Conseil Constitutionnel numérique

Professeur à l’université Lyon 3 (Jean Moulin), directeur du Centre de droit constitutionnel de Lyon

Philippe Blachèr

Il y a 50 ans : la décision « Liberté d’association »

Philippe Blachèr - Il y a 50 ans :
  la décision « Liberté d’association »

«Nous l’avons appris il y a une heure, le Conseil constitutionnel a décidé qu’il n’y avait pas de limite à la liberté d’association. Il a repoussé et déclaré non conforme à la constitution l’article 3 de la loi d’association votée en juin par l’Assemblée nationale. »

Ainsi s’ouvre le journal de 20h00 radiodiffusé de France Inter le 16 juillet 1971. Interrogé sur les motifs de la décision, le doyen Vedel livre alors son analyse à l’antenne : « Pourquoi la loi a-t-elle été censurée ? Il est difficile de le dire car je n’ai pas sous les yeux le texte de la décision, mais très vraisemblablement le Conseil a retenu d’abord le moyen qu’avait annoncé le Président du Sénat à l’appui de son recours, à savoir que la Constitution dans son article 4 garantit la liberté de formation des partis politiques et que, par suite, il y avait une entrave à cette liberté par cette amorce de contrôle a priori qui avait été ainsi prévu par le Gouvernement et voté par l’Assemblée nationale. Il se peut en outre que le Conseil constitutionnel ait retenu l’atteinte à la liberté d’association qui, si elle n’est pas dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est incontestablement aux nombres des principes de la République prévus par la Constitution de 1946 et par le Préambule de 1958 qui en a repris les termes. »

Ce commentaire livré « à chaud » exprime bien l’importance et l’effet de surprise provoqués par la décision n° 71-44 DC. Pour la première fois la juridiction constitutionnelle censure le législateur, et en particulier le Gouvernement dont le ministre de l’intérieur, Raymond Marcellin, était à l’origine de la réforme de la loi sur les associations. Jusqu’alors docile à l’égard de l’exécutif (jouant le rôle de « chien de garde »), le Conseil constitutionnel prend ses distances et accepte d’exercer pleinement ses prérogatives de gardien de la Constitution. Le journal Le Monde en informe le grand public et titre en ce sens : « Le Conseil constitutionnel donne un coup d’arrêt au pouvoir et affirme son indépendance » (19 juillet 1971). La juridiction constitutionnelle tranche, en droit, le conflit politique qui oppose, en ce mois de juin 1971, au Parlement et dans la presse, les défenseurs de la liberté d’association (par ex. Robert Badinter, Le Monde, 30 juin 1971) et le Gouvernement, en lutte contre les associations subversives. En censurant le régime de l’autorisation préalable du projet gouvernemental modifiant la loi de 1901 et en faisant référence aux grands principes républicains du droit constitutionnel, le Conseil constitutionnel se présente alors comme un « défenseur des libertés » (Jacques Robert, Le Monde, 10 juillet 1971), trouvant dans cette posture une légitimité démocratique qui, jusqu’alors, lui été contestée. Et peu importe que la censure ne soit que partielle (puisque deux articles de la loi sont déclarés contraires à la Constitution tandis que « les autres dispositions dudit texte de loi sont déclarées conformes à la Constitution ») ou que la décision rendue n’eut, dans ses effets, qu’une faible portée juridique : les médias ne retiennent de cet épisode que le désaveu infligé au Ministre de l’intérieur.

Le Conseil constitutionnel, « défenseur des libertés ».

Pourtant, la lecture des considérants de la décision Liberté d’association et des procès-verbaux des délibérations, désormais rendus publics, témoigne que la rédaction ne s’est pas déroulée comme on le subodore.

Le projet final ne correspond pas à celui qui avait été préparé par le rapporteur François Goguel (ce dernier étant favorable à la solution de conformité de la loi). D’ailleurs, aucune information ne permet de savoir qui a rédigé la décision adoptée en fin de séance… sans discussion particulière notamment sur la question de la valeur juridique du préambule de la Constitution ! Les délibérations se concentrent sur des questions techniques (de droit parlementaire, de contrôle préalable des associations confié à l’autorité judiciaire) et ne s’attardent pas sur les grands principes. La normativité du préambule n’est quasiment pas abordée. Le sujet, du reste, ne divise pas les membres du Conseil car ce n’est pas la première fois qu’une décision y fait référence ; celle du 19 juin 1970 relative au traité de Luxembourg débute par le visa suivant : « Vu la Constitution et notamment son préambule et ses articles 53, 54 et 62 » (décision n° 70-39 DC). Dans la décision du 16 juillet 1971, le préambule est mentionné dans les visas et dans le considérant n° 2 (« au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution il y a lieu de ranger le principe de la liberté d’association »). Les commentateurs y verront la consécration d’un « bloc de constitutionnalité », expression que le doyen Favoreu fera monter en généralité en l’assimilant aux normes constitutionnelles composées du texte de 1958, des déclarations de droits du préambule et des principes de valeur constitutionnelle.

Avec la décision Liberté d’association, le contrôle de constitutionnalité se présente comme une technique juridictionnelle destinée à trancher les différends constitutionnels entre la majorité et l’opposition. Dès lors, cette décision prépare et justifie la réforme de 1974 (qui ouvrira la saisine à 60 députés ou 60 sénateurs). Elle révèle aussi, et pour la première fois de façon aussi explicite, qu’en imposant par sa « sanction juridictionnelle » (Léo Hamon, 1959) le respect de la Constitution, le Conseil constitutionnel subordonne, au moment de son contrôle, la volonté des représentants politiques à la volonté du peuple français inscrite dans les déclarations de droits. Cette décision fondatrice conduira quelques années plus tard, le Conseil à proclamer, sous la plume du doyen Vedel, que : « la loi votée n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution » (décision n° 85-197 DC du 23 août 1985).

3 dates clés

1er janvier 1901

adoption de la loi « relative au contrat d’association »

Juin 1971

vote de la loi « complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association »

16 juillet 1971

décision n° 71-44 DC rendue par le Conseil constitutionnel

remonter

OCTOBRE 2021
Conseil constitutionnel
2, rue de Montpensier 75001 Paris

DIRECTEUR DE PUBLICATION :
Laurent Fabius
COORDINATION ÉDITORIALE :
Sylvie Vormus, Florence Badin
CONCEPTION ET RÉALISATION :
Agence Cito

Les opinions exprimées dans les points de vue et les contributions extérieures n’engagent que leurs auteurs.
Retrouvez toute l’actualité du Conseil constitutionnel sur Twitter et Facebook.