Décision n° 2017-749 DC du 31 juillet 2017
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 22 février 2017 par Mmes Danielle AUROI, Laurence ABEILLE, Sylviane ALAUX, Brigitte ALLAIN, MM. Pouria AMIRSHAHI, François ASENSI, Christian ASSAF, Mme Isabelle ATTARD, MM. Bruno-Nestor AZEROT, Alexis BACHELAY, Frédéric BARBIER, Serge BARDY, Mme Delphine BATHO, MM. Laurent BAUMEL, Philippe BAUMEL, Mmes Huguette BELLO, Karine BERGER, MM. Jean-Pierre BLAZY, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Mmes Michèle BONNETON, Kheira BOUZIANE, Isabelle BRUNEAU, Marie-George BUFFET, Sabine BUIS, MM. Jean-Jacques CANDELIER, Jean-Noël CARPENTIER, Patrice CARVALHO, Christophe CAVARD, Mme Nathalie CHABANNE, MM. Jean-Paul CHANTEGUET, Gaby CHARROUX, André CHASSAIGNE, Pascal CHERKI, Jean-Michel CLÉMENT, Sergio CORONADO, Mme Valérie CORRE, MM. Jean-Jacques COTTEL, Marc DOLEZ, Mmes Jeanine DUBIÉ, Cécile DUFLOT, M. Jean-Louis DUMONT, Mme Laurence DUMONT, MM. Philippe DURON, Olivier FALORNI, Hervé FÉRON, Christian FRANQUEVILLE, Mmes Jacqueline FRAYSSE, Geneviève GAILLARD, MM. Yann GALUT, Jean-Marc GERMAIN, Jean-Patrick GILLE, Joël GIRAUD, Yves GOASDOUÉ, Mmes Linda GOURJADE, Édith GUEUGNEAU, MM. Benoît HAMON, Mathieu HANOTIN, Serge JANQUIN, Régis JUANICO, Laurent KALINOWSKI, Philippe KEMEL, Mme Chaynesse KHIROUNI, MM. Jacques KRABAL, Jean-Luc LAURENT, Mme Annie LE HOUEROU, M. Patrick LEMASLE, Mme Catherine LEMORTON, MM. Christophe LÉONARD, Michel LESAGE, Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, MM. Jean-Pierre MAGGI, Noël MAMÈRE, Mme Marie-Lou MARCEL, M. Alfred MARIE-JEANNE, Mme Martine MARTINEL, M. Jean-René MARSAC, Mme Véronique MASSONNEAU, MM. Kléber MESQUIDA, Pierre-Alain MUET, Jean-Philippe NILOR, Philippe NOGUÈS, Christian PAUL, Rémi PAUVROS, Mme Christine PIRES-BEAUNE, MM. Dominique POTIER, Michel POUZOL, Joaquim PUEYO, Mmes Catherine QUÉRÉ, Valérie RABAULT, Monique RABIN, Marie-Line REYNAUD, MM. Denys ROBILIARD, Frédéric ROIG, Mme Barbara ROMAGNAN, MM. Jean-Louis ROUMÉGAS, Nicolas SANSU, Mme Éva SAS, M. Gérard SÉBAOUN, Mmes Julie SOMMARUGA, Suzanne TALLARD, M. Stéphane TRAVERT, Mmes Catherine TROALLIC, Cécile UNTERMAIER, MM. Michel VERGNIER, Jean-Michel VILLAUMÉ, Mme Paola ZANETTI, et le 20 mars 2017, par MM. Paul MOLAC, Philippe NAILLET et Mme Aurélie FILIPPETTI, députés, en application de l'article 54 de la Constitution, de la question de savoir si l'autorisation de ratifier l'accord économique et commercial global entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part, signé le 30 octobre 2016 à Bruxelles et approuvé par le Parlement européen le 15 février 2017, doit être précédée d'une révision de la Constitution.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution, notamment son article 88-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le traité sur l'Union européenne ;
- l'avis 2/15 de la Cour de justice de l'Union européenne du 16 mai 2017 ;
- la décision (UE) 2017/38 du Conseil du 28 octobre 2016 relative à l'application provisoire de l'accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part ;
Et après avoir entendu les rapporteurs ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'accord économique et commercial global entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part, a été signé le 30 octobre 2016. Il a été approuvé par le Parlement européen le 15 février 2017. Le Conseil constitutionnel est saisi afin d'apprécier si cet accord comporte une clause contraire à la Constitution.
2. Les députés requérants soutiennent que l'accord introduit des règles contraignantes pour l'élaboration des normes de droit interne dans une mesure qui affecte les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. Ils contestent également la constitutionnalité des stipulations de la section F du chapitre 8 de l'accord relatif à l'investissement et font valoir que l'accord méconnaît le principe de précaution énoncé à l'article 5 de la Charte de l'environnement. Ils estiment enfin que les stipulations relatives à l'application provisoire de l'accord et à sa dénonciation sont contraires à la Constitution.
3. L'accord comporte trente chapitres. Le chapitre 1er énonce l'objet et les finalités de l'accord et comporte un ensemble de définitions générales. Le chapitre 2 concerne le traitement national et l'accès aux marchés pour les marchandises. Le chapitre 3 porte sur les recours commerciaux. Les chapitres 4 et 5 concernent les obstacles non tarifaires aux échanges de marchandises résultant de réglementations techniques et de mesures sanitaires et phytosanitaires. Le chapitre 6 contient des stipulations en matière de douanes. Le chapitre 7 est relatif aux subventions. Le chapitre 8 porte sur les investissements et institue, à sa section F, un mécanisme de règlement des différends relatifs aux investissements entre investisseurs et États. Le chapitre 9 concerne le commerce transfrontière des services. Le chapitre 10 comporte des stipulations relatives à l'admission et au séjour temporaires des personnes physiques à des fins professionnelles. Le chapitre 11 est relatif à la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles. Le chapitre 12, intitulé « Réglementation intérieure », s'applique aux octrois de licences. Les chapitres 13 à 16 concernent les services financiers, les services de transport maritime international, les télécommunications et le commerce électronique. Le chapitre 17 est relatif à la politique de la concurrence. Le chapitre 18 porte sur les entreprises d'État, monopoles et entreprises bénéficiant de droits ou de privilèges spéciaux. Les chapitres 19 et 20 sont relatifs aux marchés publics et à la propriété intellectuelle. Le chapitre 21 traite de la coopération en matière de réglementation. Les chapitres 22 à 24 comportent des stipulations transversales relatives au commerce et au développement durable, au commerce et au travail et au commerce et à l'environnement. Le chapitre 25 concerne la coopération et les dialogues bilatéraux. Le chapitre 26 est relatif aux dispositions administratives et institutionnelles. Le chapitre 27 est consacré à la transparence. Le chapitre 28 est relatif à certaines exceptions. Le chapitre 29 instaure des procédures de règlement des différends. Le chapitre 30 contient des stipulations générales et finales.
4. Ces chapitres sont complétés par un instrument interprétatif commun, par trente-huit déclarations et par des annexes. Ainsi que l'indique l'article 30.1 de l'accord, les « protocoles, annexes, déclarations, déclarations communes, mémorandums d'accord et notes de bas de page » de l'accord en font partie intégrante.
- SUR LES NORMES DE RÉFÉRENCE ET LE CONTRÔLE EXERCÉ PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL :
5. Par le préambule de la Constitution de 1958, le peuple français a proclamé solennellement « son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 ».
6. Dans son article 3, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 énonce que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ». L'article 3 de la Constitution de 1958 dispose, dans son premier alinéa, que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
7. Le préambule de la Constitution de 1946 proclame, dans son quatorzième alinéa, que la République française se « conforme aux règles du droit public international » et, dans son quinzième alinéa, que « sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix ».
8. Dans son article 53, la Constitution de 1958 consacre l'existence de « traités ou accords relatifs à l'organisation internationale ». Ces traités ou accords ne peuvent être ratifiés ou approuvés par le Président de la République qu'en vertu d'une loi.
9. La République française participe à l'Union européenne dans les conditions prévues par le titre XV de la Constitution. Aux termes de l'article 88-1 de la Constitution : « La République participe à l'Union européenne, constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ». Le constituant a ainsi consacré l'existence d'un ordre juridique de l'Union européenne intégré à l'ordre juridique interne et distinct de l'ordre juridique international.
10. Tout en confirmant la place de la Constitution au sommet de l'ordre juridique interne, ces dispositions constitutionnelles permettent à la France de participer à la création et au développement d'une organisation européenne permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts de compétences consentis par les États membres.
11. Toutefois, lorsque des engagements souscrits à cette fin ou en étroite coordination avec celle-ci contiennent une clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle.
12. Dans le cas où le Conseil constitutionnel est saisi, sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, d'un accord qui devait être signé et conclu tant par l'Union européenne que par chacun des États membres de celle-ci, il lui appartient de distinguer entre, d'une part, les stipulations de cet accord qui relèvent d'une compétence exclusive de l'Union européenne en application d'engagements antérieurement souscrits par la France ayant procédé à des transferts de compétences consentis par les États membres et, d'autre part, les stipulations de cet accord qui relèvent d'une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres ou d'une compétence appartenant aux seuls États membres.
