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Décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013 - Saisine par 60 sénateurs

Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière
Non conformité partielle - réserve

Les sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, aux fins de déclarer les articles 1er, 1er bis, 1er ter, 3, 3 bis F, 10, 10 bis, 11 bis C, 11 nonies, 11 terdecies et 15 (numérotation : lecture définitive à l'Assemblée nationale) de la présente loi contraires à la Constitution.

  • L'article 1er donne aux associations de lutte contre la corruption, déclarées depuis au moins cinq ans et agréées, la possibilité de se constituer partie civile. Cette disposition paraît, aux auteurs de la présente saisine, discutable d'un point de vue constitutionnel.

Elle porte d'une part atteinte au droit au respect de la vie privée en donnant, à des groupements qui n'offrent aucune garantie de probité, la possibilité de déclencher l'action publique sans l'entourer d'un minimum d'exigences. Car si la loi prévoit que ces associations devront être agréées, aucun garde-fou n'est instauré, notamment quant aux exigences de bonne foi de ces associations.

De plus, s'il n'est pas nouveau que les associations agréées disposent de certains pouvoirs (comme la mise en oeuvre de l'action de groupe), cette disposition pose néanmoins la question de la « privatisation » de l'action publique.
D'autre part, en omettant de prévoir les garanties de procédure nécessaires pour les individus mis en cause, la loi porte atteinte à la présomption d'innocence.

  • L'article 1er bis de la loi visée modifie l'article 131-38 du code pénal, qui définit les peines correctionnelles et criminelles applicables aux personnes morales. Le dispositif de la loi citée a pour objet de permettre à la juridiction pénale de porter la peine d'amende éventuellement prononcée, au-delà du classique plafond de cinq fois le montant de l'amende fulminée pour les personnes physiques, jusqu'au dixième du chiffre d'affaires moyen annuel de cette personne morale. En cas de condamnation de la personne morale en récidive, l'amende peut être portée jusqu'à 20 % d'un tel chiffre d'affaires moyen, au-delà du plafond de dix fois le montant de la peine d'amende prévue pour les personnes physiques.

Le Sénat avait proposé de limiter l'application de ce nouveau mécanisme de répression aux crimes et délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et ayant procuré à la personne morale incriminée un profit direct ou indirect. De même, pour des raisons pratiques, il avait suggéré une autre méthode de calcul du chiffre d'affaires moyen de la personne morale prévenue, ce dernier étant désormais calculé à partir des trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date des faits et non au jour de l'audience.

Sous couvert de renforcer le principe d'individualisation des peines, l'article 1er bis de cette loi bafoue de nombreux principes et exigences constitutionnels, au rang desquels le principe de nécessité des peines, le principe d'égalité devant la loi pénal et l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

Selon le mécanisme prévu par l'article 1er bis, les peines d'amende qu'encourraient les personnes morales ne seraient plus déterminées par rapport à la gravité de l'infraction ou au profit qu'elles en auraient retiré mais uniquement en fonction de leurs capacités financières. Ce nouveau dispositif de répression des personnes morales est non seulement contraire au principe de proportionnalité des peines (1) mais résulte également d'une dénaturation du principe d'individualisation des peines (2).
De plus, le dispositif de cet article a essentiellement pour but d'accentuer la répression pénale des grandes entreprises.

Par conséquent, l'article 1er bis institue une différence de traitement entre les taux d'amende maximum pratiqués exclusivement fondée sur la taille et la puissance économique de la personne morale incriminée. Pour la même infraction, les grandes entreprises se verront potentiellement infliger une amende indexée sur leur chiffre d'affaires, tandis que les petites et moyennes entreprises pourront continuer à être punies d'une amende égale au quintuple de celle encourue par les personnes physiques. Une telle différence de traitement est résolument contraire au principe d'égalité devant la loi pénale (3).

Enfin, l'article 1er bis ne fixe pas les règles d'articulation entre les deux modes de répression des personnes morales.
Certes, le législateur a prévu que la référence au chiffre d'affaires ne sera applicable qu'aux peines d'amende prononcées à l'encontre des personnes morales reconnues coupables « d'un crime ou d'un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect ».

Néanmoins, il laisse un certain nombre de questions en suspens : le juge répressif sera-t-il obligatoirement tenu de déterminer le montant de l'amende en fonction du chiffre d'affaires de la personne morale incriminée lorsque celle-ci commettra une infraction prévue par cet article 1er ? le nouveau mécanisme s'appliquera-t-il à l'hypothèse dans laquelle la fraction maximale du chiffre d'affaires susceptible d'être retenue sera inférieure au plafond de l'amende actuellement prévu par le code pénal ? Ce dispositif n'a-t-il vocation qu'à s'appliquer à l'hypothèse dans laquelle le profit retiré par la personne morale prévenue sera supérieur au plafond de l'amende actuellement fixé par l'article 131-38 du code pénal ? Pour les personnes morales appartenant à un groupe de sociétés, quel chiffre d'affaires sera pris en compte ? Que recouvre la notion de crimes ou délits ayant procuré un profit direct ou direct ?

