activité salariée.
A : A titre liminaire, le Gouvernement entend faire les deux remarques suivantes.
La première, pour souligner que si cette disposition ne figurait pas, à l'origine, dans le projet de loi, le Gouvernement a estimé qu'en matière de travail dissimulé la plus grande vigilance s'impose, ne serait-ce que dans une perspective dissuasive, et qu'à cet égard l'initiative prise par l'Assemblée nationale méritait d'être soutenue.
La seconde est relative au cadre juridique dans lequel s'insère cette mesure. Contrairement à ce que semblent considérer les requérants, il n'est pas sans précédent que le législateur confie à l'administration le soin de prendre certaines mesures dont l'intervention est conditionnée par l'existence d'une infraction pénale. De telles dispositions n'ont ni pour objet, ni pour effet, d'empiéter sur les prérogatives de l'autorité judiciaire. Elles visent à permettre à une autorité agissant au titre de la police administrative, et pour la sauvegarde de l'ordre public, d'intervenir sans attendre que les faits en cause soient réprimés par le juge pénal. Elles tendent à prévenir la répétition des mêmes faits à l'avenir.
Cette distinction entre sanctions et mesures de police est couramment admise par la jurisprudence, notamment en matière de police des étrangers (CE 30 janvier 1988 Elfenzi ; Cass. Crim.
1er février 1995, Hamoudi). Elle a également été consacrée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 79-109 du 9 janvier 1980, qui admet que l'administration prenne une mesure de police fondée « sur des faits de nature à justifier une condamnation pénale, alors même qu'aucune condamnation définitive n'aurait été prononcée par l'autorité judiciaire ».
Le droit positif comporte d'ailleurs d'autres exemples d'une intervention concurrente de l'autorité de police et du juge pénal, chacun poursuivant une finalité différente. Tel est le cas, par exemple, de la suspension administrative du permis de conduire prévue à l'article L 18 du code de la route, des dispositions du code de l'urbanisme concernant l'interruption des travaux effectués en violation des règles relatives au permis de construire, ou encore de celles du code des débits de boissons sur la fermeture d'établissements.
Tous ces actes de puissance publique sont naturellement, et sans que la loi ait à le rappeler, soumis au contrôle de la juridiction administrative.
Dans ces différentes hypothèses, la jurisprudence du Conseil d'Etat a, de longue date, assuré la cohérence entre les mesures de police et celles qui ont un caractère pénal. C'est ainsi que, de manière générale, les constatations des juridictions répressives quant à la matérialité des faits qui ont servi de fondement à une mesure administrative sont revêtues, à l'égard de l'administration et du juge administratif, de l'autorité absolue de la chose jugée (CE Ass. 8 janvier 1971 Desamis).
En outre et lorsque, comme le législateur a choisi de le faire en l'espèce, la légalité de la mesure est conditionnée par l'existence d'une infraction pénale, cette autorité s'étend à la qualification juridique retenue par la juridiction répressive. Il en résulte que la décision administrative se trouve privée de base légale, dès lors que le juge pénal a estimé que l'infraction n'était pas constituée (CE 8 janvier 1971 précité ; 3 janvier 1975 SCI Cannes : Benefiat).
Par ailleurs, il est constant que des mesures comme celles que prévoient les articles 4 et 5 du texte déféré sont, de plein droit, soumises à un ensemble de règles protectrices des droits des individus, sans que le texte qui en permet l'édiction ait à le rappeler explicitement.
C'est ainsi que les décisions de retrait que le préfet pourra prendre :
: seront motivées en vertu de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 ;
: ne pourront être prises sans que l'intéressé ait pu faire valoir ses moyens de défense, par application combinée des dispositions de ce dernier texte et de celles de l'article 8 du décret du 28 novembre 1983.
Le principe des droits de la défense s'appliquerait même sans texte, conformément à une jurisprudence administrative constante, si les mesures en cause devaient s'analyser comme des sanctions.
Enfin, elles seront naturellement soumises au contrôle du juge administratif.
B : Dans ces conditions, les griefs adressés aux articles 4 et 5 par les auteurs des saisines ne sont pas fondés.
1. En premier lieu, il résulte des considérations qui précèdent qu'on ne peut utilement opposer, au choix que le Parlement a fait en l'espèce, ni le principe de séparation des pouvoirs, qui ne fait pas obstacle à de telles mesures administratives, ni l'absence de respect des droits de la défense ou de garanties juridictionnelles, ces deux derniers moyens manquant en fait.
2. Il faut remarquer au surplus que les dispositions contestées ne créent aucune automaticité, mais simplement une faculté au bénéfice de l'administration, qui sera donc amenée, sous le contrôle du juge administratif, à apprécier les circonstances de l'espèce pour décider s'il y a lieu ou non d'engager la procédure de retrait du titre de séjour concerné, celle-ci ne pouvant être légitime que dans les cas les plus graves.
3. S'agissant, en troisième lieu, des arguments plus particulièrement développés par les sénateurs requérants, il y a lieu de relever qu'un retrait prononcé longtemps après les faits incriminés d'emploi irrégulier d'un étranger sans titre serait jugé illégal. Il devrait en aller de même s'agissant d'un étranger qui aurait toutes ses attaches en France et ne serait pas expulsable, dès lors que les protections dont il bénéficie s'étendraient alors nécessairement aux situations visées par les articles 4 et 5.
4. Le Gouvernement entend enfin souligner qu'il n'est nullement dans ses intentions, pour l'application des articles 4 et 5, de faire appliquer par l'administration des mesures que le juge pénal n'aurait pas jugées nécessaires dans tel ou tel cas particulier. Il s'agit seulement de conforter la volonté clairement exprimée par le Parlement qui a souhaité une dissuasion exemplaire à l'égard du travail dissimulé. C'est dire qu'en pratique le Gouvernement n'entend pas suppléer des condamnations pénales « insuffisantes », mais, à titre principal, permettre aux préfets d'y associer un retrait du titre de séjour pour éviter que des infractions gravement contraires à l'ordre public puissent se perpétuer.
IV. : Sur l'article 6
Cet article donne vocation à un titre de séjour aux personnes dont l'expulsion est juridiquement impossible, en faisant prévaloir les liens établis avec la France, soit à titre familial, soit en raison de l'ancienneté du séjour dûment prouvée.
Dans ces conditions, on ne peut manquer de relever le paradoxe consistant, pour les requérants, à critiquer des dispositions qui sont plus favorables aux étrangers concernés que le droit actuel.
A : Ces critiques portent, en premier lieu, sur la réserve d'ordre public qui figure en tête de l'article.
