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Décision n° 96-384 DC du 19 décembre 1996 - Saisine par 60 députés

Loi de financement de la sécurité sociale pour 1997
Conformité

SAISINE DEPUTES :
Nous avons l'honneur, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de soumettre à votre examen la loi de financement de la sécurité sociale pour 1997, telle qu'elle a été définitivement adoptée par le Parlement le 28 novembre 1996.
Cette loi est la première à mettre en uvre la révision constitutionnelle du 22 février 1996. A ce titre, il est nécessaire que soit précocement imposé le respect des exigences déduites des articles 34 et 47-1 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 96-646 du 22 juillet 1996.
Parmi ces exigences, les travaux préparatoires, tant de la loi constitutionnelle que de la loi organique, ont légitimement mis l'accent sur la stricte délimitation du domaine des lois de financement.
Ce dernier est donc rigoureusement circonscrit par l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale. Outre les dispositions dont la présence est impliquée par l'antépénultième alinéa de l'article 34 de la Constitution, le III de l'article 111-3 précité précise que « les lois de financement de la sécurité sociale ne peuvent comporter que des dispositions affectant directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ou améliorant le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale ».
Compte tenu des contraintes spéciales que l'article 47-1 de la Constitution fait peser sur le Parlement, notamment en termes de délais, il est donc indispensable de faire respecter rigoureusement ce texte, afin d'éviter que les lois de financement de la sécurité sociale ne puissent, progressivement ou brutalement, dégénérer dans des espèces de « super-DMOS », à l'occasion desquels le Gouvernement pourrait tenter d'arracher l'adoption de dispositions insuffisamment débattues, dont le contenu ne justifierait pas la présence dans ce type de loi.
Au regard de cette vigilance indispensable, plusieurs des articles de la loi qui vous est déférée paraissent appartenir à la catégorie de ce qu'on appellera ici les cavaliers sociaux, par analogie avec les cavaliers budgétaires que vous ne manquez pas de désarçonner chaque fois qu'ils se présentent.
Pour la clarté de ce qui va suivre seront distinguées deux séries de dispositions : d'une part, celles introduisant des modifications purement rédactionnelles dans des textes autres que la loi de financement de la sécurité sociale, d'autre part, celles ayant un objet que leur fond rend extérieur au champ ouvert à la loi de financement de la sécurité sociale.
I : Sur les dispositions à caractère rédactionnel
En bonne logique, on pouvait s'attendre à ce que le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne comportât que quelques articles, autant que l'antépénultième alinéa de l'article 34 de la Constitution mentionne de rubriques (conditions générales de l'équilibre, prévisions de recettes, objectifs de dépenses).
Pourtant, c'est un texte comptant dès l'origine 33 articles qui a été soumis au Parlement et la loi adoptée en contient finalement 41.
La loi de financement de la sécurité sociale pouvant contenir toute disposition affectant directement l'équilibre financier, il est considéré qu'entrent dans cette définition toutes les mesures, quel que soit leur impact, qui altèrent directement les recettes ou les dépenses.
Or il faut observer que ce choix, pour défendable qu'il est, a déjà en lui-même comme conséquence d'amener le législateur à prendre toutes sortes de mesures qui portent, en réalité, non pas sur le financement de la sécurité sociale mais sur la définition des assiettes les plus variées, la détermination des modalités de recouvrement, ou les conséquences à tirer de l'imposition simultanée de plusieurs types de prélèvements.
De ce fait, figurent dans la loi de financement de la sécurité sociale des dispositions dont certaines n'ont, avec son objet tel que précisé par la loi organique, qu'un lien ténu.
Mais, au-delà de cette première difficulté, se pose la question des dispositions strictement rédactionnelles.
Dans une interprétation rigoureuse de la loi organique, on est en droit de considérer que celles-ci qui, par définition, n'entrent pas dans le champ de l'article LO 111-3 précité, ne devraient en aucun cas être présentes dans cette loi.
