Contenu associé

Décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997 - Saisine par 60 députés

Loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration
Non conformité partielle

SAISINE DEPUTES : Paris, le 27 mars 1997.

Les députés soussignés à Monsieur le président, Madame et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, 2, rue de Montpensier, 75001 Paris.

Monsieur le Président, Madame et Messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement.
I : Sur l'article 1er de la loi déférée
Cet article a pour objet de modifier le régime de visa des certificats d'hébergement.
La loi déférée n'impose plus aujourd'hui à l'hébergeant de signaler à l'autorité administrative le départ de l'étranger qu'il hébergeait, l'inconstitutionnalité manifeste d'une telle atteinte à la vie privée totalement dépourvue de raison d'être, fût-ce au regard de la lutte contre le séjour irrégulier qu'elle prétendait servir, ayant fini par apparaître même aux esprits les plus obstinés de la majorité parlementaire, ou du moins à la plupart d'entre eux.
Pour autant, l'article 1er dans sa version finalement votée modifie encore considérablement le régime des certificats d'hébergement, d'une part, en transférant le pouvoir de viser ces certificats du maire au préfet : ce dont on ne peut que se réjouir en principe, la diversité des contextes électoraux menaçant de plus en plus l'égalité territoriale devant le respect de droits fondamentaux tout en regrettant que le ministre de l'intérieur ait indiqué devant le Sénat en deuxième lecture que les préfets devraient consulter systématiquement les maires, ce qui conduit à s'interroger sur la portée réelle de la « régularisation » partielle de l'article 1er due à l'« amendement Mazeaud » -, d'autre part, en introduisant dans l'article 5-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 un nouveau motif de refus de visa du certificat d'hébergement. Le préfet doit en effet refuser de viser le certificat lorsque « les demandes antérieures de l'hébergeant font apparaître un détournement de la procédure au vu d'une enquête demandée par le représentant de l'Etat aux services de police ou unités de gendarmerie ».
Or cette dernière disposition donne au préfet le pouvoir de porter une atteinte grave à la liberté individuelle (en sa composante qui consiste à recevoir librement à son domicile toute personne de son choix) sans que la loi déférée prévoie les garanties nécessaires au respect de ladite liberté. La notion de « détournement de procédure » est ici d'une dangereuse imprécision : dès lors que l'hébergeant n'a pas été condamné antérieurement pour aide au séjour irrégulier, le respect de la présomption constitutionnelle d'innocence s'oppose à ce qu'une simple enquête de police ou de gendarmerie puisse permettre de conclure à un « détournement de procédure » sans que la loi exige même que des poursuites pénales aient été ou soient engagées contre l'hébergeant. Ni les services de police ou de gendarmerie ni l'autorité préfectorale ne peuvent être ainsi substitués à l'autorité judiciaire pour apprécier des motifs de limitation de la liberté individuelle et d'atteintes à la vie privée.
Au surplus, dès lors que l'acception de la notion de « détournement de procédure » propre au contentieux administratif ne saurait être retenue en la matière, le pouvoir d'appréciation du préfet est en tout état de cause trop discrétionnaire pour éviter le risque d'arbitraire : le « détournement de procédure » sera-t-il révélé par de seules données quantitatives (fréquences des certificats délivrés) : le fichage des hébergeants est donc, comme on le verra, inévitable et même nécessairement déjà prévu : ou bien aussi par l'hébergement jugé trop fréquent d'étrangers d'une origine « indésirable » ? La variabilité des pratiques préfectorales risque d'être rien moins que négligeable, comme peuvent en témoigner dès à présent telles pratiques varoises si bien qu'en ne conditionnant pas davantage le pouvoir d'appréciation du préfet la loi déférée est encore entachée et de violation du principe d'égalité (territoriale) de traitement, et d'incompétence négative.
De manière générale, l'interdiction de recevoir à son domicile une personne de son choix ne saurait être prononcée par une autorité administrative : de surcroît particulièrement soumise au pouvoir politique : à l'encontre d'une personne qui n'est prévenue d'aucune infraction sans que soit de ce seul fait portée une atteinte inconstitutionnelle à la liberté individuelle, non seulement en ce qu'aucun débat contradictoire ne permet à l'hébergeant sanctionné de se défendre contre le grief imprécis de « détournement de procédure » mais encore en ce qu'une restriction aussi grave à la liberté individuelle, et notamment à la jouissance du domicile, ne saurait être prononcée que soit par l'autorité judiciaire à titre de sanction pénale, soit par l'autorité administrative dans le seul cas où elle est absolument indispensable à la protection de l'ordre public ce que personne ne pourrait sérieusement soutenir en l'espèce.
De plus, le Gouvernement a finalement dû reconnaître au cours de la discussion parlementaire que la disposition critiquée donnerait nécessairement lieu à la constitution d'un fichier des hébergés et que les informations contenues dans les fichiers départementaux pourraient être mises en relation et échangées.
Or, d'une part, ce fichier consacrera nécessairement : d'un même mouvement : hébergeants et hébergés : non seulement le fichage de chaque hébergé n'est « utile » que s'il indique l'identité et l'adresse de l'hébergeant, mais en outre le préfet ne peut apprécier l'existence du « détournement de procédure » qu'au regard des demandes antérieures de visa de certificat d'hébergement et du comportement subséquent des hébergés précédents. Il est donc incontestable, même si le ministre de l'intérieur a cru devoir s'obstiner à ne pas le reconnaître clairement, que le fichage des « Français xénophiles » n'a nullement été abandonné du fait de l'adoption de l'« amendement Mazeaud ».
