Décision n° 2015-529 QPC du 23 mars 2016
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 décembre 2015 par le Conseil d'État (décision n° 393909 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée pour les sociétés Iliad et Free, par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe II de l'article 34-2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2015-529 QPC.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;
Vu la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les sociétés requérantes par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées les 14 et 29 janvier 2016 ;
Vu les observations produites pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel, partie en défense, par la SCP Baraduc-Duhamel-Rameix, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 14 janvier 2016 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 14 janvier 2016 ;
Vu la lettre du 19 février 2016 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis aux parties un grief susceptible d'être relevé d'office ;
Vu les observations en réponse produites pour les sociétés requérantes, par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 29 février 2016 ;
Vu les observations en réponse produites pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel, par la SCP Baraduc-Duhamel-Rameix, enregistrées le 29 février 2016 ;
Vu les observations en réponse produites par le Premier ministre, enregistrées le 29 février 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me François Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties requérantes, Me Elisabeth Baraduc-Benabent, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 15 mars 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du paragraphe II de l'article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986 dans sa rédaction résultant de la loi du 5 mars 2009 susvisée : « Tout distributeur de services par un réseau autre que satellitaire n'utilisant pas de fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel met à disposition de ses abonnés les services d'initiative publique locale destinés aux informations sur la vie locale. Le décret mentionné à l'article 34 définit les limites et conditions de cette obligation. « Les coûts de diffusion et de transport depuis le site d'édition sont à la charge du distributeur » ;
2. Considérant que, selon les sociétés requérantes, en obligeant les distributeurs de services audiovisuels par un réseau autre que satellitaire n'utilisant pas de fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel à mettre à disposition de leurs abonnés des services d'initiative publique locale destinés aux informations sur la vie locale, les dispositions contestées méconnaissent la liberté d'entreprendre, la liberté contractuelle, le droit de propriété et le principe d'égalité devant les charges publiques ;
3. Considérant qu'en application de l'article 7 du règlement du 4 février 2010 susvisé, le Conseil constitutionnel a relevé d'office le grief tiré de ce que les dispositions contestées, en renvoyant au pouvoir réglementaire la définition des limites et conditions de l'obligation de mise à disposition des services d'initiative publique locale destinés aux informations sur la vie locale, méconnaîtraient l'étendue de la compétence du législateur dans des conditions qui affectent la liberté d'entreprendre ;
- SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA MÉCONNAISSANCE DE LA LIBERTÉ D'ENTREPRENDRE, DE LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE ET DE L'ARTICLE 34 DE LA CONSTITUTION :
4. Considérant qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;
5. Considérant que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi détermine les principes fondamentaux… des obligations civiles et commerciales » ;
6. Considérant que, selon les sociétés requérantes, en faisant peser sur les distributeurs de services audiovisuels une obligation de reprise des services d'initiative publique locale destinés aux informations sur la vie locale, sans aménager ni encadrer cette obligation, les dispositions contestées méconnaissent la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle ;
7. Considérant qu'en vertu de l'article L. 1426-1 du code général des collectivités territoriales, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent éditer un service de télévision destiné aux informations sur la vie locale et diffusé par voie hertzienne terrestre ou par un réseau n'utilisant pas des fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ; que les dispositions contestées imposent aux distributeurs de services audiovisuels par un réseau autre que satellitaire n'utilisant pas de fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel de mettre ces services à disposition de leurs abonnés ; qu'en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu garantir le maintien et favoriser le développement de ces services publics locaux ;
8. Considérant que les dispositions contestées doivent être entendues comme imposant aux distributeurs de services audiovisuels précités une obligation de mise à disposition gratuite qui ne s'applique qu'aux abonnés situés dans la zone géographique de la collectivité ou du groupement qui édite le service ; que, par ailleurs, cette obligation est limitée au transport et à la diffusion des programmes de ces services sans que soit imposée la réalisation de travaux de raccordement ou de génie civil ; qu'en outre le législateur a entendu expressément exclure du champ de cette obligation la prise en charge de la numérisation des programmes ; qu'ainsi, les dispositions contestées portent une atteinte limitée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle de ces distributeurs de services audiovisuels ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le législateur, d'une part, n'a pas méconnu l'étendue de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution et, d'autre part, n'a pas porté à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi ; que, par suite, les griefs tirés de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle doivent être écartés ;
- SUR LES AUTRES GRIEFS :
10. Considérant que les sociétés requérantes soutiennent que les dispositions contestées méconnaissent le droit de propriété et le principe d'égalité devant les charges publiques dès lors que l'obligation qu'elles instituent ne fait pas l'objet d'une compensation financière ;
11. Considérant, en premier lieu, que l'article 13 de la Déclaration de 1789 dispose : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; que, si cet article n'interdit pas de faire supporter, pour un motif d'intérêt général, à certaines catégories de personnes des charges particulières, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
12. Considérant que l'obligation instituée par les dispositions contestées, qui pèse sur l'ensemble des distributeurs de services audiovisuels par un réseau autre que satellitaire n'utilisant pas de fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, poursuit un objectif d'intérêt général ; qu'il n'en résulte aucune rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté ;
13. Considérant, en second lieu, que les dispositions contestées, lesquelles instituent une obligation en faveur d'un service public dans le cadre de la relation contractuelle entre le distributeur de services audiovisuels et ses abonnés, ne portent aucune atteinte au droit de propriété ;
14. Considérant que les dispositions du paragraphe II de l'article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le paragraphe II de l'article 34-2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 mars 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 23 mars 2016.
