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Décision n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000 - Saisine par 60 sénateurs

Loi d'orientation pour l'outre-mer
Non conformité partielle

Les sénateurs soussignés demandent au Conseil constitutionnel de bien vouloir déclarer contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi d'orientation pour l'outre-mer, adoptée en dernière lecture par l'Assemblée nationale le 15 novembre 2000, et ce sur la base de l'argumentation qui suit : LES ARTICLES 1ER, 42, 43 ET 62 DE LA LOI DÉFÉRÉE DOTANT LES RÉGIONS ET DÉPARTEMENTS D'OUTRE-MER D'UNE ORGANISATION PARTICULIÈRE SONT CONTRAIRES A LA CONSTITUTION.
1 - L'article 1er de la loi déférée est contraire aux articles 1er et 73 de la Constitution. La loi en son article 1er énonce qu'elle « a pour objet de poursuivre, avec les départements d'outre mer et Saint-Pierre et Miquelon, la rénovation du pacte qui unit l'outre-mer à la République. A ce titre elle reconnaît à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à la Réunion la possibilité de disposer à l'avenir d'une organisation institutionnelle qui leur soit propre. Respectant l'attachement des Réunionnais à ce que l'organisation de leur île s'inscrive dans le droit commun, elle accorde aux assemblées locales des départements français d'Amérique la capacité de proposer des évolutions statutaires. Dans ce cadre elle pose le principe de la consultation des populations sur les évolutions qui seraient envisagées ». Ces dispositions constituent non un aménagement limité des compétences des régions et des départements d'outre-mer mais aboutissent à opérer une différenciation excessive de ceux-ci par rapport aux collectivités métropolitaines, à créer des entités territoriales, en autorisant leur organisation particulière, en contrariété avec toute jurisprudence, et en contradiction avec les articles 1er et 73 de la Constitution, nonobstant l'absence d'intelligibilité et de clarté de ces dispositions au regard de celles de l'article 62 de la loi qui autorisent la consultation pour avis des habitants des quatre départements d'outre-mer.
2 - Les articles 42 et 43 de la loi déférée sont contraires aux articles 3, 52, 53 et 53-1 de la Constitution et au principe de la souveraineté nationale. L'article 42 de la loi dispose notamment que « Dans les domaines de compétences de l'Etat, les autorités de la République peuvent délivrer pouvoir au Président du Conseil général des départements d'outre-mer pour négocier et signer des accords avec un ou plusieurs Etats ou territoires (...) ou avec des organismes régionaux ». Or cette disposition doit être regardée comme contraire à l'article 52 de la Constitution en ce qu'elle méconnaît la compétence du Chef de l'Etat en matière de négociation et de ratification des traités, nonobstant celle du Gouvernement pour approuver et signer les accords en forme simplifiée. Elle porte atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale telles que définies depuis votre décision du 9 avril 1992 (308 DC). Elle méconnaît en outre l'article 53 de la Constitution en ce qu'elle ne réserve pas la compétence du législateur, ainsi que l'article 53-1 de la Constitution Qui réserve à la République la conclusion des accords déterminant l'examen des demandes d'asile. De même, l'article 43 de la loi déférée, autorisant les conseils régionaux de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et de la Réunion à adresser au Gouvernement des propositions en vue de la conclusion d'engagements internationaux, comme la faculté offerte aux autorités de la République de délivrer pouvoir au président de leur conseil régional respectif pour négocier et signer des accords internationaux doit être regardé comme contraire à la Constitution.
3 - L'article 62 de la loi déférée est contraire à l'alinéa 2 du préambule de la Constitution et à ses articles 1er et 72. L'article 62 découlant de l'article 1er de la loi dispose notamment que « Dans les régions qui comprennent un seul département, il est créé un congrès des élus départementaux et régionaux composé des conseillers généraux et des conseillers régionaux ». L'institution d'un Congrès doit être considérée comme contraire au principe d'égalité entre les départements d'outre-mer en portant atteinte à l'unité du régime des départements tandis que cette disposition ne saurait se justifier par la situation particulière des régions monodépartementales. Par ailleurs, ce « Congrès » formé des élus départementaux et régionaux prend les traits d'une troisième assemblée délibérante permanente et non élue, ce en contradiction avec le principe de libre administration des collectivités locales posé par l'article 72 de la Constitution. Ses avis portent « sur toute proposition d'évolution institutionnelle, de toute proposition relative à de nouveaux transferts de compétences de l'Etat vers le département et la région concernés, ainsi que de toute modification de la répartition des compétences entre ces collectivités locales ». De même ces propositions sont de façon obligatoire, discutées par le conseil général et le conseil régional, ce en contradiction avec l'article 72 de la Constitution. Enfin, la consultation de la population prévue à l'article 62 décidée par le Gouvernement « au vu des propositions mentionnées à l'article L. 5915-1 et des délibérations adoptées dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 5915-3, déposer un projet de loi organisant une consultation pour recueillir l'avis de la population du département concerné sur les matières mentionnées à l'article L. 5915-1 » y compris, par conséquent, sur « l'évolution institutionnelle », ne saurait regarder que les territoires d'outre-mer auxquels la Constitution dans son article 1er reconnaît, et à eux seuls, le droit à la libre détermination. L'ensemble des dispositions précitées dépasse le cadre d'une simple adaptation du statut des départements d'outre-mer, mais s'apparentent à une « organisation particulière », réservée en vertu de l'article 74 de la Constitution aux seuls territoires d'outre-mer mentionnés au 2ème alinéa du préambule de la Constitution de 1958 et doivent être regardées comme contraires à la Constitution (147 DC).
En conséquence, sur la base des arguments présentés, les sénateurs requérants demandent que les articles 1er, 42, 43, 62 de la loi déférée soient déclarés contraires à la Constitution.