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Décision n° 2006-545 DC du 28 décembre 2006 - Saisine par 60 députés

Loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social
Non conformité partielle

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
2 rue de Montpensier,
75001 PARIS
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social et plus particulièrement les articles 29, 48, 51, 54 et 60.
Nous développons à l'appui de cette saisine les observations suivantes.
1/ Sur le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire et le principe d'égalité
L'article 51 modifie les articles L 541-1 et L 51-10-2 du code du travail et traite des modalités d'indemnisation des conseillers prud'homaux.
Cet article, qui figurait dans le projet initial, a été supprimé par l'Assemblée nationale puis réintroduit par le Sénat à une autre place dans le projet de loi, et ce bien que la commission des affaires sociales du Sénat ait proposé de confirmer la suppression votée par l'Assemblée nationale. Il résulte de l'amendement n°129 rectifié présenté par les membres du groupe UMP, mais dont la rapporteure de la commission des affaires sociales a, en donnant l'avis de la commission en séance publique, attribué l'initiative au gouvernement.
La combinaison des modifications revient à prévoir que les employeurs seront tenus de laisser aux salariés, membres d'un conseil de prud'hommes, le temps nécessaire pour se rendre et participer aux activités prud'homales, désormais définies par décret en conseil d'Etat, que le temps consacré à ces activités sera indemnisé dans les limites et conditions fixées par décret, et finalement que les frais de déplacement pour l'exercice de ces activités seront pris en charge dans des limites de distance fixées par décret.
Il s'agit, à en croire l'exposé des motifs de l'amendement, de revaloriser, de rendre plus équitable et de maîtriser l'indemnisation des conseillers prud'homaux Ce faisant, le législateur, indépendamment de la procédure pour le moins inédite d'adoption de cet article, en précisant, plus particulièrement dans la nouvelle rédaction du 3 ° de l'article L 51-10-2 du code du travail, que les activités prud'homales seront indemnisées « dans les limites et conditions fixées par décret », méconnaît gravement l'article 64 de la Constitution qui garantit l'indépendance de l'autorité judiciaire.
Les conseils de prud'hommes sont des juridictions, électives et paritaires, qui règlent par voie de conciliation les différends qui peuvent apparaître à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.
Ils jugent les différends à l'égard desquels la conciliation n'a pas abouti. Leur mission, comme conciliateurs et comme juges, s'applique notamment aux litiges relatifs aux licenciements. Elle concerne également les différends nés entre salariés à l'occasion du travail.
Les conseillers prud'homaux sont élus par leurs pairs. Ils prêtent serment et jugent au nom du peuple français. Leurs décisions revêtent la formule exécutoire.
Ainsi, les conseils de prud'hommes constituent un ordre de juridiction au sens de l'article 34 de la Constitution. De même les conseillers prud'homaux sont des magistrats au sens de cet article.
Plusieurs décisions l'ont reconnu explicitement. C'est le cas de votre décision n°91-166 L du 13 juin 1991 sur la nature juridique de certaines dispositions de l'article L 513-3 du code du travail, dans son considérant 3. C'est le cas de la décision de la Cour de cassation (2 ° chambre civile, 9 mai 1988) sur l'applicabilité aux conseillers prud'homaux de l'incompatibilité prévue par l'article 47 du nouveau code de procédure civile.
Il ne fait donc aucun doute que les conseils de prud'hommes constituent une juridiction dont l'indépendance doit être garantie par la Constitution.
L'article critiqué n'apporte aucune garantie en la matière, bien au contraire. Il conduit à limiter le temps consacré par les conseillers prud'homaux, du collège salariés comme du collège employeurs, à leurs missions juridictionnelles. On peut citer le temps de préparation des audiences, le temps d'étude des dossiers après les audiences préalables aux délibérés, le temps de rédaction des jugements et des ordonnances.
Pour s'en convaincre, on pourra se référer aux dispositions contenues dans les deux projets de décret relatif à l'indemnisation des activités prud'homales transmis pour avis au Conseil supérieur de la prud'homie, que vous trouverez en annexe.