JORF n°0071 du 24 mars 2016 texte n° 78
ECLI : FR : CC : 2016 : 2015.529.QPC
Les abstracts
- 3. NORMES LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
- 3.3. ÉTENDUE ET LIMITES DE LA COMPÉTENCE LÉGISLATIVE
- 3.3.4. Incompétence négative
- 3.3.4.2. Absence d'incompétence négative
3.3.4.2.1. Le législateur a épuisé sa compétence
En vertu du paragraphe II de l'article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986 les distributeurs de services par un réseau autre que satellitaire n'utilisant pas de fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel doivent mettre à disposition de leurs abonnés les services d'initiative publique locale destinés aux informations sur la vie locale. Les limites et conditions de cette obligation sont définies par décret. Les coûts de diffusion et de transport depuis le site d'édition sont à la charge du distributeur.
La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi détermine les principes fondamentaux… des obligations civiles et commerciales. En vertu de l'article L. 1426-1 du code général des collectivités territoriales, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent éditer un service de télévision destiné aux informations sur la vie locale. L'obligation de mise à disposition gratuite ne s'applique qu'aux abonnés situés dans la zone géographique de la collectivité ou du groupement qui édite le service et est limitée au transport et à la diffusion des programmes de ces services sans que soit imposée la réalisation de travaux de raccordement ou de génie civil. En outre, le législateur a entendu exclure expressement du champ de cette obligation la numérisation des programmes. Par suite, les dispositions contestées n'ont pas méconnu l'étendue de la compétence du legislateur. (QPC 2015-529, 23 mars 2016, cons 1 et 4 à 9).
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.21. LIBERTÉS ÉCONOMIQUES
- 4.21.2. Liberté d'entreprendre
- 4.21.2.5. Conciliation du principe
4.21.2.5.2. Avec l'intérêt général
En vertu du paragraphe II de l'article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986 les distributeurs de services par un réseau autre que satellitaire n'utilisant pas de fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel doivent mettre à disposition de leurs abonnés les services d'initiative publique locale destinés aux informations sur la vie locale. Les limites et conditions de cette obligation sont définies par décret. Les coûts de diffusion et de transport depuis le site d'édition sont à la charge du distributeur. En vertu de l'article L. 1426-1 du code général des collectivités territoriales, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent éditer un service de télévision destiné aux informations sur la vie locale.
Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Le législateur, en faisant peser sur les distributeurs de services audiovisuels une telle obligation, a entendu garantir le maintien et favoriser le développement de ces services publics locaux. En outre, cette obligation de mise à disposition gratuite ne s'applique qu'aux abonnés situés dans la zone géographique de la collectivité ou du groupement qui édite le service et est limitée au transport et à la diffusion des programmes de ces services sans que soit imposée la réalisation de travaux de raccordement ou de génie civil. Le législateur a, par ailleurs, entendu exclure expressement du champ de cette obligation la numérisation des programmes. Ainsi, l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle de ces distributeurs de services audiovisuels demeure limitée. Par suite, les dispositions contestées n'ont pas méconnu la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle. (QPC 2015-529, 23 mars 2016, cons 1, 4 et 7 à 9).
- 5. ÉGALITÉ
- 5.4. ÉGALITÉ DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES
- 5.4.2. Champ d'application du principe
- 5.4.2.3. Égalité en dehors des impositions de toutes natures
5.4.2.3.3. Service public
Si l'article 13 de la Déclaration de 1789 n'interdit pas de faire supporter, pour un motif d'intérêt général, à certaines catégories de personnes des charges particulières, toutefois, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. L'obligation, instituée par les dispositions du paragraphe II de l'article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986 en vertu duquel les distributeurs de services par un réseau autre que satellitaire n'utilisant pas de fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel doivent mettre à disposition en faveur de leurs abonnés les services d'initiative publique locale destinés aux informations sur la vie locale, poursuit un objectif d'intérêt général. Par suite, il ne résulte de cette obligation en faveur d'un service public aucune rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. (QPC 2015-529, 23 mars 2016, cons. 11 à 13)
- 5. ÉGALITÉ
- 5.4. ÉGALITÉ DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES
- 5.4.3. Contrôle du principe - Conditions du contrôle
5.4.3.2. Cadre d'appréciation du principe
Le Conseil constitutionnel considère que des griefs tirés de la rupture d'égalité devant les charges publiques et de la méconnaissance du droit de propriété, dirigés contre une disposition législativee instituant une sujétion hors du champ de la législation fiscale, sont alternatifs. Il recherche ainsi la coloration principale de la sujétion en cause et opère un contrôle soit au regard des exigences de l'article 13 de la Déclaration de 1789 soit au regard des exigences de ses articles 2 et 17. Dans la présente décision, la sujetion a été confrontée aux exigences de l'article 13.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
11.6.3.2. Grief soulevé d'office par le Conseil constitutionnel
Saisi des dispositions du paragraphe II de l'article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986 en vertu duquel les distributeurs de services par un réseau autre que satellitaire n'utilisant pas de fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel doivent mettre à disposition de leurs abonnés les services d'initiative publique locale destinés aux informations sur la vie locale, le Conseil constitutionnel a relevé d'office le grief tiré de ce que les dispositions contestées, en renvoyant au pouvoir réglementaire la définition des limites et conditions de l'obligation de mise à disposition des services d'initiative publique locale destinés aux informations sur la vie locale, méconnaîtraient l'étendue de la compétence du législateur dans des conditions qui affectent la liberté d'entreprendre et le liberté contractuelle. (QPC 2015-529, 23 mars 2016, cons 1 et 3).