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Décision n° 2013-675 DC du 9 octobre 2013 - Observations de sénateurs

Loi organique relative à la transparence de la vie publique
Non conformité partielle - réserve - déclassement organique

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Alors que l'Assemblée nationale vient d'adopter définitivement la loi organique relative à la transparence de la vie publique, je me permets de vous adresser, au nom du groupe UMP du Sénat, quelques observations relatives à ce texte, dont vous allez contrôler la conformité à la Constitution.

Ces observations portent sur l'atteinte à la vie privée, à la liberté d'entreprendre, à la sincérité du scrutin, à la séparation des pouvoirs, au principe de légalité des délits et des peines ainsi qu'à la rupture d'égalité et à l'inversion de la charge de la preuve induites par ce texte.

Le principe de respect de la vie privée se fonde sur l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui dispose que : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ».

Dans une décision du 23 juillet 1999, votre Conseil a estimé que cet article « implique le respect de la vie privée ». Puis, dans la décision du 22 mars 2012 votre Conseil a précisé comment le respect de la vie privée devait être contrôlé, en l'occurrence, en vérifiant si l'atteinte à la vie privée réalisée par le législateur est proportionnée au but poursuivi par la loi.

Or, l'article 1er de la loi organique qui vous est soumise au contrôle dispose que les parlementaires devront adresser à la nouvelle Haute autorité de la transparence de la vie publique et au bureau de la chambre dans laquelle ils siègent, une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d'intérêts et d'activités. Les informations exigées dans ces déclarations sont des informations personnelles qui n'ont aucun lien, pour la plupart d'entre elles, avec le mandat exercé.

De plus, cet article 1er prévoit que ces déclarations seront rendues publiques par la Haute Autorité, et qu'elles seront tenues à la disposition des électeurs inscrits sur les listes électorales, selon des modalités définies par décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

Or, si le Conseil Constitutionnel admet que des atteintes au respect de la vie privée peuvent être consenties par le législateur, votre conseil a eu l'occasion de rappeler que ces atteintes doivent se justifier au regard du but recherché par la loi.

Dans le cas en l'espèce le but recherché est d'identifier et de sanctionner des enrichissements inexpliqués ou des conflits d'intérêts dont des parlementaires auraient pu se rendre coupables durant l'exercice de leur mandat.

Il apparait donc totalement injustifié de rendre publique les déclarations de patrimoine et d'intérêts ; cette publicité ne saurait en aucun cas faciliter l'identification et la condamnation de ces enrichissements inexpliqués. Au contraire, la publicité faite autour de ces déclarations ne sera pas de nature à favoriser l'exercice impartial et indépendant de la justice.

De plus, la loi soumise à votre contrôle dispose que ces déclarations d'intérêts devront préciser « Les activités professionnelles exercées à la date de la déclaration par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin, les enfants et les parents ».

Ces informations sont de nature personnelle. Elles sont personnelles pour le parlementaire, mais elles sont également personnelles pour le conjoint, concubin, ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité, pour les enfants, et pour les parents.

Dans ce cas, le devoir de transparence, qui peut se justifier lorsqu'il ne s'applique qu'aux personnes qui choisissent d'exercer un mandat parlementaire, trouvera à s'imposer à des personnes qui ne sont en aucun cas liées, ni responsables, du choix d'un des membres de leur famille d'exercer le mandat de parlementaire.
Cette autre atteinte manifeste au respect de la vie privée ne saurait être justifiée par la poursuite de l'intérêt général au motif qu'il s'agit de lutter contre les conflits d'intérêts. En effet, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, les bureaux des assemblées, et le Conseil Constitutionnel sont capables d'identifier et de sanctionner des conflits d'intérêts sans disposer d'office d'informations qui relèvent de la vie privée.

Par ailleurs, il m'a paru important de relever que cette loi entrave indéniablement selon nous la liberté d'entreprendre. En effet, la liberté d'exercer un mandat parlementaire introduira, par ce texte, une obligation légale pour un tiers.

Le principe de la liberté d'entreprendre se fonde sur l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui dispose que : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».

