Décision n° 2007-1 LOM du 3 mai 2007
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 avril 2007 par le président de la Polynésie française, dans les conditions prévues par l'article 12 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004, d'une demande tendant à ce qu'il constate que le 29 ° du I de l'article 20 de la loi n° 2007-224 du 21 février 2007 est intervenu dans une matière ressortissant à la compétence de la Polynésie française ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution, notamment ses articles 74 et 74-1 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;
Vu la loi n° 2007-224 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer ;
Vu le code de l'aviation civile ;
Vu le code général des impôts ;
Vu l'ordonnance n° 2006-482 du 26 avril 2006 portant adaptation en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie de l'article 1609 quatervicies du code général des impôts ;
Vu les observations du Premier ministre, enregistrées le 12 avril 2007 ;
Vu les observations du président de l'assemblée de la Polynésie française, enregistrées les 12 et 27 avril 2007 ;
Vu les nouvelles observations du président de la Polynésie française, enregistrées le 27 avril 2007 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que le 29 ° du I de l'article 20 de la loi du 21 février 2007 susvisée a, en application de l'article 74-1 de la Constitution, ratifié l'ordonnance du 26 avril 2006 portant adaptation en Polynésie française et en Nouvelle Calédonie de l'article 1609 quatervicies du code général des impôts ; que ledit article institue une taxe d'aéroport perçue au profit des personnes publiques ou privées exploitant un aérodrome et affectée au « financement des services de sécurité-incendie-sauvetage, la lutte contre le péril aviaire, la sûreté et les mesures effectuées dans le cadre des contrôles environnementaux » ; que, toutefois, selon le VI de l'article 1609 quatervicies ajouté par ladite ordonnance, cette taxe ne s'applique en Polynésie française qu'aux aérodromes appartenant à l'État dont le trafic est supérieur à 400 000 unités de trafic et selon une tarification particulière ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 12 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : « Lorsque le Conseil constitutionnel a constaté qu'une loi promulguée postérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi organique est intervenue dans les matières ressortissant à la compétence de la Polynésie française, en tant qu'elle s'applique à cette dernière, cette loi peut être modifiée ou abrogée par l'assemblée de la Polynésie française » ; que le président de la Polynésie française demande au Conseil constitutionnel de constater que le 29 ° du I de l'article 20, ci-dessus rappelé, de la loi du 21 février 2007 est intervenu dans une matière relevant de la compétence de cette collectivité d'outre-mer ;
3. Considérant que l'article 13 de la loi organique du 27 février 2004 susvisée dispose que : « Nonobstant toutes dispositions contraires, les autorités de la Polynésie française sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l'État par l'article 14 » ; que, selon le 8 ° de l'article 14 de la même loi organique, les autorités de l'État sont compétentes en matière de police et de sécurité concernant l'aviation civile ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; que, si cette disposition n'interdit pas de faire supporter, pour un motif d'intérêt général, des charges particulières à certaines catégories de personnes, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
5. Considérant que la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ne saurait être interprétée comme interdisant à l'État d'instituer des taxes destinées à être perçues à l'occasion de l'exécution des missions d'intérêt général qui lui incombent dans le cadre de ses compétences en Polynésie française ; qu'en effet, si une telle interprétation était retenue, le coût de l'exercice de ces missions ne pourrait être supporté que par les contribuables ne résidant pas en Polynésie française ; qu'il en résulterait une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
6. Considérant qu'en ratifiant l'ordonnance du 26 avril 2006 étendant en partie à la Polynésie française la taxe instituée par l'article 1609 quatervicies du code général des impôts, affectée à la sécurité des aérodromes et en assujettissant à cette taxe toutes les entreprises de transport aérien public à raison du nombre de passagers et de la masse de fret qu'elles embarquent sur les aérodromes de Polynésie française appartenant à l'État et supportant un trafic supérieur à 400 000 unités, le 29 ° du I de l'article 20 de la loi du 21 février 2007 a eu pour objet de permettre à l'État de disposer d'une partie des ressources nécessaires à l'exercice de la mission de police et de sécurité qui demeure à sa charge exclusive et de tendre ainsi à l'égalité des citoyens devant les charges publiques ;
7. Considérant, par suite, que le législateur n'est pas intervenu dans une matière ressortissant à la compétence de la Polynésie française,
Décide :
Article premier.- Le 29 ° du I de l'article 20 de la loi n° 2007-224 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer est intervenu, en tant qu'il est applicable en Polynésie française, dans une matière ressortissant à la compétence de l'État.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 mai 2007, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Pierre JOXE et Jean-Louis PEZANT, Mme Dominique SCHNAPPER et M. Pierre STEINMETZ.