On observera que l'article 12 bis, dans sa version actuellement en vigueur, comporte déjà cette réserve, qu'elle figure également à l'article 15 de l'ordonnance et que le Conseil constitutionnel en a admis la validité dans le considérant 25 de la décision du 13 août 1993. On la retrouve à l'article 5 pour l'admission sur le territoire et à l'article 29 sur le regroupement familial, sans que le Conseil constitutionnel ait davantage formulé d'objections dans sa décision.
L'origine de cette condition est d'ailleurs consubstantielle à la notion même de police administrative et ce n'est que dans la législation récente que l'on trouve la nécessité d'en faire état explicitement, alors que la réserve de l'ordre public s'impose même sans texte.
En outre, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'absence de définition de cette notion dans la loi ne saurait en affecter la constitutionnalité de quelque manière que ce soit. C'est naturellement au juge administratif qu'il incombera de vérifier la légalité de refus fondés sur un tel motif et de définir au cas par cas sa portée concrète.
Une jurisprudence déjà ancienne du Conseil d'Etat montre que le juge n'est nullement désarmé pour exercer un tel contrôle.
B : En deuxième lieu, le recours des députés tend à remettre en cause le délai d'un an imposé aux conjoints de Français, avant de se prévaloir d'un droit à une carte de séjour temporaire, dans l'hypothèse où ils ne peuvent y accéder au titre de l'article 15, par exemple en raison de leur séjour irrégulier.
Or cette durée d'une année de mariage, sans cessation de la communauté de vie, a été explicitement validée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 août 1993 précitée, et plus précisément dans le considérant 25 relatif à l'accès à la carte de résident. On ne voit pas la raison qui ferait échec à la transposition de cette condition pour l'accès de plein droit à la carte de séjour temporaire.
Au demeurant, ces conditions servent également à définir la catégorie des conjoints de Français qui ne peuvent être reconduits à la frontière ou expulsés, en application de l'article 25 de l'ordonnance. Il y a donc à cet égard homogénéité entre les trois articles 15, 12 bis et 25, homogénéité directement inspirée par le souci de faire échec à des mariages de complaisance qui n'attesteraient pas de la réalité de la vie commune.
L'intérêt public tenant à la lutte contre la fraude inspire la disposition critiquée.
C : En troisième lieu, les saisissants critiquent le choix qu'a fait le législateur, s'agissant des parents d'enfants français de nationalité étrangère, de retenir la condition d'entretien effectif de l'enfant pour donner vocation à un titre.
Ils admettent toutefois qu'il n'est pas normal de donner un titre de séjour de plein droit à des parents qui ne s'occuperaient pas effectivement de leurs enfants de nationalité française. Ce serait à l'évidence un détournement de l'esprit de la loi.
Il est exact qu'il y a une différence entre les articles 15, 25 et 12 bis tels qu'ils résultent de la modification en cause. Le législateur a en effet relevé, à l'Assemblée nationale notamment, que l'existence juridique d'une autorité partielle du parent concerné sur l'enfant ne pouvait pas donner, à elle seule, vocation à un titre de séjour. En effet, il peut advenir que l'un des parents ne soit pas déchu de son autorité parentale et dispose encore partiellement de cette autorité, sans qu'il se préoccupe, ni moralement, ni matériellement, du devenir de l'enfant. Cela peut se produire en cas de séparation de corps des parents, voire en cas de divorce. Cela peut se produire aussi dans l'hypothèse du retrait du droit de garde et, dans le cadre de l'article 373-4 du code civil, les parents peuvent continuer d'exercer l'autorité parentale partiellement, sans assumer aucun des devoirs d'un père ou d'une mère.
D'une manière générale, le législateur n'a pas pu admettre qu'une simple reconnaissance de paternité, sans authentique désir d'assurer les devoirs correspondants, suffirait à constituer le droit à un titre de séjour pour un parent étranger d'un enfant français.
L'interprétation qu'il convient de donner à la volonté du législateur, telle que le ministre de l'intérieur l'a explicitée en particulier à l'Assemblée nationale, revient à dire que la condition d'entretien effectif s'impose pour donner accès à un titre, mais qu'elle doit être entendue de manière souple : non par référence à un niveau de revenus ou à des dépenses en argent, mais bien au soin que le parent prend de son enfant, compte tenu de ses ressources et de sa condition.
Il faut au surplus relever que, si l'article 12 bis dans sa nouvelle rédaction crée une voie d'accès de plein droit à un titre, il n'interdit pas pour autant des mesures favorables pour les catégories d'étrangers qui n'entrent pas dans le champ d'application de l'article.
D : En quatrième lieu, la saisine des députés conteste la disposition restreignant le champ d'application de ces mesures favorables aux parents d'enfants de moins de seize ans.
Il y a lieu tout d'abord de relever que les parents d'enfants français, en situation régulière et entrés régulièrement en France, accèdent de plein droit, sous réserve de l'ordre public, à un titre de dix ans, conformément à l'article 15 de l'ordonnance. La disposition détaillée à l'article 12 bis ne concerne donc que les parents étrangers d'enfants français dans des situations d'irrégularité qui les empêchent d'accéder de plein droit au bénéfice de l'article 15. Il importait donc tout spécialement de mettre en échec toute dérive frauduleuse.
Le but que s'est fixé le législateur est bien précis : il est de permettre le développement d'une vie familiale normale. Dans ce contexte, il importe que les enfants français, qui ont vocation à demeurer sur le territoire français, aient auprès d'eux leurs parents et que ces parents puissent pourvoir à leur éducation et à leur entretien. Dans ces conditions, le législateur a pu estimer qu'il était nécessaire d'effacer l'irrégularité dans laquelle se sont placés les parents et que l'intérêt de l'enfant commande la régularisation de la situation des parents. Mais force est de reconnaître que, si l'argument est déterminant pour les enfants en bas âge, il est beaucoup moins fort s'agissant d'enfants approchant de leur majorité, le plus souvent engagés dans un cycle de préparation à la vie professionnelle, au-delà de l'obligation scolaire, et, par suite, dotés d'une autonomie beaucoup plus grande.
E : En dernier lieu, les sénateurs mettent en cause la condition tirée de la polygamie.
Il suffit à cet égard de se référer à la décision du 13 août 1993, validant cette réserve à propos de la délivrance de la carte de résident de dix ans, visée à l'article 15, pour constater qu'il était constitutionnellement possible d'exclure du bénéfice de l'accès de plein droit à une carte de séjour temporaire les personnes vivant en état de polygamie en France. Naturellement, cette condition s'applique aux hommes et aux femmes.