13. S'agissant des stipulations de l'accord qui relèvent d'une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres ou d'une compétence appartenant aux seuls États membres, il revient au Conseil constitutionnel, comme il est rappelé au paragraphe 11, de déterminer si ces stipulations contiennent une clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
14. S'agissant, en revanche, des stipulations de l'accord qui relèvent d'une compétence exclusive de l'Union européenne, il revient seulement au Conseil constitutionnel, saisi afin de déterminer si l'autorisation de ratifier cet accord implique une révision constitutionnelle, de veiller à ce qu'elles ne mettent pas en cause une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France. En l'absence d'une telle mise en cause, il n'appartient qu'au juge de l'Union européenne de contrôler la compatibilité de l'accord avec le droit de l'Union européenne.
15. C'est au regard de ces principes qu'il revient au Conseil constitutionnel de procéder à l'examen de l'accord économique et commercial global entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part, tel que défini aux paragraphes 3 et 4.
- SUR LA DISTINCTION ENTRE LES STIPULATIONS DE L'ACCORD QUI RELÈVENT DE LA COMPÉTENCE EXCLUSIVE DE L'UNION EUROPÉENNE ET CELLES QUI RELÈVENT D'UNE COMPÉTENCE PARTAGÉE AVEC LES ÉTATS MEMBRES :
16. L'accord a comme objectif, selon son préambule, de créer un marché élargi et sûr pour les marchandises et les services des parties et d'établir des règles claires, transparentes, prévisibles et mutuellement avantageuses pour régir leurs échanges commerciaux et leurs investissements.
17. Il se déduit des principes dégagés par l'avis du 16 mai 2017 de la Cour de justice de l'Union européenne mentionné ci-dessus que ne relèvent de la compétence exclusive de l'Union européenne ni les stipulations de l'accord figurant au chapitre 8 relatives aux investissements autres que directs, ni celles qui définissent, à sa section F, la procédure de règlement des différends relatifs aux investissements entre investisseurs et États. Il en va de même des stipulations des chapitres 1er, 21, 26, 27, 28, 29 et 30, pour autant que celles-ci concernent une compétence partagée entre l'Union européenne et ses États membres.
- SUR LES STIPULATIONS DU CHAPITRE 8 QUI RELÈVENT D'UNE COMPÉTENCE PARTAGÉE ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET SES ÉTATS MEMBRES :
18. Le chapitre 8 de l'accord est relatif à l'investissement. Sa section A contient des définitions, fixe le champ d'application du chapitre et comporte les stipulations relatives à ses relations avec les autres chapitres. Les stipulations du chapitre 8 s'appliquent ainsi à « tout type d'actif qu'un investisseur détient ou contrôle, directement ou indirectement, et qui présente les caractéristiques d'un investissement, y compris une certaine durée ainsi que d'autres caractéristiques telles que l'engagement de capitaux ou d'autres ressources, l'attente de gains ou de profits, ou l'acceptation du risque ». La section B porte sur l'« établissement d'investissements » et traite en particulier de l'accès aux marchés. La section C est relative au traitement non discriminatoire. La section D énonce les principes qui régissent la protection des investissements. La section E couvre les réserves et les exceptions. La section F institue un mécanisme de règlement des différends relatifs aux investissements entre investisseurs et États.
19. Le chapitre 8 de l'accord reconnaît ainsi aux investisseurs entrant dans le champ d'application de l'accord certains droits substantiels, tels que le traitement national, le traitement de la nation la plus favorisée, le traitement juste et équitable et la protection contre les expropriations directes ou indirectes.
20. Ces investisseurs relèvent en outre, en cas de litige avec l'État d'accueil de l'investissement ou l'Union européenne, d'une procédure spécifique de règlement des différends, qui comporte notamment un « Tribunal » et un « Tribunal d'appel ». Après une phase de consultations prévue par l'article 8.19, et compte tenu de la possibilité offerte par l'article 8.20 de recourir à la médiation, l'investisseur peut, passé un délai de quatre-vingt-dix jours suivant la présentation de la demande de consultations, présenter une demande de détermination du défendeur à l'Union européenne. Selon l'article 8.21, l'Union détermine s'il s'agit d'un État membre ou de l'Union elle-même. Selon l'article 8.22, une fois la procédure engagée, qui doit respecter plusieurs exigences formelles, aucune procédure n'est plus possible devant un tribunal ou une cour en vertu du droit interne ou international. Suivant l'article 8.25, le défendeur consent au règlement du différend par le tribunal. Le mécanisme de règlement des différends est composé de deux niveaux de juridiction, les articles 8.27 et 8.28 étant respectivement relatifs au tribunal et au tribunal d'appel. Le tribunal compte quinze membres, cinq ressortissants d'États membres de l'Union, cinq ressortissants du Canada et cinq ressortissants de pays tiers. Le « comité mixte », prévu à l'article 26.1 de l'accord peut toutefois procéder à des nominations additionnelles par multiples de trois. Des exigences de qualification sont prévues. La durée du mandat des membres est déterminée. Les demandes sont instruites par un panel de trois membres. Les membres du tribunal sont rémunérés. La sentence rendue par le tribunal peut être contestée devant le tribunal d'appel pour des causes limitativement énumérées. L'article 8.30 énonce les règles d'éthique qui s'appliquent aux membres du tribunal et du tribunal d'appel. Les articles 8.32 à 8.38 fixent les règles de procédure. L'article 8.39 est relatif au pouvoir de décision du tribunal, qui peut accorder des dommages et intérêts ou la restitution de biens. L'article 8.41 est relatif à l'exécution des sentences du tribunal. Son 4 prévoit que « L'exécution de la sentence est régie par la législation relative à l'exécution des jugements ou des sentences qui est en vigueur là où l'exécution est demandée ».
21. Les députés requérants soutiennent que les stipulations de l'article 8 sont contraires au principe de précaution. Ils estiment en outre que les stipulations de la section F du chapitre 8 sont contraires à la Constitution. Selon eux, le mécanisme de règlement des différends qu'elles instituent serait contraire aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale et à l'article 88-1 de la Constitution aux motifs, d'une part, qu'il permettrait aux investisseurs du Canada, à leur seule discrétion, d'échapper à la compétence des juridictions françaises pour mettre en cause la France devant le tribunal institué par l'accord et, d'autre part, qu'il porterait atteinte aux compétences exclusives de la Cour de justice de l'Union européenne. Les règles relatives à la constitution du tribunal seraient en outre contraires aux principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions. Enfin, en accordant un privilège de juridiction aux investisseurs canadiens qui ne serait justifié ni par une différence de situation ni par un motif d'intérêt général, l'accord méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi.
. En ce qui concerne le respect des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale :
22. En premier lieu, il ressort de l'ensemble des stipulations de l'accord que celui-ci poursuit l'objectif de réduire ou supprimer les obstacles au libre-échange entre les parties. Dans ce cadre, le chapitre 8 a pour objet de contribuer à la protection des investissements réalisés dans les États parties par des investisseurs couverts par l'accord, sans faire obstacle à toute mesure que les États sont susceptibles de prendre en matière de contrôle des investissements étrangers.
23. En deuxième lieu, les pouvoirs attribués au tribunal et au tribunal d'appel sont définis par l'article 8.39 de l'accord et couvrent exclusivement « le versement de dommages pécuniaires et tout intérêt applicable » et « la restitution de biens ». En outre, s'agissant des mesures provisoires, le tribunal, en application de l'article 8.34, ne peut « ordonner une saisie ou interdire l'application de la mesure dont il est allégué qu'elle constitue une violation visée à l'article 8.23 ». Le tribunal ne détient, suivant les termes mêmes de l'accord, aucun pouvoir d'interprétation ou d'annulation des décisions prises par des organes de l'Union européenne ou de ses États membres. Selon le 4 de l'article 8.41 relatif à l'exécution des sentences : « L'exécution de la sentence est régie par la législation relative à l'exécution des jugements ou des sentences qui est en vigueur là où l'exécution est demandée ».
24. En troisième lieu, le mécanisme de règlement des différends institué par le chapitre 8 ne s'applique, selon l'article 8.18, qu'en cas de méconnaissance d'une obligation prévue, en matière de traitement non discriminatoire, « à la section C, en ce qui concerne l'expansion, la direction, l'exploitation, la gestion, le maintien, l'utilisation, la jouissance et la vente ou disposition » de son investissement ou, en matière de protection des investissements, « à la section D, si l'investisseur affirme avoir subi une perte ou un dommage en raison de la violation alléguée ».
25. En quatrième lieu, d'une part, il résulte des stipulations des articles 8.27 et 8.28 de l'accord que le tribunal et le tribunal d'appel comportent autant de membres désignés par l'Union européenne que par le Canada. Ceux-ci sont désignés par le comité mixte, dont les compétences et les modalités de décision sont décrites au paragraphe 50 ci-dessous. La désignation des membres du tribunal et du tribunal d'appel s'effectue par « consentement mutuel » entre les parties en application du 3 de l'article 26.3. La position de l'Union européenne doit alors être fixée d'un commun accord avec les États membres.
26. D'autre part, l'article 8.27 impose que les « membres du Tribunal possèdent les qualifications requises dans leurs pays respectifs pour la nomination à des fonctions judiciaires, ou sont des juristes possédant des compétences reconnues. Ils auront fait la preuve de leurs connaissances spécialisées en droit international public. Il est souhaitable qu'ils possèdent des connaissances spécialisées plus particulièrement dans les domaines du droit de l'investissement international, du droit commercial international et du règlement des différends découlant d'accords internationaux en matière d'investissement ou d'accords commerciaux internationaux ».
