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Décision n° 2006-545 DC du 28 décembre 2006 - Observations du gouvernement

Loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social
Non conformité partielle

Paris, le 21 décembre 2006
OBSERVATIONS DU GOUVERNEMENT SUR LE RECOURS DIRIGE CONTRE LA LOI POUR LE DEVELOPPEMENT DE LA PARTICIPATION ET DE L'ACTIONNARIAT SALARIE ET PORTANT DIVERSES DISPOSITIONS D'ORDRE ECONOMIQUE ET SOCIAL
Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, d'un recours dirigé contre la loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social, adoptée le 14 décembre 2006.
Le recours met en cause les articles 29, 48, 51, 54 et 60 de la loi. Il appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
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I/ SUR L'ARTICLE 29 :
A/ L'article 29 de la loi déférée insère dans le code du travail un nouvel article L. 432-4-3 dont les dispositions offrent la possibilité aux entreprises occupant au moins trois cents salariés, par voie d'accord de branche, de groupe ou d'entreprise, d'adapter les modalités d'information du comité d'entreprise et d'organiser l'échange de vues auquel la transmission de ces informations donne lieu. Il permet de substituer aux informations et documents à caractère économique, social et financier prévus par différentes dispositions du code du travail un rapport dont il fixe la périodicité, au moins annuelle, et le contenu. L'article 29 prévoit également que ce rapport définit les conditions dans lesquelles les salariés sont directement informés sur la situation économique, sociale et financière de l'entreprise et sur les matières visées aux articles L. 320-2 et L. 320-3 du code du travail.
Les députés requérants font valoir, en premier lieu, que cet article méconnaîtrait le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dès lors qu'il aurait pour effet de réduire le rôle dévolu au comité d'entreprise. Ils soutiennent, en deuxième lieu, que les dispositions de l'article 29 porteraient atteinte au principe d'égalité en traitant de manière différente les entreprises selon que la taille de leur effectif excède ou non 300 salariés. Les auteurs de la saisine affirment, en dernier lieu, que le législateur ne pouvait, sans méconnaître l'étendue de sa compétence, renvoyer à des accords de branche, de groupe ou d'entreprise le soin d'adapter les modalités d'information du comité d'entreprise.
B/ Cette argumentation ne peut être suivie.
1/ Les dispositions de l'article 29 de la loi déférée ont pour objet d'offrir la possibilité, dans les entreprises de plus de trois cents salariés, de déroger, par voie d'accord collectif, aux règles relatives aux modalités d'information du comité d'entreprise.
A cet égard, elles s'inspirent des « accords de méthode » institués par la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005. Les dispositions de l'article L. 320-3 du code du travail qui en sont issues permettent ainsi à des accords collectifs de fixer, par dérogation aux livres III et IV du code du travail, les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise applicables lorsque l'employeur projette de prononcer le licenciement économique d'au moins dix salariés sur une période de trente jours.
L'article 29, en ouvrant la possibilité, subordonnée à la conclusion d'un accord collectif, pour les entreprises de plus de trois cents salariés, de remplacer la plupart des informations et documents que l'employeur doit adresser au comité d'entreprise par un rapport annuel unique permet ainsi aux parties à un tel accord d'instituer des règles similaires à celles fixées, pour les entreprises de moins de trois cents salariés, par les dispositions de l'article L. 432-4-2 du code du travail.
Saisi des dispositions de la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle dont est issu l'article L. 432-4-2 du code du travail, le Conseil constitutionnel a jugé qu'elles ne privaient pas les représentants des salariés des informations nécessaires aux représentants du personnel pour que soit assurée la participation du personnel à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion de l'entreprise (décision n°93-328 DC du 16 décembre 1993).
Au cas particulier, en permettant, sous réserve de la conclusion d'un accord collectif, l'extension des règles contenues à l'article L. 432-4-2 aux entreprises de plus de trois cents salariés, le législateur n'a pas davantage privé leurs comités d'entreprises des informations nécessaires à l'exercice de leurs missions, qui n'est aucunement affecté par l'article 29. Au demeurant, on doit observer que la réunion des éléments devant être portés à la connaissance du comité d'entreprise dans un document unique dont le contenu est strictement précisé par l'article critiqué peut contribuer à sa meilleure information. Compte tenu, par ailleurs, des éléments que doit obligatoirement comporter le rapport en application de l'article 29, il n'y aura aucune réduction de l'information apportée au comité d'entreprise.