Qu'il s'agisse de supprimer des références obsolètes (par exemple au 3 ° de l'article 13), de modifier d'autres références pour leur épargner cette même obsolescence (par exemple à l'article 9) ou encore de tirer les conséquences rédactionnelles, dans des textes autres que la loi de financement de la sécurité sociale (par exemple au 1 ° de l'article 12), des innovations décidées par cette dernière, ces mises à jour, pour utiles qu'elles soient, n'affectent nullement, ni directement ni même indirectement, l'équilibre des régimes obligatoires de base, et n'améliorent pas davantage le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.
On ne manquera certes pas d'objecter qu'il s'agit là d'un rigorisme excessif, nuisible aux nécessités élémentaires d'une confection législative de qualité et d'invoquer l'intérêt évident qui s'attache à ce que la loi procède aux toilettages que son adoption rend indispensables ou au moins opportuns.
Mais une telle argumentation se heurterait au constat de ce que cette rigueur a été légitimement voulue par le législateur organique, que le Conseil constitutionnel l'en a approuvé (décision 96/379 DC) et qu'il en résulte un champ étroitement défini dont les limites ne peuvent en aucun cas être repoussées.
A cela, on pourrait encore objecter, par un raisonnement analogique, que, dans le domaine des lois de finances, l'article 42 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 n'a jamais été interprété comme faisant obstacle à des amendements rédactionnels (J Charbonnel, « Rapport d'information sur la recevabilité financière des amendements », AN n° 2064, 19 novembre 1971, p 52).
Mais une telle analogie serait doublement infondée.
D'une part, en effet, le domaine des lois de financement de la sécurité sociale est défini de manière plus étroite que celui des lois de finances, d'autre part, cette étroitesse est mise en uvre de manière plus stricte encore car si l'article 42 rendait irrecevables les amendements autres que ceux qu'il énonçait limitativement, le III de l'article LO 111-3 pourchasse toute disposition, qu'elle résulte d'un amendement ou qu'elle soit présente dans le projet initial, ce qui atteste d'une fermeté inusitée.
Or, ce qui rend cette fermeté indispensable, c'est la crainte que, dans le déroulement d'un débat obéissant à des règles particulières, des dispositions rédactionnelles ne dissimulent, même involontairement, des modifications de fond dans des législations et sur des objets sans rapport avec le domaine des lois de financement de la sécurité sociale. En outre, le risque se matérialiserait tôt ou tard qui ferait qu'une interprétation insuffisamment rigoureuse à l'origine amènerait, de proche en proche, à faire figurer dans ces textes des dispositions qui y auraient de moins en moins leur place, la frontière se déplaçant insensiblement, sans qu'il ne soit jamais plus possible d'en redessiner le tracé, faute de l'avoir fait en s'en tenant dès le début à celui imposé par la Constitution et la loi organique.
Quant au souci de bonne politique législative, il suppose justement, si des adaptations formelles ou rédactionnelles sont rendues nécessaires par une loi de financement de la sécurité sociale, qu'elles soient clairement opérées dans un texte distinct, portant justement diverses dispositions d'ordre social, ce qui donnerait enfin une véritable justification aux projets ainsi intitulés.
Au demeurant, le rapporteur devant l'Assemblée nationale, M Bruno Bourg-Broc, n'a pas manqué de souligner lui-même que telle ou telle disposition ne modifiait en rien « les grandes lignes de l'équilibre financier » (par exemple à propos de l'article 9, CMP, rapport n° 3149, p 15).
Ainsi, doivent être disjoints de la loi qui vous est déférée, notamment :
: l'article 9 ;
: les 4 °, 5 ° et 6 ° de l'article 10 ;
: les 1 °, 2 ° et 4 ° de l'article 12 ;
: les 1 °, 3 ° et 6 ° de l'article 13 ;
: les 1 ° et 3 ° de l'article 14 ;
: les V et VI de l'article 31 ;
: les III et VII de l'article 32 ;
: le I de l'article 33 ;
: le III de l'article 41.
