Décision n° 2017-688 QPC du 2 février 2018 - Décision de renvoi CE
Conseil d'État
N° 413349
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur
M. Xavier Domino, rapporteur public
SCP ROUSSEAU, TAPIE ; SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats
Lecture du lundi 6 novembre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 août et 15 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. A...B...demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision de l'Agence française de lutte contre le dopage du 6 juillet 2017, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions, d'une part, du 3 ° de l'article L. 232-22 du code du sport et, d'autre part, du I de l'article L. 232-23-3-3 et de l'article L. 232-23-3-10 du même code.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code du sport, notamment ses articles L. 232-22, L. 232-23-3-3 et L. 232-23-3-10 ;
- la loi n° 2012-158 du 1er février 2012 ;
- la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 ;
- l'ordonnance n° 2010-379 du 14 avril 2010 ;
- l'ordonnance n° 2015-1207 du 30 septembre 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Barrois de Sarigny, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Xavier Domino, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de M.B..., et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de l'agence française de lutte contre le dopage ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) » ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
2. Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, M. B...demande, à l'appui du recours qu'il a formé contre la décision du 6 juillet 2017 par laquelle l'Agence française de lutte contre le dopage lui a notamment infligé la sanction d'interdiction de participer pendant deux ans aux manifestations sportives organisées ou autorisées par la Fédération française d'équitation, la Société hippique française, la Fédération française du sport d'entreprise, la Fédération sportive et culturelle de France, la Fédération sportive et gymnique du travail et l'Union française des oeuvres laïques d'éducation physique, que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions, d'une part, du 3 ° de l'article L. 232-22 du code du sport et, d'autre part, du I de l'article L. 232-23-3-3 et de l'article L. 232-23-3-10 du même code ;
En ce qui concerne le 3 ° de l'article L. 232-22 du code du sport :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 232-22 du code du sport, issu de l'ordonnance du 14 avril 2010 relative à la santé des sportifs et à la mise en conformité du code du sport avec les principes du code mondial antidopage, ratifiée par la loi du 1er février 2012 visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs : « En cas d'infraction aux dispositions des articles L. 232-9, L. 232-9-1, L. 232-10, L. 232-14-5, L. 232-15, L. 232-15-1 ou L. 232-17, l'Agence française de lutte contre le dopage exerce un pouvoir de sanction dans les conditions suivantes : / (...) 3 ° Elle peut réformer les décisions prises en application de l'article L. 232-21. Dans ces cas, l'agence se saisit, dans un délai de deux mois à compter de la réception du dossier complet, des décisions prises par les fédérations agréées » ;
4. Considérant que ces dispositions législatives sont applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ; qu'elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux principes d'indépendance et d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, soulève, compte tenu des décisions du Conseil constitutionnel n° 2011-200 QPC du 2 décembre 2011, n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012, n° 2013-331 QPC du 5 juillet 2013, n° 2013-359 QPC du 13 décembre 2013, n° 2015-489 QPC du 14 octobre 2015 et n° 2016-616/617 QPC du 9 mars 2017, une question présentant un caractère sérieux ; qu'il y a lieu, par suite, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;
En ce qui concerne les articles L. 232-23-3-3 et L. 232-23-3-10 du code du sport :
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 232-23-3-3 du code du sport, issu de l'ordonnance du 30 septembre 2015 relative aux mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer le respect des principes du code mondial antidopage, ratifiée par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé : « I.- La durée des mesures d'interdiction mentionnées au 1 ° du I de l'article L. 232-23 à raison d'un manquement à l'article L. 232-9 : / a) Est de quatre ans lorsque ce manquement est consécutif à l'usage ou à la détention d'une substance non spécifiée. Cette durée est ramenée à deux ans lorsque le sportif démontre qu'il n'a pas eu l'intention de commettre ce manquement ; / b) Est de deux ans lorsque ce manquement est consécutif à l'usage ou à la détention d'une substance spécifiée. Cette durée est portée à quatre ans lorsque l'Agence française de lutte contre le dopage démontre que le sportif a eu l'intention de commettre ce manquement. / II.-Les substances spécifiées et les substances non spécifiées mentionnées au I, dont l'usage ou la détention sont prohibés par l'article L. 232-9, sont celles qui figurent à l'annexe I à la convention internationale mentionnée à l'article L. 230-2 » ; qu'aux termes de l'article L. 232-23-3-10 du même code, issu de la même ordonnance : « La durée des mesures d'interdiction prévues aux articles L. 232-23-3-3 à L. 232-23-3-8 peut être réduite par une décision spécialement motivée lorsque les circonstances particulières de l'affaire le justifient au regard du principe de proportionnalité » ; que M. B... soutient que ces dispositions sont contraires au principe de nécessité et d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
6. Considérant, d'une part, que si les dispositions du b de l'article L. 232-23-3-3 permettent de prononcer une sanction pour réprimer un manquement qui ne repose que sur un élément matériel, sans exiger qu'il revête un caractère intentionnel, elles n'ont pas pour effet d'instituer une présomption irréfragable de culpabilité à l'encontre du sportif qui a fait l'objet d'un contrôle antidopage positif ; qu'en effet, ni ces dispositions ni aucune autre disposition du code du sport ne privent le sportif de la possibilité d'apporter, dans le cadre de la procédure disciplinaire dont il est l'objet et au cours de laquelle est assuré le respect des droits de la défense, tous éléments de nature à établir que la présence dans le prélèvement de substances interdites est le fruit d'une contamination alimentaire ou d'un acte de malveillance dont il a été victime, en dépit de l'absence de toute négligence de sa part et, par voie de conséquence, de n'être pas sanctionné ;
7. Considérant, d'autre part, que, s'il ne saurait interdire de fixer des règles assurant une répression effective des infractions, le principe de nécessité des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration de 1789 implique qu'une sanction administrative ayant le caractère d'une punition ne puisse être appliquée que si l'autorité compétente la prononce expressément en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce ; que si les dispositions de l'article L. 232-23-3-3 du code du sport fixent en principe la durée des mesures d'interdiction susceptibles d'être prononcées à raison des manquements à l'article L. 232-9 du même code, les dispositions de l'article L. 232-23-3-10 ouvrent à l'autorité compétente la possibilité de prendre en compte des circonstances propres à chaque espèce et de réduire, le cas échéant, la durée des mesures d'interdiction prononcées à titre de sanction ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question soulevée à l'encontre des articles L. 232-23-3-3 et L. 232-23-3-10 du code du sport, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; que dès lors, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions du 3 ° de l'article L. 232-22 du code du sport est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution des dispositions des articles L. 232-23-3-3 et L. 232-23-3-10 du code du sport.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A...B..., à l'Agence française de lutte contre le dopage, à la Fédération française d'équitation et à la ministre des sports.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.