D'autre part, la même logique de recherche de « détournement de procédure » impose que le fichier dont le ministre a avoué la nécessité soit conservé non pas, comme il le dit, deux mois seulement mais au minimum pendant plusieurs années et, à la vérité, pour une durée indéterminée dès lors que la loi déférée ne fixe aucune limite à la période pendant laquelle peuvent être recherchés les indices de « détournement de procédure ». Le fichage des étrangers hébergés et des « Français xénophiles » qui les accueillent est donc instauré sans limite de durée.
Enfin, ce fichage sera nécessairement national : ce qu'indique de manière détournée le propos ministériel sur la mise en relation des fichiers départementaux : car au cas contraire un étranger qui n'aurait pas quitté le territoire après avoir quitté le domicile d'un premier hébergeant pourrait obtenir du préfet d'un autre département un nouveau visa de certificat (pour un autre lieu d'hébergement) sans que le « détournement de procédure » soit alors repérable. A vrai dire, ce fichage devrait même, pour avoir une efficacité autre que symbolique, être institué à l'échelle de l'ensemble des Etats de la « zone de Schengen », dès lors que les contrôles frontaliers internes à cette zone disparaissaient. Certes, aucun accord international n'a institué un tel « fichage des hébergeants et hébergés » mais précisément, de ce fait, l'étranger hébergé qui sort du territoire français par une frontière « interne à la zone de Schengen » ne pourra remettre son certificat d'hébergement à aucune autorité policière française à sa sortie du territoire et sera donc réputé n'être jamais sorti, si bien que son hébergeant sera alors considéré comme complice d'un « détournement de procédure ».
La loi déférée institue donc un fichage national et permanent des hébergeants comme des hébergés, fichage qui, faute de dimension européenne, est au demeurant inefficace et générateur de présomptions erronées de fraude à la loi le tout dans des conditions que la loi déférée n'encadre en rien, le point VI de l'article 1er se bornant à un renvoi général à un décret en Conseil d'Etat, sans même viser le régime protecteur issu de la loi du 6 février 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Dans un domaine aussi doublement « sensible » du point de vue des libertés fondamentales, il y a là, outre des atteintes à la liberté individuelle (résultant de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée) que ne justifie aucune nécessité tirée de l'objectif constitutionnel d'ordre public (au sens du troisième considérant de la décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995), un nouveau cas d'incompétence négative du législateur.
Enfin, la loi ne précise pas davantage ce qu'il advient des certificats remis par l'étranger aux services de police à sa sortie du territoire, qui peuvent servir de base à la constitution d'un nouveau fichier national des hébergeants, lequel pourrait être « croisé » avec le fichier établi par les préfectures lors des demandes de visa afin de dresser la liste des hébergeants ayant reçu des étrangers devenus « clandestins » hébergeants qui pourraient être alors poursuivis pour aide au séjour irrégulier (ce qu'envisage l'« étude d'impact » jointe au projet de loi). Une fois encore, l'absence de toute garantie légale de respect de la liberté individuelle entache ici la loi d'incompétence négative.
II. : Sur l'article 3 de la loi déférée A : Sur le nouvel article 8-1 de l'ordonnance du 2 novembre 1945
Cette disposition permet aux services de police et aux unités de gendarmerie de « retenir » le passeport de tout étranger en situation irrégulière, de déterminer la durée de cette « retenue » et les modalités de restitution dudit passeport à la sortie du territoire.
La liberté d'aller et venir reconnue à toute personne se trouvant sur le territoire de la République comprend notamment celle de quitter librement ledit territoire (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, cent troisième considérant). La « rétention » du passeport porte incontestablement atteinte à cette liberté, ne serait-ce que parce qu'elle prive l'étranger de la possibilité de choisir le lieu où il quittera le territoire national et son pays de destination.
Cette atteinte à la liberté d'aller et de venir est d'autant plus excessive que la durée n'en est pas limitée par la loi déférée et que l'étranger ainsi contraint ne fait l'objet d'aucune mesure de reconduite à la frontière.
En outre, le passeport est la propriété de l'Etat dont l'étranger est le national, si bien qu'aucune autorité française ne saurait le confisquer sans que la loi prévoyant une telle confiscation ait pour objet de violer sciemment les obligations internationales de la France visées par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et soit dès lors entachée de violation directe de l'article 55 de la Constitution.
B : Sur le nouvel article 8-2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945
Cette disposition permet, dans une zone de vingt kilomètres en deçà des frontières terrestres séparant la France d'un autre Etat partie à la convention de Schengen, aux officiers de police judiciaire de procéder à la « visite sommaire » de véhicules autres que les voitures particulières en vue de rechercher des infractions relatives à l'entrée et au séjour des étrangers en France.
Il résulte d'une jurisprudence récemment confirmée (décisions n° 76-75 DC du 12 janvier 1977 et n° 94-352 DC des 17-18 janvier 1995) que la « visite » d'un véhicule, fût-elle qualifiée de « sommaire » et ne concernât-elle que certaines catégories de véhicules, n'est constitutionnelle qu'à la condition d'avoir été autorisée par l'autorité judiciaire parce qu'elle relève de la police judiciaire et met en cause la liberté individuelle.