Il convient à cet égard de relever que la rédaction adoptée par le Parlement à l'article 12 bis se distingue des dispositions applicables à la délivrance de la carte de résident. Les dispositions relatives à la carte de séjour temporaire n'interdisent pas de manière absolue la délivrance d'un tel titre à un ressortissant étranger vivant en état de polygamie en France. En revanche, les dispositions relatives à la carte de résident, qui tiennent compte de la perspective d'intégration à la société française afférente à la possession d'un titre de longue durée, excluent la délivrance de cette carte à un étranger vivant en état de polygamie en France.
F : De façon générale, on relèvera que les saisines demandent au Conseil constitutionnel d'invalider des membres de phrases de l'article 6 qui, compte tenu de l'intention manifeste du législateur, sont inséparables des rubriques où elles figurent. Le Conseil ne pourrait donc faire droit aux requérants qu'en invalidant la totalité de ces dispositions.
Ni le Gouvernement ni les saisissants ne souhaitent évidemment un tel résultat.
V : Sur l'article 7
Cet article subordonne le renouvellement de plein droit de la carte de résident à la condition que la présence de l'étranger sur le territoire ne constitue pas une menace pour l'ordre public.
A : Les députés, auteurs de la première saisine, critiquent l'imprécision de cette notion et voient, dans cette condition, une « pérennisation du statut des étrangers en situation régulière ». Les sénateurs saisissants ajoutent, de leur côté, que la privation d'un droit acquis, auquel se rattacheraient, selon eux, l'exercice même de la liberté individuelle, ne devrait être prononcé que par l'autorité judiciaire. Ils considèrent enfin que l'absence de condition tenant à la gravité de la menace empêchera le juge administratif d'exercer son contrôle.
B : Le Conseil constitutionnel ne pourra accueillir aucun de ces griefs.
1. En premier lieu, on rappellera les termes du troisième considérant de la décision du 13 août 1993, qui met en évidence la conciliation nécessaire des droits des étrangers avec l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public. Le deuxième considérant établit par ailleurs qu'aucun étranger ne dispose d'un droit de caractère général et absolu au séjour sur le territoire national. Enfin, la même décision valide la condition tenant à l'ordre public pour l'octroi de la carte de résident, dans une rédaction qui ne distingue en rien la première délivrance du renouvellement d'un tel titre.
Dans son principe, l'existence d'une réserve tenant à l'ordre public n'a d'ailleurs rien d'arbitraire, contrairement à ce que soutiennent les requérants. C'est une notion classique de police administrative interprétée régulièrement par la jurisprudence, comme il a été rappelé ci-dessus.
2. En deuxième lieu, on ne saurait sérieusement soutenir que seule l'autorité judiciaire pourrait prendre une décision de refus de renouvellement d'un titre de séjour. Il s'agit au contraire d'un pouvoir qui n'appartient par nature qu'à l'administration. Celle-ci se trouve en pareil cas dans une situation classique, où elle exerce des compétences de police administrative avec les prérogatives de puissance publique qui sont les siennes.
Ajoutons que le contrôle du juge administratif sur un refus de renouvellement (qui devra être motivé) sera nécessairement exercé dans les conditions de droit commun et conjure, s'il en était besoin, les risques dénoncés par les requêtes.
On peut d'ailleurs observer que, dans le cadre de l'application de l'article 7 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, le Conseil d'Etat, dans une décision Mme Azzaz du 4 mai 1990 n° 110034, a validé un refus de renouvellement de certificat de résidence d'Algérien au motif que la personne concernée pourrait constituer une menace pour l'ordre public.
3. En troisième lieu, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, le refus de renouvellement n'a pas la même portée qu'une expulsion. D'abord, une expulsion ne peut être prononcée que pour une menace grave à l'ordre public, ou pour nécessité impérieuse pour la sécurité publique, selon les procédures prévues aux articles 23 à 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, alors qu'un simple refus de renouvellement ou refus d'admission au séjour, motivé par l'ordre public, se fait nécessairement par référence à des circonstances d'une gravité plus variable, allant de la simple menace à l'ordre public à la menace grave, voire à la nécessité impérieuse.
Il est par ailleurs envisageable que l'autorité administrative, sans renouveler le titre de séjour de dix ans dans un tel cas, puisse délivrer un titre de séjour temporaire d'un an, laissant ainsi à l'étranger dont le comportement trouble l'ordre public la possibilité d'obtenir à nouveau une carte de résident en se conformant à nos lois.
Il ne s'agit en aucune façon de déstabiliser la situation des étrangers régulièrement installés sur notre sol, mais de signifier que le droit au séjour en France ne peut être acquis sans condition.
La première d'entre elles est le respect de la paix publique.
4. En quatrième lieu, il ne peut pas être soutenu qu'un étranger titulaire d'une carte de dix ans détient, par le fait même de son attribution, un droit indéfini et inconditionnel à son renouvellement. Si une telle condition prévalait au niveau constitutionnel, l'existence même d'une durée limitée à dix ans n'aurait aucun sens. Il reviendrait alors au législateur d'en déduire que seuls des titres de durée indéfinie et irrévocable devraient être accordés. C'est un paradoxe auquel le Gouvernement ne peut pas souscrire. Si l'éventualité du non-renouvellement d'un titre de dix ans doit être envisagée avec précaution et au terme d'une procédure permettant à l'intéressé de faire valoir tous éléments en sa faveur, rien ne saurait établir, dans notre Constitution, l'impossibilité d'opposer l'ordre public à une demande de renouvellement d'un tel titre.
5. S'agissant du contrôle du juge, il est absurde de prétendre que, dans de telles circonstances, il serait en quelque sorte « désactivé ». Le précédent Azzaz, cité plus haut, illustre bien l'absence de pertinence de l'argument. Le contrôle juridictionnel sera d'autant moins paralysé que le non-renouvellement devra être motivé en vertu de la loi du 11 juillet 1979.
6. Enfin, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, c'est lors du renouvellement de la carte de résident que doit être appréciée la réalité de la menace de l'ordre public que représente la présence de l'étranger.
VI. : Sur l'article 8
Tirant notamment les conséquences des dispositions de l'article 6, l'article 8 supprime l'intervention de la commission du séjour dont le législateur avait auparavant jugé utile de prévoir la consultation à l'article 18 bis.
A : On observera, à titre principal, que le choix différent qui a été fait en l'espèce par le Parlement relève du pouvoir d'appréciation qui est le sien dans l'aménagement de procédures administratives. Une telle analyse a déjà été validée par la décision du 13 août 1993 qui s'est prononcée sur une question analogue. En effet, l'article 11 de la loi du 24 août 1993 a réduit considérablement le champ de compétence de la commission du séjour et le Conseil constitutionnel a jugé que cette évolution ne comportait en elle-même aucune atteinte aux garanties juridictionnelles de droit commun applicables aux étrangers concernés et ne pouvait, dès lors, être jugée contraire à un principe de valeur constitutionnelle.