L'article 7 du projet de décret simple est particulièrement éclairant de l'atteinte des limites portées à l'indépendance des conseils de prud'hommes. Il fixe par exemple dans différents tableaux des limites au nombre d'heures indemnisées que les conseillers prud'homaux peuvent consacrer aux études de dossiers, à la rédaction des décisions et des procès-verbaux. Les décrets mettent en place une forme de forfaitisation des temps que consacrent les conseillers prud'homaux aux jugements selon des considérations d'ordre financier.
La loi, et par suite le décret, ne peuvent se substituer à la formation du jugement, pour imposer un temps forfaitaire applicable à tous les différends et donc pour apprécier les complexités d'un dossier. Tout principe qui vise ainsi à limiter les temps de traitement nuit à la sérénité nécessaire aux juges. Les dispositions combinées de l'article 51 de la loi critiquée constituent une atteinte à l'indépendance de la juridiction et des juges qui la composent.
Par ailleurs, la limitation des temps résultant de l'application de l'article critiqué porte atteinte au principe d'égalité. De telles limitations sont impossibles au regard de la nature et de la fonction judiciaire. Faire une distinction au niveau de leur statut entre les juges professionnels et les conseillers prud'homaux est incompatible avec la finalité de l'institution, qui est de rendre la justice au nom du peuple français sur les litiges liés au travail.
De plus, les justiciables, compte tenu du système proposé, n'auront pas les mêmes garanties d'un jugement serein. L'égalité devant la loi et face au procès juste et équitable est ainsi totalement bafouée.
2/ Sur le principe de séparation des pouvoirs
Le Conseil d'Etat a annulé, le 18 octobre 2006, les articles 4 à 11 du décret n°2005-306 du 31 mars 2005 relatif à la durée du travail dans les entreprises de transport routier de marchandises. Ce décret était pris en application de l'ordonnance n°2004-1197 du 12 novembre 2004 portant transposition de directives communautaires et modifiant le code du travail en matière d'aménagement du temps de travail dans le secteur des transports.
Les dispositions annulées par le Conseil d'Etat portent sur les modalités de calcul de la durée hebdomadaire de travail et de déclenchement des heures supplémentaires donnant droit à repos compensateur. Le Conseil d'Etat a refusé de donner à sa décision un caractère non rétroactif.
L'article 60, issu de l'amendement n°128 rectifié des membres du groupe UMP du Sénat, permet de considérer valides les décomptes des heures supplémentaires et des durées des repos compensateurs calculés par les employeurs des entreprises du secteur routier pris en application du décret annulé.
Le législateur a toujours la faculté de priver d'effet une décision du Conseil d'Etat ou encore de valider un acte administratif, à condition de respecter l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le principe de séparation des pouvoirs qui en découle.
Dans ce but, la portée de l'invalidation doit être strictement définie, présenter un motif d'intérêt général suffisant, qui ne peut uniquement être d'ordre financier. Cette jurisprudence a constamment été réaffirmée, encore récemment dans les décisions n°2004-5009 DC du 13 janvier 2005.
Elle a été précisée régulièrement et dernièrement avec la censure de l'article 111 du projet de loi de finances rectificative pour 2005 dans la décision n°2005-531 DC du 29 décembre 2005. Cet article qui avait pour but de priver d'effet un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes et une décision du Conseil d'Etat a été censuré sans qu'il soit besoin d'examiner les motifs d'intérêt général qui l'inspiraient.
De même, le législateur a la faculté d'adopter des dispositions rétroactives, à condition de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles et en considération d'un motif d'intérêt général suffisant.
En l'espèce, l'article 60 revient uniquement à interdire toute contestation qui serait fondée sur l'illégalité des articles annulés par le Conseil d'Etat, dans l'attente d'un nouveau décret pris en accord avec l'ensemble des organisations professionnelles et syndicales. Compte tenu de cette attente, le motif d'intérêt général, à condition qu'il soit nécessaire de l'examiner, n'est pas suffisant pour justifier à ce stade l'atteinte au principe de séparation des pouvoirs.
Le gouvernement n'a d'ailleurs pas jugé utile de donner un avis favorable à l'amendement, se contentant de s'en remettre à la sagesse du Sénat. Cette attitude montre les réserves du gouvernement sur une disposition dont il ne reconnaît pas spontanément l'utilité, compte tenu des consultations menées avec les partenaires sociaux du secteur des transports.