2/ Le code du travail comporte différentes dispositions dont l'application est déclenchée par le seuil de trois cents salariés. Certaines concernent le comité d'entreprise (cf. par ex. les art. L. 432-4 ou L. 432-4-1), d'autres la possibilité de conclure des conventions avec l'Etat (cf. par ex. l'art. L. 123-4-1).
Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, dès avant l'intervention de la loi déférée, l'article L. 432-4-2 du code du travail distinguait déjà, s'agissant des modalités d'information du comité d'entreprise, entre les entreprises selon que leur effectif dépasse ou non trois cents salariés.
De ce point de vue, l'article 29 contribue, contrairement à ce que soutiennent les députés saisissants, à rapprocher le traitement des entreprises de plus de trois cents salariés de celui réservé à celles dont l'effectif est inférieur à ce seuil. La seule différence qu'il laisse subsister tient à ce que, pour les plus grandes entreprises, le remplacement des informations et documents à caractère économique, social ou financier par un rapport annuel unique est subordonné à la conclusion d'un accord collectif.
Cette différence de traitement est cependant en rapport avec la différence de situation qui existe entre les petites et les grandes entreprises. Dans les plus grandes entreprises, il incombe aux partenaires sociaux de déterminer si le comité d'entreprise peut être correctement informé au moyen d'un rapport annuel unique. Pour les plus petites, l'allègement des obligations de l'employeur sans nécessité d'un accord collectif tient compte de leurs effectifs plus réduits. Sur ce point, le seuil de trois cents salariés, déjà retenu par le législateur, apparaît en rapport avec l'objectif poursuivi par la loi déférée.
Pour ces raisons, le Gouvernement considère que l'article 29 ne méconnaît pas le principe d'égalité.
3/ Sur le fondement des dispositions du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et de l'article 34 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a jugé qu'il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions de travail ou aux relations du travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, après une concertation appropriée, les modalités concrètes de mise en oeuvre des normes qu'il édicte (décision n°89-257 DC du 25 juillet 1989).
L'article 29 de la loi déférée a pu, sans méconnaître la compétence du législateur, prévoir qu'un accord collectif peut adapter les modalités d'information du comité d'entreprise dès lors qu'il a suffisamment encadré l'exercice de ce pouvoir.
Les dispositions critiquées précisent ainsi, en premier lieu, que l'accord collectif fixe la périodicité, au moins annuelle, du rapport qui se substitue aux documents et informations que l'employeur adresse au comité d'entreprise.
Elles définissent précisément, en deuxième lieu, les éléments que doit obligatoirement comporter ce rapport, qui sont identiques à ceux mentionnés à l'article L. 432-4-2 du code du travail pour les entreprises dont l'effectif est inférieur à trois cents salariés et qui couvrent l'ensemble des informations contenues dans les documents auxquels il peut être substitué. Il doit ainsi porter sur : l'activité et la situation financière de l'entreprise ; l'évolution de l'emploi, des qualifications, de la formation et des salaires ; le bilan du travail à temps partiel dans l'entreprise ; la situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes ; les actions en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés dans l'entreprise.
L'article 29 exige, en troisième lieu, que les membres du comité d'entreprise reçoivent ce rapport quinze jours avant la réunion.
Il est prévu, en dernier lieu, que le rapport soit transmis à l'inspecteur du travail, accompagné de l'avis du comité d'entreprise, dans les quinze jours qui suivent la réunion de ce dernier.
Dans ces conditions, le législateur ne peut être regardé comme ayant porté atteinte au Préambule de la Constitution de 1946 ou au principe d'égalité. Il n'a pas non plus méconnu sa compétence en permettant à un accord collectif d'adapter les modalités d'information du comité d'entreprise des entreprises de plus de trois cents salariés dès lors qu'il a défini de manière précise son contenu.
II/ SUR L'ARTICLE 48 :
A/ L'article 48 de la loi déférée prévoit que dans les entreprises occupant au moins mille salariés ayant conclu un accord collectif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, l'acceptation par le salarié d'une proposition de congé de mobilité dispense l'employeur de lui proposer le congé de reclassement devant être proposé aux salariés concernés par un projet de licenciement pour motif économique. Ce congé de mobilité accompagne des salariés volontaires pendant une durée, fixée par l'accord, durant laquelle ces salariés bénéficient d'actions de formation et de périodes de travail qui peuvent être accomplies au sein ou en dehors de l'entreprise, en concluant un nouveau contrat avec l'employeur initial ou avec le nouvel employeur. Le congé de mobilité est pris pendant la période de préavis que le salarié est dispensé d'exécuter et dont le terme est, le cas échéant, reporté d'autant. Ses conditions de mise en oeuvre sont déterminées par l'accord collectif.