En raison du flou juridique qu'elles entretiennent, les dispositions de l'article 1er bis ne permettent pas de connaître avec suffisamment de précision les peines encourues par les personnes morales.
Or, il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34, qui le rend seul compétent pour « la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ».
Le plein exercice de cette compétence, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. Ces règles ont pour but de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi.(4)

  • L'article 1 ter crée une possibilité d'exemption ou de réduction de peine pour les personnes dont la responsabilité pénale est engagée au titre des infractions de blanchiment, corruption ou trafic d'influence, mais dont la collaboration avec les autorités publiques leur donne la qualité de « repentis », actuellement prévu par l'article 132-78 du code pénal.

La constitutionnalité d'une telle possibilité légale n'a jamais été discutée, alors qu'elle suscite des interrogations au regard de plusieurs principes, notamment l'égalité devant la justice pénale, puisque la peine infligée pour un même fait délictuel variera de façon arbitraire selon le degré de coopération de la personne déclarée coupable et l'accord de l'autorité judiciaire, ou encore les droits de la défense face aux accusations du repenti et au regard de l'équité du procès pénal compte tenu de la fiabilité douteuse des preuves qui seront produites aux fins de la condamnation d'autres prévenus

Cette disposition de la loi visée méconnaît donc, selon les requérants, plusieurs principes constitutionnels.
Elle porte atteinte au principe d'égalité devant la loi pénale, qui résulte de l'article 6 de la Déclaration des droits de 1789.
Elle est contraire aux principes de nécessité et d'individualisation des peines, qui découlent de l'article 8 de la Déclaration des droits.
Elle viole le principe du respect des droits de la défense, garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789.
Si un tel dispositif peut se justifier en vue d'augmenter l'efficacité de la répression pénale, il ne vise, jusqu'à présent, que des infractions particulièrement graves comme la fausse monnaie, association de malfaiteurs, terrorisme, trafic de stupéfiants.

  • L'article 3 permet l'application de la notion de « bande organisée » au délit de fraude fiscale, ce qui emporte une augmentation des peines encourues et justifie une extension des techniques spéciales d'enquête.

Cependant, cet article méconnaît les principes de nécessité et de proportionnalité des peines, compte tenu de la nature du délit de fraude fiscale.
En outre, le délit de fraude fiscale ne présente aucune des caractéristiques justifiant le recours à des procédures dérogatoires d'enquête.

La transposition de la notion de bande organisée dans le domaine fiscal est contestable. En effet, comme le précisent les travaux parlementaires, et plus précisément l'avis de la commission des finances, « cette notion de bande organisée permet de recourir, pour les enquêtes sur les délits de fraude fiscale, aux techniques spéciales d'enquête applicables à la criminalité organisée et à la grande délinquance économique et financière ».

Lu en combinaison avec l'article 16 de la loi visée, ces techniques sont désormais applicables en la matière. Il s'agit de « la surveillance, prévue à l'article 706-80 du code de procédure pénale, l'infiltration, prévue aux articles 706-81 à 706-87 du même code, la garde à vue allongée à quatre jours, à l'article 706-88, les interceptions de correspondances téléphoniques au stade de l'enquête, à l'article 706-95, les sonorisations et fixations d'images de certains lieux ou véhicules, aux articles 706-96 à 706-102, les captations des données informatiques, aux articles 706-102-1 à 706-102-9, et les saisies conservatoires, à l'article 706-103 ».

En particulier, l'article 706-88 du CPP prévoit deux règles dérogatoires par rapport au régime de droit commun de la garde à vue : la possibilité que soient ordonnées par le juge des libertés et de la détention deux prolongations supplémentaires de vingt-quatre heures chacune, soit une durée maximale portée à quatre jours ; et la possibilité que l'intervention de l'avocat soit différée, pendant une durée maximale de quarante-huit heures, sur décision du juge d'instruction si une information est ouverte, et sur décision du procureur de la République jusqu'à la vingt-quatrième heure et du juge des libertés et de la détention après la vingt-quatrième heure dans le cadre d'une enquête préliminaire.

