Conseil Constitutionnel

Décision n° 2020-858/859 QPC / 2 octobre 2020 / Conditions d’incarcération des détenus

Décision n° 2021-898 QPC / 16 avril 2021 / Conditions d’incarcération des détenus II

Conditions indignes de détention

Par sa décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin.

Il avait été saisi par la Cour de cassation de deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 137-3, 144 et 144-1 du code de procédure pénale, relatifs à la détention provisoire.

Il était reproché à ces dispositions d’être entachées d’incompétence négative, faute d’imposer au juge judiciaire de faire cesser des conditions de détention provisoire contraires à la dignité de la personne humaine, et de méconnaître à ce titre le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, celui de prohibition des traitements inhumains et dégradants, la liberté individuelle, le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit au respect de la vie privée.

Pour trancher cette question, il est revenu au Conseil constitutionnel de trancher une question préalable, dans la mesure où, après avoir renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel, la Cour de cassation avait dû se prononcer sur les dispositions en cause et les avait interprétées à la lumière de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il revenait ainsi au Conseil constitutionnel de déterminer s’il devait ou non s’appuyer sur une telle interprétation des dispositions dont il était saisi.

À cet égard, le Conseil a déduit des dispositions constitutionnelles et organiques régissant la question prioritaire de constitutionnalité que le juge appelé à se prononcer sur le caractère sérieux d’une telle question ne peut, pour réfuter ce caractère sérieux, se fonder sur l’interprétation de la disposition législative contestée qu’impose sa conformité aux engagements internationaux de la France, que cette interprétation soit formée simultanément à la décision qu’il rend ou l’ait été auparavant. Il n’appartient pas non plus au Conseil constitutionnel saisi d’une telle question prioritaire de constitutionnalité de tenir compte de cette interprétation pour conclure à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit. En revanche, ces mêmes exigences ne s’opposent nullement à ce que soit contestée, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, la portée effective qu’une telle interprétation confère à une disposition législative, si l’inconstitutionnalité alléguée procède bien de cette interprétation.

Dès lors, le Conseil constitutionnel a jugé que, en l’espèce, il lui revenait de se prononcer sur les dispositions contestées indépendamment de l’interprétation opérée par la Cour de cassation dans ses arrêts de renvoi pour les rendre compatibles avec les exigences découlant de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. S’agissant du cadre constitutionnel en jeu dans cette affaire, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il ressort du Préambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle. En outre, aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».

Enfin, il résulte de l’article 16 de la Déclaration de 1789 qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

De ces différentes exigences constitutionnelles, le Conseil constitutionnel a déduit qu’il appartient aux autorités judiciaires ainsi qu’aux autorités administratives de veiller à ce que la privation de liberté des personnes placées en détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne. Il appartient, en outre, aux autorités et juridictions compétentes de prévenir et de réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne placée en détention provisoire et d’ordonner la réparation des préjudices subis. Enfin, il incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin.

Au regard de ces exigences constitutionnelles, le Conseil a constaté, en premier lieu, que si une personne placée en détention provisoire et exposée à des conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine peut saisir le juge administratif en référé, sur le fondement des articles L. 521-2 ou L. 521-3 du code de justice administrative, les mesures que ce juge est susceptible de prononcer dans ce cadre, qui peuvent dépendre de la possibilité pour l’administration de les mettre en œuvre utilement et à très bref délai, ne garantissent pas, en toutes circonstances, qu’il soit mis fin à la détention indigne.

En second lieu, le Conseil a notamment relevé que si, en vertu de l’article 148 du code de procédure pénale, la personne placée en détention provisoire peut à tout moment former une demande de mise en liberté, le juge n’est tenu d’y donner suite que dans les cas prévus au second alinéa de l’article 144-1 du même code. D’autre part, si l’article 147-1 du même code autorise le juge à ordonner la mise en liberté d’une personne placée en détention provisoire, ce n’est que dans la situation où une expertise médicale établit que cette personne est atteinte d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que son état de santé physique ou mentale est incompatible avec le maintien en détention. Dès lors, aucun recours devant le juge judiciaire ne permet au justiciable d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant des conditions de sa détention provisoire.

Pour ces motifs, le Conseil constitutionnel a jugé que, indépendamment des actions en responsabilité susceptibles d’être engagées à raison de conditions de détention indignes, le second alinéa de l’article 144-1 du code de procédure pénale méconnaît les exigences constitutionnelles précitées. Il les a donc déclarées contraires à la Constitution.

Constatant que l’abrogation immédiate des dispositions déclarées contraires à la Constitution entraînerait des conséquences manifestement excessives, en ce qu’elle ferait obstacle à la remise en liberté des personnes placées en détention provisoire lorsque cette détention n’est plus justifiée ou excède un délai raisonnable, il a reporté au 1er mars 2021 la date de cette abrogation.

Signalons que, par des motifs similaires, le Conseil constitutionnel a censuré par sa décision n° 2021-898 QPC du 16 avril 2021 des dispositions de l’article 707 du code de procédure pénale applicables aux personnes condamnées incarcérées en exécution d’une peine privative de liberté.


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OCTOBRE 2021
Conseil constitutionnel
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