Il est par ailleurs soutenu que la disposition serait contraire à la directive du Conseil de l'Union européenne du 20 février 1964. Le moyen est inopérant. Il est non moins dénué de fondement. En effet, l'article 9-1 de la directive invoqué ne vaut qu'en l'absence de recours juridictionnel ayant un effet suspensif au bénéfice du ressortissant communautaire, auquel un refus de séjour ou un arrêté de reconduite est notifié. De tels recours existent précisément en France.
B : En tout état de cause, on soulignera que la situation de fait résultant de la disposition critiquée n'est pas celle décrite par les sénateurs requérants.
D'abord, c'est bien un nombre résiduel et limité de dossiers qui resteraient de la compétence de la commission du séjour, dès lors qu'environ 80 % des dossiers jusqu'alors de sa compétence seraient l'objet de décisions positives et ne seraient donc plus justiciables de la commission du séjour.
Par ailleurs, il est faux de dire que les avis émis par la commission du séjour sont très généralement suivis par les préfectures. Les éléments statistiques démontrent au contraire que les situations sont extrêmement variables : dans certains cas, la proportion d'avis favorables est telle que la préfecture ne saurait suivre la globalité de ces avis ; à l'inverse, la proportion d'avis défavorables devient écrasante dans certains cas et, là non plus, l'administration ne saurait les suivre intégralement.
En réalité, dans une procédure administrative d'une nature aussi particulière, il est apparu au législateur qu'il n'était pas opportun de maintenir une situation où des magistrats administratifs et judiciaires interviennent comme partie prenante, à titre consultatif, alors que, par la suite, ils peuvent intervenir à titre juridictionnel sur la décision finalement prise. La loi, en prenant un parti clair sur le partage des compétences, semble donc correspondre non seulement à une amélioration du fonctionnement pratique de ces procédures, mais à un partage des rôles plus conforme à l'orthodoxie.
VII. : Sur l'article 13
Cet article apporte plusieurs modifications aux dispositions de l'article 35 bis de l'ordonnance relative au régime de la rétention administrative, afin de rendre plus efficace le dispositif d'éloignement des étrangers en situation irrégulière. L'expérience a en effet montré que ce dispositif, essentiel à l'efficacité de la lutte contre l'immigration irrégulière, présentait aujourd'hui de préoccupantes défaillances.
A : Les saisissants contestent d'abord le 1 ° de l'article 13 qui précise que l'échec d'un éloignement à l'issue d'une rétention n'empêche pas de mettre ultérieurement l'intéressé en rétention pour le temps strictement nécessaire à son départ.
Selon les auteurs des saisines, cette modification porterait une atteinte injustifiée à la liberté individuelle, au mépris de la chose jugée par le Conseil constitutionnel.
Cette argumentation, qui méconnaît tant la portée de la jurisprudence que celle de la mesure en cause, n'est pas fondée.
1. En premier lieu, il importe de souligner que le texte actuellement en vigueur, tel qu'il a été interprété par les juridictions civiles, débouche sur un taux d'échec élevé des mesures d'éloignement.
La Cour de cassation a en effet estimé, dans un arrêt Rasmi du 28 février 1996, que la rétention administrative d'un étranger ne peut faire l'objet que d'une prolongation sur le fondement d'un même arrêté de reconduite à la frontière. Elle en a déduit que l'échec de la reconduite à la frontière, après mise en liberté de l'étranger à l'issue du délai de prolongation de 6 jours, ne permet pas de faire courir une nouvelle période de rétention sur le fondement du même arrêté.
Il est apparu que cette interprétation comportait des conséquences particulièrement graves.
Sur le plan pratique, il convient de rappeler que moins du tiers (28 % en 1996) des mesures d'éloignement sont effectivement exécutées. S'agissant des étrangers effectivement interpellés et faisant l'objet d'une mesure d'éloignement, le taux d'exécution est plus élevé, mais encore inférieur à la moitié (43 % en 1996). C'est dire que, dans de très nombreux cas, la rétention administrative d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement n'est pas suivie de son éloignement effectif. Cette situation constitue l'un des problèmes majeurs justifiant l'intervention de la loi.
Si la solution découlant de la jurisprudence Rasmi devait être définitivement consacrée, la mesure d'éloignement serait frappée d'une sorte de caducité automatique, qu'il s'agisse de décisions administratives (arrêté d'expulsion, décision de réadmission ou arrêté préfectoral de reconduite à la frontière), ou d'interdictions judiciaires du territoire, dont l'exécution est précédée d'une période de rétention administrative.
S'agissant des décisions judiciaires d'interdiction du territoire, il serait pour le moins paradoxal de faire statuer une deuxième fois la juridiction sur le même cas, à raison des difficultés inhérentes à la mise en uvre de la décision d'éloignement.
En ce qui concerne les décisions administratives, il serait inédit, du point de vue du droit administratif, que l'échec d'une première tentative d'exécution conduise à leur péremption de fait.
Dans les deux cas, l'étranger concerné aurait tout intérêt, en pratique, à faire échec par tout moyen à son éloignement effectif, à l'issue de la première période de rétention administrative. Cette solution inciterait nombre d'intéressés au refus d'embarquement et encouragerait les mesures dilatoires au terme de la période de rétention administrative. Les conséquences potentielles sont donc réellement graves.
2. En second lieu, et sans remettre en cause l'interprétation que la Cour de cassation a donnée du texte en vigueur, le Gouvernement entend souligner qu'il appartient au législateur de modifier les règles que le juge a pour mission d'appliquer, sous réserve, naturellement, de se conformer à la Constitution.
Or celle-ci n'implique pas de faire prévaloir des règles protectrices tellement strictes qu'elles paralysent les mesures d'éloignement que l'administration a pour devoir de faire exécuter, tant lorsqu'elles procèdent d'une décision administrative que lorsqu'il s'agit d'une interdiction du territoire prononcée par l'autorité judiciaire.