Les députés saisissants font valoir que ces dispositions porteraient atteinte au droit à l'emploi.
B/ Un tel grief n'est pas fondé.
Ainsi que l'indique le texte même des dispositions critiquées de l'article 48, le congé de mobilité repose, d'une part, sur un accord collectif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et, d'autre part, sur le volontariat des salariés.
L'employeur n'est, par ailleurs, pas dispensé de son obligation de reclassement, qui est mise en oeuvre pendant la période du congé de mobilité, durant laquelle l'employeur propose aux salariés qui ont accepté le congé mobilité les emplois disponibles dans l'entreprise ou le groupe.
Contrairement, en outre, à ce qu'affirment les auteurs de la saisine, les dispositions critiquées n'instituent pas une nouvelle forme de rupture du contrat de travail. Il s'agit d'une rupture amiable pour motif économique. Dès lors, l'ensemble des garanties prévues pour les salariés licenciés pour motif économique par le livre III du code du travail trouvent à s'appliquer. En particulier, le salarié bénéficie du préavis correspondant à son contrat de travail, même s'il est dispensé de l'exécuter, les prérogatives des représentants du personnel sont respectées et le salarié peut bénéficier d'indemnités de rupture du contrat de travail, de l'assurance-chômage ainsi que du droit au reclassement.
Dans le cadre du congé de mobilité, lorsqu'ils l'acceptent et qu'il est prévu par un accord collectif, les salariés concernés ne sont donc privés d'aucune des garanties prévues par le code du travail pour assurer le respect du droit à l'emploi.
Le congé de mobilité est un mécanisme destiné à favoriser l'anticipation par les employeurs et les salariés des difficultés économiques de l'entreprise. L'article 48 de la loi déférée est conçu pour permettre aux seconds, dont l'emploi est menacé dans l'entreprise, de bénéficier en amont de mesures d'accompagnement, d'actions de formation et de périodes de travail de nature à assurer le retour à un emploi stable.
Les dispositions critiquées ne sauraient donc, dans ces conditions, être jugées contraires au droit à l'emploi.
III/ SUR L'ARTICLE 51 :
A/ L'article 51 de la loi déférée a pour objet de modifier le dispositif d'indemnisation des conseillers de prud'hommes. Son I impose aux employeurs de laisser aux salariés de leur entreprise, membres d'un conseil de prud'hommes, le temps nécessaire pour se rendre et participer aux activités prud'homales définies par décret en Conseil d'Etat. Il prévoit également l'assimilation du temps passé hors de l'entreprise pendant les heures de travail par les conseillers prud'hommes du collège salarié pour l'exercice de leurs fonctions à un temps de travail effectif. Le II de l'article 51 modifie les règles d'indemnisation des activités prud'homales en renvoyant à un décret le soin de déterminer ses limites et conditions pour les activités énoncées par le décret en Conseil d'Etat prévu par son I.
Les parlementaires requérants soutiennent que le législateur n'aurait pas épuisé sa compétence en renvoyant à un décret en Conseil d'Etat et à un décret le soin de déterminer les conditions d'indemnisation des conseillers de prud'hommes, ce qui emporterait une méconnaissance des dispositions de l'article 64 de la Constitution.
B/ Un tel grief n'est pas susceptible d'être accueilli par le Conseil constitutionnel.
1/ De manière liminaire, on doit rappeler que les dispositions critiquées interviennent à la suite des recommandations formulées dans le rapport de M. Desclaux, procureur général honoraire. Il ressort de ce rapport que le régime d'indemnisation des conseillers prud'hommes ne répondait plus aux exigences d'un bon fonctionnement de la justice prud'homale. Les conclusions de M. Desclaux ont notamment mis en évidence des abus dans certaines juridictions ainsi qu'une forte augmentation des dépenses consacrées à l'indemnisation de l'activité prud'homale, sans qu'elle apparaisse correspondre à un meilleur fonctionnement du service public de la justice.
2/ Le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence, contrairement à ce que soutiennent les auteurs du recours.
Le renvoi par la loi au règlement pour fixer les limites et conditions et rémunération des conseillers de prud'hommes ne méconnaît en effet pas le partage qui résulte des dispositions des articles 34 et 37 de la Constitution.