Or, la loi déférée ne subordonne ces « visites » qu'à la condition d'« instructions » du procureur de la République.
Premièrement, le terme d'« instructions » est trop imprécis pour constituer la garantie légale de la liberté individuelle requise par la jurisprudence précitée : ces instructions seront-elles données sous une forme générale et permanente (pour tous les cas dans lesquels le conducteur s'oppose à la fouille de son véhicule) ou devront-elles être sollicitées au cas par cas (et alors pourquoi ne pas avoir utilisé le terme d'« autorisation » seul conforme à la jurisprudence ?) Dans la première hypothèse, le parquet n'aura aucun moyen de maîtriser réellement la conduite des opérations de fouille des véhicules en cause. Et dans les deux hypothèses le procureur ne pourra ni contrôler la régularité des opérations de fouille ni décider d'y mettre fin.
Deuxièmement, et en tout état de cause, seule l'intervention d'un magistrat du siège pourrait sauver ici la loi déférée de l'inconstitutionnalité, s'agissant de l'habilitation donnée à des officiers de police judiciaire de procéder à des mesures portant aussi incontestablement atteinte à la liberté individuelle. Alors que les plus hautes autorités de l'Etat viennent d'attirer l'attention sur la soumission du parquet au pouvoir politique, on ne saurait admettre que l'intervention (au demeurant floue et fugitive) d'un procureur aussi dépendant du Gouvernement suffise à protéger la liberté individuelle.
Troisièmement, alors que le conducteur du véhicule peut être « retenu » pendant plusieurs heures et que toute mesure de rétention « ne peut intervenir que dans des cas et sous des formes et conditions strictement définis par [le législateur], sous le contrôle du juge et dans le respect des droits de la défense » (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, quatre-vingt-dix-huitième considérant), la loi déférée ne définit ni la notion de « visite sommaire » ni les critères selon lesquels les policiers ou les gendarmes pourront choisir de procéder au contrôle de tel véhicule hors de toute enquête judiciaire particulière (se fieront-ils à l'apparence du conducteur ?) ; elle est dès lors entachée d'incompétence négative.
Quatrièmement, la loi déférée ne permet au conducteur du véhicule « retenu » ni de protester contre la mesure prise à son encontre devant l'autorité judiciaire ni de faire aviser une personne de son choix (comme le permet l'article 78-3 du code de procédure pénale en cas de contrôles d'identité). Elle prive ainsi de garanties légales le principe constitutionnel des droits de la défense.
Cinquièmement, en étendant l'applicabilité de ces dispositions au département de la Guyane alors que les frontières terrestres de ce département ne sont nullement concernées par l'application de la convention de Schengen, le dernier alinéa de l'article déféré viole le principe constitutionnel d'égalité devant la loi. C'est en effet seulement en raison de la suppression des contrôles aux frontières décidée par cette convention que la mise en place de contrôles analogues a pu être jugée constitutionnelle (décision n° 93-323 DC du 5 août 1993, quatorzième et quinzième considérants), alors que les contrôles frontaliers n'ont été en rien allégés en Guyane. Les conditions d'exercice de la liberté individuelle ne sauraient donc y être restreintes au même degré que là où les contrôles nouveaux viennent compenser l'ouverture des frontières.
C : Sur le nouvel article 8-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945
Cette disposition autorise le relevé et la mémorisation des empreintes digitales de tous les étrangers ressortissants d'un Etat non membre de l'Union européenne qui sollicitent la délivrance d'un titre de séjour, sont en situation irrégulière en France ou font l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français, et permet à des fonctionnaires du ministère de l'intérieur de consulter tout fichier contenant des empreintes digitales d'étrangers détenu par une autorité publique pour identifier un étranger non muni de titre de séjour.
Le relevé et la mémorisation d'empreintes de tout étranger sollicitant un titre de séjour constitue une mesure d'une généralité sans précédent ni équivalent, alors que les personnes visées ne font l'objet d'aucune poursuite ni d'aucune mesure d'éloignement et qu'il n'est même pas allégué qu'elles troublent l'ordre public. Vainement arguerait-on du fait que la même mesure s'applique aux Français auxquels il est délivré une carte d'identité : dans le cas de la disposition critiquée, la prise d'empreintes n'est pas destinée à l'élaboration d'une pièce d'identité mais uniquement à permettre un fichage généralisé d'étrangers traités comme « suspects d'immigration irrégulière potentielle » du seul fait qu'ils sont originaires de pays eux-mêmes considérés avec méfiance. L'atteinte ainsi portée à la liberté individuelle : notamment du fait de la mémorisation informatique des empreintes : dépasse manifestement ce que pourrait justifier la poursuite de l'objectif constitutionnel de maintien de l'ordre public.