Or, la présente loi organique dispose que les parlementaires devront déclarer les activités professionnelles exercées, à la date de la déclaration, par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin, les enfants et les parents. Ainsi, l'entourage des parlementaires se verra imposer une obligation légale, non du fait d'un choix personnel, mais du choix d'un des membres de leur famille ou de leur entourage d'exercer un mandat parlementaire. En d'autres termes, le libre choix d'un citoyen d'exercer un mandat, liberté qui lui est assuré par l'article 4 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, entrainera une obligation légale pour un membre de son entourage qui ne sera pas lié à ce choix puisque celui-ci est personnel.

Le Parlementaire, comme tout citoyen, n'est pas en droit d'exiger de tiers des informations personnes, surtout si celles-ci sont destinées à être rendues publiques.

De plus, l'exercice d'un mandat parlementaire, tel que cette loi prévoit de l'imposer, limitera la liberté d'entreprendre du parlementaire et de son entourage.

En effet, l'article 2 dispose que « Le Bureau de l'Assemblée nationale examine si les activités professionnelles ou d'intérêt général mentionnées par les députés dans la déclaration d'intérêts et d'activités, en application du 11 ° du III de l'article L.O. 135-1, sont compatibles avec le mandat parlementaire. ». Cette disposition vient compléter l'article L.O 151-2 du code électoral relatif aux incompatibilités qui dispose par ailleurs que : « s'il y a doute sur la compatibilité des fonctions ou activités exercées, le bureau de l'Assemblée nationale, le garde des sceaux, ministre de la justice, ou le député lui-même saisit le Conseil constitutionnel » puis que : « Si le Conseil constitutionnel décide que le député est en situation d'incompatibilité, ce dernier régularise sa situation au plus tard le trentième jour qui suit la notification de la décision du Conseil constitutionnel. A défaut, le Conseil constitutionnel le déclare démissionnaire d'office de son mandat. »

Ainsi, un intérêt particulier d'un parlementaire peut déboucher sur une injonction du Conseil Constitutionnel à l'endroit de ce parlementaire, disposition qui existait auparavant et qui se justifie.

Seulement, la loi invoquée prévoit que le Bureau de l'assemblée concernée puis le Conseil Constitutionnel fondent désormais leurs avis à partir des déclarations d'intérêts prévues à l'article L.O. 135-1, et donc à partir des activités professionnelles exercées aussi, à la date de la déclaration, par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin, les enfants et les parents.

C'est-à-dire que le Bureau de l'assemblée concernée et le Conseil Constitutionnel se prononceront désormais sur la compatibilité de l'exercice du mandat parlementaire avec les activités professionnelles exercées à la date de la déclaration par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin, les enfants et les parents. De facto, le Bureau de l'assemblée et le Conseil Constitutionnel pourront identifier une situation d'incompatibilité qui sera le fait d'une personne de l'entourage d'un parlementaire et non pas du parlementaire lui-même. En conséquence, cette loi risque de conduire à une injonction du Conseil Constitutionnel à l'endroit d'un membre de l'entourage d'un parlementaire alors que celui-ci n'est nullement responsable ou lié à la décision du parlementaire d'exercer un mandat parlementaire.

Cette loi empêchera les parlementaires d'exercer certaines activités professionnelles. En effet, elle dispose qu' : « Il est interdit à tout député de commencer à exercer une activité professionnelle qui n'était pas la sienne avant le début de son mandat » ; et qu' : « Il est interdit à tout député d'exercer une fonction de conseil, sauf dans le cadre d'une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, qu'il exerçait avant le début de son mandat ».

En conséquence, un parlementaire ne pourra plus entreprendre aucune activité professionnelle durant la durée de son mandat, ni même exercer une activité de conseil, même s'il avait débuté cette activité auparavant.

Ces dispositions sont d'autant moins justifiables que l'exercice d'un mandat parlementaire ne peut nullement être assimilé à un emploi. A ce titre, les parlementaires ne reçoivent pas de salaires, mais des indemnités, et ne sont donc pas soumis à la durée maximale légale de travail, ce qui prouve bien que le mandat parlementaire n'est pas une activité professionnelle.

Aussi, les dispositions de cette loi empêcheront à un parlementaire, sans activité professionnelle avant l'exercice de son mandat parlementaire, de pouvoir, pendant la durée de son mandat, entamer la moindre activité professionnelle, afin de prévoir la suite de sa professionnelle à l'issue de son mandat.