27. Enfin, en vue d'éviter les conflits ou les divergences entre les tribunaux institués par l'accord et les juridictions de droit interne, l'article 8.22 impose à l'investisseur de renoncer à introduire une procédure devant une juridiction interne ou internationale relativement à une mesure dont il est allégué qu'elle constitue une violation visée par sa plainte et, le cas échéant, de se retirer ou de se désister d'une telle procédure si elle est en cours. En outre, afin de garantir l'interprétation que font les parties des stipulations de l'accord, le 3 de l'article 8.31 prévoit qu'une interprétation adoptée par le comité mixte lie le tribunal.
28. En dernier lieu, le fait de relever du champ d'application de l'accord n'interdit pas aux investisseurs étrangers de porter par préférence, s'ils le souhaitent, le différend devant le juge national plutôt que devant le tribunal institué par l'accord.
29. Ainsi, eu égard à l'objet de l'accord, aux pouvoirs confiés au tribunal et au tribunal d'appel, à leur composition et au champ d'application du mécanisme de règlement des différends, les stipulations instituant ce mécanisme ne méconnaissent pas les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. Pour ces motifs et ceux énoncés aux paragraphes 44 à 52, les stipulations du chapitre 8 qui ne concernent pas une compétence exclusive de l'Union européenne, ne portent aucune atteinte à ces conditions.
. En ce qui concerne le respect de l'article 88-1 de la Constitution :
30. Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi en application de l'article 54 de la Constitution, d'examiner la compatibilité d'un engagement international avec les autres engagements internationaux et européens de la France. L'article 88-1 de la Constitution ne lui attribue pas davantage la compétence de contrôler la compatibilité d'un engagement international avec les stipulations des traités mentionnés à cet article. Par suite, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de confronter les stipulations de la section F du chapitre 8 aux prescriptions du droit de l'Union européenne qui régissent la compétence de la Cour de justice de l'Union européenne. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 88-1 de la Constitution doit, en conséquence, être écarté.
. En ce qui concerne le respect des principes d'indépendance et d'impartialité :
31. L'article 16 de la Déclaration de 1789 prévoit : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Les principes d'indépendance et d'impartialité sont indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles.
32. En premier lieu, selon le 1 de l'article 8.30 de l'accord, consacré aux « Règles d'éthique » : « Les membres du Tribunal sont indépendants. Ils n'ont d'attache avec aucun gouvernement. Ils ne suivent les instructions d'aucune organisation ou d'aucun gouvernement en ce qui concerne les questions liées au différend. Ils ne participent pas à l'examen d'un différend qui donnerait lieu à un conflit d'intérêts direct ou indirect. Ils se conforment aux Lignes directrices de l'Association internationale du barreau (International Bar Association) sur les conflits d'intérêts dans l'arbitrage international, ou à toutes règles complémentaires adoptées en vertu de l'article 8.44.2. En outre, dès leur nomination, ils s'abstiennent d'agir à titre d'avocat-conseil, de témoin ou d'expert désigné par une partie dans tout différend relatif aux investissements en instance ou nouveau relevant du présent accord ou de tout autre accord international ». Le 2 du même article prévoit : « Une partie au différend qui estime qu'un membre du Tribunal se trouve en position de conflit d'intérêts peut demander au président de la Cour internationale de Justice de rendre une décision sur la contestation de la nomination de ce membre. Tout avis de contestation est envoyé au président de la Cour internationale de Justice dans les 15 jours suivant la date à laquelle la composition de la division du Tribunal a été communiquée à la partie au différend, ou dans les 15 jours suivant la date à laquelle cette partie a eu connaissance des faits pertinents, si elle n'avait pas pu raisonnablement en avoir connaissance au moment de la constitution de la division. L'avis de contestation énonce les motifs de la contestation ». Selon son 4, « Sur recommandation motivée du président du Tribunal ou à leur initiative conjointe, les Parties peuvent, par décision du Comité mixte … révoquer un membre du Tribunal dont la conduite n'est pas conforme aux obligations énoncées au paragraphe 1 et est incompatible avec la qualité de membre du Tribunal ». Les stipulations de l'article 8.30 s'appliquent, selon le 4 de l'article 8.28, au tribunal d'appel.
33. En second lieu, le 5 de l'article 8.27 prévoit que les membres du tribunal sont en principe nommés pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois.
34. Il résulte de ce qui précède que les stipulations de la section F du chapitre 8 qui régissent la procédure de règlement des différends relatifs aux investissements entre investisseurs et États ne méconnaissent pas les principes d'indépendance et d'impartialité.
. En ce qui concerne le respect du principe d'égalité devant la loi :
35. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
36. En premier lieu, les stipulations du chapitre 8 de l'accord comportent, en faveur des investisseurs non ressortissants de l'État d'accueil de l'investissement, des prescriptions touchant à certains droits substantiels. Celles-ci, qui sont relatives en particulier au traitement national, au traitement de la nation la plus favorisée, au traitement juste et équitable et à la protection contre les expropriations directes ou indirectes, ont pour seul objet d'assurer à ces investisseurs des droits dont bénéficient les investisseurs nationaux. Ainsi, le a du paragraphe 6 de l'instrument interprétatif commun prévoit que l'accord « ne conduira pas à accorder un traitement plus favorable aux investisseurs étrangers qu'aux investisseurs nationaux ». Dès lors, les stipulations du chapitre 8 ne créent sur ce point aucune différence de traitement.
37. En second lieu, en revanche, la section F du chapitre 8 crée une différence de traitement entre les personnes investissant en France en réservant l'accès aux tribunaux qu'elle institue aux seuls investisseurs canadiens.
38. Cette différence de traitement entre les investisseurs canadiens et les autres investisseurs étrangers en France répond toutefois au double motif d'intérêt général tenant, d'un côté, à créer, de manière réciproque, un cadre protecteur pour les investisseurs français au Canada et, de l'autre, à attirer les investissements canadiens en France.
39. Ce motif d'intérêt général étant en rapport direct avec l'objet de l'accord, qui est de favoriser les échanges entre les parties, les stipulations du chapitre 8 pouvaient donc instituer un mécanisme procédural de règlement des différends susceptible de s'appliquer, s'agissant d'investissements réalisés en France, aux seuls investisseurs canadiens.
40. Il résulte de ce qui précède que les stipulations du chapitre 8 de l'accord ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant la loi.
41. Par ailleurs, pour les motifs énoncés aux paragraphes 56 à 59, les stipulations du chapitre 8 ne méconnaissent pas le principe de précaution.
42. Il résulte de tout ce qui précède que les stipulations du chapitre 8 qui relèvent d'une compétence partagée entre l'Union européenne et ses États membres ne contiennent aucune clause contraire à la Constitution, ne remettent pas en cause les droits constitutionnellement garantis et ne portent pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. Elles n'impliquent donc aucune révision de la Constitution.
- SUR LES STIPULATIONS DES CHAPITRES 1er, 21, 26, 27, 28, 29 ET 30 QUI CONCERNENT UNE COMPÉTENCE PARTAGÉE ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET SES ÉTATS MEMBRES :
. En ce qui concerne le respect des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale par les stipulations relatives à l'édiction de normes :
43. Les députés requérants soutiennent que l'accord comporte des règles contraignantes pour l'élaboration des normes de droit interne dans une mesure qui affecte les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. Ils font valoir que c'est en particulier le cas de certaines stipulations de l'article 8.4, relatif à l'accès aux marchés dans le cadre de la protection des investissements. L'association du Canada à l'édiction de normes nationales, qui serait prévue notamment aux chapitres 21 et 27 de l'accord, aurait également pour effet d'imposer la révision de la Constitution. Les attributions conférées par l'accord au comité mixte constitueraient un autre empiètement sur la compétence normative nationale de nature à faire obstacle à la ratification du traité sans révision constitutionnelle préalable. Il en irait de même du dispositif de règlement des différends portant sur l'interprétation ou l'application des stipulations de l'accord prévu à son chapitre 29.
44. Dès lors que la France aura ratifié l'accord et que celui-ci sera entré en vigueur, les règles qui y figurent s'imposeront à elle. La France sera liée par ces stipulations qu'elle devra appliquer de bonne foi en application des « règles du droit public international ». L'accord aura, en application de l'article 55 de la Constitution, une autorité supérieure à celle des lois. Il appartiendra aux divers organes de l'État de veiller à l'application de cet accord dans le cadre de leurs compétences respectives. Ainsi, l'ordre juridique interne défini par la Constitution impose au législateur de respecter les stipulations des traités et accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés. Il incombe toutefois au Conseil constitutionnel de s'assurer que la capacité à édicter des normes de droit interne n'est pas limitée dans une mesure telle qu'il en résulterait une atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
45. En premier lieu, l'accord comporte des stipulations qui rappellent la capacité des parties à légiférer et à réglementer. Ainsi, selon le 2 de l'instrument interprétatif commun, l'accord « préserve la capacité de l'Union européenne et de ses États membres ainsi que du Canada à adopter et à appliquer leurs propres dispositions législatives et réglementaires destinées à réglementer les activités économiques dans l'intérêt public, à réaliser des objectifs légitimes de politique publique tels que la protection et la promotion de la santé publique, des services sociaux, de l'éducation publique, de la sécurité, de l'environnement et de la moralité publique, la protection sociale ou des consommateurs, la protection de la vie privée et la protection des données, ainsi que la promotion et la protection de la diversité culturelle ». S'agissant du chapitre 8 de l'accord, l'article 8.9 prévoit : « 1. Pour l'application du présent chapitre, les Parties réaffirment leur droit de réglementer sur leurs territoires en vue de réaliser des objectifs légitimes en matière de politique, tels que la protection de la santé publique, de la sécurité, de l'environnement ou de la moralité publique, la protection sociale ou des consommateurs, ou la promotion et la protection de la diversité culturelle. - 2. Il est entendu que le simple fait qu'une Partie exerce son droit de réglementer, notamment par la modification de sa législation, d'une manière qui a des effets défavorables sur un investissement ou qui interfère avec les attentes d'un investisseur, y compris ses attentes de profit, ne constitue pas une violation d'une obligation prévue dans la présente section ».
