Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel

Face aux crises et aux grandes mutations, resserrer les liens autour de l’État de droit

Entretien

Laurent Fabius

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Avec 101 décisions prises dans les huit premiers mois de 2021, nous avons donc déjà dépassé le total atteint l’an dernier.

Le rythme de travail du Conseil constitutionnel a-t-il été particulièrement intense au cours de l’année écoulée ?

«Laurent Fabius. Oui, l’année 2021 n’est pas terminée au moment où vous m’interrogez, mais on sait déjà qu’elle aura été particulièrement active pour le Conseil constitutionnel. Depuis un an, nous sommes saisis par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à un rythme soutenu, après le léger fléchissement observé en 2020 au début de la crise sanitaire. Quant aux saisines par la voie directe, elles ne se sont jamais interrompues, pas même durant cet été. Nous avons été amenés à rendre en juillet et en août de cette année des décisions sur des lois importantes : la loi « bioéthique », la loi relative à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement, une nouvelle loi sanitaire, la loi confortant le respect des principes de la République, communément appelée « loi séparatisme », la loi dite « climat ».

Nous avons dû également nous prononcer sur la recevabilité d’une initiative référendaire relative aux hôpitaux publics. Avec 101 décisions prises dans les huit premiers mois de 2021, nous avons donc déjà dépassé le total atteint l’an dernier. Cette activité intense s’explique par trois facteurs principaux : l’approche de la fin de la législature qui conduit, comme souvent, le législateur à multiplier les textes, la situation sanitaire et sécuritaire, mais aussi, sans doute, une aspiration croissante des autorités compétentes et des justiciables à obtenir du Conseil constitutionnel qu’il se prononce sur la constitutionnalité des principales lois avant leur entrée en vigueur, ce dont on voit bien l’enjeu du point de vue de la sécurité juridique. Dans le même temps, nous avons engagé concrètement la préparation des opérations de contrôle de l’élection présidentielle de 2022.

Parmi les décisions rendues ces derniers temps, celle sur l’extension du « passe sanitaire » était très attendue, y compris à l’étranger où cette question reste à juger par d’autres Cours. Comment avez-vous appréhendé ce texte ?

L.F. En appliquant la Constitution, rien que la Constitution, ce qui est notre office. Avec le Collège qui m’entoure, nous avons coutume de rappeler que nous ne disposons pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du législateur. Au terme d’un contrôle approfondi des critiques qui en étaient faites, l’extension du passe sanitaire pour une période déterminée nous a paru devoir être admise dans la mesure où le législateur a opéré une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles en jeu, à savoir l’objectif de protection de la santé de tous et le respect des droits de chacun. Nous avons clarifié ce que la Constitution implique pour le traitement de questions telles que l’accès aux soins ou l’exercice des activités politiques, syndicales ou cultuelles. En revanche, nous avons jugé contraires à la Constitution, et donc censuré, les dispositions organisant la rupture anticipée de certains contrats de travail en l’absence de présentation du passe sanitaire, ainsi que le placement « automatique » à l’isolement faute que cette mesure privative de liberté ait été subordonnée à un examen de la situation de chaque personne concernée.

Face à une menace sanitaire qui requiert des réponses rapides et adaptées, le Conseil a régulièrement dû statuer dans des délais très courts au cours de la période écoulée. Cela affecte-t-il votre contrôle ?

L.F. La capacité du Conseil constitutionnel à se prononcer diligemment est une de ses caractéristiques. Indépendamment même des hypothèses d’urgence particulière, les délais qui nous sont impartis pour statuer sont courts : 3 mois pour les QPC, 1 mois ou même 8 jours pour les saisines a priori. La décision du 5 août 2021 sur l’extension du « passe sanitaire », qui compte 125 paragraphes, a été rendue en 10 jours. Mais quel que puisse être le délai dans lequel nous nous prononçons, notre contrôle des dispositions qui nous sont déférées ne se relâche pas.
La multiplication des législations d’urgence à laquelle on assiste depuis plusieurs années, dans le champ sécuritaire ou sanitaire, justifierait toutefois pleinement de mon point de vue une réflexion que vient d’initier le Conseil d’État sur les conditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel est mis à même de contrôler ces législations d’urgence. Adopter une règle d’automaticité de notre contrôle, lui-même rapide, sur les lois d’état d’urgence ou de prolongation de cet état marquerait à mon sens un progrès de l’État de droit.