3/ Sur la participation des salariés à la gestion de leur entreprise et le principe d'égalité
L'article 54 modifie l'article L 620-10 du code du travail sur les conditions de prise en compte des salariés mis à disposition pour le calcul des effectifs de l'entreprise d'accueil. Il modifie également les articles L 423-7 et L 433-4 du code du travail sur les conditions à remplir pour être électeur et éligible aux élections professionnelles.
Cet article, qui figurait dans le projet initial, a été supprimé par l'Assemblée nationale puis réintroduit par le Sénat, avec une modification portant sur l'application pour le décompte des effectifs, des dispositions du premier alinéa de l'article L 236-1 du code du travail relatif aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
La combinaison des dispositions contenues dans cet article revient à ne pas prendre en compte dans les effectifs les salariés intervenant dans une entreprise dans le cadre d'un contrat de sous-traitance ou de prestation de service et à ne rendre ni électeur ni éligible ces salariés dans cette même entreprise.
Ce faisant, l'article 54 porte atteinte au 8ème alinéa du préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. »
En effet, l'exclusion de l'effectif de l'entreprise donneur d'ordre des salariés des entreprises sous-traitantes revient à diminuer le nombre et les moyens des délégués du personnel et des représentants au comité d'entreprise, alors que dans de nombreux cas ces salariés sont totalement intégrés à la communauté de travail de l'entreprise en question.
L'effectif de l'entreprise constitue un enjeu fondamental dans le cadre des élections professionnelles. Il détermine l'existence ou non d'un comité d'entreprise, la représentation des délégués au sein du comité d'entreprise, le nombre d'heures de délégation accordées aux représentants du personnel, l'obligation annuelle de négociation sur les salaires, la durée effective du travail et les conditions de travail.
Comme le mentionne le rapport de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblé nationale, il s'agit de revenir sur la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l'effectif pris en compte en vue d'élections professionnelles est constitué de tous les salariés qui « participent aux activités nécessaires au fonctionnement de l'entreprise utilisatrice » et pas uniquement ceux qui participent « directement au processus de production ». En application de cette jurisprudence, les salariés des entreprises de gardiennage, de restauration ou de nettoyage, sont ainsi intégrés dans l'effectif de l'entreprise donneur d'ordre.
La solution proposée par l'article 54 revient à exclure des effectifs, des salariés sur la base de notions d'ordre plus économique que juridique, qui ne tiennent pas compte du caractère durable ou occasionnel de la sous-traitance, qui n'apprécient pas le niveau de dépendance entre le donneur d'ordre et le sous-traitant ou le prestataire de service.
Une telle imprécision de la loi est d'autant plus critiquable qu'elle souligne et renforce l'atteinte à des principes constitutionnellement garantis en terme de protection et de défense des salariés dans l'entreprise.
Les dispositions de l'article 54 contreviennent aux principes reconnus encore récemment par la Cour de cassation selon lesquels l'intégration des salariés à l'effectif suppose leur participation aux activités de l'entreprise et leur intégration à une même communauté de travail, et qu'une telle situation leur confère le droit de vote aux élections professionnelles de cette entreprise.
La limitation apportée aux décomptes des effectifs et au droit de vote aux élections professionnelles vise des professions auxquelles la jurisprudence a régulièrement reconnu ce droit. On peut citer les démonstratrices de grands magasins, les personnes mises à disposition d'une association, les enseignants mis à disposition des établissements privés.
Les salariés d'entreprise sous-traitante ou prestataire de service, qui travaillent régulièrement, voire de façon permanente, avec les salariés de l'entreprise donneur d'ordre, le font sur les mêmes lieux et dans les mêmes conditions. Ils appartiennent tous à la même communauté de travail. Leur droit constitutionnel de participation, par l'intermédiaire de leur délégué, à la détermination collective de leur condition de travail est concrètement remis en cause.
Paradoxalement, en maintenant pour les dispositions relatives au comité d'hygiène, de sécurité et de condition de travail, les modalités actuelles de décompte des effectifs, le législateur souligne lui-même l'atteinte au principe constitutionnel de participation des salariés à la détermination de leur condition de travail.