On doit ainsi observer que l'article 42 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 renvoie au règlement le soin de fixer la rémunération principale et ses accessoires des magistrats professionnels. Dans sa décision n°2003-466 du 20 février 2003, le Conseil constitutionnel a relevé que l'article 41-21 nouveau inséré dans l'ordonnance « prévoit que les juges de proximité exercent leurs fonctions à temps partiel et renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les conditions dans lesquelles est perçue l'indemnité de vacation qui leur est versée à titre de rémunération » et n'a pas jugé que ces dispositions organiques seraient contraires à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a décidé que « l'organisation interne des juridictions, dans le cadre des principes définis par la loi, est de compétence réglementaire » (décision n°71-68 L du 1er avril 1971). Le Conseil d'Etat a, pour sa part, récemment jugé qu'un décret peut légalement conférer aux chefs de cour le soin de fixer le taux individuel de la prime modulable qu'il institue (CE 4 février 2005 Syndicat de la magistrature et M. Robin, Rec. p. 33).
Dans ces conditions, le système dessiné par les dispositions critiquées apparaît à l'abri des critiques formulées par les parlementaires requérants.
L'article 51 de la loi déférée fixe le principe de l'indemnisation pour l'ensemble du « temps nécessaire pour se rendre et participer aux activités prud'homales ».
Un décret en Conseil d'Etat est prévu pour faire la typologie des activités juridictionnelles indemnisables.
Sur la base de cette liste, un décret simple est prévu pour indemniser les conseillers de prud'hommes sur la base de leur temps réel d'activité. Ce décret fixe un mode d'indemnisation à deux étages. Jusqu'à un certain seuil, qui correspond au temps statistiquement constaté comme étant nécessaire à l'exercice de l'activité juridictionnelle dans les trois quarts des affaires, le conseiller de prud'homme n'aura qu'à déclarer le temps effectif pendant lequel il a accompli sa mission. Au-delà de ce seuil, l'indemnisation sera subordonnée à l'autorisation de la formation de jugement.
Le législateur, en organisant ce dispositif dans les conditions prévues par l'article 51 de la loi déférée n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence.
3/ Compte tenu de ce qui vient d'être dit, le grief tiré d'une atteinte à l'article 64 de la Constitution, en ce que l'article 51 porterait atteinte à l'indépendance des conseillers de prud'hommes doit, en tout état de cause, être écarté.
Le Conseil d'Etat a, au demeurant, récemment jugé que la création d'une prime modulable, destinée à tenir compte de la quantité et de la qualité du travail fourni par un magistrat et, de manière générale, de sa contribution au bon fonctionnement du service public de la justice ne porte, par elle-même, aucune atteinte à l'indépendance des magistrats dans l'exercice de leurs fonctions (Syndicat de la magistrature et M. Robin précitée). Cette solution apparaît tout à fait transposable au cas particulier.
IV/ SUR L'ARTICLE 54 :
A/ Le I de l'article 54 de la loi déférée modifie l'article L. 620-10 du code du travail pour exclure du calcul des effectifs d'une entreprise les salariés qui y interviennent en exécution d'un contrat de sous-traitance ou de prestation de services. Il précise cependant que cette exclusion ne vaut pas pour déterminer si un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) doit être constitué en vertu du premier alinéa de l'article L. 236-1 du même code. Le II de l'article 54 réserve, par ailleurs, la qualité d'électeur aux élections des délégués du personnel et des membres du comité d'entreprise aux seuls salariés de l'entreprise.
Les auteurs du recours soutiennent que ces dispositions porteraient atteinte aux exigences constitutionnelles résultant du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 sur la participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprises ainsi qu'au principe d'égalité.
B/ Le Gouvernement considère que ces critiques ne sont pas fondées.
1/ Le I de l'article 54 modifie les dispositions de l'article L. 620-10 du code du travail en vertu desquelles, en particulier, les travailleurs mis à la disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure sont pris en compte dans l'effectif de la première au prorata de leur temps de présence dans celle-ci au cours des douze mois précédents. Cette intervention du législateur vise à clarifier les règles de décompte dont l'application était devenue délicate du fait des prises de position successives de la jurisprudence.
La jurisprudence de la Cour de cassation relative à la notion de « travailleurs mis à disposition d'une entreprise » a, en effet, évolué sur la période récente.