L’année écoulée a également été marquée par de vifs débats autour de la loi dite sécurité globale dont le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs dispositions, notamment l’article 52 créant un délit de provocation à l’identification des policiers. Quelle est la philosophie générale de votre décision ?

L.F. Notre décision est fondée sur la nécessité d’un équilibre, d’une part, entre l’objectif de préservation de l’ordre public, et, d’autre part, la protection des libertés. Elle n’affecte nullement la capacité de l’État à prévenir les désordres et à y répondre. S’agissant de la censure de l’article 52, nous avons rappelé au législateur que la Constitution lui impose de définir avec clarté et précision le sens et la portée de toute nouvelle infraction pénale qu’il institue. Quant à l’utilisation des drones de surveillance par les forces de l’ordre, notre décision ne sous-estime pas qu’elle puisse contribuer à la prévention des atteintes à l’ordre public ou à la recherche des auteurs d’infraction, mais elle vaut invitation au législateur à en encadrer la mise en œuvre dans des conditions respectueuses du droit au respect de la vie privée.

Votre décision d’août 2021 sur la loi relative à la lutte contre le terrorisme a suscité moins de réactions que la précédente rendue en août 2020. Comment analysez-vous cette évolution de la perception ?

L.F. Sur ce point, la ligne de notre jurisprudence est constante. Peut-être est-elle mieux comprise aujourd’hui, au bénéfice d’une sorte de dialogue sans paroles entre le Conseil constitutionnel et le législateur. Sur la question des mesures de sûreté applicables aux personnes condamnées pour terrorisme, nous n’avons, évidemment, jamais fait preuve de naïveté. En 2020, nous en avions validé le principe ; en revanche, les modalités alors retenues pour leur mise en œuvre présentaient des défauts justifiant la censure. Nous avions clairement laissé ouverte la voie au législateur pour remédier à ces défauts constitutionnels. C’est ce qui a été fait. En août 2021, le Conseil a donc validé la nouvelle version de dispositions relatives à la création des mesures de sûreté qui lui étaient soumises. Avec la même constance, nous avons jugé que des mesures administratives de contrôle administratif et de surveillance ne peuvent être prononcées pour une durée excédant douze mois. Bref, l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre le terrorisme doit pouvoir s’exprimer entièrement, dans le respect de l’ensemble des exigences de l’État de droit.


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Vous avez tenu à consacrer La Nuit du droit au Conseil constitutionnel, le 4 octobre 2021, au thème de « L’État de droit face aux crises ». Quel est l’objectif de cette manifestation impliquant des invités prestigieux ?

L.F. Les assauts contre l’État de droit se multiplient aujourd’hui un peu partout dans le monde, et jusqu’au sein de démocraties anciennes en Europe. Certains prennent la forme de critiques verbales, d’autres confinent au coup de force. Le pas peut être franchi de l’une vers l’autre de ces formes à grande vitesse.
Pour une institution comme la nôtre, au cœur même de l’État de droit, il est essentiel de comprendre les raisons et les effets des glissements qui sont à l’œuvre et de partager avec le plus grand nombre, au-delà du constat, les remèdes qu’il convient d’y apporter. C’est avec le même objectif que le 21 février 2022 à Paris, dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne, le Conseil constitutionnel réunira, en compagnie du Conseil d’État et de la Cour de cassation, une conférence des Cours suprêmes de l’Union européenne sur ce même thème de l’État de droit.

Lorsqu’on prétend s’écarter des principes de l’État de droit, on entraîne l’humanité dans un mur d’injustices.

Une chose est certaine : lorsqu’on prétend s’écarter des principes de l’État de droit, on entraîne l’humanité dans un mur d’injustices. Alors que se multiplient les crises, sécuritaire, sanitaire, environnementale, et que se développent des mutations considérables, c’est seulement à la condition de resserrer les liens de l’État de droit qu’on pourra y répondre utilement. Séparation des pouvoirs, indépendance de la justice, respect du principe de légalité sont autant de boussoles indispensables à nos temps troublés. Le plus grand nombre doit s’en convaincre si nous voulons faire face aux crises de notre temps. Et l’argument consistant à prétendre que tel législateur, tel gouvernement, n’a pas à respecter l’État de droit au motif que la légitimité des élus l’emporte sur celle des juges constitutionnels indépendants est démagogique et dangereux.