Si l'article 66 de la Constitution conduit à opérer une conciliation entre les exigences de l'ordre public et celles qui tiennent à la durée d'une mesure de contrainte au-delà de laquelle l'atteinte à la liberté individuelle est regardée comme excessive, ces exigences ne sauraient être transposées telles quelles dans l'hypothèse spécifique que le législateur a, en l'espèce envisagée, dès lors que de strictes dispositions sont prises pour éviter tout détournement de procédure. La Constitution n'implique pas que la durée maximale admissible pour une rétention administrative s'apprécie de manière fractionnée. Il est au contraire légitime de considérer que la limite fixée à la durée de la rétention administrative, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, dans les conditions prévues par l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, s'applique à compter d'une décision de mise en rétention prise individuellement et qu'une seconde décision de rétention, intervenant au moins une semaine après la fin de la rétention précédente sur la base de la même décision, peut se voir appliquer les mêmes limites temporelles.
Il existe, dans le cas qu'envisage le 1 ° de l'article 13, une différence de nature avec l'hypothèse d'une rétention qui irait au-delà du maximum admis par la jurisprudence du Conseil constitutionnel : après une première rétention, l'étranger concerné a retrouvé la liberté, et il lui appartient de se conformer à la loi en quittant de lui-même le territoire, conformément à la mesure administrative ou judiciaire dont il est l'objet. S'il n'a pas cru devoir le faire et qu'il est à nouveau appréhendé, le législateur peut décider, sans méconnaître la Constitution, ni la chose jugée par le Conseil constitutionnel, que l'intéressé fasse l'objet d'une nouvelle rétention, au cas où celle-ci serait le seul moyen de rendre effective la mesure d'éloignement et dans les strictes conditions fixées par la loi.
On soulignera qu'une nouvelle rétention ne peut, en aucun cas, intervenir avant un délai de sept jours. Il a semblé en effet nécessaire au législateur de prévoir cette limitation, afin, précisément, d'éviter tout détournement de procédure qui viserait à mettre fin à une première rétention pour aussitôt en engager une seconde, ce qui reviendrait, alors, assurément, à méconnaître les limites fixées par la jurisprudence constitutionnelle.
Enfin, dans l'hypothèse évoquée par les sénateurs requérants où des faits nouveaux seraient intervenus depuis la précédente mesure d'éloignement, dont l'exécution est envisagée, il n'est pas exact de dire qu'ils seraient nécessairement ignorés. En effet, en supposant que ces faits soient substantiels, ils peuvent fort bien conduire à l'abandon de la mesure d'éloignement. Si les motifs et circonstances de fait ayant fondé un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière ont significativement changé depuis son intervention, il appartient à l'administration d'en tirer les conséquences quant à son exécution (par exemple, dans l'hypothèse où l'intéressé devient bénéficiaire d'une protection au titre de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945). Il revient à l'intéressé de se prévaloir de ces circonstances nouvelles et à l'administration de les prendre en compte. Cela correspond à une jurisprudence administrative classique, illustrée par exemple par l'arrêt de section du Conseil d'Etat « Association les Verts », du 30 novembre 1990.
B : Les requérants contestent ensuite le 2 ° du même article 13, qui allonge de 24 heures la période à l'issue de laquelle la prolongation de la rétention doit être, le cas échéant, sollicitée du juge civil.
Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le choix ainsi fait, qui revient à une solution antérieurement retenue, est conforme à la Constitution, ainsi que le Conseil constitutionnel l'a expressément jugé dans sa décision n° 79-109 du 9 janvier 1980.
Celle-ci admet en effet un maintien en rétention administrative de 48 heures, avant une demande de prolongation adressée au juge judiciaire pour une période complémentaire.
Cette solution répond à une véritable nécessité. Comme l'expérience l'a montré, le délai actuel de 24 heures engendre des difficultés qui sont allées en s'aggravant. Au départ, l'audience devant le juge civil, au titre de l'article 35 bis, consistait en un examen simple, permettant au magistrat de contrôler la rétention au regard des conditions concrètes de cette dernière. Depuis lors, la jurisprudence s'est développée et l'audience s'est « juridictionnalisée », en ce sens que les moyens pouvant être mis en avant par la défense se sont considérablement diversifiés. Le juge fait désormais entrer en ligne de compte, pour opérer son contrôle, un grand nombre d'éléments tenant à la fois à la procédure et au fond.
Un exemple caractéristique en est la décision Bechta de la Cour de cassation du 28 juin 1995, qui conduit à faire entrer en ligne de compte les conditions du contrôle d'identité ayant précédé la rétention.
Ce type de contrôle appelle à une appréciation fine, par exemple des conditions d'interpellation ou du contexte ayant justifié la décision de procéder à un contrôle d'identité. Il n'est pas besoin de se référer à la jurisprudence abondante de la chambre criminelle de la Cour de cassation pour mettre en évidence la grande difficulté des débats en ce domaine.
Le même arrêt Bechta consacre d'autre part une évolution de la jurisprudence en permettant, malgré la lettre de l'article 35 bis de l'ordonnance, une remise en liberté pure et simple, ce qui contredit une précédente jurisprudence illustrée par exemple par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 26 novembre 1990, M Chabba (Bulletin, page 125).
Par ailleurs, le juge a multiplié les éléments de contrôle de forme sur les pièces produites et sur la validité des saisines qui lui sont adressées (télécopie ou non, délégation de signature).
Enfin, il contrôle méticuleusement le déroulement non seulement de la rétention administrative, mais encore celui de la garde à vue qui l'a précédée.
Dans ces conditions, le nombre de décisions négatives a continuellement crû. C'est ainsi qu'en 1996, environ 2 000 décisions de reconduite à la frontière n'ont pu être exécutées, en raison de problèmes rencontrés lors de l'audience devant le juge civil.
L'accroissement même du nombre des audiences, lié à la multiplication des mesures de reconduite, crée un véritable problème de gestion. Celui-ci a parfois conduit l'administration à se présenter devant le juge, comme l'actualité l'a révélé, dans des conditions d'impréparation préjudiciables à la bonne application de la loi.
Même s'il importe que l'administration utilise l'ensemble des moyens nécessaires pour faire valoir, dans de bonnes conditions, la validité des procédures qu'elle met en uvre, force est de reconnaître que la pratique du délai de 24 heures relève aujourd'hui du « tour de force ». La difficulté est d'autant plus grande que la présence d'un représentant de la préfecture est, en pratique, une condition déterminante de la réussite des demandes de prolongation.
En résumé, la constitution de dossiers assez détaillés pour satisfaire les exigences de la jurisprudence judiciaire ne peut plus être raisonnablement exigée dans les 24 heures prévues par les textes en vigueur.
Par ailleurs, l'allongement à 48 heures n'est pas nécessairement préjudiciable à la défense de l'intéressé, qui pourra se construire elle aussi sur une base plus argumentée pendant ce laps de temps.