En outre, l'autorisation donnée à des fonctionnaires du ministère de l'intérieur d'accéder à tout fichier contenant des empreintes digitales d'étrangers : et en particulier au fichier informatisé des empreintes digitales des demandeurs du statut de réfugié : met à bas le principe de l'inviolabilité de tous les documents détenus par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, principe posé par l'article 3 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 créant l'OFPRA. Or ce principe essentiel à la protection de la sécurité juridique des réfugiés constitue sans aucun doute une garantie légale du respect du droit constitutionnel d'asile, dont on conviendra qu'il n'a pas cessé de s'appliquer, même depuis la révision constitutionnelle de 1993, aux personnes ayant obtenu le statut de réfugié. L'existence même de l'OFPRA est en effet destinée à garantir aux réfugiés que leur situation est traitée par une autorité indépendante et non pas par les services de police placés sous l'autorité hiérarchique directe du ministre de l'intérieur. La loi déférée prive en ce sens de garantie légale le droit d'asile reconnu par le quatrième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
III. : Sur les articles 4 et 5 de la loi déférée
Ces deux articles, introduits dans la loi déférée par amendements parlementaires en première lecture à l'Assemblée nationale, autorisent le préfet à retirer respectivement sa carte de séjour temporaire et sa carte de résident à l'étranger considéré comme « en infraction avec l'article L 341-6 du code du travail ».
Il convient de rappeler que tout étranger condamné à une peine de prison ferme pour infraction à l'article L 341-6 du code du travail peut d'ores et déjà, en vertu de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, être l'objet d'une mesure d'expulsion ou de reconduite à la frontière.
En d'autres termes, les dispositions déférées ont pour seul objet de frapper des étrangers soupçonnés par le préfet d'infraction à l'article L 341-6 du code du travail mais n'ayant pas été condamnés pour une telle infraction ; il n'est même pas exigé que les personnes en cause soient seulement poursuivies La loi déférée organise ainsi, comme l'a notamment relevé le syndicat des juridictions administratives (voir le Journal officiel des débats du Sénat, 6 février 1997, p 705), la substitution pure et simple de l'autorité administrative à l'autorité judiciaire pour apprécier si une infraction est ou non constituée.
De plus, les dispositions déférées, contrairement à la législation précitée en vigueur, ne distinguent nullement selon la gravité de l'infraction, assimilant au « négrier » l'étranger qui aura employé un jeune homme pendant une demi-journée pour nettoyer son jardin.
Enfin, les mesures que ces dispositions permettent au préfet de prendre pourront l'être sans aucun débat contradictoire devant une instance indépendante (notamment au sens de la directive communautaire n° 64/221 du 25 février 1964).
Dans ces conditions, les articles 4 et 5 de la loi déférée sont entachés de violation de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : en ce qu'ils instaurent des « peines » qui ne sont ni nécessaires ni proportionnées aux faits qu'elles prétendent sanctionner -, de l'article 66 de la Constitution : en ce qu'ils substituent l'autorité administrative à l'autorité judiciaire pour apprécier l'existence de faits constitutifs d'une infraction : et des principes constitutionnels d'égalité de traitement et de respect des droits de la défense.
IV. : Sur l'article 6 de la loi déférée
Cet article vise à « régulariser » la situation de certaines catégories d'étrangers dont beaucoup, en raison de l'intervention de la loi n° 93-1027 du 24 août 1993, se sont retrouvés en situation irrégulière sans pouvoir pour autant faire l'objet d'une mesure d'éloignement. L'intention affichée par le Gouvernement et par sa majorité était donc ici de corriger une partie des absurdités engendrées par le précédent stade de « durcissement » de la législation applicable aux étrangers.
Il était cependant patent dès le stade du projet de loi, et le déroulement cahotique de la discussion parlementaire imposé par les contradictions internes à la majorité n'y a finalement rien changé, que le contenu de cet article contredisait dans son principe même le but ainsi proclamé : alors qu'il s'agissait, prétendait-on, de « régulariser » des étrangers dont les attaches avec la France sont fortes, durables et même souvent irrévocables, il n'est question que d'attribution non pas : comme avant 1993 : d'une carte de résident, mais d'une carte de séjour temporaire dont au surplus la délivrance n'interviendrait « de plein droit » qu'en apparence, car en réalité l'autorité administrative reçoit le pouvoir d'apprécier quasi discrétionnairement si cette délivrance constituerait ou non « une menace pour l'ordre public », menace qui n'est pas autrement définie ni précisée.
Ainsi l'article 4 de la loi déférée est-il dans sa logique générale entaché d'une inadéquation manifeste entre les mesures décidées et l'objectif retenu par le législateur. Cette inadéquation ne peut être entièrement sanctionnée, car le Conseil constitutionnel ne peut substituer un régime (celui de la carte de résident) à un autre (celui de la carte de séjour temporaire) pour faire disparaître l'erreur manifeste d'appréciation, et la censure de l'ensemble de l'article 6 aggraverait le décalage entre le contenu de la loi et l'objectif que s'est fixé le législateur. Mais à tout le moins les mots « sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public » introduits par cet article dans le premier alinéa de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 doivent-ils être déclarés non conformes à la Constitution.
En outre, le sixième alinéa de l'article 6 de la loi déférée porte atteinte au droit au mariage et au droit à une vie familiale normale en ce qu'il contraint l'étranger conjoint de Français : même régulièrement entré sur le territoire national : à attendre un an avant de pouvoir obtenir une carte de séjour temporaire. En effet, l'obtention de cette carte est ici subordonnée au maintien continuel de la communauté de vie. Il en résulte que le conjoint étranger, à l'expiration de son visa de tourisme, est contraint par la loi déférée de « passer dans la clandestinité » sauf à rompre la vie commune et à perdre ainsi tout espoir de « régularisation ».