Cette disposition va au-delà des dispositions susceptibles d'être justifiées par la nécessité de protéger l'indépendance des parlementaires, qui elle seule peut justifier constitutionnellement des restrictions au libre exercice d'une activité professionnelle par un citoyen quel qu'il soit.

Les sénateurs de mon groupe estiment également que cette loi porte atteinte à la sincérité du scrutin. Cette exigence constitutionnelle se fonde sur l'article 3 de la Constitution, qui dispose que : « Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret ».

Ce principe constitutionnel a fait émerger progressivement plusieurs principes fondamentaux du droit électoral. Parmi ceux-ci, on trouve l'égalité des conditions de la compétition, la neutralité et l'objectivité de l'État, ainsi que l'égal accès aux fonctions électives.

Cette égalité implique que les citoyens français disposant du droit de vote et répondant aux conditions d'éligibilité puissent se présenter aux élections qui rythment la vie démocratique française. Cet impératif constitutionnel a notamment été précisé dans la décision de votre conseil du 30 mars 2000 sur la loi relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice.

Or, l'article 2 dispose qu' : « Il est interdit à tout député d'exercer une fonction de conseil, sauf dans le cadre d'une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, qu'il exerçait avant le début de son mandat ».

Cette disposition aura donc pour conséquence d'exclure de la compétition électorale les citoyens exerçant antérieurement aux élections des fonctions de conseil. En effet, leur activité professionnelle étant soumise à un régime d'incompatibilité particulier, la perspective de ne pas pouvoir conserver son activité professionnelle antérieure durant l'exercice de son mandat conduira inexorablement à éliminer de la compétition électorale les Français exerçant des fonctions de conseil. En conséquence, cette disposition va restreindre l'accès aux fonctions électives d'une partie de nos concitoyens pour une raison qui ne tient nullement à une louable préoccupation de séparation des pouvoirs.

Ainsi, cette interdiction créera une inégalité dans l'accès aux fonctions électives, une inégalité des conditions de la compétition électorale et créera également une atteinte à l'objectivité de l'Etat, puisque le législateur a décidé que le législateur sélectionne, selon leur activité professionnelle, les personnes habilitées à briguer un mandat parlementaire.

Alors que le principe d'égalité a pour fondement l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui dispose que la loi : « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents », nous considérons que cette loi crée une véritable rupture de ce principe.

Le champ d'application de ce principe est très large, ainsi, la matière électorale ne saurait échapper au respect de ce principe. Dans ce cadre, le principe d'égalité devient l'égalité des conditions de la compétition, déclinaison du principe de sincérité du scrutin. Ce principe veut donc que dans le cadre de la compétition électorale, les candidats puissent bénéficier d'un traitement identique.

Or, cette loi organique prévoit que les parlementaires fournissent des déclarations de patrimoine au Président de la Haute Autorité de la transparence de la vie publique ainsi qu'au Bureau de l'Assemblée nationale et que ces déclarations seront rendues publiques. Les parlementaires seront donc dans l'obligation de fournir le détail de leur patrimoine et de leurs intérêts, au début et à la fin de leur mandat, ainsi qu'en cas de modification substantielle de leur patrimoine ou de leurs intérêts.

Par conséquent, dans le cadre des campagnes électorales dans lesquelles les parlementaires seront amenés à briguer un nouveau mandat, les électeurs de leur circonscription d'élection auront toute la liberté de consulter leurs déclarations de patrimoine et d'intérêts. Ces consultations libres ne sont bien-sûr pas neutres d'un point de vue électoral puisque la déclaration de patrimoine révèlera des éléments très personnels des candidats parlementaires. Aussi, les candidats sortants aux élections législatives et sénatoriales seront soumis à l'analyse et au jugement de leurs situations patrimoniale et de leurs intérêts particuliers, alors que les candidats non sortants, nullement concernés par ces obligations déclaratives échapperont à ces analyses et jugements. Il ressort donc de cette situation une inégalité des conditions de la compétition électorale, car les candidats à une même élection ne seront pas soumis au même régime d'obligation.