La Cour de cassation a d'abord jugé qu'il convenait d'opérer une distinction entre les travailleurs mis à disposition selon qu'ils étaient ou non soumis à la subordination de fait de l'entreprise utilisatrice : inclus dans l'effectif dans le premier cas, ils n'étaient pas pris en compte dans le second (Cass. soc. 5 mars 1986 : Bull. civ. V n°62 ; Cass. soc. 16 juillet 1987 : Bull. civ. V n°512 ; Cass. soc. 11 juillet 1989 : Bull. civ. V n°513). Mais la Cour de cassation a, par la suite, renoncé à ce critère (Cass. soc. 28 mars 2000 n°1792 PB ; Cass. soc. 21 mars 2001 n°1273 F-D).
Certaines entreprises ont cependant estimé ne pas devoir inclure dans leur effectif les salariés de prestataires de services dont l'activité est très éloignée de la leur. Elles ont soutenu que ces salariés n'étaient pas « mis à disposition » au sens du code du travail.
La Cour de cassation a alors estimé que la notion de « mise à disposition » incluait tout « salarié qui participait au processus de travail de l'entreprise qui l'occupait » (Cass. soc. 27 novembre 2001 Bull. civ. V n°364). Une partie des employeurs ont cependant considéré que des salariés participant à une activité très annexe de celle de leur entreprise pouvaient être exclus de l'effectif. Un constructeur automobile a, par exemple, entendu exclure de l'effectif calculé pour les besoins des élections du comité d'entreprise et des délégués du personnel tous les salariés des entreprises prestataires de service intervenant dans ses locaux dont l'activité était éloignée des métiers de l'automobile ou de la maintenance industrielle et informatique. Cette position a été censurée par la Cour de cassation qui a énoncé une nouvelle interprétation de la notion de « travailleurs mis à disposition » : il s'agit de ceux qui participent aux activités nécessaires au fonctionnement de l'entreprise utilisatrice (Cass. soc. 26 mai 2004 Sté Renault SAS et autres, trois espèces n°1065 F-PBRI, n°1073 FS-PBRI, n°1075 FS-D).
Cette solution semble conduire à devoir prendre en compte, pour le calcul de son effectif, de manière extensive, l'ensemble des salariés des entreprises sous-traitantes ou prestataires de service qui interviennent dans l'entreprise, y compris s'ils ne participent aucunement à son processus de travail stricto sensu. Dans ses trois décisions du 26 mai 2004 précitées, la chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi précisé qu'il n'y a pas lieu, pour une entreprise, de ne retenir dans son effectif que les salariés de ses sous-traitants ou prestataires de services dont l'activité relève de son métier ou de l'activité principale de son établissement.
Dans ce contexte, l'intervention du législateur, par le I de l'article 54 de la loi déférée, est justifiée par trois motifs.
Les dispositions critiquées ont, en premier lieu, pour objet de clarifier la situation des salariés des entreprises extérieures pour le décompte des effectifs. L'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation vers une définition extensive de la notion de travailleurs mis à disposition a rendu progressivement incertain ce calcul pour les entreprises d'accueil dans lesquelles il est difficile de déterminer précisément, en pratique, de quelle manière il doit être tenu compte des salariés intervenant en exécution d'un contrat de sous-traitance ou de prestation de services. Les dispositions critiquées simplifient et rendent plus nettes les règles de décompte des effectifs.
L'article 54 permet, en deuxième lieu, de mettre fin à la double prise en compte des salariés extérieurs à la fois dans l'entreprise qui les emploie et dans celle pour laquelle ils exercent leur activité. La jurisprudence actuelle de la Cour de cassation aboutit à ce qu'un salarié mis à disposition, par exemple pour assurer le gardiennage d'un établissement, soit pris en compte deux fois : une fois dans les effectifs de l'entreprise sous-traitante et, une seconde fois, dans les effectifs de l'entreprise d'accueil. Compte tenu de la dernière interprétation de la notion de « travailleurs mis à la disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure » retenue par la Cour de cassation, des salariés de certaines entreprises sous-traitantes pourraient être au nombre de ceux retenus pour le calcul de l'effectif de l'entreprise alors même qu'ils accomplissent leurs tâches, telles que le ménage ou le nettoyage, avant le début, ou après l'arrêt, des activités de l'entreprise. Il n'est pas apparu cohérent de prendre en considération ces salariés pour le calcul des effectifs de l'entreprise d'accueil. Leur prise en compte a des incidences sur tous les seuils qui, en droit du travail, déclenchent l'application de dispositions législatives notamment conçues pour déterminer les conditions de mise en oeuvre du principe de participation alors même que ces salariés ne sont pas directement concernés par la détermination de l'organisation du travail dans l'entreprise d'accueil ou par sa gestion. Le législateur a entendu corriger ces effets résultant des dispositions de l'article L. 620-10 dans leur précédente rédaction. Au demeurant, on doit souligner que les droits des salariés des entreprises sous-traitantes ou prestataires de services sont préservés dès lors qu'ils peuvent évidemment continuer à exercer leurs droits collectifs à participer à la détermination de leurs conditions de travail dans les entreprises dont ils sont les salariés.