Il y a là un exemple particulièrement éclairant de la « production » d'étrangers en situation irrégulière par les textes législatifs qui prétendent lutter contre cette même irrégularité. Le respect du droit au mariage et du droit à la vie familiale normale supposerait au contraire qu'un titre de séjour soit accordé dès le mariage à l'étranger conjoint de Français. L'obligation d'attendre un an après le mariage pour obtenir ce titre ne répond à aucune considération tirée de l'ordre public, car le passage obligé par quelques mois de clandestinité ne permet en rien de lutter contre la pratique de mariages de complaisance. Vainement objecterait-on que le législateur n'était en rien tenu de prévoir des « régularisations » : dès lors qu'il le décide, il ne doit pas imposer aux intéressés une obligation contraire à l'exercice de droits constitutionnellement protégés ni les contraindre à violer la loi pour avoir droit à l'application du régime qu'il institue. Dans ces conditions, les mots « marié depuis au moins un an » contenus dans le sixième alinéa de l'article 6 de la loi déférée sont contraires à la Constitution.
Quant au septième alinéa de ce même article, il subordonne la « régularisation » de parents d'étrangers d'un enfant français à la condition qu'ils subviennent effectivement aux besoins dudit enfant - ce qui, dans l'interprétation constamment retenue par l'administration, signifie uniquement qu'ils disposent d'un certain niveau de ressources financières, le temps et les soins consacrés à l'enfant n'entrant pas en ligne de compte.
Or, non seulement le 5 ° de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 protège contre toute mesure d'éloignement le parent d'enfant français qui ne peut subvenir financièrement à ses besoins, mais exerce l'autorité parentale : ce qui signifie qu'à nouveau la loi déférée maintient certaines des personnes dont elle prétend résoudre le cas dans la situation absurde des « ni régularisables ni expulsables » et, donc que son contenu est manifestement inadéquat au but que s'est fixé le législateur : mais encore l'exigence posée par l'alinéa critiqué rend la « régularisation » socialement discriminatoire, les parents d'enfant français dont les situations sont les plus difficiles en étant exclus. On peut d'ailleurs se demander comment des parents qui par hypothèse étaient jusqu'ici dépourvus de titre de séjour pourraient justifier de ressources suffisantes pour « subvenir aux besoins de l'enfant » au sens purement financier où l'entend l'administration : le contenu de la mesure contredit décidément le but qu'elle s'assigne. Dès lors, les mots « à la condition qu'il subvienne effectivement à ses besoins » contenus dans le septième alinéa de l'article 6 de la loi déférée sont contraires à la Constitution.
De plus, la « régularisation » n'est possible que si l'enfant a moins de seize ans. Le choix de ce seuil d'âge de l'enfant, alors que la logique aurait conduit à viser les parents de tout enfant mineur, tend uniquement à maintenir dans la clandestinité les parents d'un enfant qui choisirait de devenir français en application de la loi du 22 juillet 1993 réformant le code de la nationalité. En d'autres termes, ce législateur qui dit vouloir promouvoir l'intégration décide sciemment d'empêcher les parents d'un enfant qui choisit la France de régulariser leur situation : ces parents, eux aussi, resteront « ni expulsables ni régularisables ». Cette restriction, qui n'est évidemment justifiée par aucune considération tirée du maintien de l'ordre public, est parfaitement discriminatoire, la situation de parents d'un enfant de quinze ans ne différant en rien de celle de parents d'un enfant de dix-sept ans au regard des objectifs que le législateur s'est assignés et aucune considération d'intérêt général ne justifiant la différence de traitement instituée par la loi déférée.
Dès lors, les mots « de moins de seize ans » contenus dans le septième alinéa de l'article 6 de la loi déférée sont contraires à la Constitution.
V : Sur l'article 7 de la loi déférée
Cet article subordonne désormais notamment le renouvellement « de plein droit » de la carte de résident à la condition que la présence de l'étranger sur le sol français « ne constitue pas une menace pour l'ordre public ».
Jusqu'à présent, seuls l'état de polygamie et le départ pendant trois ans du territoire français pouvaient faire obstacle au renouvellement de plein droit de la carte de résident. Ces deux conditions ne donnant lieu à aucune appréciation, le pouvoir conféré à l'autorité administrative était totalement lié par la loi, si bien que le renouvellement était réellement « de plein droit ». Désormais, au contraire, la « menace pour l'ordre public » est librement appréciée par l'autorité administrative, et la condition légale ainsi posée est si vague et sujette à interprétation que le pouvoir octroyé à cette autorité devient quasi discrétionnaire. En ce sens, l'imprécision de la loi prive de garantie légale la liberté individuelle des intéressés, qui pourtant représentent par hypothèse les plus « intégrés » des étrangers résidant sur le sol français puisqu'ils y sont en situation régulière depuis au moins dix ans.
Vainement objecterait-on qu'en 1993 (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, vingt-cinquième considérant) le Conseil constitutionnel a admis que l'absence de « menace pour l'ordre public » soit une condition d'octroi de la carte de résident : c'est précisément en relevant qu'à l'époque la carte de résident était renouvelée de plein droit que le Conseil avait estimé que l'atteinte alors portée à la liberté individuelle n'était pas excessive. Aujourd'hui, un nouveau degré est franchi dans la précarisation du statut des étrangers en situation régulière : la régression de la sécurité juridique est à l'évidence bien plus grave lorsque c'est la stabilité d'un séjour régulier ininterrompu depuis au moins dix ans qui est abandonnée à l'arbitraire administratif (arbitraire d'autant plus réel que tel préfet qui invoque ses convictions religieuses dans l'exercice de son pouvoir de police aura de toute évidence une conception de la « menace pour l'ordre public » fort différente de tel autre plus au fait des dispositions de l'article 1er de la Constitution).