46. En deuxième lieu, d'une part, si le 1 de l'article 8.4 prohibe différentes mesures de limitation ou de restriction de nature à entraver les accès aux marchés couverts par l'accord, ces mesures ont vocation à s'appliquer aux investissements directs, qui relèvent de la compétence exclusive de l'Union européenne. D'autre part, le 2 de l'article 8.4 exclut du champ d'application du 1 différentes catégories de mesures. Il en va ainsi, en particulier, des mesures « restreignant la concentration de la propriété dans le but d'assurer une concurrence loyale » ou « visant à assurer la conservation et la protection des ressources naturelles et de l'environnement ».
47. En troisième lieu, le chapitre 21 stipule, à son article 21.2, que les parties « s'engagent à développer davantage leur coopération en matière de réglementation en tenant compte de leur intérêt mutuel » en vue d'atteindre différents objectifs. Toutefois, d'une part, le 6 de l'article 21.2 prévoit que « Les Parties peuvent entreprendre des activités de coopération en matière de réglementation sur une base volontaire. Il est entendu qu'une Partie n'est pas tenue de participer à une quelconque activité de coopération en matière de réglementation et peut refuser ou cesser de coopérer ». D'autre part, l'instrument interprétatif commun stipule que « Cette coopération s'effectuera sur une base volontaire, les autorités de réglementation pouvant choisir librement de coopérer, sans y être contraintes ou sans devoir mettre en œuvre les résultats de leur coopération ».
48. En quatrième lieu, le comité mixte institué par l'article 26.1, composé de représentants de l'Union européenne et de représentants du Canada, a pour principales fonctions celles qui sont énumérées par le 4 de cet article, en particulier celles de superviser et faciliter la mise en œuvre et l'application de l'accord, promouvoir ses objectifs généraux, superviser les travaux des comités spécialisés et résoudre les différends pouvant survenir quant à l'interprétation ou l'application de l'accord dans certains domaines. Le 5 du même article 26.1 confère en outre différentes prérogatives au comité mixte et, en particulier, celle d'adopter des interprétations des stipulations de l'accord qui lient les tribunaux institués en application de la section F du chapitre 8 et du chapitre 29. L'article 26.3 prévoit enfin que le comité mixte dispose, en vue d'atteindre les objectifs de l'accord, « du pouvoir décisionnel pour toute question » dans les cas prévus par l'accord. En vertu du 2 de ce même article, les décisions prises par le comité mixte « lient les Parties ».
49. Cependant, d'une part, si le 2 de l'article 30.2 de l'accord attribue au comité mixte le pouvoir de décider d'amender les protocoles et annexes, cette compétence ne trouve pas à s'appliquer s'agissant des annexes 8-A et 8-B du chapitre 8, relatives à l'expropriation et à la dette publique.
50. D'autre part, les décisions du comité mixte qui lient les parties ne peuvent être adoptées, selon le 3 de l'article 26.3, que « par consentement mutuel » entre les représentants de l'Union européenne et les représentants du Canada qui composent le comité mixte. Par ailleurs, dans une telle hypothèse, la position de l'Union européenne doit être établie par le Conseil en application de la procédure prévue au paragraphe 9 de l'article 218 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne mentionné ci-dessus. Dans ce cas, selon la déclaration n° 19 du Conseil et des États membres du 14 janvier 2017, dès lors qu'une décision du comité mixte relève de la compétence des États membres, la position de l'Union et de ses États membres au sein du comité mixte « est adoptée d'un commun accord » au Conseil.
51. Enfin, si une interprétation adoptée par le comité mixte lie le tribunal institué en vertu de la section F du chapitre 8, cette stipulation a pour objet de garantir que l'Union européenne, ses États membres et le Canada, parties à l'accord, ne se voient pas imposer par le tribunal une interprétation distincte de celle qui recueille leur assentiment.
52. En dernier lieu, d'une part, le chapitre 29 de l'accord se borne, selon les termes de son article 29.2, à instituer une procédure de règlement des différends « portant sur l'interprétation ou l'application » de ses stipulations. D'autre part, le mécanisme d'arbitrage ainsi prévu et l'exigence qui pèse sur les parties de prendre les mesures nécessaires pour se conformer, selon les termes du chapitre 29, aux « conclusions » du « rapport final » du groupe d'arbitrage ont pour seul objet de veiller à la bonne application de l'accord. En conséquence, ces stipulations n'ont, par elles-mêmes, pas pour effet d'affecter l'élaboration des normes de droit interne.
53. Il résulte de tout ce qui précède que les stipulations des chapitres 1er, 21, 26, 27, 28, 29 et 30, qui comportent des prescriptions se rapportant à l'élaboration de normes de droit interne et qui relèvent d'une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres, ne contiennent aucune clause contraire à la Constitution, ne remettent pas en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis et ne portent pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
. En ce qui concerne le respect du principe de précaution :
54. Les députés requérants reprochent à l'accord de ne faire aucune référence au principe de précaution et de n'imposer aux parties aucune obligation en la matière, y compris en cas de risques graves et irréversibles. Le principe de précaution serait, en outre, méconnu par plusieurs stipulations de l'accord.
55. Aux termes de l'article 5 de la Charte de l'environnement : « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par l'application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Ces dispositions, comme l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement, ont valeur constitutionnelle. Dès lors, il incombe au Conseil constitutionnel, saisi en application de l'article 54 de la Constitution, de déterminer si un engagement international soumis à son examen méconnaît le principe de précaution.
56. En premier lieu, dans le chapitre 22 consacré au commerce et au développement durable, les parties à l'accord « reconnaissent que le développement économique, le développement social et la protection de l'environnement sont interdépendants et forment des composantes du développement durable qui se renforcent mutuellement, et elles réaffirment leur engagement à promouvoir le développement du commerce international d'une manière qui contribue à la réalisation de l'objectif de développement durable ». Les parties visent, à ce titre, les objectifs suivants : « favoriser le développement durable par une coordination et une intégration accrues de leurs politiques et mesures respectives en matière de travail, d'environnement et de commerce … promouvoir le dialogue et la coopération entre elles en vue de resserrer leurs relations commerciales et économiques d'une manière qui appuie leurs mesures et leurs normes respectives en matière de protection du travail et de l'environnement … améliorer l'application de leur droit respectif en matière de travail et d'environnement … favoriser la consultation et la participation du public dans la discussion des questions de développement durable ».
57. En deuxième lieu, d'une part, l'absence de mention expresse du principe de précaution dans les stipulations de l'accord qui relèvent d'une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres n'emporte pas de méconnaissance de ce principe. En outre, les décisions du comité mixte prises dans les conditions rappelées aux paragraphes 48 à 50 ci-dessus sont soumises au respect du principe de précaution protégé par le droit de l'Union européenne, notamment par l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
58. Le 2 de l'article 24.8 de l'accord stipule : « Les parties reconnaissent que, en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne sert pas de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures économiquement efficaces visant à prévenir la dégradation de l'environnement ». Ces stipulations autorisent les parties à prendre des mesures économiquement efficaces visant à prévenir la dégradation de l'environnement en cas de risque de dommages graves ou irréversibles.
59. Enfin, selon le a du paragraphe 9 de l'instrument interprétatif commun « l'Union européenne et ses États membres ainsi que le Canada sont tenus d'assurer et d'encourager des niveaux élevés de protection de l'environnement, et de s'efforcer d'améliorer continuellement leur législation et leurs politiques en la matière de même que les niveaux de protection sur lesquels elles reposent ». Selon son b, l'accord « reconnaît expressément au Canada ainsi qu'à l'Union européenne et à ses États membres le droit de définir leurs propres priorités environnementales, d'établir leurs propres niveaux de protection de l'environnement et d'adopter ou de modifier en conséquence leur législation et leurs politiques en la matière, tout en tenant compte de leurs obligations internationales, y compris celles prévues par des accords multilatéraux sur l'environnement ».
60. Ainsi, l'ensemble de ces stipulations sont propres à garantir le respect du principe de précaution issu de l'article 5 de la Charte de l'environnement.
61. Il résulte de ce qui précède que les stipulations des chapitres 1er, 21, 26, 27, 28, 29 et 30 qui concernent une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres ne portent pas atteinte au principe de précaution.
. En ce qui concerne l'application provisoire de l'accord :
62. Selon le a du 3 de l'article 30.7 de l'accord : « Les Parties peuvent appliquer provisoirement le présent accord à compter du premier jour du mois suivant la date à laquelle elles se sont notifié réciproquement l'accomplissement de leurs obligations et procédures internes respectives nécessaires à l'application provisoire du présent accord, ou à toute autre date convenue entre les Parties ». Selon son c, « Une partie peut mettre fin à l'application provisoire du présent accord par un avis écrit à l'autre Partie. L'application provisoire prend fin le premier jour du deuxième mois suivant cette notification ».