Certes, dans d'autres hypothèses que celles mentionnées ci-dessus, les salariés extérieurs peuvent exercer des activités plus proches de celles de l'entreprise dans laquelle ils travaillent. Ils ont alors un lien plus étroit avec la « communauté de travail » de l'entreprise à laquelle font référence les auteurs du recours. C'est pourquoi, et en troisième lieu, l'article 54 de la loi déférée limite les conséquences de la nouvelle règle qu'il crée quant à l'aménagement des conditions de travail des salariés concernés sur le site de l'entreprise d'accueil. En maintenant les salariés intervenant en exécution d'un contrat de sous-traitance ou de prestation de services dans l'effectif de l'entreprise pour l'application du premier alinéa de l'article L. 236-1 du code du travail, c'est-à-dire pour la détermination du seuil à partir duquel la constitution d'un CHSCT est exigée, le législateur a préservé le lien de l'ensemble de ces salariés extérieurs avec la détermination collective des conditions de travail sur le site où ils accomplissent leurs missions. Ces salariés, qui interviennent dans les locaux de l'entreprise d'accueil, continueront ainsi d'être pris en compte pour déterminer si le seuil de cinquante salariés à compter duquel doit être créé un CHSCT est atteint dans cette entreprise, ce comité ayant pour mission de contribuer à la protection de la santé et de la sécurité de ces salariés ainsi qu'à l'amélioration de leurs conditions de travail. A cet égard, on doit souligner que la distinction entre le CHSCT et les autres institutions représentatives du personnel repose sur la prise en considération d'un critère géographique qui est objectivement justifié. Ce critère, qui est plus précisément celui de la présence physique des salariés sur le site de l'entreprise, est en effet pertinent au regard des missions attribuées par les articles L. 236-1 et suivants du code du travail au CHSCT. Cette logique avait d'ailleurs déjà inspiré la loi n°2003-699 du 30 juillet 2003 sur la prévention des risques technologiques et naturels de réparation des dommages.
En clarifiant les règles de décompte des effectifs des entreprises, pour les motifs qui viennent d'être décrits, le législateur a exercé la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution au titre de la détermination des principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical pour déterminer les conditions de leur mise en oeuvre. Ce faisant, le législateur n'a pas porté atteinte au principe d'égalité. Et, eu égard à la portée des dispositions qu'il a adoptées, il n'apparaît pas que les termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 puissent utilement être invoqués.
2/ Le II de l'article 54 de la loi déférée, modifiant les articles L. 423-7 et L. 433-4 du code du travail, réserve la qualité d'électeur aux élections des délégués du personnel et des membres du comité d'entreprise aux seuls salariés liés par un contrat de travail avec l'entreprise. Cette précision a pour objet d'exclure de l'électorat de l'entreprise les salariés d'entreprises extérieures mis à disposition ou détachés auprès de celle-ci.
En ce qui concerne ces salariés mis à disposition ou détachés, la Cour de cassation a procédé à une distinction entre les élections des délégués du personnel et celles des membres du comité d'entreprise. Elle juge ainsi que les salariés mis à disposition ou détachés sont exclus de l'électorat pour la désignation des membres du comité d'entreprise de l'entreprise d'accueil (Cass. soc. 7 juin 1984 n°1561 ; Cass. soc. 17 juin 1992 n°2593 P) mais qu'ils peuvent en revanche être électeurs aux élections des délégués du personnel s'ils partagent les conditions matérielles de travail des salariés de l'entreprise d'accueil (Cass. soc. 13 décembre 1983 ; Cass. soc. 1er juillet 1985 n°2871), peu important l'absence de lien de subordination (Cass. soc. 22 juin 2005 n°1353 F-D).
S'agissant de la situation de ces salariés au sein de l'entreprise d'origine, la Cour de cassation juge que ceux-ci restent électeurs pour l'élection des membres du comité d'entreprise si leur détachement n'entraîne pas la rupture du lien contractuel avec celle-ci, peu important la durée de la mise à disposition (Cass. soc. 12 juin 2002 n°1975 F-P).
