Ferdinand Mélin-Soucramanien

Professeur de droit public à l’université de Bordeaux

Ferdinand Mélin-Soucramanien Professeur de droit public à l’Université de Bordeaux

Ferdinand Mélin-Soucramanien Professeur de droit public à l’Université de Bordeaux
© Goyave de France via Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0

Adoption d’un règlement de procédure pour le contrôle a priori

«Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Je ne vois que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie… ». Désormais, l’héroïne du conte de Perrault pourra apercevoir aussi et, enfin, un règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution. Celui-ci tient en dix-neuf articles et a été adopté le 11 mars 2022 au terme d’une décision « ORGA » rendue sous la présidence de M. Laurent Fabius. Il est applicable depuis le 1er juillet 2022.

Il importe de souligner qu’il aura fallu patienter plus de soixante ans pour que cette décision intervienne alors que l’article 56 de l’ordonnance organique du 7 novembre 1958 relative au Conseil constitutionnel prévoit depuis l’origine que : « Le Conseil constitutionnel complétera par son règlement intérieur les règles de procédure édictées par le titre II de la présente ordonnance… ». Il est inutile de se livrer à une savante explication de texte sur la valeur impérative du futur (« complétera ») choisi par le législateur organique en 1958 pour comprendre que cette disposition faisait peser sur le Conseil constitutionnel une obligation et non une simple faculté. Le Conseil s’était d’ailleurs doté depuis 1959 d’un règlement applicable à la procédure suivie pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs, en 1988 d’un règlement applicable à la procédure suivie pour les réclamations relatives aux opérations de référendum et, en dernier lieu, en 2010 pour la procédure suivie pour les questions prioritaires de constitutionnalité.

S’agissant de la procédure suivie devant lui pour les déclarations de conformité à la Constitution, le Conseil persistait à se fonder sur des règles coutumières, non écrites, si ce n’est un « Guide interne » rédigé par le Secrétaire général du Conseil constitutionnel de 1986 à 1993, M. Bruno Genevois. La connaissance de la procédure pour les déclarations de conformité à la Constitution relevait donc jusqu’à présent du « délit d’initié » pour reprendre la formule du professeur Jean Gicquel (Les cahiers du Conseil constitutionnel, n° 1, 1996). Il en résultait une lacune béante dans la procédure applicable devant le Conseil constitutionnel pour ce qui représente tout de même le cœur de son office. Cette lacune, qui contribuait à faire du Conseil constitutionnel un « lieu de mystère », était d’autant plus perceptible qu’une grande partie de la doctrine constitutionnaliste dénonçait cette situation préjudiciable à la sécurité juridique et, in fine, à l’État de droit. Plusieurs auteurs plaidaient ainsi depuis longtemps en faveur de l’édiction d’un véritable règlement de procédure au nom d’une conception, disons cohérente, de la justice constitutionnelle. L’argument étant qu’elle ne peut s’affranchir elle-même de respecter les principes directeurs du procès dont elle impose par ailleurs le respect à l’ensemble des juridictions nationales. C’était le cas, particulièrement, du professeur Guillaume Drago dès la première édition de son ouvrage publiée en 1998 (Contentieux constitutionnel, 1re éd., P.U.F., 1998, p. 299). C’était le cas aussi, accessoirement, de l’auteur de ces lignes (« La légitimité du Conseil constitutionnel : une question de procédure ? », Revue belge de droit constitutionnel, 1999, p. 325). Tandis que d’autres, moins nombreux certes, mais au premier rang desquels le Doyen Georges Vedel, figure d’autorité s’il en était, prônaient au contraire le statu quo et le maintien d’une forme d’empirisme procédural (« Réflexions sur la singularité de la procédure devant le Conseil constitutionnel », Mélanges en l’honneur de Roger Perrot, Dalloz, 1996, p. 537). Le débat était d’importance car, finalement, il s’agissait de savoir si le contrôle de constitutionnalité a priori des lois représente une simple étape de la procédure législative, faisant ainsi du Conseil constitutionnel une « troisième chambre du pouvoir législatif » ou, au contraire, si ce contrôle pourrait à l’avenir donner lieu à un véritable procès constitutionnel justifiant une application du principe du contradictoire. En toile de fond, derrière l’aspect technique du débat, se posait bien évidemment la question de la légitimité du Conseil constitutionnel en tant que juridiction.

« Un règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution, enfin ! »

Désormais, la lacune est comblée. Cette « codification » était nécessaire, impérative même à nos yeux, mais est-elle réellement suffisante en l’état ? Il nous semble que non car cette « codification » a eu lieu « à droit constant ». Les règles de procédure qui y sont consignées étaient pour l’essentiel celles qui prévalaient et qu’exposent déjà en détail les manuels de contentieux constitutionnel. Quelques règles ont tout de même été précisées, par exemple : celles sur les « contributions extérieures », par cristallisation de la pratique du Conseil constitutionnel formalisée jusqu’alors par deux communiqués (23 février 2017 et 24 mai 2019) ; celles sur le déport et la récusation aux articles 14 et 15, par alignement sur le règlement de procédure de 2010 pour les questions prioritaires de constitutionnalité. Il faut également souligner l’intérêt particulier de l’article 10 de ce règlement de procédure qui prévoit que : « Sur la demande des députés ou sénateurs auteurs d’une saisine, peut être organisée l’audition de ceux d’entre eux qu’ils désignent pour les représenter. Il leur est loisible de produire à cette occasion des observations écrites (…) ». On peut y voir l’amorce d’un épanouissement possible du principe du contradictoire y compris dans ce « procès fait à la loi ». Néanmoins, on ne peut qu’être frappé par la place faite au droit souple dans ce règlement de procédure. C’est le caractère facultatif, optionnel, qui y prédomine. Le recours fréquent à des formules comme « Le Conseil constitutionnel peut », « Il est loisible », etc. traduisent cette volonté manifeste de conjuguer formalisation et souplesse, de « codifier » sans pour autant rigidifier. En définitive, l’adoption de ce règlement de procédure doit assurément être saluée en elle-même. Elle représente, quelles que puissent être les discussions possibles sur son contenu actuel, un progrès de la justice constitutionnelle en France et, par suite, une avancée de l’État de droit. Il s’agit d’une étape supplémentaire de la « longue marche », selon le mot du président Robert Badinter, entreprise par le Conseil constitutionnel sur la voie de sa propre transformation. À nos yeux, en adoptant ce règlement de procédure, le Conseil constitutionnel a fait sa part compte tenu des contraintes qui sont les siennes, notamment celles tenant à la brièveté de ses délais de jugement. Pour le reste du chemin à parcourir, c’est au constituant qu’il appartiendra éventuellement d’intervenir. À chacun ses responsabilités.

3 dates clés

1959

Règlement pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs.

1988

Règlement pour les réclamations relatives aux opérations de référendum.

2010

Règlement pour les questions prioritaires de constitutionnalité.

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OCTOBRE 2022
Conseil constitutionnel
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