Dans sa décision du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel n'a nullement conféré un caractère « constitutionnellement indépassable » au délai de 24 heures. Il n'a fait que constater, en ce qui concerne l'article 27 de la loi alors déférée, que le délai de 24 heures était prévu pour la première période de rétention administrative. Il n'est donc pas exact de soutenir, comme le font les députés requérants, que la disposition de l'article 35 bis actuellement en vigueur n'a été validée qu'en raison du délai de 24 heures prévu par cet article.
Il n'est pas non plus possible de tirer argument du fait que la décision du 9 janvier 1980 précitée s'appuyait sur la nécessité absolue de la rétention administrative, alors qu'aujourd'hui l'article 35 bis ne parle plus que de nécessité sans employer le qualificatif « absolue ». L'usage de cet adjectif n'ajoute rien en droit, d'autant moins que la suite de l'alinéa concerné de l'article 35 bis précise que la durée de la rétention est limitée au temps strictement nécessaire au départ de l'étranger.
Il n'est pas non plus acceptable de présenter le champ d'application de l'article 35 bis comme beaucoup plus large aujourd'hui que celui qui avait été déféré à l'examen du Conseil en 1980. En effet, les expulsions dont il s'agissait, au titre de l'article 23 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, dans sa rédaction issue de l'article 6 de la loi alors déférée, visaient un 4 ° qui comportait la possibilité d'expulser du territoire français un étranger au seul motif de son séjour irrégulier. Cela recouvre exactement la notion d'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière dans le cas le plus général. Les non-admissions à la frontière, aujourd'hui traitées par les articles 5 et 35 quater, étaient également dans le champ de la loi déférée en 1980. Tout cela montre bien qu'il n'y a pas eu, depuis 1980, d'extension du champ d'application de l'article 35 bis.
Le parallèle fait par les requérants avec la garde à vue n'est pas davantage pertinent et, à la vérité, on pourrait en tirer un a contrario en sens inverse de leur thèse.
D'abord, parce que, dans le cas de la garde à vue, l'intervention d'un magistrat du siège n'est pas requise avant un délai de 48 heures.
Ensuite, parce que, dans le cas d'une garde à vue, la présomption d'innocence joue et l'intéressé n'est l'objet d'aucune mesure exécutoire. Au contraire, pour la rétention administrative, la mesure d'éloignement est effectivement exécutoire et nécessaire à l'application de la loi.
Qui plus est, dans le domaine de la rétention administrative, l'intéressé accède à son conseil dès la première heure, peut communiquer avec son consulat ou une personne de son choix et peut demander immédiatement l'assistance d'un interprète ou d'un médecin.
Par ailleurs, durant toute la durée du maintien, le procureur de la République peut vérifier les conditions du maintien en rétention.
Quant à la symétrie, évoquée par les députés requérants, entre le délai de recours devant le tribunal administratif et le premier délai de rétention administrative, on ne voit pas par quelle exigence de valeur constitutionnelle elle serait imposée. Au contraire, la décision du 9 janvier 1990 a validé la durée impartie au requérant pour introduire un recours suspensif devant le tribunal administratif contre l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière dont il est l'objet, sans établir de lien avec la période de rétention administrative pouvant accompagner la mise en uvre de cette mesure.
Il est également faux de dire qu'aujourd'hui les délais de recours contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière sont nécessairement conservés lors de l'audience devant le juge de la rétention. D'abord parce que beaucoup d'étrangers retenus sont placés en rétention sur la base d'une mesure d'éloignement déjà ancienne et non attaquée en temps utile. Ensuite parce qu'un arrêté de reconduite étant généralement notifié en fin de garde à vue, et l'audience devant le juge de la rétention ayant souvent lieu en pratique après les premières 24 heures de rétention, le délai de recours est déjà souvent épuisé lors de l'audience.
S'agissant des droits de la défense, ils ne sont nullement affectés par la disposition critiquée, dès lors que l'étranger mis en rétention se verra, comme par le passé, notifier l'ensemble de ses droits, y compris à l'aide de formulaires traduits dans sa langue, et que, par ailleurs, les décisions de reconduite à la frontière seront toujours notifiées à l'intéressé avec l'ensemble des précisions lui permettant d'exercer effectivement ses voies de recours. C'est à la mise en uvre effective de ces droits que l'administration doit s'attacher. L'application de ces dispositions imposera certes à l'administration un devoir plus grand de vigilance et de respect des droits de la personne. Mais ces dispositions ne soulèvent pas, par elles-mêmes, de question de constitutionnalité.
C : Les parlementaires auteurs des saisines contestent enfin le 6 ° de l'article 13 qui permet de donner, sous certaines conditions, un effet suspensif à l'appel du parquet contre une ordonnance du juge civil refusant d'autoriser la prolongation d'une rétention administrative.
1. Il importe, en premier lieu, de souligner que cette mesure répond à une nécessité pratique impérieuse sans laquelle cette voie de recours risquerait d'être privée de toute effectivité.
Il est en effet apparu, dans un nombre croissant d'hypothèses, que des décisions prises par le premier juge avaient conduit à remettre en liberté des étrangers interpellés en instance d'éloignement, alors qu'il était évident dès le départ que la cour d'appel viendrait infirmer la décision prise par le juge de première instance.
Dans de telles hypothèses, l'appel n'a aucune portée, puisqu'il est impossible de procéder à nouveau au placement en rétention de l'étranger qui a été purement et simplement élargi ou assigné à résidence dans des conditions équivalentes à l'élargissement pur et simple.
Quelques exemples illustreront ce propos : assignation à résidence d'un sans domicile fixe ; remise en liberté à la suite de l'annulation d'un contrôle d'identité pourtant prescrit par le parquet ; refus de prolongation motivé par l'insuffisante motivation de la demande préfectorale, alors que celle-ci apparaît manifestement bien et complètement motivée (ce que constatera aisément la cour d'appel) ; irrecevabilité d'une saisine par télécopie, alors que la Cour de cassation a jugé (préfet de police contre M Nidoagmar du 18 septembre 1996) qu'une telle saisine était régulière ; refus de prolongation de la rétention d'un étranger sortant de prison après une très lourde peine et dont le passé pénal illustrait le caractère dangereux.
Dans de telles hypothèses, l'appel suspensif permet d'éviter qu'une décision trop vite prise par un juge unique compromette irréparablement l'exécution d'une mesure d'éloignement pleinement justifiée.
2. En deuxième lieu, il convient de souligner que le parquet n'a pas le pouvoir de donner lui-même un caractère suspensif à son appel.
Il reviendra en effet à un magistrat du siège près le premier président de la cour d'appel de statuer sur ce caractère suspensif.