La décision relative au « passe sanitaire » a permis à nombre de personnes de prendre la mesure de l’effet concret des décisions du Conseil constitutionnel sur leur quotidien. Pouvez-vous nous donner d’autres exemples récents en ce sens ?

L.F. À vrai dire, la plus grande part de nos décisions touchent aux libertés des citoyens puisque notre vocation est toujours de les protéger. On peut prendre l’exemple de la décision par laquelle le 31 mai dernier nous avons exclu, pour la protection du droit au respect de la vie privée, que les coordonnées de contacts téléphonique et électronique des personnes soient transférées dans la base nationale du système de santé liée à l’épidémie de covid-19. Autre exemple : le Conseil a censuré l’interdiction que le législateur avait fixée aux personnes âgées d’effectuer une donation à des auxiliaires de vie sur la base d’une présomption irréfragable de vulnérabilité déduite du seul fait de recourir à l’aide d’une tierce personne. Une autre décision QPC a concerné beaucoup de nos concitoyens : celle par laquelle nous avons censuré des dispositions qui conditionnaient la contestation des PV de stationnement à leur paiement préalable en des termes méconnaissant le droit à un recours juridictionnel effectif. Ce sont là quelques exemples parmi d’autres : les décisions du Conseil constitutionnel ne se situent pas dans l’empyrée céleste.

Quelles autres décisions marquantes de l’année écoulée retenez-vous sur le terrain de la protection des libertés ?

L.F. Elles sont nombreuses. Je citerai notamment, comme nous l’avions déjà jugé l’an passé, la décision par laquelle nous avons rappelé que le législateur ne pouvait permettre le maintien à l’isolement ou en contention en psychiatrie au-delà d’une certaine durée sans un contrôle par le juge judiciaire. Nous avons également rappelé que l’état d’urgence sanitaire ne permettait pas de prolonger les détentions provisoires sans l’intervention du juge judiciaire.
Autre avancée à souligner, notre jurisprudence protégeant la présomption d’innocence a été complétée par quatre décisions précisant la portée du droit de se taire à différents stades de la procédure pénale : devant le juge de la liberté et de la détention en cas de comparution immédiate, devant la chambre de l’instruction pour la personne mise en examen, devant le service de la protection judiciaire de la jeunesse pour le mineur, ainsi que devant les juridictions saisies d’une demande de mainlevée du contrôle judiciaire ou de mise en liberté. Désormais, dans chacune de ces situations, la personne concernée doit systématiquement être informée que ce qu’elle dira sera susceptible d’être repris ensuite dans la procédure.

Et l’environnement ?

L.F. Le Conseil constitutionnel est aujourd’hui plus souvent saisi de ces questions que dans le passé, ce qui est logique compte tenu de leur importance grandissante. Si l’on met de côté la décision sur la loi dite « climat » par laquelle nous ne nous sommes pas prononcés sur le fond, laissant ainsi ouverte la voie de QPC, le Conseil a franchi une nouvelle étape concernant la Charte de l’environnement en jugeant que les limitations qui seraient apportées par le législateur au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l’article 1er de la Charte ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.

Vous soulignez souvent la nécessité de mieux informer sur l’activité du Conseil constitutionnel.