II. : Sur les dispositions relatives aux modalités de recouvrement
Toujours dans le souci de faire l'économie d'un DMOS, toujours avec le danger, en conséquence, de mélanger des textes qui doivent demeurer nettement distincts, la loi qui est déférée contient des dispositions qui ne portent que sur les modalités de recouvrement des prélèvements qu'elle institue ou modifie.
Or, il n'est pas douteux que les modalités de recouvrement, en elles-mêmes, sont neutres par rapport aux conditions générales de l'équilibre financier des régimes de base de la sécurité sociale.
Si la loi de financement de la sécurité sociale rend utile, ou simplement souhaitable, que ces modalités soient modifiées, c'est à une autre loi qu'il appartient, le cas échéant, d'en décider, et ce peut être la loi de finances comme le prévoit expressément le troisième alinéa de l'article premier de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959. En revanche, les modalités de recouvrement des prélèvements à destination sociale, quelle que soit leur nature juridique, n'entrent nullement dans les domaines définis, conformément à la Constitution, par l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale.
Or, le risque est à nouveau important qui s'attacherait à une interprétation inverse. La Constitution, même si elle s'est inspirée du système des lois de finances pour concevoir les lois de financement de la sécurité sociale, n'a pas strictement reproduit celui-ci pour celles-là.
Les lois de finances couvrent trois domaines : le domaine obligatoire (ce qui doit y figurer), le domaine exclusif (ce qui ne peut figurer que là) et le domaine facultatif (ce qui peut figurer indifféremment là ou ailleurs). Ces trois domaines couvrent un champ très large, qui autorise, et même invite, à faire figurer dans le même contexte toutes les dispositions connexes au budget de l'Etat.
Au contraire, pour les lois de financement de la sécurité sociale, la logique est différente. Elles sont strictement enfermées dans un domaine précisément délimité. Celui-ci ne leur permet pas de s'intéresser à tout le champ de ce qu'on appelle usuellement le budget social de la nation. Elles ne doivent, et ne peuvent, en connaître que la partie que l'on qualifiera, par commodité, supérieure sans empiéter ni sur les compétences des partenaires sociaux, ni sur celles du Gouvernement, ni, même, sur celles qui peuvent être exercées que par d'autres lois. Ainsi défini par la Constitution et la loi organique, ce domaine exclut formellement même des dispositions qui pourraient être directement connexes à celles que ces lois sont expressément autorisées ou invitées à adopter.
A ce titre, doit notamment être disjoint de la loi qui vous est déférée le 3 ° de l'article 12.
III. : Sur l'article 34
Cette disposition a pour objet d'opérer des validations. Sans même qu'il y ait lieu ici à en examiner la constitutionnalité sur le fond, il est évident que la validation de certaines facturations des établissements de santé, privés de surcroît, ne saurait être considérée comme affectant directement les conditions générales de l'équilibre financier des régimes obligatoires de base.
La présence d'une telle disposition dans cette loi est la traduction la plus précoce et la plus manifeste du danger, déjà souligné, de confusion entre lois de financement de la sécurité sociale et DMOS.
Au demeurant, cela n'a pas non plus échappé à l'attention du rapporteur à l'Assemblée nationale qui s'en est ému devant la commission mixte paritaire (op. cit. p 24). Le président de cette dernière a cru pouvoir invoquer, pour lui répondre, de prétendues conséquences financières « effectives et importantes », mais, même en imaginant que les cliniques privées aient récemment pratiqué des anesthésies de masse, puisque, sur cela seulement porte cette validation, on ne saurait sérieusement soutenir que celles-ci soient de nature à affecter les conditions générales de l'équilibre des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale.
A ce seul titre, l'article 34 ne saurait résister à votre censure.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.