La disposition visée à l'article 3 paraît donc excessive, au sens de la jurisprudence de votre Conseil (5), selon lequel législateur peut prévoir des mesures d'investigation spéciales en vue de constater des crimes et délits d'une gravité et d'une complexité particulières, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs sous réserve que « les restrictions qu'elles apportent aux droits constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité, proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises et n'introduisent pas de discriminations injustifiées ».
En outre, l'article 3 fait d'une circonstance aggravante le simple fait que la fraude a été réalisée ou facilitée au moyen « de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger », alors qu'aujourd'hui, constitue une circonstance aggravante le fait que la fraude a été réalisée au moyen de comptes ouverts ou de contrats souscrits avec des États dits « non coopératifs ».
L'inclusion, parmi les circonstances aggravantes, du délit de fraude fiscale de la simple ouverture d'un compte à l'étranger, y compris s'il est déclaré, pose la question de la conformité de la loi à la fois au principe de proportionnalité des peines et de légalité des peines.

  • L'article 3 bis F interdit à l'administration fiscale de transiger sur les pénalités fiscales lorsqu'elle envisage de mettre en mouvement l'action publique, pour les infractions mentionnées au code général des impôts.

Or cette disposition va bien au-delà des principes du droit positif qui est d'assurer une égalité de traitement entre les contribuables à l'occasion d'une procédure de transaction et non d'interdire tout recours à la transaction pénale en ce domaine.

Cette disposition méconnaît le principe de séparation des pouvoirs et la garantie des droits, consacrés par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui exigent que, lorsque la transaction conclue par une autorité administrative met fin à l'action publique pour l'application des peines encourues à raison d'infractions définies par la loi, celle-ci précise les conditions de son homologation par l'autorité judiciaire - procureur de la République tant que l'action publique n'est pas mise en mouvement et juridiction pénale lorsque cette dernière a été saisie (6) ; en effet, cette disposition prive l'administration fiscale et l'autorité judiciaire de leurs pouvoirs d'appréciation et de leurs prérogatives.

De plus, elle est contraire à l'exigence d'intelligibilité de la loi ; l'imprécision du texte introduit un risque d'application arbitraire par l'administration fiscale.

En ne précisant pas ce que recouvre le terme « envisage » recouvre concrètement comme objectif (saisine de la commission des infractions fiscales, ou avis de cette dernière, ou dépôt de plainte) et en ne distinguant pas les diverses infractions susceptibles de sanctions pénales, le texte méconnait ainsi les exigences constitutionnelles de clarté et d'intelligibilité de loi. (7)

Enfin, cette disposition contrevient au principe d'individualisation des peines, découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits, lequel est applicable aux sanctions fiscales à caractère répressif, qui prescrit de fixer les peines et leur régime en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur (8), y compris lorsqu'elles sont révélées après la plainte de l'administration ou la mise en mouvement de l'action publique.

  • Les articles 10 et 10 bis permettent à l'administration fiscale d'exploiter les informations qu'elle reçoit et de procéder à une visite domiciliaire sur le fondement de toute information qu'elle qu'en soit l'origine.

Ces dispositions portent atteintes au respect à la vie privé puisque, au respect des droits de la défense, protégé par l'article 16 de la Déclaration de 1789, et à l'équité de la procédure fiscale qui est ainsi viciée.
Ainsi, ce texte contrevient au principe de respect de la vie privée dès lors que de telles preuves pourront valablement être produites, alors qu'elles auront été obtenues en violation du droit fondamental qu'est le respect des droits de la défense, protégé par l'article 16 de la Déclaration de 1789, en ce qu'elles vicient l'équité de la procédure.
L'article 10 doit être lu en relation avec l'article 10 bis qui dispose qu'en ce qui concerne les visites domiciliaires (en matière fiscale, mais aussi douanière), le juge peut prendre en compte les documents dont l'origine est illégale, mais régulièrement transmis à l'administration, sous réserve que leur utilisation est proportionnée à l'objectif poursuivi par la visite domiciliaire.

  • L'article 11 nonies constitue une rupture manifeste du principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques, dans la mesure où il fait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives, voire confiscatoire.

Cet article prévoit qu'à partir du 1er janvier 2016, les pays qui ne se seront pas engagés à mettre en place un échange automatique d'informations avec la France seront inscrits sur la liste des Etats et Territoires Non Coopératifs (« ETNC »). Ne pourront également plus être retirés de la liste les pays qui n'auront pas effectivement conclu une telle convention. Cet article devrait donc conduire à augmenter de façon significative le nombre d'Etats qualifiés d'ETNC dès 2016.