Cette loi porte également atteinte, selon nous à la séparation des pouvoirs.

Le principe de l'inviolabilité de la fonction parlementaire est garanti par l'article 26 de la Constitution qui dispose qu' : « Aucun membre du Parlement ne peut faire l'objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d'une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation du bureau de l'assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n'est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive ». Malgré cette exigence, il semble que la présente loi introduise des dispositions manifestement contraires au principe d'inviolabilité des parlementaires.

En effet, le 4 ° du I de l'article 1er dispose que : « Le fait pour un député d'omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts ou de fournir une évaluation mensongère de son patrimoine est puni d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende. Peuvent être prononcées, à titre complémentaire, l'interdiction des droits civiques selon les modalités prévues aux articles 131-26 et 131-26-1 du code pénal, ainsi que l'interdiction d'exercer une fonction publique selon les modalités prévues à l'article 131-27 du même code. »

Le IV de l'article 1 de la présente loi organique dispose aussi que « Le fait pour un député de ne pas déférer aux injonctions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ou de ne pas lui communiquer les informations et pièces utiles à l'exercice de sa mission dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'injonction ou de la demande de communication est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende ».

De plus, le même IV de l'article 1 dispose que : « Dans tous les cas où elle a relevé, après que le député a été mis en mesure de produire ses observations, un manquement à l'une des obligations prévues aux articles L.O. 135-1 et L.O. 135-4 ou des évolutions de patrimoine pour lesquelles elle ne dispose pas d'explications suffisantes, la Haute Autorité transmet le dossier au parquet ».

De cette manière, ces dispositions introduisent de nouveaux délits pénaux, et donc de nouvelles possibilités de poursuites et de condamnations à l'encontre des parlementaires. Délits qui, de fait, ne peuvent s'appliquer qu'à des parlementaires.

Or, si les assemblées peuvent, en vertu des prérogatives qu'elles tiennent de la Constitution, suspendre les poursuites pour manquement aux obligations déclaratives ou pour un enrichissement que le parlementaire n'aura pu expliquer, possibilité qui découle de l'article 26 de la Constitution, dans le cadre dette nouvelle loi, ces nouveaux délits pénaux ont été conçus exclusivement à l'endroit des parlementaires et systématiquement, puisque les bureaux des assemblées concernées ne pourront pas suspendre les poursuites.

De plus, la concomitance de ces dispositions avec la publicité qui est faite autour des déclarations de situations patrimoniales ou des déclarations d'intérêts et d'activités conduira à ce que les parlementaires soient sans relâche sous la pression des électeurs, des associations, des médias, et de leurs adversaires politiques, dans de domaines relevant de leur vie privée.

L'inviolabilité des parlementaires, exigence constitutionnelle qui doit se comprendre comme la volonté de soustraire les parlementaires aux pressions extérieurs sera donc mise à mal avec les dispositions de cette loi.

La séparation des pouvoirs est également le fait de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui dispose que : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».

Or, l'article 12 de la loi relative à la transparence de la vie publique dispose que la Haute autorité de la transparence de la vie publique chargée de contrôler les évolutions inexpliquées du patrimoine des parlementaires et d'identifier d'éventuelles conflits d'intérêts, est composée d'un Président nommé par décret du Président de la République, de deux conseillers d'État, de deux conseillers à la Cour de cassation, de deux conseillers-maîtres à la Cour des comptes, ainsi que de deux personnalités qualifiées nommées par le Président de l'Assemblée nationale, et deux nommées par le Président du Sénat.

La Haute autorité sera donc composée de membres nommés par le pouvoir exécutif, de membres issus du pouvoir judiciaire, de membres issus de l'administration, n'ayant pas le pouvoir de régler, au titre du pouvoir judiciaire, la question des conflits d'intérêts et des enrichissements inexpliqués.

En d'autres termes, les parlementaires qui, conformément à l'article 3 de la Constitution, sont une émanation de la souveraineté populaire, puisque « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum », seront soumis à un contrôle de probité par des personnes non élues et liées à des pouvoirs et autorités extérieures au Parlement.

De plus, instituer un organisme indépendant du Parlement pour contrôler celui-ci laisse supposer une méconnaissance du deuxième alinéa de l'article 3 de la Constitution qui rappelle que : « Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice ».

