Décision n° 2017-749 DC du 31 juillet 2017 - Communiqué de presse
Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, de l'accord économique et commercial global entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres (AECG [et, en anglais « CETA »]), d'autre part, signé le 30 octobre 2016. Cet accord a été approuvé par le Parlement européen le 15 février 2017.
Le Conseil constitutionnel était saisi de la question de savoir si cet accord comporte une clause contraire à la Constitution.
L'objet général de l'accord soumis à l'examen du Conseil constitutionnel consiste à « créer un marché élargi et sûr » pour les marchandises et les services des parties et à établir des règles afin de « régir leurs échanges commerciaux et leurs investissements ».
La décision du Conseil constitutionnel, qui a reçu seize contributions extérieures dont la liste est rendue publique sur le site internet du Conseil constitutionnel et procédé à dix auditions, compte 75 paragraphes. Elle se prononce sur les différents griefs qui étaient adressés à l'accord.
Ses principaux aspects sont les suivants.
- L'accord soumis à l'examen du Conseil constitutionnel présente un caractère mixte.
L'essentiel des matières que couvre l'accord relève d'une compétence exclusive de l'Union européenne, qui résulte de transferts de compétences déjà opérés par des traités antérieurement souscrits par la France. Certains des aspects de l'accord relèvent toutefois d'une compétence partagée entre l'Union européenne et ses États membres.
Le Conseil constitutionnel a pris en compte cette nature particulière de l'accord qui lui était soumis ainsi que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne en la matière.
Ainsi, s'agissant des domaines sur lesquels l'Union jouit d'une compétence exclusive, le Conseil constitutionnel a limité l'étendue de son contrôle à la vérification que l'accord ne met en cause aucune règle ou principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France. En l'espèce, eu égard à l'objet de l'accord, qui a le caractère d'un traité de commerce, le Conseil constitutionnel a jugé qu'aucune règle ou principe de cette nature n'était mis en cause.
En ce qui concerne les matières relevant d'une compétence partagée entre l'Union européenne et ses États membres, le Conseil constitutionnel a vérifié si les stipulations de l'accord ne comportent pas de clause contraire à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel s'est en particulier prononcé sur deux aspects de l'accord : le mécanisme de règlement des différends en matière d'investissements et le principe de précaution.
- Le Conseil constitutionnel s'est, en premier lieu, prononcé sur le tribunal institué par l'accord pour régler les différends entre les investisseurs et les États.
Le tribunal créé par l'accord soumis à l'examen du Conseil se caractérise par les éléments suivants.
- Le chapitre de l'accord qui crée le tribunal a pour objet de contribuer à la protection des investissements réalisés dans les États parties.
- Le champ d'application du mécanisme de règlement des différends est délimité par les stipulations de l'accord.
- Les pouvoirs attribués au tribunal sont limités au versement de dommages pécuniaires et à la restitution de biens. Le tribunal ne peut ni interpréter ni annuler des décisions prises par les États.
- Le tribunal comprend autant de membres désignés par l'Union européenne que par le Canada. Les membres désignés par l'Union européenne le sont par un comité mixte composé paritairement entre l'Union européenne et le Canada qui se prononce par consentement mutuel. En outre, la position de l'Union européenne en la matière doit être fixée d'un commun accord avec les États membres.
- Les membres du tribunal et du tribunal d'appel doivent répondre à des exigences de qualification.
- Tout différend peut être porté, le cas échéant, devant le juge national et des mécanismes sont prévus pour éviter les conflits ou les divergences entre le tribunal institué par l'accord et les juridictions de droit interne.
Compte tenu de ces éléments, et dès lors qu'ils ne sont pas de nature à faire obstacle à toute mesure que les États sont susceptibles de prendre en matière de contrôle des investissements étrangers, le Conseil constitutionnel a admis que l'institution du tribunal prévu par l'accord ne méconnaît pas les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
L'accord énonce par ailleurs des « règles d'éthique » auxquelles sont soumis les membres du tribunal et dont la correcte application devra permettre que les principes d'indépendance et d'impartialité ne soient pas méconnus.
Enfin, le Conseil constitutionnel a jugé que les règles qui régissent le tribunal ne méconnaissent pas le principe d'égalité. En particulier, si l'accès au tribunal institué par l'accord est, en France, réservé aux seuls investisseurs canadiens, cela répond à un double motif d'intérêt général. D'une part, l'accord crée, de manière réciproque, un cadre protecteur pour les investisseurs français au Canada. D'autre part, les règles en cause permettent d'attirer les investissements canadiens en France.
- Le Conseil constitutionnel a, en second lieu, statué sur le principe de précaution dont il a réaffirmé la valeur constitutionnelle.
Sur ce point, le Conseil a d'abord rappelé les engagements des parties contenus dans le chapitre 22 de l'accord expressément consacré au commerce et au développement durable.
Le Conseil constitutionnel a ensuite jugé, d'une part, que l'absence de mention expresse du principe de précaution dans les stipulations de l'accord qui relèvent d'une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres n'emporte pas de méconnaissance de ce principe. En outre, les décisions du comité mixte sont soumises au respect du principe de précaution protégé par le droit de l'Union européenne, notamment par l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Le Conseil constitutionnel s'est enfin fondé sur le 2 de l'article 24.8 de l'accord qui stipule : « Les parties reconnaissent que, en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne sert pas de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures économiquement efficaces visant à prévenir la dégradation de l'environnement ». Ces stipulations autorisent les parties à prendre des mesures économiquement efficaces visant à prévenir la dégradation de l'environnement en cas de risque de dommages graves ou irréversibles. En outre, l'instrument interprétatif commun de l'accord précise que les parties sont tenues d'assurer et d'encourager des niveaux élevés de protection de l'environnement.
Le Conseil constitutionnel en a conclu que l'ensemble de ces stipulations sont propres à garantir le respect du principe de précaution issu de l'article 5 de la Charte de l'environnement.
- Le Conseil constitutionnel s'est enfin prononcé sur l'application provisoire de l'accord et sur ses conditions de dénonciation.
S'agissant de l'application provisoire, d'une part celle-ci ne porte que sur des stipulations relevant de la compétence exclusive de l'Union européenne. D'autre part, l'accord prévoit la possibilité d'interrompre cette application provisoire en cas d'impossibilité pour une partie de le ratifier.
S'agissant des conditions de dénonciation, d'une part, il ressort des termes de l'accord que celui-ci n'est pas irrévocable. D'autre part, l'accord ne touche pas, eu égard à son objet, à un domaine inhérent à la souveraineté nationale.
Au terme de son analyse, et dans le strict cadre de son examen de constitutionnalité d'un accord qui, pour une large partie, relève de la compétence exclusive de l'Union européenne, le Conseil constitutionnel a jugé que celui-ci n'implique pas de révision de la Constitution.