63. Les députés requérants soutiennent que la faculté des États membres de mettre fin à l'application provisoire de l'accord sur le fondement de ces stipulations est incertaine. Dès lors que cette application provisoire concernerait des stipulations qui relèvent de la compétence des États membres, cette incertitude mettrait en cause les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
64. D'une part, compte tenu du paragraphe 17 de la présente décision, il ressort de la décision du 28 octobre 2016 du Conseil de l'Union européenne mentionnée ci-dessus qu'aucune stipulation de l'accord relevant d'une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres ou d'une compétence appartenant aux seuls États membres ne fait l'objet de l'application provisoire décidée par les parties à l'accord.
65. D'autre part, ainsi que le prévoit la déclaration n° 20 du Conseil du 14 janvier 2017, si la ratification de l'accord « échoue de façon définitive en raison d'une décision prononcée par une Cour constitutionnelle, ou à la suite de l'aboutissement d'un autre processus constitutionnel et d'une notification officielle par le gouvernement de l'État concerné, l'application provisoire devra être et sera dénoncée. Les dispositions nécessaires seront prises conformément aux procédures de l'Union européenne ».
66. Ainsi, dès lors que l'application provisoire de l'accord ne porte que sur des stipulations relevant de la compétence exclusive de l'Union européenne et que l'accord prévoit la possibilité d'interrompre cette application provisoire en cas d'impossibilité pour une partie de le ratifier, les stipulations critiquées par les députés requérants ne portent pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
. En ce qui concerne les conditions de dénonciation de l'accord :
67. Selon l'article 30.9 de l'accord : « 1. Une Partie peut dénoncer le présent accord en donnant un avis écrit d'extinction au Secrétariat général du Conseil de l'Union européenne et au ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement du Canada, ou à leurs successeurs respectifs. Le présent accord s'éteint 180 jours après la date de cet avis. La Partie qui donne un avis d'extinction fournit aussi une copie de l'avis au Comité mixte … 2. Nonobstant le paragraphe 1, dans l'éventualité de l'extinction du présent accord, les dispositions du chapitre Huit (Investissement) restent en vigueur pendant une durée de 20 ans après la date d'extinction du présent accord, en ce qui concerne les investissements effectués avant cette date ».
68. Les députés requérants font valoir que l'accord lierait irrévocablement la France, ce qui porterait atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
69. L'adhésion irrévocable à un engagement international touchant à un domaine inhérent à la souveraineté nationale porte atteinte aux conditions essentielles de son exercice.
70. Toutefois, d'une part, il ressort des termes mêmes de l'article 30.9 que les parties ne sont pas liées irrévocablement par l'accord soumis à l'examen du Conseil constitutionnel. D'autre part, l'accord ne touche pas, eu égard à son objet, à un domaine inhérent à la souveraineté nationale.
71. Dès lors, les conditions de dénonciation de l'accord prévues par les stipulations précitées ne portent pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
72. Il résulte de ce qui précède que les stipulations des chapitres 1er, 21, 26, 27, 28, 29 et 30 qui concernent une compétence partagée entre l'Union européenne et ses États membres ne contiennent aucune clause contraire à la Constitution, ne remettent pas en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis et ne portent pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. Elles n'impliquent donc pas de révision de la Constitution.
- SUR LES AUTRES STIPULATIONS DE L'ACCORD :
73. Les autres stipulations de l'accord ne contiennent pas de clause contraire à la Constitution, ne remettent pas en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis, ne portent pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale et, à plus forte raison, ne mettent en cause aucune règle ou principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France.
74. Dès lors, aucune des autres stipulations de l'accord soumis au Conseil constitutionnel au titre de l'article 54 de la Constitution n'implique de révision de celle-ci.
- SUR L'ENSEMBLE DE L'ACCORD :
75. Pour les motifs ci-dessus énoncés, l'accord économique et commercial global entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part, ne comporte pas de clause contraire à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'accord économique et commercial global entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part, signé le 30 octobre 2016 à Bruxelles, ne comporte pas de clause contraire à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 juillet 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Valéry GISCARD d'ESTAING, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 31 juillet 2017.
JORF n°0187 du 11 août 2017 texte n° 1
ECLI : FR : CC : 2017 : 2017.749.DC
Les abstracts
- 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES
- 1.5. CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
- 1.5.16. Titre XV - Des Communautés européennes et de l'Union européenne
- 1.5.16.1. Principe de participation de la République aux Communautés européennes et à l'Union européenne (article 88-1)
1.5.16.1.1. Affirmation de la spécificité de l'ordre juridique communautaire ou de l'Union européenne
Dans le cas où le Conseil constitutionnel est saisi, sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, d'un accord qui devait être signé et conclu tant par l'Union européenne que par chacun des États membres de celle-ci, il lui appartient de distinguer entre, d'une part, les stipulations de cet accord qui relèvent d'une compétence exclusive de l'Union européenne en application d'engagements antérieurement souscrits par la France ayant procédé à des transferts de compétences consentis par les États membres et, d'autre part, les stipulations de cet accord qui relèvent d'une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres ou d'une compétence appartenant aux seuls États membres.
S'agissant des stipulations de l'accord qui relèvent d'une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres ou d'une compétence appartenant aux seuls États membres, il revient au Conseil constitutionnel, comme il est rappelé au paragraphe 11, de déterminer si ces stipulations contiennent une clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
S'agissant, en revanche, des stipulations de l'accord qui relèvent d'une compétence exclusive de l'Union européenne, il revient seulement au Conseil constitutionnel, saisi afin de déterminer si l'autorisation de ratifier cet accord implique une révision constitutionnelle, de veiller à ce qu'elles ne mettent pas en cause une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France. En l'absence d'une telle mise en cause, il n'appartient qu'au juge de l'Union européenne de contrôler la compatibilité de l'accord avec le droit de l'Union européenne.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.11. ENVIRONNEMENT
4.11.4. Principe de précaution
En premier lieu, dans le chapitre 22 consacré au commerce et au développement durable, les parties à l'accord « reconnaissent que le développement économique, le développement social et la protection de l'environnement sont interdépendants et forment des composantes du développement durable qui se renforcent mutuellement, et elles réaffirment leur engagement à promouvoir le développement du commerce international d'une manière qui contribue à la réalisation de l'objectif de développement durable ». Les parties visent, à ce titre, les objectifs suivants : « favoriser le développement durable par une coordination et une intégration accrues de leurs politiques et mesures respectives en matière de travail, d'environnement et de commerce … promouvoir le dialogue et la coopération entre elles en vue de resserrer leurs relations commerciales et économiques d'une manière qui appuie leurs mesures et leurs normes respectives en matière de protection du travail et de l'environnement … améliorer l'application de leur droit respectif en matière de travail et d'environnement … favoriser la consultation et la participation du public dans la discussion des questions de développement durable ».
En deuxième lieu, d'une part, l'absence de mention expresse du principe de précaution dans les stipulations de l'accord qui relèvent d'une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres n'emporte pas de méconnaissance de ce principe. En outre, les décisions du comité mixte prises dans les conditions rappelées aux paragraphes 48 à 50 ci-dessus sont soumises au respect du principe de précaution protégé par le droit de l'Union européenne, notamment par l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Le 2 de l'article 24.8 de l'accord stipule : « Les parties reconnaissent que, en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne sert pas de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures économiquement efficaces visant à prévenir la dégradation de l'environnement ». Ces stipulations autorisent les parties à prendre des mesures économiquement efficaces visant à prévenir la dégradation de l'environnement en cas de risque de dommages graves ou irréversibles.
Enfin, selon le a du paragraphe 9 de l'instrument interprétatif commun « l'Union européenne et ses États membres ainsi que le Canada sont tenus d'assurer et d'encourager des niveaux élevés de protection de l'environnement, et de s'efforcer d'améliorer continuellement leur législation et leurs politiques en la matière de même que les niveaux de protection sur lesquels elles reposent ». Selon son b, l'accord « reconnaît expressément au Canada ainsi qu'à l'Union européenne et à ses États membres le droit de définir leurs propres priorités environnementales, d'établir leurs propres niveaux de protection de l'environnement et d'adopter ou de modifier en conséquence leur législation et leurs politiques en la matière, tout en tenant compte de leurs obligations internationales, y compris celles prévues par des accords multilatéraux sur l'environnement ».
Pour ces motifs , les stipulations du chapitre 8 de l'accord économique et commercial global entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses membres, d'autre part, qui instituent notamment un mécanisme de règlement des différends relatifs aux investissements entre investisseurs et États ainsi que celles de ses chapitres 1er, 21, 26, 27, 28, 29 et 30 ne méconnaissent pas le principe de précaution.
- 5. ÉGALITÉ
- 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
- 5.1.3. Respect du principe d'égalité : absence de différence de traitement
- 5.1.3.11. Droit économique
5.1.3.11.14. Protection des investisseurs
Les stipulations du chapitre 8 de l'accord comportent, en faveur des investisseurs non ressortissants de l'État d'accueil de l'investissement, des prescriptions touchant à certains droits substantiels. Celles-ci, qui sont relatives en particulier au traitement national, au traitement de la nation la plus favorisée, au traitement juste et équitable et à la protection contre les expropriations directes ou indirectes, ont pour seul objet d'assurer à ces investisseurs des droits dont bénéficient les investisseurs nationaux. Ainsi, le a du paragraphe 6 de l'instrument interprétatif commun prévoit que l'accord « ne conduira pas à accorder un traitement plus favorable aux investisseurs étrangers qu'aux investisseurs nationaux ». Dès lors, les stipulations du chapitre 8 ne créent sur ce point aucune différence de traitement.
