Conseil Constitutionnel

Décision n° 2020-878/879 QPC / 29 janvier 2021 / Prolongation de plein droit des détentions provisoires dans un contexte d’urgence sanitaire

Prolongation de plein droit de la détention provisoire

Stationnement automobile

©Sébastien Bozon / AFP

Par sa décision n° 2020-878/879 QPC du 29 janvier 2021, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions d’une ordonnance qui avaient prolongé de plein droit les détentions provisoires durant la première période de l’état d’urgence sanitaire.

Le Conseil constitutionnel avait été saisi par la Cour de cassation d’une QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 16 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

Ces dispositions avaient prévu la prolongation, de plein droit et pour des durées variables selon la peine encourue, des détentions provisoires, au cours et à l’issue de l’instruction. Elles devaient s’appliquer aux détentions provisoires en cours ou débutant entre le 26 mars 2020 et la fin de l’état d’urgence sanitaire. Toutefois, la loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire a inséré, au sein de l’ordonnance du 25 mars 2020, un article 16-1 qui a mis fin à l’application de ces dispositions pour les détentions provisoires venant à expiration à compter du 11 mai 2020. Ainsi, les dispositions contestées se sont appliquées aux seules détentions provisoires dont les titres devaient expirer entre le 26 mars et le 11 mai 2020. L’article 16-1 a également prévu que les détentions prolongées pour une durée de six mois en application des dispositions de l’article 16 devaient, dans un délai de trois mois à compter de leur prolongation, être confirmées par une décision du juge des libertés et de la détention.

Selon les requérants, rejoints par les parties intervenantes, ces dispositions méconnaissaient notamment l’article 66 de la Constitution pour avoir prolongé, sans intervention systématique d’un juge dans un bref délai, toutes les détentions provisoires venant à expiration pendant la période d’état d’urgence sanitaire, alors qu’une telle mesure n’aurait été ni nécessaire ni proportionnée à l’objectif poursuivi de protection de la santé publique.

Le Conseil constitutionnel a rappelé, sur le fondement de l’article 66 de la Constitution, que la liberté individuelle, dont la protection est confiée à l’autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis. Elle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible. Au regard de ce cadre constitutionnel, le Conseil constitutionnel a relevé que les dispositions contestées visaient à éviter que les difficultés de fonctionnement de la justice provoquées par les mesures d’urgence sanitaire prises pour lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19 conduisent à la libération de personnes placées en détention provisoire, avant que l’instruction puisse être achevée ou une audience de jugement organisée. Elles poursuivaient ainsi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infraction.

Le Conseil constitutionnel a jugé qu’aucun motif ne justifiait de reporter la prise d’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité.

Toutefois, le Conseil constitutionnel a constaté, d’une part, que ces dispositions maintenaient en détention, de manière automatique, toutes les personnes dont la détention provisoire, précédemment décidée par le juge judiciaire, devait s’achever parce qu’elle avait atteint sa durée maximale ou que son éventuelle prolongation nécessitait une nouvelle décision du juge.

Il a souligné, d’autre part, que ces détentions étaient prolongées pour des durées de deux ou trois mois en matière correctionnelle et de six mois en matière criminelle.

Il a relevé, enfin, que si les dispositions contestées réservaient, durant la période de maintien en détention qu’elles instauraient, la possibilité pour la juridiction compétente d’ordonner la mise en liberté à tout moment, d’office ou sur demande du ministère public ou de l’intéressé, elles ne prévoyaient, durant cette période, aucune intervention systématique du juge judiciaire. Quant à l’article 16-1 de l’ordonnance du 23 mars 2020, il ne prévoyait de soumettre au juge judiciaire, dans un délai de trois mois après leur prolongation en application des dispositions contestées, que les seules détentions provisoires qui avaient été prolongées pour une durée de six mois.

Le Conseil constitutionnel en a conclu que les dispositions contestées maintenaient de plein droit des personnes en détention provisoire sans que l’appréciation de la nécessité de ce maintien fût obligatoirement soumise, à bref délai, au contrôle du juge judiciaire.

Or, le Conseil constitutionnel a jugé que l’objectif poursuivi par les dispositions contestées n’était pas de nature à justifier que l’appréciation de la nécessité du maintien en détention fût, durant de tels délais, soustraite au contrôle systématique du juge judiciaire. Il a précisé que, au demeurant, l’intervention du juge judiciaire pouvait, le cas échéant, faire l’objet d’aménagements procéduraux.

De l’ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel a déduit que les dispositions contestées méconnaissaient l’article 66 de la Constitution. Il les a en conséquence déclarées contraires à la Constitution.

Constatant que ces dispositions n’étaient plus applicables, le Conseil constitutionnel a jugé qu’aucun motif ne justifiait de reporter la prise d’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité. Ces dispositions ont donc été immédiatement abrogées. Concernant les effets que ces dispositions ont produits, le Conseil a considéré que la remise en cause des mesures ayant été prises sur le fondement de ces dispositions méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives. Il a jugé en conséquence que ces mesures ne pouvaient être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.


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