Il y aurait donc, définis par la loi, des cas pour lesquels, au sein d'une même entreprise, des salariés compteraient dans l'effectif et des cas pour lesquels ces mêmes salariés ne compteraient pas. Ainsi, des salariés seraient pris en compte pour que soit mis en place un comité d'hygiène, de sécurité et de conditions de travail dans l'entreprise où ils travaillent de façon régulière voire permanente, mais ne pourraient ni participer, ni être éligibles aux élections professionnelles de cette entreprise, ni être pris en compte pour la mise en place d'un comité d'entreprise ou de délégués du personnel.
Il ne saurait y avoir au sein d'une même entreprise une représentativité des salariés à deux vitesses ou à géométrie variable. Une telle situation qui résulte immanquablement de la combinaison des dispositions de l'article 54 portent atteinte aux principes constitutionnels de participation de salariés à la gestion de l'entreprise et par voie de conséquence au principe d'égalité.
L'article 29 insère dans le code du travail un article L 432-4-3 pour adapter dans les entreprises de trois cents salariés et plus, par voie d'accord collectif, les modalités d'information du comité d'entreprise et des salariés. Actuellement, le chef d'entreprise est tenu en application des articles L 432-1 et suivants du code du travail d'informer et de consulter le comité d'entreprise sur les questions relatives à la situation économique et sociale de l'entreprise.
Il s'agit en réalité, aux moyens de l'article critiqué, d'autoriser la conclusion d'accords dérogatoires aux règles relatives à l'information et à la consultation du comité d'entreprise. L'accord collectif pourra en effet modifier les modalités d'information du comité d'entreprise et organiser l'échange de vues auquel la transmission de ces informations donne lieu.
Le législateur prévoit avec cet article une forme de contournement des comités d'entreprise. Il revient à opposer leurs prérogatives à l'information directe des salariés. Sous couvert d'une meilleure participation des salariés à la gestion des entreprises, il amoindrit les compétences dévolues au comité d'entreprise et finalement remet en cause le droit constitutionnellement garanti de participation des salariés à la gestion de leur entreprise.
En effet, les communications trimestrielles prévues à l'article L 432-4-1 du code du travail du chef d'entreprise au comité d'entreprise sur la situation de l'emploi, sur l'évolution des effectifs et de la qualification des salariés, sur le nombre des journées de travail effectuées, sont remplacées par une communication annuelle d'ordre plus général prenant la forme d'un échange de vue.
Compte tenu de la rapidité des évolutions économiques, le passage d'une périodicité trimestrielle à une périodicité annuelle ne constitue pas véritablement une amélioration de la participation des salariés par l'intermédiaire de leurs représentants à la gestion de leur entreprise. Par ailleurs, cette communication, faisant l'objet d'un simple échange de vue, n'a pas la valeur de la consultation et du recueil de l'avis des représentants des salariés, comme le prévoit l'article L 432-4-1 du code du travail.
Le contournement du comité d'entreprise, ainsi créé dans les entreprises de plus de trois cents salariés, porte atteinte au principe d'égalité en créant finalement deux types de comités d'entreprise : le comité d'entreprise dans les entreprises dont l'effectif est compris entre cinquante et trois cents salariés et celui des entreprises de plus de trois cents salariés. Les comités d'entreprise des grandes entreprises, celles au sein desquelles l'accord prévu par le nouvel article L 432-4-3 du code du travail s'appliquera, exerceront une compétence dans le domaine économique amoindrie par rapport aux comités d'entreprise des entreprises de taille inférieure.
Les dispositions de l'article critiqué aboutissent à une situation totalement paradoxale où les prérogatives des comités d'entreprise sont inversement proportionnelles à la taille et à l'effectif de l'entreprise. Les compétences des comités d'entreprise ne sauraient être à géométrie variable, sauf à méconnaître des principes constitutionnels de participation des salariés par l'intermédiaire de leurs représentants et d'égalité.
Les prérogatives des institutions représentatives des salariés, parce qu'elles mettent en oeuvre des principes constitutionnellement garantis doivent être définies par la loi. Elles ne peuvent être déléguées, ainsi que le prévoit l'article 29 de la loi, à la décision des partenaires sociaux.