C'est dans ces conditions l'ensemble de l'article 7 de la loi déférée qui appelle la censure.
VI. : Sur l'article 8 de la loi déférée
Cet article abroge la section 3 du chapitre II de l'ordonnance du 2 novembre 1945, c'est-à-dire supprime la commission départementale du séjour.
Cette commission, composée de trois magistrats, devait être saisie pour avis par le préfet avant tout renouvellement de carte de séjour temporaire ou délivrance de titre de séjour à des étrangers pouvant bénéficier d'une carte de résident ou étant protégés contre une mesure d'éloignement. Avant la loi du 24 août 1993, l'avis de cette commission était « conforme » : il a depuis lors cessé de l'être, mais la consultation reste obligatoire, ce qui permet à l'étranger concerné de bénéficier d'un débat contradictoire devant une autorité indépendante au cours duquel il peut être assisté par un conseil, conformément aux exigences de la directive n° 64/221 du 25 février 1964 (prise en vertu de l'article 56, paragraphe 2, du traité CEE).
Le Gouvernement a soutenu au cours de la discussion parlementaire que cette commission aurait perdu toute raison d'être du fait du dispositif de « régularisations » institué par l'article 6 de la loi déférée. Cette argumentation ne fera pas illusion un seul instant : on l'a vu, ces « régularisations » sont très partielles et, même pour les étrangers qui sont susceptibles d'en bénéficier, l'article 6 de la loi déférée confère aux préfets des pouvoirs d'appréciation si étendus que la consultation d'une commission composée de magistrats indépendants du pouvoir politique continuait à représenter une garantie fondamentale, en droit comme en fait, pour les personnes concernées.
Ainsi, alors même que la violation : manifeste : de la directive communautaire précitée ne constitue pas un moyen opérant devant le juge de la constitutionnalité de la loi (mais permettra d'obtenir la paralysie de son exécution chaque fois que ce moyen sera soulevé devant une juridiction administrative ou judiciaire), l'article 8 de la loi déférée fait-il régresser les garanties légales (procédurales) de la liberté individuelle dans une mesure génératrice d'une inconstitutionnalité certaine, d'autant plus qu'il est du même coup entaché de violation du principe constitutionnel des droits de la défense.
VII. : Sur l'article 13 de la loi déférée
Cet article modifie à plusieurs égards le régime de la « rétention administrative » prévu par l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
En premier lieu, au cas où une première « rétention administrative » (pouvant aller jusqu'à dix jours) n'aurait pas permis de procéder à l'exécution d'une mesure de reconduite à la frontière, un nouveau placement en « rétention administrative » aux fins d'exécution de la même mesure pourrait intervenir sept jours après la fin de cette première période de « rétention ». Cette disposition vise à faire échec à la jurisprudence « M Rasmi » de la Cour de cassation (en date du 28 février 1996) interdisant qu'une même mesure d'éloignement puisse donner lieu à plus d'un placement en « rétention administrative ». Or cette jurisprudence s'était bornée à appliquer les principes fixés par le Conseil constitutionnel en matière de durée maximale de la « rétention administrative » (voir en particulier la décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, centième considérant ; il convient au reste de souligner que la durée maximale actuelle est identique à celle que le conseil a censurée le 13 août 1993, ce qui laisse déjà planer un doute sérieux sur sa constitutionnalité et ne permet pas de douter qu'une tentative pour aller plus loin encore soit vouée à la censure).
A l'évidence, la disposition critiquée permettrait à l'autorité administrative et aux services de police de faire échec à ces principes en replaçant l'étranger en « rétention administrative » quelques jours après la fin de la première période de « rétention » la durée totale de cette « rétention administrative à éclipses » échappant ainsi à toute limite.
Entaché dès lors à la fois de violation de la chose jugée par le Conseil constitutionnel et d'atteinte excessive à la liberté individuelle, le 1 ° de l'article 13 de la loi déférée appelle la censure.
En deuxième lieu, la durée de la phase de « rétention » décidée par le seul préfet (avant toute intervention de l'autorité judiciaire) passerait de vingt-quatre à quarante-huit heures. Or le Conseil constitutionnel a depuis longtemps décidé, s'agissant de « rétention administrative », que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible » (décision n° 79-109 DC du 9 janvier 1980, considérants 2 à 5 ; voir aussi les décisions n° 86-216 DC du 3 septembre 1986, considérants 21 et 22, et 89-261 DC du 28 juillet 1989, considérants 24 et 25). De même, il a censuré une loi ne permettant pas à l'autorité judiciaire d'intervenir « dans les meilleurs délais » en matière de maintien en « zone de transit » (décision n° 92-307 DC du 25 février 1992, considérants 12 à 17).
