Décision n° 86-1001/1002/1009/1014 AN du 8 juillet 1986
Le Conseil constitutionnel,
Vu l'article 59 de la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code électoral ;
Vu le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l'élection des députés et des sénateurs ;
Vu la requête n° 86-1001 présentée par Antoine Joseph Sisti, demeurant quartier Fiumenda à Pietroso, Haute-Corse, enregistrée le 25 mars 1986 à la préfecture de la Haute-Corse et tendant à l'annulation de l'élection de MM. Pierre Pasquini et Emile Zuccarelli, élus députés le 16 mars 1986 dans le département de la Haute-Corse ;
Vu la requête n° 86-1002 présentée par Jean-Baptiste Calendini, demeurant 39 boulevard Paoli à Bastia, Haute-Corse, enregistrée le 25 mars 1986 à la préfecture de la Haute-Corse et tendant à l'annulation de l'élection de MM. Pierre Pasquini et Emile Zuccarelli, élus députés le 16 mars 1986 dans le département de la Haute-Corse ;
Vu la requête n° 86-1009 présentée par M. Jean Baggioni, demeurant Villa di Pietrabungo, Villa Stella à Bastia, Haute-Corse, enregistrée le 26 mars 1986 à la préfecture de la HauteCorse et tendant à l'annulation de l'élection de MM. Pierre Pasquini et Emile Zuccarelli, élus députés le 16 mars 1986 dans le département de la Haute-Corse ;
Vu la requête n° 86-1014 présentée par M. Maurice Franceschi, demeurant quartier Saint-Antoine à Bastia, Haute-Corse, enregistrée le 27 mars 1986 à la préfecture de la Haute-Corse et tendant à l'annulation de l'élection de MM. Pierre Pasquini et Emile Zuccarelli, élus députés le 16 mars 1986 dans le département de la Haute-Corse ;
Vu les observations en défense présentées par MM. Emile Zuccarelli et Pierre Pasquini, députés, enregistrées les 29 avril et 2 mai 1986 et les observations en réplique présentées par M. Jean Baggioni, enregistrées le 16 mai 1986 ;
Vu les observations présentées par le ministre de l'intérieur, enregistrées le 21 mai 1986, et les réponses à ces observations présentées par MM. Pierre Pasquini et Emile Zuccarelli, enregistrées les 3 et 6 juin 1986, et par MM. Jean Baggioni et Antoine Joseph Sisli, enregistrées les 4 et 16 juin 1986 ;
Vu les autres pièces produites et jointes aux dossiers ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre les même opérations électorales ; qu'il convient de les joindre pour qu'il y soit statué par une même décision ;
2. Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que de nombreuses procurations irrégulières ont été utilisées lors du scrutin législatif du 16 mars 1986 dans la ville de Bastia, que les vérifications effectuées par la commission de contrôle des opérations de vote ont, en particulier, permis d'identifier soixante procurations suspectes dont la saisie, demandée par le parquet, n'a pu être opérée, les documents correspondants ayant purement et simplement disparu à la clôture du scrutin ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que des procurations irrégulières ont pu être établies sur présentation de billets d'avion au départ de Bastia, annulés après obtention des procurations ; que les compagnies Air France et Air Inter ont confirmé l'existence de telles annulations ;
4. Considérant que, à la suite de la proclamation des résultats des élections pour la ville de Bastia, intervenue le 16 mars à 21 h 30 au bureau centralisateur, les documents électoraux, dont la remise avait été sollicitée dès 23 h 30 par les officiers de police mandatés par le commissaire de la République, n'ont en définitive été remis, pour être acheminés à la préfecture, que le 17 mars à 01h 40 ; que ces documents étaient constitués de deux enveloppes fermées et cachetées du sceau de la mairie, dont l'une contenait les listes d'émargement pour les élections législatives des dix-sept bureaux de vote de la ville ;
5. Considérant que les listes d'émargement ainsi transmises à la préfecture n'étaient pas celles utilisées lors du scrutin ; que, en particulier, dix de ces listes comportent uniquement des croix alors que les listes originales avaient été émargées par des paraphes ; qu'en outre, pour onze d'entre elles les votes ne sont pas comptabilisés et elles ne comportent pas la signature des membres du bureau ; que ces faits, confirmés par les nombreuses dépositions recueillies par les quatre requérants, ont conduit le commissaire de la République à porter plainte pour falsification de documents officiels ;
6. Considérant que la disparition des volets de procuration suivie de la substitution de listes d'émargement falsifiées aux listes originales empêchent tout contrôle du nombre exact et de la validité des votes par procuration ; que de telles irrégularités, par leur gravité, leur nombre et leur caractère organisé, interdisent de retenir comme sincères les opérations de vote dans la ville de Bastia et de déterminer avec certitude le nombre des voix obtenues dans cette ville par chacune des listes en présence ; que, dans ces circonstances, le juge de l'élection ne peut substituer d'autres résultats à ceux proclamés pour l'ensemble des bureaux de vote du département de Haute-Corse ; que dès lors, et nonobstant l'écart de voix important existant entre les deux listes qui ont chacune un élu et celle conduite par M. Baggioni, il y a lieu d'annuler l'ensemble des opérations électorales ;
Décide :
Article premier :
L'élection législative à laquelle il a été procédé le 16 mars 1986 dans le département de la Haute-Corse est annulée.
Article 2 :
La présente décision sera notifiée à l'Assemblée nationale et publiée au Journal officiel de la République française.Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 juillet 1986, où siégeaient : MM. Robert BADINTER, président, Louis JOXE, Robert LECOURT, Daniel MAYER, Léon JOZEAU-MARIGNÉ, Pierre MARCILHACY, Georges VEDEL, Robert FABRE, Maurice-René SIMONNET.
Journal officiel du 9 juillet 1986, page 8570
Recueil, p. 107
ECLI : FR : CC : 1986 : 86.1001.AN
Les abstracts
- 8. ÉLECTIONS
- 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
- 8.3.6. Opérations électorales
- 8.3.6.8. Dépouillement
8.3.6.8.9. Irrégularités et incidents divers (voir également ci-dessus : Organisation du dépouillement)
La disparition des volets de procuration suivie de la substitution de listes d'émargement falsifiées aux listes originales empêchent tout contrôle du nombre exact et de la validité des votes par procuration. Irrégularités, par leur gravité, leur nombre et leur caractère organisé, interdisant de retenir comme sincères les opérations de vote dans une ville et de déterminer avec certitude le nombre de voix obtenues dans cette ville par chacune des listes en présence. Dans ces circonstances et nonobstant l'écart de voix important entre les deux listes qui ont chacune un élu et une troisième liste, annulation de l'ensemble des opérations électorales.
- 8. ÉLECTIONS
- 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
- 8.3.11. Contentieux - Appréciation des faits par le Conseil constitutionnel
- 8.3.11.3. Irrégularités donnant lieu à rectifications
- 8.3.11.3.4. Organisation du scrutin
8.3.11.3.4.1. Déroulement du scrutin
Irrégularités qui, par leur gravité, leur nombre et leur caractère organisé, interdisent de retenir comme sincères les opérations de vote dans une ville et de déterminer avec certitude le nombre de voix obtenues dans cette ville par chacune des listes en présence. Dans ces circonstances, le juge de l'élection ne peut substituer d'autres résultats à ceux proclamés pour l'ensemble des bureaux de vote du département. Nonobstant l'écart de voix important entre les deux listes qui ont chacune un élu et une troisième liste, annulation de l'ensemble des opérations électorales.