Compte tenu des délais extrêmement courts dans lesquels, dans l'intérêt même de l'étranger concerné, cette procédure devra se dérouler, il n'est pas raisonnable de prévoir une procédure contradictoire pour statuer sur le caractère suspensif. Le magistrat de la cour d'appel devra prendre une décision conservatoire. Il devra le faire sans délai, une fois que le procureur l'aura saisi, immédiatement après le prononcé de l'ordonnance. Cette procédure implique donc un rythme rapide et repose sur la diligence et la conscience professionnelle des magistrats qui la mettront en uvre.
Naturellement, la décision finale vérifiera le bon déroulement de la procédure et sanctionnera tout abus éventuel.
En pratique, on peut penser qu'à compter de l'ordonnance du premier juge, le premier président ou son délégué se prononcera sur le caractère suspensif dans les quelques heures qui suivent et que la décision au fond de la cour d'appel interviendra dans le délai de 48 heures, conformément à l'article 11 du décret du 12 novembre 1991 pris pour l'application de l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Le débat contradictoire aura naturellement lieu devant la cour d'appel lors de l'audience au fond.
3. En troisième lieu, on rappellera que l'appel suspensif du parquet n'est pas sans précédent. On en trouve un exemple à l'article 187-1 du code de procédure pénale où c'est bien un appel suspensif du parquet qui intervient contre une décision du juge du siège. De même, l'article 733-1 du code de procédure pénale permet au parquet de mettre en échec les décisions du juge d'application des peines devant le tribunal correctionnel, même dans l'hypothèse d'une libération conditionnelle.
Ainsi encore, il existait, depuis une loi du 17 juillet 1970, une possibilité d'appel suspensif du ministère public en cas de mise en liberté d'un inculpé précédemment détenu. Il est exact que l'article 14 (paragraphe 2) de la loi du 9 juillet 1984 a abrogé, à compter du 1er janvier 1985, l'alinéa 6 de l'article 186 du code de procédure pénale alors en vigueur. Il reste que, pendant quatorze ans, le mécanisme a prévalu et qu'on ne saurait considérer qu'il a joué dans un sens contraire à notre Constitution.
L'intervention du parquet n'apparaît pas contraire à l'article 66 de la Constitution, dès lors que l'autorité judiciaire comprend le procureur au même titre que les magistrats du siège.
Les mêmes considérations expliquent le rôle du parquet en matière de garde à vue. Le pouvoir qui lui est donné de prolonger de 24 heures une première période de garde à vue n'a pas été regardé par le Conseil constitutionnel comme contraire à l'article 66 de la Constitution. Il n'est donc nullement illégitime pour le parquet d'intervenir dans une procédure où la liberté individuelle est en cause.
4. En quatrième lieu, il est clair que, dans un tel cas, l'intervention du parquet ne vaut que dans un sens, sans que soit requise une symétrie qui n'aurait aucun fondement en l'espèce, puisqu'une dissymétrie, mais de sens inverse à ce qui est dénoncé, caractérise dès le départ la procédure. En effet, s'il est mis fin à la rétention administrative, l'appel n'a plus de portée pratique. Si, en revanche, il y a prolongation de la rétention, l'appel est pleinement équitable, puisque l'ensemble des parties se retrouve dans la même situation que devant le premier juge. On peut donc considérer que l'appel suspensif du parquet, dans le cas d'espèce, revient à rétablir, dans l'intérêt de la loi, un équilibre entre les parties.
On observera, à cet égard, que l'étranger reste effectivement à la disposition de la justice jusqu'à l'intervention du juge d'appel, et ne peut donc être reconduit à la frontière pendant cet intervalle.
Il convient également de relever que l'initiative du parquet n'est pas celle d'une partie à proprement parler, mais bien d'un arbitre qui intervient pour garantir une bonne application de la loi dans l'intérêt de la société. On retrouve là le rôle traditionnel du parquet.
Il faut enfin ajouter que la possibilité d'appel suspensif du parquet est encadrée par la nécessité, pour celui-ci, de le manifester immédiatement, c'est-à-dire dans des cas où il aura été présent à une audience et aura pu relever d'emblée une violation flagrante de la règle du droit.
VIII. : Sur l'article 17
Cet article étend le champ de la procédure dite de « rétention judiciaire » afin de confirmer la vocation de cette procédure à se substituer à la prison dans la perspective à court terme d'un éloignement effectif. Il permet à cet effet d'appliquer l'article 132-70-1 du code pénal aux étrangers en situation irrégulière démunis de documents transfrontières, aussi bien qu'aux étrangers s'étant soustraits à une mesure d'éloignement.
Pour contester cette disposition, les députés requérants soutiennent qu'il s'agirait d'une « peine » manifestement disproportionnée. Ils considèrent en outre que l'application du même traitement aux étrangers qui font volontairement disparaître leurs papiers et à ceux qui en sont simplement dépourvus méconnaît le principe d'égalité devant la loi.
A : On rappellera d'abord que la rétention judiciaire n'est pas une peine, comme le souligne le considérant 114 de la décision du 13 août 1993 du Conseil constitutionnel.
Par ailleurs, le fait, pour un étranger, de séjourner en situation irrégulière sur le territoire français est un délit sanctionné par l'article 19 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 par une peine allant jusqu'à un an de prison. La durée maximale de la rétention judiciaire (trois mois) reste donc proportionnée à la durée maximale de la peine de prison à laquelle elle se substitue. Encore n'est-elle applicable qu'à une hypothèse de séjour irrégulier : celle de l'étranger dépourvu de document transfrontière.
La simple extension du champ d'application de l'article 132-70-1 du code pénal ne saurait donc en elle-même être jugée contraire à la Constitution.
S'agissant du principe d'égalité, on indiquera d'abord qu'il n'interdit pas d'appliquer des dispositions semblables à des situations qui, quoique différentes, présentent des caractéristiques semblables au regard du but recherché.
En tout état de cause, il appartiendra le cas échéant au juge judiciaire de moduler la durée de la rétention judiciaire selon que l'intéressé s'est ou non volontairement soustrait à une mesure d'éloignement.
B : En pratique, l'extension de la rétention judiciaire se justifie pour les raisons suivantes : l'infraction prévue à l'article 27, alinéa 2, n'est caractérisée que si l'élément intentionnel est établi. Or, cet élément fait souvent défaut et c'est l'une des raisons pour lesquelles la rétention judiciaire n'a pas pu se développer comme on pouvait le prévoir en 1993.