Dans ce contexte, le II de l'article 54 de la loi déférée, d'une part, clarifie la situation qui résulte des dispositions des articles L. 423-7 et L. 433-4 du code du travail dans leur précédente rédaction.
Les salariés détachés ou mis à disposition ne sont plus électeurs dans l'entreprise d'accueil dès lors qu'ils demeurent salariés de l'entreprise extérieure. Ils sont en revanche électeurs dans leur entreprise d'origine.
L'éligibilité dans une entreprise étant subordonnée en particulier à la qualité d'électeur dans cette entreprise, les salariés des entreprises extérieures ne sont pas éligibles aux mandats de délégué du personnel ou de membre du comité d'entreprise dans l'entreprise d'accueil. Sous réserve de remplir les autres conditions posées par le code du travail, ils continuent d'être éligibles dans leur entreprise d'origine.
La disposition critiquée permet, d'autre part, d'éviter qu'un salarié soit électeur à la fois dans l'entreprise d'origine et dans l'entreprise d'accueil, ce qu'autorise, sous certaines conditions, la jurisprudence de la Cour de cassation.
Sans doute le critère retenu par le II de l'article 54, tiré de l'existence d'un contrat de travail, modifie-t-il la répartition des salariés concernés dans les corps électoraux de l'entreprise d'origine et de l'entreprise d'accueil suivant un déterminant plus juridique qu'économique. Mais pour autant, cette intervention du législateur ne peut être jugée contraire au principe de participation des travailleurs garanti par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
L'article 54 entend mettre un terme aux subtils arbitrages résultant de la jurisprudence de la Cour de cassation pour distribuer les salariés visés entre deux entreprises qui, l'une, les emploie et, l'autre, les accueille sur son site selon des modalités contractuelles diverses et pour des périodes de collaboration à la régularité variable. Le législateur n'a pas retiré aux travailleurs en cause le bénéfice du principe constitutionnel résultant du Préambule ; il s'est borné à préciser ses conditions d'application dans des cas frontières, en réputant que les intérêts des salariés en cause, s'agissant de l'organisation du travail et de la gestion de l'entreprise, sont principalement rattachés à l'entreprise avec laquelle ils sont liés par un contrat de travail, plutôt qu'à celle à la disposition de laquelle ils sont mis, ce qui justifie qu'ils soient électeurs dans la première.
En procédant de la sorte, l'article 54 de la loi déférée ne réduit pas les droits collectifs des intéressés, il détermine différemment leur lieu d'exercice, sans que cette modification ait pour effet de les dénaturer. Le II de l'article 54 de la loi déférée se borne, dans cette mesure, à déterminer, dans le respect du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, les conditions de mise en oeuvre de cette disposition. Le Gouvernement considère que les dispositions constitutionnelles du huitième alinéa du Préambule ne sauraient avoir pour conséquence de contraindre le législateur à adopter des règles compliquées, du moment que la substance des droits constitutionnellement garantis est respectée. A cet égard, le Gouvernement estime que le dispositif adopté par le législateur ne porte pas atteinte au huitième alinéa du Préambule de 1946.
On doit ajouter que les dispositions issues du II de l'article 54 s'appliqueront sous le contrôle du juge qui aura, en particulier, la charge de vérifier que n'ont pas été mis en oeuvre des montages destinés à contourner l'objectif recherché par le législateur.
Certes, la situation des travailleurs temporaires n'a pas été affectée par les dispositions du II de l'article 54 de la loi déférée. Ceux-ci n'ont pas la qualité d'électeur, et ne sont donc pas éligibles, dans l'entreprise utilisatrice (Cass. soc. 2 mai 1978 : Bull. civ. V n°315) bien que celle-ci doive les décompter dans ses effectifs en application des dispositions, à cet égard inchangées, de l'article L. 620-10 du code du travail.
On doit toutefois souligner, d'une part, que le choix du législateur de maintenir, sur ce point, le droit en vigueur, est justifié par la très brève durée des missions de travail temporaire, d'une moyenne de quinze jours, qui n'impliquent pas que les salariés qui les assument soient électeurs et éligibles dans l'entreprise qui les accueille.
Ces salariés demeurent cependant, d'autre part, électeurs et éligibles aux élections des représentants du personnel dans l'entreprise de travail temporaire en vertu de textes particuliers (cf. art. L. 423-9 et L. 433-6 du code du travail, respectivement pour les délégués du personnel et les membres du comité d'entreprise).