- 5. ÉGALITÉ
- 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
- 5.1.5. Considérations d'intérêt général justifiant une différence de traitement
5.1.5.6. Droit économique
La section F du chapitre 8 crée une différence de traitement entre les personnes investissant en France en réservant l'accès aux tribunaux qu'elle institue aux seuls investisseurs canadiens. Cette différence de traitement entre les investisseurs canadiens et les autres investisseurs étrangers en France répond toutefois au double motif d'intérêt général tenant, d'un côté, à créer, de manière réciproque, un cadre protecteur pour les investisseurs français au Canada et, de l'autre, à attirer les investissements canadiens en France. Ce motif d'intérêt général étant en rapport direct avec l'objet de l'accord, qui est de favoriser les échanges entre les parties, les stipulations du chapitre 8 pouvaient donc instituer un mécanisme procédural de règlement des différends susceptible de s'appliquer, s'agissant d'investissements réalisés en France, aux seuls investisseurs canadiens (absence de méconnaissance du principe d'égalité devant la loi).
- 7. DROIT INTERNATIONAL ET DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
- 7.1. PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT INTERNATIONAL
- 7.1.1. Droit public international
7.1.1.1. Pacta sunt servanda
Dès lors que la France aura ratifié l'accord international qui lui est soumis sur le fondement de l'article 54 de la Constitution et que celui-ci sera entré en vigueur, les règles qui y figurent s'imposeront à elle. La France sera liée par ces stipulations qu'elle devra appliquer de bonne foi en application des « règles du droit public international ». L'accord aura, en application de l'article 55 de la Constitution, une autorité supérieure à celle des lois. Il appartiendra aux divers organes de l'État de veiller à l'application de cet accord dans le cadre de leurs compétences respectives. Ainsi, l'ordre juridique interne défini par la Constitution impose au législateur de respecter les stipulations des traités et accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés. Il incombe toutefois au Conseil constitutionnel de s'assurer que la capacité à édicter des normes de droit interne n'est pas limitée dans une mesure telle qu'il en résulterait une atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
- 7. DROIT INTERNATIONAL ET DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
- 7.2. RATIFICATION OU APPROBATION DES TRAITÉS ET ACCORDS INTERNATIONAUX
- 7.2.4. Caractéristiques du contrôle de constitutionnalité a priori
- 7.2.4.1. Fondements du contrôle
7.2.4.1.1. Contrôle direct (article 54 C)
Saisi par plus de soixante députés sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a examiné l'accord économique et commercial global entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part, signé le 30 octobre 2016 et approuvé par le Parlement européen le 15 février 2017.
- 7. DROIT INTERNATIONAL ET DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
- 7.2. RATIFICATION OU APPROBATION DES TRAITÉS ET ACCORDS INTERNATIONAUX
- 7.2.4. Caractéristiques du contrôle de constitutionnalité a priori
- 7.2.4.3. Actes pouvant être soumis au contrôle de constitutionnalité
7.2.4.3.1. Traités et accords internationaux
Relève du contrôle de constitutionnalité sur le fondement de l'article 54 de la Constitution l'accord économique et commercial global entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part, signé le 30 octobre 2016 et approuvé par le Parlement européen le 15 février 2017, qui comporte des stipulations relevant d'une compétence partagée de l'Union européenne et des Etats membres ainis que des stipulations relevant d'une compétence exclusive de l'Union européenne.
- 7. DROIT INTERNATIONAL ET DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
- 7.2. RATIFICATION OU APPROBATION DES TRAITÉS ET ACCORDS INTERNATIONAUX
- 7.2.4. Caractéristiques du contrôle de constitutionnalité a priori
- 7.2.4.5. Normes de référence du contrôle
- 7.2.4.5.1. Normes de référence non prises en compte
7.2.4.5.1.1. Exclusion des engagements internationaux
Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi en application de l'article 54 de la Constitution, d'examiner la compatibilité d'un engagement international avec les autres engagements internationaux et européens de la France. L'article 88-1 de la Constitution ne lui attribue pas davantage la compétence de contrôler la compatibilité d'un engagement international avec les stipulations des traités mentionnés à cet article. Par suite, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de confronter les stipulations de la section F du chapitre 8 aux prescriptions du droit de l'Union européenne qui régissent la compétence de la Cour de justice de l'Union européenne. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 88-1 de la Constitution doit, en conséquence, être écarté.
- 7. DROIT INTERNATIONAL ET DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
- 7.2. RATIFICATION OU APPROBATION DES TRAITÉS ET ACCORDS INTERNATIONAUX
- 7.2.4. Caractéristiques du contrôle de constitutionnalité a priori
- 7.2.4.5. Normes de référence du contrôle
- 7.2.4.5.2. Normes de référence prises en compte
7.2.4.5.2.1. Principe
Par le préambule de la Constitution de 1958, le peuple français a proclamé solennellement « son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 ».
Dans son article 3, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 énonce que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ». L'article 3 de la Constitution de 1958 dispose, dans son premier alinéa, que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
Le préambule de la Constitution de 1946 proclame, dans son quatorzième alinéa, que la République française se « conforme aux règles du droit public international » et, dans son quinzième alinéa, que « sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix ».
Dans son article 53, la Constitution de 1958 consacre l'existence de « traités ou accords relatifs à l'organisation internationale ». Ces traités ou accords ne peuvent être ratifiés ou approuvés par le Président de la République qu'en vertu d'une loi.
La République française participe à l'Union européenne dans les conditions prévues par le titre XV de la Constitution. Aux termes de l'article 88–1 de la Constitution : « La République participe à l'Union européenne, constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ». Le constituant a ainsi consacré l'existence d'un ordre juridique de l'Union européenne intégré à l'ordre juridique interne et distinct de l'ordre juridique international.
Tout en confirmant la place de la Constitution au sommet de l'ordre juridique interne, ces dispositions constitutionnelles permettent à la France de participer à la création et au développement d'une organisation européenne permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts de compétences consentis par les États membres.
Toutefois, lorsque des engagements souscrits à cette fin ou en étroite coordination avec celle-ci contiennent une clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle.
Dans le cas où le Conseil constitutionnel est saisi, sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, d'un accord qui devait être signé et conclu tant par l'Union européenne que par chacun des États membres de celle-ci, il lui appartient de distinguer entre, d'une part, les stipulations de cet accord qui relèvent d'une compétence exclusive de l'Union européenne en application d'engagements antérieurement souscrits par la France ayant procédé à des transferts de compétences consentis par les États membres et, d'autre part, les stipulations de cet accord qui relèvent d'une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres ou d'une compétence appartenant aux seuls États membres.
S'agissant des stipulations de l'accord qui relèvent d'une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres ou d'une compétence appartenant aux seuls États membres, il revient au Conseil constitutionnel, comme il est rappelé au paragraphe 11, de déterminer si ces stipulations contiennent une clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
S'agissant, en revanche, des stipulations de l'accord qui relèvent d'une compétence exclusive de l'Union européenne, il revient seulement au Conseil constitutionnel, saisi afin de déterminer si l'autorisation de ratifier cet accord implique une révision constitutionnelle, de veiller à ce qu'elles ne mettent pas en cause une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France. En l'absence d'une telle mise en cause, il n'appartient qu'au juge de l'Union européenne de contrôler la compatibilité de l'accord avec le droit de l'Union européenne.
C'est au regard de ces principes qu'il revient au Conseil constitutionnel de procéder à l'examen de l'accord économique et commercial global entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part.
Dès lors que la France aura ratifié l'accord international qui lui est soumis sur le fondement de l'article 54 de la Constitution et que celui-ci sera entré en vigueur, les règles qui y figurent s'imposeront à elle. La France sera liée par ces stipulations qu'elle devra appliquer de bonne foi en application des « règles du droit public international ». L'accord aura, en application de l'article 55 de la Constitution, une autorité supérieure à celle des lois. Il appartiendra aux divers organes de l'État de veiller à l'application de cet accord dans le cadre de leurs compétences respectives. Ainsi, l'ordre juridique interne défini par la Constitution impose au législateur de respecter les stipulations des traités et accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés. Il incombe toutefois au Conseil constitutionnel de s'assurer que la capacité à édicter des normes de droit interne n'est pas limitée dans une mesure telle qu'il en résulterait une atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
Le principe de précaution défini à l'article 5 de la Charte de l'environnement, comme l'ensemble des droits et devoirs définis dans cette charte, ont valeur constitutionnelle. Dès lors, il incombe au Conseil constitutionnel, saisi en application de l'article 54 de la Constitution, de déterminer si un engagement international soumis à son examen méconnaît le principe de précaution.