Aussi, parce que les prérogatives confiées à la Haute autorité de la transparence de la vie publique impliquent un contrôle du Parlement, il nous parait que cette loi organique est contraire à la Constitution.

Les requérants estiment également que cette loi organique porte atteinte au principe de légalité des délits et des peines. Le principe de légalité des délits et des peines est issu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui dispose que : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».

Votre Conseil a eu de nombreuses fois l'occasion de préciser ce principe, et notamment dans sa décision du 4 mai 2012 dans laquelle il est précisé que le législateur doit : « fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ».

Ainsi, cette exigence doit se comprendre comme l'obligation d'établir des délits suffisamment clairs et précis pour que chacun puisse connaitre par avance le caractère légal de ses agissements.

Or, le IV de l'article 1er dispose que : « Lorsqu'une déclaration déposée en application de l'article L.O. 135-1 est incomplète ou lorsqu'il n'a pas été donné suite à une demande d'explications de la Haute Autorité, celle-ci adresse au député une injonction tendant à ce que la déclaration complétée ou les explications demandées lui soient transmises sans délai. » et que « Le fait pour un député de ne pas déférer aux injonctions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ou de ne pas lui communiquer les informations et pièces utiles à l'exercice de sa mission dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'injonction ou de la demande de communication est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende ».

La loi disposant ensuite que : « Dans tous les cas où elle a relevé, après que le député a été mis en mesure de produire ses observations, un manquement à l'une des obligations prévues aux articles L.O. 135-1 et L.O. 135-4 ou des évolutions de patrimoine pour lesquelles elle ne dispose pas d'explications suffisantes, la Haute Autorité transmet le dossier au parquet ».

En conséquence de quoi, les parlementaires pourront être poursuivis et condamnés pour ne pas avoir respecté les injonctions de la Haute autorité.

Si le respect d'une injonction semble être une exigence précise, il convient de se demander quelles sont ces injonctions. En d'autres termes, les parlementaires pourront être poursuivis et condamnés car les informations et les explications qu'ils auront transmises à la Haute autorité auront été jugées insatisfaisantes par cette-dernière. Les parlementaires seront donc soumis à un choix arbitraire de la part de la Haute autorité.

Aussi les parlementaires pourront être punis pour ne pas avoir suffisamment éclairé la Haute autorité sur l'évolution de leur patrimoine, alors même qu'ils ne sont pas en mesure de savoir à l'avance si les explications qu'ils vont fournir seront satisfaisantes aux yeux de la Haute autorité.

C'est pourquoi nous estimons que cette loi entrave le principe cité précédemment.

Enfin, cette loi inverse, selon nous, la charge de la preuve. Le principe constitutionnel de respect de la charge de la preuve se fonde sur l'article 9 de la Déclaration de 1789 qui dispose que : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».

Ce principe trouva notamment à s'appliquer dans la décision du 16 juin 1999. Dans cette décision, votre Conseil a estimé « qu'en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ; que, toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu'est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité ».

Or, au IV de l'article 1er, il est précisé à propos des prérogatives de la Haute autorité de la transparence de la vie publique que : « Dans tous les cas où elle a relevé, après que le député a été mis en mesure de produire ses observations, un manquement à l'une des obligations prévues aux articles L.O. 135-1 et L.O. 135-4 ou des évolutions de patrimoine pour lesquelles elle ne dispose pas d'explications suffisantes, la Haute Autorité transmet le dossier au parquet ».

Avec cette disposition, le législateur admet que c'est au parlementaire de fournir les explications suffisantes qui justifieront une évolution de son patrimoine, et non à la Haute autorité de prouver que l'évolution du patrimoine du parlementaire est injustifiée. Il s'agit dont clairement d'une inversion de la charge de la preuve.

Or, puisque cette inversion de la charge de la preuve ne saurait être justifiée, au regard des critères que votre Conseil a eu l'occasion de rappeler, il convient de déclarer contraire à la Constitution cette loi organique.

Pour tous ces motifs, Monsieur le Président, mesdames et messieurs les Conseillers, mes collègues et moi-même attirons votre attention sur cette loi organique qui entrave un certain nombre de principes constitutionnels.