La notion d'ETNC a été créée en 2009 afin de pénaliser fortement les Etats ou territoires ayant un comportement fiscal déloyal et dommageable aux intérêts français. Ayant pour objectif de dissuader les entreprises et les particuliers qui utilisent ces Etats ou territoires à des fins de fraude ou d'évasion fiscale, il s'agit d'un dispositif répressif d'exception, qui prévoit légitimement de lourds prélèvements sur tous les types de revenus et de flux susceptibles de provenir de ces Etats ou d'y être versés depuis la France.

Le principe d'égalité ne fait certes pas obstacle à ce que soient établies des dispositions fiscales anti-abus du type de celles visant les ETNC, pourvu que les règles qu'il fixe à cet effet soient justifiées au regard des objectifs d'intérêt général poursuivis. Une condition est néanmoins posée à cette exception : le texte doit fonder son application sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts proposés, c'est-à-dire de façon proportionnée à l'objectif constitutionnel de lutte contre l'évasion fiscale poursuivi par le législateur (9).

Or, selon les requérants, cet article 11 nonies ne remplit aucune de ces deux conditions :
Tout d'abord, le nouveau critère fixé par le texte pour élaborer la liste des ETNC est un critère impossible à définir à ce jour, en l'absence de consensus international sur les modalités d'un échange automatique d'informations. Seul un très faible nombre de pays ont conclu à ce jour une convention prévoyant expressément un échange automatique d'informations avec la France. Des groupes de travail sont d'ailleurs mis en place au sein de l'OCDE afin de réfléchir à l'outil qui pourrait être créé pour permettre cet échange mais ces travaux n'ont pas encore abouti. Ce critère, dont personne ne sait ce qu'il recouvre exactement, ne nous parait donc pas un critère raisonnable et objectif.

En outre, il y a une absence manifeste de proportionnalité entre les sanctions encourues, aggravées du fait de l'élargissement du champ d'application du dispositif ETNC, et l'objectif de lutte contre l'évasion fiscale poursuivi par le législateur. Ce texte peut en effet entraîner un prélèvement fiscal global susceptible de dépasser 80 % d'un même revenu.
Compte tenu de ce niveau excessif de taxation, il est essentiel que l'objectif légitime du gouvernement et du législateur de durcir les sanctions contre la fraude et l'évasion fiscales s'accompagne de la possibilité pour les contribuables de renverser la présomption d'évasion fiscale (10).
Or, la présomption de fraude ou d'évasion fiscale est irréfragable dans certaines règles du dispositif qui ne prévoient pas de clause de sauvegarde. C'est en particulier le cas de l'article 145-6 j du CGI (exclusion des dividendes perçus d'un ETNC du régime d'exonération des sociétés mères et filiales), de l'article 219 a sexies-0 ter du CGI (pendant de l'article 145-6 j en matière de plus-values de cessions sur titres) et de l'article 187-2 du CGI (retenue à la source au taux majoré de 75 % sur les dividendes versés dans un ETNC).

Dès lors qu'il élargit le champ d'application de règles qui ne permettent pas au contribuable de renverser la présomption d'évasion fiscale instituée par le texte (par une clause de sauvegarde), l'article 11 nonies ne paraît pas conforme au principe d'égalité devant les charges publiques.

  • Les articles 11bis C et 11 terdecies sont également, selon les requérants, contraire à la Constitution. Ces articles créent pour les entreprises une obligation d'information qui peut être difficile à remplir en pratique et assortissent les manquements de sanctions extrêmement lourdes, manifestement disproportionnées par rapport à l'intention sous-jacente de la mesure.

Ainsi, l'article 11 bis C autorise l'administration à prendre des copies de documents dans le cadre du contrôle fiscal sous peine d'amende. Lorsque ce montant est supérieur à 10 000 €, cette amende est de 1 % du chiffre d'affaires déclaré par exercice soumis à contrôle. L'emport de document par l'administration était auparavant sujet à l'accord du contribuable. Faciliter les modalités de contrôle de l'administration constitue un objectif légitime du législateur mais la nouvelle obligation qui pèse sur le contribuable est assortie d'une sanction qui parait excessive eu égard à cet objectif. Ce droit nouveau de l'administration ne fait en outre l'objet d'aucun encadrement puisque l'administration n'a pas à justifier en quoi les documents dont la copie est demandée sont pertinents au contrôle, alors même que certains documents pourraient contenir des informations confidentielles et sensibles.