Journal officiel du 4 mai 2007, page 7906, texte n° 85
Recueil, p. 129
ECLI : FR : CC : 2007 : 2007.1.LOM
Les abstracts
- 5. ÉGALITÉ
- 5.4. ÉGALITÉ DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES
- 5.4.1. Signification du principe
5.4.1.1. Interdiction des distinctions excessives
Si l'article 13 de la Déclaration de 1789 n'interdit pas de faire supporter, pour un motif d'intérêt général, à certaines catégories de personnes des charges particulières, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
- 5. ÉGALITÉ
- 5.4. ÉGALITÉ DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES
- 5.4.2. Champ d'application du principe
- 5.4.2.1. Objet de la législation
5.4.2.1.2. Soumission à des sujétions
Si l'article 13 de la Déclaration de 1789 n'interdit pas de faire supporter, pour un motif d'intérêt général, à certaines catégories de personnes des charges particulières, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
- 14. ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE
- 14.4. ORGANISATION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
- 14.4.6. Collectivités d'outre-mer régies par l'article 74
- 14.4.6.1. Règles communes
- 14.4.6.1.6. Partage de compétences (article 74, alinéa 4)
14.4.6.1.6.1. Compétence fiscale
La loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ne saurait être interprétée comme interdisant à l'État d'instituer les taxes destinées à être perçues à l'occasion de l'exécution des missions d'intérêt général qui lui incombent dans le cadre de ses compétences en Polynésie française. En effet, si une telle interprétation était retenue, le coût de l'exercice de ces missions ne pourrait être supporté que par les contribuables ne résidant pas en Polynésie française. Il en résulterait une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
En ratifiant l'ordonnance du 28 avril 2006 étendant en partie à la Polynésie française la taxe instituée par l'article 1609 quatervicies du code général des impôts, affectée à la sécurité des aérodromes et en assujettissant à cette taxe toutes les entreprises de transport aérien public à raison du nombre de passagers et de la masse de fret qu'elles embarquent sur les aérodromes de Polynésie française appartenant à l'État et supportant un trafic supérieur à 400 000 unités, le 29° du I de l'article 20 de la loi du 21 février 2007 a eu pour objet de permettre à l'État de disposer d'une partie des ressources nécessaires à l'exercice de la mission de police et de sécurité qui demeure à sa charge exclusive et de tendre ainsi à l'égalité des citoyens devant les charges publiques. Par suite, le législateur n'est pas intervenu dans une matière ressortissant à la compétence de la Polynésie française.
- 14. ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE
- 14.4. ORGANISATION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
- 14.4.6. Collectivités d'outre-mer régies par l'article 74
- 14.4.6.7. Règles particulières aux collectivités dotées de l'autonomie
- 14.4.6.7.3. Procédure de déclassement par le Conseil constitutionnel (article 74, alinéa 9)
14.4.6.7.3.4. Matière ne ressortissant pas à la compétence de la collectivité d'outre-mer
Le président de la Polynésie française a demandé au Conseil constitutionnel de constater qu'est intervenu dans une matière relevant de la compétence de cette collectivité d'outre-mer le 29° du I de l'article 20 de la loi du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer ratifiant l'ordonnance du 28 avril 2006 étendant en partie à la Polynésie française la taxe instituée par l'article 1609 quatervicies du code général des impôts, affectée à la sécurité des aérodromes. Le Conseil constitutionnel a constaté que le législateur n'est pas intervenu dans une matière ressortissant à la compétence de la Polynésie française.