Au regard de cette jurisprudence, un délai de quarante-huit heures précédant toute intervention de l'autorité judiciaire est-il constitutionnel ? Le conseil l'avait admis, dans un premier temps, en 1980 (décision n° 79-109 DC précitée), mais il s'agissait alors de mesures qui ne pouvaient être prises qu'en cas de « nécessité absolue », et lorsque cette condition a été assouplie (par la loi du 24 août 1993) il n'a considéré que la liberté individuelle restait à cet égard constitutionnellement garantie qu'en raison du fait que la loi « confér[ait] à l'autorité judiciaire, lorsqu'un délai de vingt-quatre heures s'[était] écoulé, le soin de prononcer la prolongation du maintien en rétention » (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, quatre-vingt-seizième considérant). Ce « durcissement » de la jurisprudence ne fait que répondre à l'élargissement législatif des cas dans lesquels il peut être procédé à une « rétention administrative » et aligne dès lors très logiquement le régime temporel de celle-ci sur celui de la garde à vue, laquelle ne peut être prolongée au-delà de vingt-quatre heures sans décision de l'autorité judiciaire.
Dans ces conditions, l'allongement de vingt-quatre à quarante-huit heures de la durée pendant laquelle un étranger peut être placé en « rétention » sans intervention d'une autorité judiciaire prive ce dernier des garanties légales : équivalentes à celles de la personne placée en garde à vue : de la liberté individuelle qui lui est constitutionnellement reconnue.
Il en va d'autant plus ainsi que la loi déférée n'allonge pas « symétriquement » le délai de recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière, délai qui reste de vingt-quatre heures.
Or, contrairement à ce qu'a soutenu le Gouvernement au cours de la discussion parlementaire, l'étranger n'est presque jamais en mesure d'entrer en contact avec un avocat tant qu'il n'a pas été présenté au juge judiciaire pour qu'il soit statué sur son maintien éventuel en « rétention ». Désormais, lors de cette présentation, il sera forclos pour contester la mesure de reconduite à la frontière devant la juridiction administrative. C'est dire que la loi déférée prive également cet étranger des garanties légales de l'exercice effectif du droit au recours, droit dont la valeur constitutionnelle est tout aussi certaine que celle de la liberté individuelle.
Le 2 ° de l'article 13 de la loi déférée est donc contraire à la Constitution.
En troisième lieu, l'article 13 de la loi déférée permet au procureur de la République de demander au premier président de la cour d'appel de donner, par dérogation au principe posé par l'article 32 ter, alinéa 13, de l'ordonnance du 2 novembre 1945, un effet suspensif à l'appel formé par lui-même ou par le préfet contre une décision judiciaire ordonnant la libération de l'étranger placé en « rétention administrative ». Le premier président de la cour d'appel statue sur cette demande sans débat contradictoire - contrairement à la règle qui s'applique en matière de « référé liberté » pour les personnes placées en détention provisoire : et par une ordonnance qui n'est ni motivée ni susceptible de recours.
Cette disposition vise sans aucun doute à faire échec à la jurisprudence « M Onder » du 22 mai 1996 par laquelle la Cour de cassation a permis au juge judiciaire de sanctionner par une ordonnance de remise en liberté les atteintes à la liberté individuelle commises à l'occasion d'un placement en « rétention administrative » ; on sait que l'intervention de l'autorité judiciaire qui avait fait échec aux très nombreuses irrégularités commises à la suite de la « rafle » de l'église Saint-Bernard avait prodigieusement agacé le ministre de l'intérieur en août 1996.
Le simple fait que l'ordonnance par laquelle le premier président statue sur le caractère suspensif ou non de l'appel, c'est-à-dire sur le maintien en « rétention » d'une personne dont la libération a été ordonnée par une autorité judiciaire, soit prise sans débat contradictoire entache à lui seul le 4 ° de l'article 13 de la loi déférée de violation du principe constitutionnel des droits de la défense.
En outre, la disposition critiquée laisse aux étrangers concernés des garanties légales de leur liberté individuelle inférieures à celles qui sont reconnues aux personnes placées en détention provisoire, l'effet non suspensif de l'appel étant la règle en cette dernière matière et restant le droit commun en matière de « rétention administrative ». Dès lors, cette disposition d'exception constitue une régression inconstitutionnelle desdites garanties légales que ne justifient ni une « urgence absolue » ni une « menace de particulière gravité pour l'ordre public » au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (voir en particulier la décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, centième considérant).
Enfin, il n'est pas sérieusement contestable que cette disposition porte une atteinte grave au droit de l'étranger au recours - l'efficacité de l'ordonnance de remise en liberté étant très fortement diminuée et l'appel formé par l'étranger contre une ordonnance de maintien en rétention restant quant à lui non suspensif : et au principe d'égalité des justiciables devant la loi, la variabilité du caractère suspensif du recours selon la partie qui fait appel n'étant pas compatible avec le respect de ce principe alors surtout que c'est la privation de liberté qui ne peut être « suspendue » tandis que la remise en liberté pourrait l'être.
Dans ces conditions, le 4 ° de l'article 13 de la loi déférée ne saurait échapper à la censure.
VIII. : Sur l'article 17 de la loi déférée
Cet article étend le champ d'application du régime de la « rétention judiciaire » au cas de l'étranger qui est « dépourvu de documents de voyage permettant l'exécution d'une mesure d'éloignement ».