4/ Sur la conciliation de la liberté d'entreprendre et du droit à l'emploi
Le législateur doit constamment veiller à la nécessaire conciliation entre deux principes à valeur constitutionnelle que sont la liberté d'entreprendre, prévue à l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et le droit à obtenir un emploi, figurant au cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946. Ce principe de conciliation a été, régulièrement et clairement affirmé, notamment dans la décision n°98-401 DC du 10 juin 1998.
Ainsi, si le législateur peut apporter au droit à l'emploi des limitations liées à l'exigence représentée par la liberté d'entreprendre, l'atteinte en question ne peut être disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.
L'équilibre entre ces deux principes est rompu avec l'article 48 en raison notamment d'imprécisions importantes des dispositifs qu'ils contiennent.
L'article 48 insère un article L 320-2-1 au sein du code du travail qui permet aux entreprises, ou groupes d'entreprises, d'au moins mille salariés ayant signé un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, de proposer à ses salariés un congé dit « congé de mobilité » lorsqu'elles envisagent de prononcer à leur encontre un licenciement pour motif économique.
Les groupes d'entreprises peuvent par ailleurs comprendre des entreprises de très petite taille, dont les effectifs peuvent être inférieurs à cinquante salariés, et donc être dépourvues de représentants du personnel exerçant des prérogatives économiques.
Ce dispositif permet à ces entreprises de se dispenser de ses obligations en matière de congé de reclassement prévues à l'article L 321-4-3 du code du travail. En réalité, il instaure une nouvelle forme de rupture du contrat de travail d'un commun accord sans motif, qui permet de contourner les procédures collectives de consultation des représentants du personnel en cas de licenciement collectif, ou d'entretien préalable en cas de licenciement individuel.
Cette nouvelle forme de rupture n'est assortie d'aucune obligation pour l'employeur en matière d'indemnisation de licenciement ou de préavis, d'aucune garantie pour le salarié de véritable reclassement, d'indemnisation par l'assurance chômage si à la fin du congé de mobilité il n'a pas retrouvé un emploi.
Cet article, présenté comme favorable aux salariés, constitue en réalité une atteinte caractérisée au droit à l'emploi, dans la mesure où il les prive de nombreuses garanties et de protections inhérentes à la situation de licenciement économique.
Ceci est renforcé par le fait que les conditions de mise en oeuvre du congé de mobilité sont renvoyées à l'accord collectif d'entreprise de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, dont la négociation se déroule dans l'ignorance pour les salariés des perspectives de restructuration des entreprises.
De telles atteintes au droit à l'emploi sont d'autant plus graves, que le législateur est resté très imprécis sur de nombreux points, conduisant à des situations pour le moins paradoxales.
Ainsi, le congé de mobilité peut s'effectuer dans une autre entreprise pendant la période de préavis alors que le contrat de travail initial n'est pas rompu. De même pendant le congé de mobilité, le salarié peut effectuer des périodes de travail, y compris dans l'entreprise d'origine, sous la forme d'un contrat à durée indéterminée ou d'un contrat à durée déterminée.
La question du statut du salarié s'il effectue son congé dans l'entreprise d'origine mérite d'être très nettement précisé. Finalement, le contrat à durée déterminée signé dans le cadre du congé de mobilité, peut l'être dans le cadre de dispositions destinées à favoriser l'embauche de certaines catégories de personnes sans emploi. Il est clair que ce cas ne correspond pas à la motivation du congé de mobilité.
Beaucoup trop d'imprécisions caractérisent ce nouveau dispositif. Ceci est d'autant plus critiquable que cet article, contrairement à l'ambition affichée, ne garantit ni le droit à l'emploi, ni la nécessaire conciliation entre la liberté d'entreprendre et ce droit. L'équilibre entre les deux exigences constitutionnelles est manifestement rompu de façon disproportionnée, et ce d'autant plus que le dispositif ne se limite pas aux seules grandes entreprises d'au moins mille salariés. Les groupes d'entreprises, qui peuvent comprendre des entreprises de moins de cinquante salariés, sont également visés. Et au total un grand nombre de salariés peut se trouver dans la situation de se voir proposer un congé de mobilité.