Dans l'hypothèse où la personne est démunie des documents de voyage nécessaires, il est assez fréquent que la durée d'obtention des laissez-passer consulaires sollicités auprès des autorités étrangères prenne un temps très supérieur à la durée de rétention administrative. Dans ces cas, l'autorité administrative dispose de trois possibilités : soit renoncer provisoirement à l'éloignement de la personne concernée, soit la placer en prison (si l'autorité judiciaire condamne effectivement l'intéressé à une peine de prison ferme, ce qui arrive assez souvent), soit retenir l'hypothèse de la rétention judiciaire. Mais aujourd'hui, celle-ci n'est envisageable que dans le cas où le comportement de l'intéressé permet de le faire rentrer dans le champ d'application du deuxième alinéa de l'article 27.
Il a donc paru nécessaire d'étendre le champ d'application de la rétention judiciaire pour placer les étrangers concernés dans des conditions d'hébergement très largement supérieures à celles des centres de détention. Une telle solution est d'autant plus favorable à l'étranger concerné que la durée de placement en rétention judiciaire sera limitée au temps strictement nécessaire à l'obtention des documents de voyage, en particulier à la diligence de l'intéressé qui sera alors dispensé de peine. A l'inverse, le placement en prison ne pourrait être écourté que par une décision expresse du juge d'application des peines, au terme d'une procédure relativement lourde.
Globalement, la disposition proposée revient à faire évoluer les conditions d'application de l'article 19 de l'ordonnance, lorsque l'intéressé n'a pas de papiers, dans des conditions qui ne sont pas défavorables à l'étranger concerné et qui permettent d'améliorer le taux d'exécution des mesures d'éloignement.
IX. : Sur l'article 18
Cet article tend à permettre en Guyane, dans une zone comprise entre les frontières terrestres ou le littoral de ce département et une ligne tracée à 20 kilomètres, l'exercice de contrôles d'identités soumis aux conditions définies à l'article 78-2 du code de procédure pénale.
Les députés requérants reprenant, à l'encontre de cet article, une critique analogue à celle déjà présentée à propos du nouvel article 8-2 de l'ordonnance de 1945, on se bornera à rappeler que la situation particulièrement difficile de la Guyane au regard des problèmes migratoires justifie pleinement, conformément à l'article 73 de la Constitution, une adaptation de la loi qui permette de mieux maîtriser le phénomène.
On ajoutera seulement que, dans ce département, plus de 10 000 reconduites à la frontière sont exécutées chaque année (ce qui correspond au total annuel réalisé en métropole), étant rappelé que la population étrangère en situation irrégulière est évaluée au quart de la population totale.
La sensibilité stratégique du centre de Kourou, ainsi que la grande facilité avec laquelle on peut gagner le littoral par pirogue depuis les Etats voisins, justifient l'extension du dispositif envisagé à la bande littorale.
X : Sur l'article 19 de la loi déférée
Cet article insère dans le code de procédure pénale un article 78-2-1, en vue de permettre aux officiers et agents de police judiciaire, sur réquisitions du procureur de la République, d'entrer dans des lieux privés à usage professionnel pour procéder à certaines vérifications, notamment au contrôle de l'identité des personnes occupées à des activités professionnelles dans ces locaux.
A l'appui de leur critique, les requérants font valoir que de telles opérations nécessitent l'autorisation d'un magistrat du siège et que la loi aurait dû donner au juge le contrôle effectif de la nécessité de procéder à chaque visite, ainsi que les pouvoirs d'en suivre effectivement le cours.
Pour sa part, le Gouvernement considère que cette disposition se conforme strictement aux exigences de la jurisprudence, telles qu'elles ont été dégagées par le Conseil constitutionnel.
De manière générale, l'attribution par la loi d'un pouvoir de visite des locaux professionnels en vue de la recherche ou de la constatation d'infractions pénalement sanctionnées doit être, aux termes de la décision n° 90-281 DC du 27 décembre 1990, entourée d'un certain nombre de garanties :
: le droit de visite doit être limité dans le temps ;
: l'accès aux locaux mixtes, c'est-à-dire servant pour partie de domicile aux intéressés, doit faire l'objet de dispositions spécifiques assurant le respect du principe de l'inviolabilité du domicile ;
: le respect des droits de la défense doit être assuré, ce qui revient, en pareil cas, à imposer la communication d'une copie du procès-verbal de la visite aux intéressés ;
: le procureur de la République doit exercer un contrôle effectif sur l'entier déroulement de la visite. Il doit être informé préalablement de manière à pouvoir s'y opposer ou y mettre fin à tout moment.
Comme le relève le Conseil d'Etat dans son rapport de 1994 sur l'intervention de l'administration dans le domaine des sanctions : « C'est essentiellement sur ce point que les garanties applicables au »droit d'accès« se distinguent des garanties applicables aux perquisitions : d'une part, il n'y a qu'une nécessité d'information préalable et non d'autorisation préalable ; d'autre part, le contrôle de la procédure appartient non plus aux magistrats du siège, mais aux magistrats du parquet. »
En l'espèce, le législateur s'est strictement conformé à ces principes. S'agissant d'un accès à des locaux exclusivement professionnels, on peut même considérer qu'il est allé au-delà, en prévoyant dans tous les cas des réquisitions du procureur, et non sa simple information évoquée dans la décision n° 90-280 DC du 27 décembre 1990.
Par ailleurs, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, il n'existe pas de différence entre le texte en cause dans cette dernière décision et la loi déférée quant à l'accord des personnes concernées. Cette question n'intervient d'ailleurs en aucune façon dans le raisonnement tenu dans la décision précitée du 27 décembre 1990.
On ajoutera que la décision n° 93-323 du 5 août 1993 confirme que le procureur de la République a la responsabilité de définir précisément les conditions dans lesquelles les procédures de contrôle d'identité doivent être effectuées. Or il s'agit bien ici, pour l'essentiel, de définir une nouvelle modalité de contrôle d'identité.
Il revient d'ailleurs au procureur non seulement de définir les conditions dans lesquelles seront effectués lesdits contrôles d'identité, mais bien d'en assurer un contrôle a posteriori, le cas échéant à l'initiative de l'intéressé auquel un procès-verbal de visite sera remis.
Il convient enfin de souligner que la loi déférée encadre de manière stricte le champ d'application de cette disposition. Il se trouve en effet limité par l'avant-dernier alinéa aux réquisitions du procureur, elles-mêmes motivées de manière explicite par la recherche d'infractions visées aux articles L 324-9 et L 341-6 du code du travail, c'est-à-dire le travail dissimulé au sens de la loi du 11 mars 1997.
*s 1997.
* *
Pour l'ensemble de ces motifs, le Gouvernement conclut à ce que le Conseil constitutionnel rejette les deux saisines.