De plus, l'article 11 terdecies prévoit que l'administration aurait désormais la possibilité de mettre en demeure une entreprise de produire les éléments déclaratifs relatifs à ses actionnaires et à ses filiales et participations figurant dans les déclarations de résultats. Pour chaque manquement constaté après mise en demeure, une sanction spécifique pouvant atteindre 10 % des droits rappelés s'appliquerait. Le texte ne précise pas la nature des éléments déclaratifs qui seront demandés à l'entreprise sur ses actionnaires ou filiales. Le critère utilisé manque dès lors d'objectivité et de précision. Par ailleurs, les entreprises peuvent ne pas disposer des éléments d'information financière, comptable ou fiscale précis sur leurs filiales et (surtout) leurs actionnaires. Au-delà même de ces éléments relatifs aux critères posés par le texte, la sanction parait une fois encore excessive par rapport à l'objectif.

  • Enfin les requérants attirent l'attention de votre Conseil sur la conformité à la Constitution de l'article 15 créant un parquet financier à compétence nationale compétent en matière de lutte contre la corruption et la fraude fiscale. Le texte vise notamment, d'après son exposé des motifs à « modifier l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature afin de limiter l'exercice des fonctions de procureur de la République financier à une durée de sept années, à l'instar des autres procureurs de la République ou d'un procureur général, tout en prévoyant des garanties d'affectation ».
    La loi déférée crée un procureur de la République financier, qui en réalité « nuira à l'efficacité de l'action », comme l'a rappelé l'ancien garde des Sceaux, Michel Mercier à l'occasion de la nouvelle lecture au sénat le 8 octobre 2013. En effet, il est ainsi institué une compétence concurrente entre le procureur de la JIRS et le procureur de la République financier à Paris. Même si madame Taubira, garde des Sceaux a prévu « d'agir par voie de circulaire générale », comme le prévoit l'étude d'impact ; or cette procédure ne respecte pas la répartition des compétences des articles 34 et 37 de la Constitution, puisqu'en matière de procédure pénale, c'est au législateur de fixer les règles (11).

Selon les requérants, il y a donc un réel vide juridique qui vicie l'instauration de ce procureur de la République financier, tel que prévu dans la loi déférée.

(1) Principe qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, impose au législateur de déterminer la peine applicable à chaque infraction, proportionnellement à sa gravité objective et, le cas échéant, aux avantages qui en sont retirés.

Le non-respect de ce principe a conduit, par exemple, le Conseil constitutionnel à censurer l'article 1740 ter A du code général des impôts, sanctionnant d'une amende de 100 francs, toute omission ou inexactitude dans la facturation et d'une amende de 10 000 francs le défaut de présentation d'une facture. La juridiction constitutionnelle a estimé, en effet, que nonobstant les garanties de procédure dont elle était assortie, cette disposition « pourrait, dans nombre de cas, donner lieu à l'application de sanctions manifestement hors de proportion avec la gravité de l'omission ou de l'inexactitude constatée, comme d'ailleurs avec l'avantage qui en a été retiré » (Décision n° 97-395 DC du 30 décembre 1997, « Loi de finances pour 1998 »)

(2) Principe qui découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789, et qui implique qu'une peine ne puisse être appliquée « que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce ». Traduction de ce principe, l'article 132-34 du code pénal autorise notamment la juridiction répressive, lorsqu'elle prononce une peine d'amende, à déterminer son montant en tenant compte des ressources et des charges de l'auteur de l'infraction (Décision n° 2010-41 QPC du 29 septembre 2010, Société Cdiscount et autre)

(3) Ce principe découle de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Si le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur une grande liberté pour opérer des différenciations entre agissements de nature différente,3 il considère néanmoins que « la loi pénale ne saurait, pour une même infraction, instituer des peines de nature différente, sauf à ce que cette différence soit justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi ». (Décision n° 2011-161 QPC du 9 septembre 2011, Mme Catherine F., épouse L.)

(4) Décision n° 2009-592 DC du 19 novembre 2009, « Loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie ».

(5) Décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004.

(6) En ce sens C. Const., n° 2006-535 DC, du 30 mars 2006, Loi pour l'égalité des chances et note Schoettl aux Petites Affiches n° 69, p. 3 ; n° 2007-547 DC, du 15 février 2007, Loi organique relative à l'outre-mer et CE Ass., 7 juillet 2006, n° 283178, France Nature Environnement, concl. Guyomar, à la RFDA, 2006, p. 1261.

(7) C. Const., n°2003-473 DC, 26 juin 2003, cons. 5.

(8) C. Const., n° 2007-554 DC, Loi renforçant la lutte contre la récidive.

(9) Décision n° 2009-599 DC du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2009

(10) Ce principe a été réaffirmé à l'occasion de l'arrêt Sonepar du Conseil d'Etat : CE, 9e et 10e ss-sect., le 2 février 2012, n° 351600

(11) Décision n° 2010-54 QPC -14 octobre 2010 Union syndicale des magistrats administratifs (USMA)