Enfin, la situation des travailleurs temporaires, dont l'activité contribue très directement au processus de travail de l'entreprise d'accueil, est apparue suffisamment distincte de celle des salariés des entreprises de sous-traitance ou de prestation de services pour qu'ils soient traités différemment s'agissant du décompte des effectifs. En revanche, la durée de leur rattachement à l'entreprise utilisatrice n'implique pas qu'ils soient électeurs et éligibles dans celle-ci, dès lors qu'ils n'ont pas le même intérêt au sort de l'organisation du travail dans l'entreprise d'accueil, ni à sa gestion, que ses propres salariés.
Le Gouvernement estime, pour l'ensemble de ces raisons, que le II de l'article 54 de la loi déférée ne porte pas davantage atteinte que son I à la disposition invoquée du Préambule de la Constitution de 1946 ni ne méconnaît le principe d'égalité.
IV/ SUR L'ARTICLE 60 :
A/ L'article 60 de la loi déférée prévoit que, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée et des instances en cours à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, sont considérées comme valides les décomptes des heures supplémentaires et des durées des repos compensateurs calculés par les employeurs des personnels des entreprises de transport routier de marchandises en application des dispositions du décret n°2005-306 du 31 mars 2005 relatif à la durée du travail dans les entreprises de transport routier de marchandises, en tant qu'elles seraient contestées sur le fondement de l'illégalité des dispositions des articles 4 à 11 dudit décret. L'article 60 précise que le calcul de la durée hebdomadaire du travail des personnels roulants marchandises sur une période supérieure à la semaine et pouvant être égale, au plus, à un mois, est réputé valide jusqu'à la publication du décret relatif aux modalités d'application des dispositions du code du travail dans les entreprises de transport routier.
Les députés requérants soutiennent que ces dispositions porteraient atteinte à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
B/ Cette critique ne pourra être accueillie.
Par une décision du 18 octobre 2006, le Conseil d'Etat a annulé les articles 4 à 11 du décret n°2005-306 du 31 mars 2005. Ces dispositions avaient apporté des assouplissements à la réglementation alors en vigueur en permettant notamment le calcul de la durée du travail des personnels roulants sur une durée de trois mois, pouvant être portée à quatre mois par convention ou accord collectif, et en modifiant, pour ces personnels, les règles de calcul du repos compensateur pour heures supplémentaires.
Le décret du 31 mars 2005 contribuait à concilier les intérêts des employeurs, en particulier pour ce qui concerne l'organisation et la durée du travail, avec ceux des salariés, s'agissant notamment du travail de nuit ou de la limitation à 12 heures de la durée quotidienne de service.
Son annulation rétroactive, pour un motif tiré du défaut de consultation du Conseil d'Etat, est susceptible de faire naître de nombreux contentieux individuels dans un secteur qui compte environ 350.000 salariés et 40.000 employeurs. Ainsi, par exemple, les salariés des entreprises de plus de 21 salariés sont susceptibles, pour la période comprise entre le 2 avril 2005 et la date d'entrée en vigueur d'un nouveau décret actuellement en préparation, d'engager des actions pour obtenir des compléments d'heures supplémentaires et de repos compensateur liés au décompte de leur durée du travail dans le cadre hebdomadaire ou mensuel applicable avant l'intervention du décret du 31 mars 2005 partiellement annulé. Les salariés des entreprises de moins de 21 salariés pourraient, à l'inverse, être regardés comme débiteurs de certaines périodes de repos compensateurs, et les employeurs pourraient introduire des actions en restitution des rémunérations perçues au titre de cette période. Les entreprises du secteur devront, par ailleurs, revenir au régime juridique applicable avant cette dernière date.
Pour répondre à cette situation juridiquement complexe, les dispositions de l'article 60 réputent valides les décomptes des heures supplémentaires et les durées des repos compensateurs calculés par les employeurs selon les règles fixées par les articles annulés du décret du 31 mars 2005. Elles autorisent, par ailleurs, jusqu'à la publication du prochain décret, le calcul de la durée du travail des personnels considérés sur une période supérieure à la semaine et pouvant être égale, au plus, à un mois en application du décret n°2002-622 du 25 avril 2002. On doit, sur ce point, observer que cette solution est moins avantageuse pour les employeurs que les dispositions annulées du décret qui permettaient d'aller jusqu'à trois ou quatre mois.
En procédant de la sorte, le législateur a poursuivi un but d'intérêt général suffisant et a respecté le principe de séparation des pouvoirs.
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Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis qu'aucun des griefs articulés par les députés et sénateurs requérants n'est de nature à conduire à la censure des dispositions de la loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social. Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.