- 7. DROIT INTERNATIONAL ET DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
- 7.2. RATIFICATION OU APPROBATION DES TRAITÉS ET ACCORDS INTERNATIONAUX
- 7.2.4. Caractéristiques du contrôle de constitutionnalité a priori
- 7.2.4.6. Sens et portée de la décision
7.2.4.6.3. Détermination des stipluations d'un accord qui relèvent de la compétence exclusive de l'Union européenne ou d'une compétence partagée
Dans le cas où le Conseil constitutionnel est saisi, sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, d'un accord qui devait être signé et conclu tant par l'Union européenne que par chacun des États membres de celle-ci, il lui appartient de distinguer entre, d'une part, les stipulations de cet accord qui relèvent d'une compétence exclusive de l'Union européenne en application d'engagements antérieurement souscrits par la France ayant procédé à des transferts de compétences consentis par les États membres et, d'autre part, les stipulations de cet accord qui relèvent d'une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres ou d'une compétence appartenant aux seuls États membres.
En l'espèce, l'accord économique et commercial global entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part, a comme objectif, selon son préambule, de créer un marché élargi et sûr pour les marchandises et les services des parties et d'établir des règles claires, transparentes, prévisibles et mutuellement avantageuses pour régir leurs échanges commerciaux et leurs investissements. Il se déduit des principes dégagés par un avis de la Cour de justice de l'Union européenne que ne relèvent de la compétence exclusive de l'Union européenne ni les stipulations de l'accord figurant au chapitre 8 relatives aux investissements autres que directs, ni celles qui définissent, à sa section F, la procédure de règlement des différends relatifs aux investissements entre investisseurs et États. Il en va de même des stipulations des chapitres 1er, 21, 26, 27, 28, 29 et 30, pour autant que celles-ci concernent une compétence partagée entre l'Union européenne et ses États membres.
- 7. DROIT INTERNATIONAL ET DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
- 7.2. RATIFICATION OU APPROBATION DES TRAITÉS ET ACCORDS INTERNATIONAUX
- 7.2.5. Examen de la conformité à la Constitution
- 7.2.5.2. Absence de nécessité de réviser la Constitution
7.2.5.2.17. Mécanisme de règlement des différends relatifs aux investissements entre investisseurs et Etats
Le chapitre 8 de l'accord économique et commercial global entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part, est relatif à l'investissement. La section F institue un mécanisme de règlement des différends relatifs aux investissements entre investisseurs et États. Le chapitre 8 de l'accord reconnaît ainsi aux investisseurs entrant dans le champ d'application de l'accord certains droits substantiels, tels que le traitement national, le traitement de la nation la plus favorisée, le traitement juste et équitable et la protection contre les expropriations directes ou indirectes. Ces investisseurs relèvent en outre, en cas de litige avec l'État d'accueil de l'investissement ou l'Union européenne, d'une procédure spécifique de règlement des différends, qui comporte notamment un « Tribunal » et un « Tribunal d'appel ».
En premier lieu, il ressort de l'ensemble des stipulations de l'accord que celui-ci poursuit l'objectif de réduire ou supprimer les obstacles au libre-échange entre les parties. Dans ce cadre, le chapitre 8 a pour objet de contribuer à la protection des investissements réalisés dans les États parties par des investisseurs couverts par l'accord, sans faire obstacle à toute mesure que les États sont susceptibles de prendre en matière de contrôle des investissements étrangers.
En deuxième lieu, les pouvoirs attribués au tribunal et au tribunal d'appel sont définis par l'article 8.39 de l'accord et couvrent exclusivement « le versement de dommages pécuniaires et tout intérêt applicable » et « la restitution de biens ». En outre, s'agissant des mesures provisoires, le tribunal, en application de l'article 8.34, ne peut « ordonner une saisie ou interdire l'application de la mesure dont il est allégué qu'elle constitue une violation visée à l'article 8.23 ». Le tribunal ne détient, suivant les termes mêmes de l'accord, aucun pouvoir d'interprétation ou d'annulation des décisions prises par des organes de l'Union européenne ou de ses États membres. Selon le 4 de l'article 8.41 relatif à l'exécution des sentences : « L'exécution de la sentence est régie par la législation relative à l'exécution des jugements ou des sentences qui est en vigueur là où l'exécution est demandée ».
En troisième lieu, le mécanisme de règlement des différends institué par le chapitre 8 ne s'applique, selon l'article 8.18, qu'en cas de méconnaissance d'une obligation prévue, en matière de traitement non discriminatoire, « à la section C, en ce qui concerne l'expansion, la direction, l'exploitation, la gestion, le maintien, l'utilisation, la jouissance et la vente ou disposition » de son investissement ou, en matière de protection des investissements, « à la section D, si l'investisseur affirme avoir subi une perte ou un dommage en raison de la violation alléguée ».
En quatrième lieu, d'une part, il résulte des stipulations des articles 8.27 et 8.28 de l'accord que le tribunal et le tribunal d'appel comportent autant de membres désignés par l'Union européenne que par le Canada. La désignation des membres du tribunal et du tribunal d'appel s'effectue par « consentement mutuel » entre les parties en application du 3 de l'article 26.3. La position de l'Union européenne doit alors être fixée d'un commun accord avec les États membres. D'autre part, l'article 8.27 impose que les « membres du Tribunal possèdent les qualifications requises dans leurs pays respectifs pour la nomination à des fonctions judiciaires, ou sont des juristes possédant des compétences reconnues. Ils auront fait la preuve de leurs connaissances spécialisées en droit international public. Il est souhaitable qu'ils possèdent des connaissances spécialisées plus particulièrement dans les domaines du droit de l'investissement international, du droit commercial international et du règlement des différends découlant d'accords internationaux en matière d'investissement ou d'accords commerciaux internationaux ». Enfin, en vue d'éviter les conflits ou les divergences entre les tribunaux institués par l'accord et les juridictions de droit interne, l'article 8.22 impose à l'investisseur de renoncer à introduire une procédure devant une juridiction interne ou internationale relativement à une mesure dont il est allégué qu'elle constitue une violation visée par sa plainte et, le cas échéant, de se retirer ou de se désister d'une telle procédure si elle est en cours. En outre, afin de garantir l'interprétation que font les parties des stipulations de l'accord, le 3 de l'article 8.31 prévoit qu'une interprétation adoptée par le comité mixte lie le tribunal.
En dernier lieu, le fait de relever du champ d'application de l'accord n'interdit pas aux investisseurs étrangers de porter par préférence, s'ils le souhaitent, le différend devant le juge national plutôt que devant le tribunal institué par l'accord.
Ainsi, eu égard à l'objet de l'accord, aux pouvoirs confiés au tribunal et au tribunal d'appel, à leur composition et au champ d'application du mécanisme de règlement des différends, les stipulations instituant ce mécanisme ne méconnaissent pas les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
- 7. DROIT INTERNATIONAL ET DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
- 7.2. RATIFICATION OU APPROBATION DES TRAITÉS ET ACCORDS INTERNATIONAUX
- 7.2.5. Examen de la conformité à la Constitution
- 7.2.5.2. Absence de nécessité de réviser la Constitution
7.2.5.2.18. Édiction de normes prévue par un accord international
Saisi d'un grief tiré de ce qu'un accord international comporte des règles contraignantes pour l'élaboration des normes de droit interne dans une mesure qui affecte les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, le Conseil constitutionnel juge que dès lors que la France aura ratifié l'accord et que celui-ci sera entré en vigueur, les règles qui y figurent s'imposeront à elle. La France sera liée par ces stipulations qu'elle devra appliquer de bonne foi en application des « règles du droit public international ». L'accord aura, en application de l'article 55 de la Constitution, une autorité supérieure à celle des lois. Il appartiendra aux divers organes de l'État de veiller à l'application de cet accord dans le cadre de leurs compétences respectives. Ainsi, l'ordre juridique interne défini par la Constitution impose au législateur de respecter les stipulations des traités et accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés. Il incombe toutefois au Conseil constitutionnel de s'assurer que la capacité à édicter des normes de droit interne n'est pas limitée dans une mesure telle qu'il en résulterait une atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
En premier lieu, l'accord comporte des stipulations qui rappellent la capacité des parties à légiférer et à réglementer. Ainsi, selon le 2 de l'instrument interprétatif commun, l'accord « préserve la capacité de l'Union européenne et de ses États membres ainsi que du Canada à adopter et à appliquer leurs propres dispositions législatives et réglementaires destinées à réglementer les activités économiques dans l'intérêt public, à réaliser des objectifs légitimes de politique publique tels que la protection et la promotion de la santé publique, des services sociaux, de l'éducation publique, de la sécurité, de l'environnement et de la moralité publique, la protection sociale ou des consommateurs, la protection de la vie privée et la protection des données, ainsi que la promotion et la protection de la diversité culturelle ». S'agissant du chapitre 8 de l'accord, l'article 8.9 prévoit : « 1. Pour l'application du présent chapitre, les Parties réaffirment leur droit de réglementer sur leurs territoires en vue de réaliser des objectifs légitimes en matière de politique, tels que la protection de la santé publique, de la sécurité, de l'environnement ou de la moralité publique, la protection sociale ou des consommateurs, ou la promotion et la protection de la diversité culturelle. - 2. Il est entendu que le simple fait qu'une Partie exerce son droit de réglementer, notamment par la modification de sa législation, d'une manière qui a des effets défavorables sur un investissement ou qui interfère avec les attentes d'un investisseur, y compris ses attentes de profit, ne constitue pas une violation d'une obligation prévue dans la présente section ».