Jusqu'à présent, la « rétention judiciaire » : qui prive l'étranger de sa liberté pour une durée pouvant s'élever à trois mois : ne pouvait être appliquée qu'à des personnes s'étant volontairement soustraites à l'exécution d'une mesure d'éloignement en refusant de produire leurs pièces d'identité qu'elles avaient préalablement fait disparaître. Désormais, cette mesure grave (que l'exposé des motifs du projet de loi qualifiait sans fard de « substitut à la prison ») s'appliquerait à des étrangers qui n'ont commis d'autre irrégularité que celle de se trouver « sans papiers » sur le territoire français. Tel est par exemple le cas des femmes algériennes auxquelles la « doctrine » de l'OFPRA refuse l'asile au motif qu'il n'est pas certain que ce soit sur l'ordre de leur Gouvernement qu'on les égorge dans leur propre pays.
A l'évidence, l'infraction de séjour irrégulier, surtout en de pareils cas, est infiniment moins grave que le fait de faire volontairement disparaître ses papiers d'identité pour faire échec à une mesure d'éloignement. La « peine » instituée par la disposition critiquée est donc manifestement disproportionnée à la gravité de l'infraction et de plus dépourvue de justifications sérieuses au regard de l'ordre public, qui n'est pas gravement troublé par le seul fait qu'un étranger se trouve « sans papiers ». Enfin, l'application du même traitement aux étrangers qui font volontairement disparaître leurs « papiers » et à ceux qui s'en trouvent dépourvus alors que leur v u le plus cher serait d'avoir un titre de séjour est entachée de violation du principe constitutionnel d'égalité devant la loi.
Dès lors, l'article 17 de la loi déférée ne saurait échapper à la censure.
IX. : Sur l'article 18 de la loi déférée
Cet article instaure en Guyane un régime de contrôle d'identité généralisé dans une zone de 20 kilomètres à partir des frontières terrestres de ce département.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel subordonne la constitutionnalité de lois instituant des contrôles d'identité à la condition que ces lois n'ouvrent pas la voie à « la pratique de contrôles d'identité généralisés et discrétionnaires [] incompatible avec le respect de la liberté individuelle » (décision n° 93-323 DC du 5 août 1993, neuvième considérant).
Or, la disposition critiquée se borne à transposer en Guyane le régime applicable dans les zones de départements métropolitains qui jouxtent les frontières avec d'autres Etats parties à la convention de Schengen, régime qui n'a été jugé constitutionnel (par la décision précitée) qu'en raison des conséquences de la suppression des contrôles aux frontières prévue par ladite convention. Mais ces contrôles subsistent entièrement aux frontières terrestres de la Guyane, si bien que la circonstance spécifique qui avait justifié en 1993 l'extension considérable du recours aux contrôles d'identité fait en l'espèce totalement défaut.
Dans ces conditions, l'article 18 de la loi déférée porte à la liberté individuelle une atteinte manifestement excessive et n'échappera pas plus à la censure que l'article 3 de cette même loi (dont on a vu qu'il opérait la même transposition en matière de fouille des véhicules).
X : Sur l'article 19 de la loi déférée
Cet article insère dans le code de procédure pénale un article 78-2-1 qui permet aux officiers et agents de police judiciaire, sur réquisitions du procureur de la République, d'entrer dans des lieux privés à usage professionnel pour procéder à certaines vérifications (le plus souvent réservées jusqu'à présent à la compétence des inspecteurs du travail), et notamment au contrôle de l'identité des personnes occupées à des activités professionnelles dans ces locaux.
Même si la discussion parlementaire a permis à la majorité de tenter d'éviter la censure en corrigeant des inconstitutionnalités manifestes (d'une part, en excluant du champ d'application de cette procédure les locaux « mixtes », c'est-à-dire partiellement à usage d'habitation, d'autre part, en prévoyant qu'un procès-verbal est remis à l'intéressé), il reste que l'entrée de la police dans un lieu privé sans l'accord du propriétaire est assimilable à une perquisition et ne peut donc intervenir que dans le cadre de missions de police judiciaire, c'est-à-dire : sauf l'hypothèse d'un flagrant délit : sur commission rogatoire délivrée par un juge d'instruction.
Seul un magistrat du siège peut donc autoriser de telles opérations (décision n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, quatre-vingt-dixième considérant ; voir aussi le quinzième considérant de la décision n° 93-316 DC du 20 janvier 1993).
Vainement invoquerait-on en sens contraire la décision n° 90-281 DC du 27 décembre 1990, qui admet a contrario que des visites d'entreprises auraient pu n'être placées que sous le contrôle a priori du procureur de la République : ces visites étaient alors effectuées avec l'accord des personnes concernées, ce qui n'est nullement le cas au titre de la disposition critiquée.
Il aurait en outre fallu, pour que cette disposition puisse être considérée comme constitutionnelle, qu'elle « donne au juge le contrôle effectif de la nécessité de procéder à chaque visite ainsi que les pouvoirs d'en suivre effectivement le cours, d'en régler les éventuels incidents et d'y mettre fin à tout moment » (décision n° 84-184 DC du 29 décembre 1984, trente-cinquième considérant).
Aucune de ces exigences n'ayant été respectée, l'article 19 de la loi déférée est entaché de violations de la liberté individuelle et du droit de propriété qui appellent sa censure.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que les députés soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conformes à celle-ci les dispositions précitées de la loi qui vous est déférée.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.