En deuxième lieu, d'une part, si le 1 de l'article 8.4 prohibe différentes mesures de limitation ou de restriction de nature à entraver les accès aux marchés couverts par l'accord, ces mesures ont vocation à s'appliquer aux investissements directs, qui relèvent de la compétence exclusive de l'Union européenne. D'autre part, le 2 de l'article 8.4 exclut du champ d'application du 1 différentes catégories de mesures. Il en va ainsi, en particulier, des mesures « restreignant la concentration de la propriété dans le but d'assurer une concurrence loyale » ou « visant à assurer la conservation et la protection des ressources naturelles et de l'environnement ».
En troisième lieu, le chapitre 21 stipule, à son article 21.2, que les parties « s'engagent à développer davantage leur coopération en matière de réglementation en tenant compte de leur intérêt mutuel » en vue d'atteindre différents objectifs. Toutefois, d'une part, le 6 de l'article 21.2 prévoit que « Les Parties peuvent entreprendre des activités de coopération en matière de réglementation sur une base volontaire. Il est entendu qu'une Partie n'est pas tenue de participer à une quelconque activité de coopération en matière de réglementation et peut refuser ou cesser de coopérer ». D'autre part, l'instrument interprétatif commun stipule que « Cette coopération s'effectuera sur une base volontaire, les autorités de réglementation pouvant choisir librement de coopérer, sans y être contraintes ou sans devoir mettre en œuvre les résultats de leur coopération ».
En quatrième lieu, le comité mixte institué par l'article 26.1, composé de représentants de l'Union européenne et de représentants du Canada, a pour principales fonctions celles qui sont énumérées par le 4 de cet article, en particulier celles de superviser et faciliter la mise en œuvre et l'application de l'accord, promouvoir ses objectifs généraux, superviser les travaux des comités spécialisés et résoudre les différends pouvant survenir quant à l'interprétation ou l'application de l'accord dans certains domaines. Le 5 du même article 26.1 confère en outre différentes prérogatives au comité mixte et, en particulier, celle d'adopter des interprétations des stipulations de l'accord qui lient les tribunaux institués en application de la section F du chapitre 8 et du chapitre 29. L'article 26.3 prévoit enfin que le comité mixte dispose, en vue d'atteindre les objectifs de l'accord, « du pouvoir décisionnel pour toute question » dans les cas prévus par l'accord. En vertu du 2 de ce même article, les décisions prises par le comité mixte « lient les Parties ». Cependant, d'une part, si le 2 de l'article 30.2 de l'accord attribue au comité mixte le pouvoir de décider d'amender les protocoles et annexes, cette compétence ne trouve pas à s'appliquer s'agissant des annexes 8-A et 8-B du chapitre 8, relatives à l'expropriation et à la dette publique. D'autre part, les décisions du comité mixte qui lient les parties ne peuvent être adoptées, selon le 3 de l'article 26.3, que « par consentement mutuel » entre les représentants de l'Union européenne et les représentants du Canada qui composent le comité mixte. Par ailleurs, dans une telle hypothèse, la position de l'Union européenne doit être établie par le Conseil en application de la procédure prévue au paragraphe 9 de l'article 218 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne mentionné ci-dessus. Dans ce cas, selon la déclaration n° 19 du Conseil et des États membres du 14 janvier 2017, dès lors qu'une décision du comité mixte relève de la compétence des États membres, la position de l'Union et de ses États membres au sein du comité mixte « est adoptée d'un commun accord » au Conseil. Enfin, si une interprétation adoptée par le comité mixte lie le tribunal institué en vertu de la section F du chapitre 8, cette stipulation a pour objet de garantir que l'Union européenne, ses États membres et le Canada, parties à l'accord, ne se voient pas imposer par le tribunal une interprétation distincte de celle qui recueille leur assentiment.
En dernier lieu, d'une part, le chapitre 29 de l'accord se borne, selon les termes de son article 29.2, à instituer une procédure de règlement des différends « portant sur l'interprétation ou l'application » de ses stipulations. D'autre part, le mécanisme d'arbitrage ainsi prévu et l'exigence qui pèse sur les parties de prendre les mesures nécessaires pour se conformer, selon les termes du chapitre 29, aux « conclusions » du « rapport final » du groupe d'arbitrage ont pour seul objet de veiller à la bonne application de l'accord. En conséquence, ces stipulations n'ont, par elles-mêmes, pas pour effet d'affecter l'élaboration des normes de droit interne.
Par conséquent, les stipulations des chapitres 1er, 21, 26, 27, 28, 29 et 30, qui comportent des prescriptions se rapportant à l'élaboration de normes de droit interne et qui relèvent d'une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres, ne contiennent aucune clause contraire à la Constitution, ne remettent pas en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis et ne portent pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
- 7. DROIT INTERNATIONAL ET DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
- 7.2. RATIFICATION OU APPROBATION DES TRAITÉS ET ACCORDS INTERNATIONAUX
- 7.2.5. Examen de la conformité à la Constitution
- 7.2.5.2. Absence de nécessité de réviser la Constitution
7.2.5.2.19. Application provisoire d'un accord international
Dès lors que l'application provisoire de l'accord économique et commercial global entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part, ne porte que sur des stipulations relevant de la compétence exclusive de l'Union européenne et que l'accord prévoit la possibilité d'interrompre cette application provisoire en cas d'impossibilité pour une partie de le ratifier, les stipulations critiquées ne portent pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
- 7. DROIT INTERNATIONAL ET DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
- 7.2. RATIFICATION OU APPROBATION DES TRAITÉS ET ACCORDS INTERNATIONAUX
- 7.2.5. Examen de la conformité à la Constitution
- 7.2.5.2. Absence de nécessité de réviser la Constitution
7.2.5.2.20. Absence d'irrévocabilité des traités et accords
L'adhésion irrévocable à un engagement international touchant à un domaine inhérent à la souveraineté nationale porte atteinte aux conditions essentielles de son exercice. Toutefois, d'une part, il ressort des termes mêmes de l'article 30.9 de l'accord économique et commercial global entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part, que les parties ne sont pas liées irrévocablement par l'accord soumis à l'examen du Conseil constitutionnel. D'autre part, l'accord ne touche pas, eu égard à son objet, à un domaine inhérent à la souveraineté nationale. Dès lors, les conditions de dénonciation de l'accord prévues par les stipulations précitées ne portent pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
- 7. DROIT INTERNATIONAL ET DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
- 7.3. TRAITÉS ET ACCORDS INTERNATIONAUX EN VIGUEUR
- 7.3.2. Primauté des traités et accords (article 55)
7.3.2.2. Force obligatoire des traités et accords internationaux en vigueur
Dès lors que la France aura ratifié l'accord international qui lui est soumis sur le fondement de l'article 54 de la Constitution et que celui-ci sera entré en vigueur, les règles qui y figurent s'imposeront à elle. La France sera liée par ces stipulations qu'elle devra appliquer de bonne foi en application des « règles du droit public international ». L'accord aura, en application de l'article 55 de la Constitution, une autorité supérieure à celle des lois. Il appartiendra aux divers organes de l'État de veiller à l'application de cet accord dans le cadre de leurs compétences respectives. Ainsi, l'ordre juridique interne défini par la Constitution impose au législateur de respecter les stipulations des traités et accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés. Il incombe toutefois au Conseil constitutionnel de s'assurer que la capacité à édicter des normes de droit interne n'est pas limitée dans une mesure telle qu'il en résulterait une atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
- 7. DROIT INTERNATIONAL ET DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
- 7.4. QUESTIONS PROPRES AU DROIT COMMUNAUTAIRE OU DE L'UNION EUROPÉENNE
- 7.4.2. Spécificité des fondements constitutionnels
7.4.2.1. Participation de la France aux Communautés européennes et à l'Union européenne (article 88-1)
L'article 88-1 de la Constitution n'attribue pas au Conseil constitutionnel la compétence de contrôler la compatibilité d'un engagement international avec les stipulations des traités mentionnés à cet article. Par suite, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de confronter les stipulations de la section F du chapitre 8 aux prescriptions du droit de l'Union européenne qui régissent la compétence de la Cour de justice de l'Union européenne. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 88-1 de la Constitution doit, en conséquence, être écarté.
Dans le cas où le Conseil constitutionnel est saisi, sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, d'un accord qui devait être signé et conclu tant par l'Union européenne que par chacun des États membres de celle-ci, il lui appartient de distinguer entre, d'une part, les stipulations de cet accord qui relèvent d'une compétence exclusive de l'Union européenne en application d'engagements antérieurement souscrits par la France ayant procédé à des transferts de compétences consentis par les États membres et, d'autre part, les stipulations de cet accord qui relèvent d'une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres ou d'une compétence appartenant aux seuls États membres.
S'agissant des stipulations de l'accord qui relèvent d'une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres ou d'une compétence appartenant aux seuls États membres, il revient au Conseil constitutionnel, comme il est rappelé au paragraphe 11, de déterminer si ces stipulations contiennent une clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
S'agissant, en revanche, des stipulations de l'accord qui relèvent d'une compétence exclusive de l'Union européenne, il revient seulement au Conseil constitutionnel, saisi afin de déterminer si l'autorisation de ratifier cet accord implique une révision constitutionnelle, de veiller à ce qu'elles ne mettent pas en cause une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France. En l'absence d'une telle mise en cause, il n'appartient qu'au juge de l'Union européenne de contrôler la compatibilité de l'accord avec le droit de l'Union européenne.
(Application à l'accord économique et commercial global entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses Etats membres, d'autre part).