L.F. Oui, j’estime qu’une information large, objective, en direction à la fois des publics spécialisés et de la grande opinion entre dans notre office pour assurer un bon fonctionnement de la démocratie. Cela contribue à l’ouverture du Conseil qui, avec une plus grande « juridictionnalisation », sur laquelle nous pouvons encore progresser, est un des deux grands objectifs que je me suis fixé pendant ma présidence.
À l’intention d’un public large, au-delà même des spécialistes, je compte beaucoup, en plus des initiatives déjà prises, sur le nouveau projet de « plateforme QPC » que nous lançons et dont je souhaite qu’il fonctionne avant la fin 2022. Il s’agit de rendre désormais accessibles sur internet l’ensemble des décisions, positives ou négatives, prises dans le cadre de la procédure QPC par l’ensemble des juridictions françaises. Nous n’avons en effet jusqu’ici qu’une vision partielle de la vie de cette procédure importante car nous ignorons le plus souvent ce qui est jugé au stade de la première instance. Le haut de la pyramide est connu et accessible, pas le bas. Une meilleure connaissance serait précieuse pour obtenir une vision exacte de ce que j’aime à appeler la « question citoyenne ». Avec l’aide des deux ordres de juridictions, et le soutien appuyé de la première Présidente de la Cour de cassation, du Vice-président du Conseil d’État et du ministère de la justice auquel j’ai demandé l’intégration dans la démarche d’open data d’une métadonnée « QPC », nous offrirons concrètement cette vision d’ensemble à la fin de l’an prochain.
L’information sur notre activité doit aussi toucher le public le plus large. Dans cet esprit, j’espère que nous pourrons reprendre rapidement nos audiences en région, interrompues pour cause de covid-19, car elles sont utiles et rencontrent un vrai succès. À travers les contacts noués sur place et grâce au relais de la presse régionale, nous touchons là un public diversifié, depuis les magistrats, les professeurs, les étudiants jusqu’au grand public, qui sont ainsi mieux informés du rôle et du fonctionnement réels du Conseil constitutionnel. Il reste encore des progrès à accomplir. Par exemple, combien de fois lit-on ou entend-on l’expression « l’avis du Conseil constitutionnel » ! Or le Conseil ne donne pas d’« avis », il rend des « décisions » : ce n’est pas la même chose. Bref, selon une formule fréquemment utilisée dans la diplomatie et… en athlétisme, « il existe encore des marges de progression ».

Plus généralement, avez-vous le sentiment que les commentaires qui concernent vos décisions montrent qu’elles sont toujours bien comprises ?

L.F. Je vous répondrai en laissant évidemment de côté les commentaires inspirés – cela arrive – par des préjugés idéologiques ou politiques : ils sont regrettables mais probablement inévitables. Pour les autres, émis de bonne foi, j’ai le sentiment que nos décisions sont le plus souvent bien comprises, même si parfois sont commis des contresens étonnants dans leur présentation. J’en cite deux. Notre décision novatrice concernant le contrôle par le Conseil constitutionnel des ordonnances non ratifiées : alors qu’il s’en déduit en toute logique un motif pour le Parlement de mieux contrôler celles-ci, certains y ont cru voir, à tort, une dépossession du Parlement de ses prérogatives.

L’information sur notre activité doit toucher le public le plus large.

De même, alors que notre décision sur les langues régionales reconnaît expressément leur importance et qu’elle cite l’article de la Constitution qui l’affirme, d’aucuns ont cru y voir une condamnation de celles-ci. Nous avons seulement rappelé – c’est bien le moins – qu’on ne peut pas faire l’impasse totale dans l’enseignement français sur l’apprentissage du français qui est, aux termes de la Constitution, « la langue de la République ».

Et vos décisions sont-elles toujours bien appliquées ?

L.F. Elles doivent l’être. Quand nous rendons une décision, elle s’impose à tous, comme le prévoit l’article 62 de la Constitution. Il est arrivé cependant à deux reprises ces derniers mois que les autorités publiques n’aient pas tiré toutes les conséquences de nos décisions. Lorsque les dispositions concernées nous sont revenues, nous les avons à nouveau censurées en réitérant notre lecture imposée par la Constitution. Il peut arriver également que la question porte moins sur une divergence que sur la diligence pour la prise en compte de nos décisions. Lorsque, dans le cadre de la procédure de la QPC, nous reportons dans le temps les effets de l’abrogation d’un texte pour laisser au législateur le soin de le corriger, l’échéance que nous déterminons s’impose elle aussi. Il est donc regrettable que, par exemple, les dispositions relatives aux conditions indignes de détention n’aient pu être prises dans le délai que nous avions fixé, s’agissant d’une question majeure.


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Quid de la révision de la Constitution ?

L.F. La procédure qui la permet est organisée par l’article 89 de notre Constitution. À l’expérience, telle ou telle révision peut être utile. Force est de constater cependant que, si elle n’est pas impossible puisque la Constitution de 1958 a été révisée à vingt-quatre reprises en 63 ans, elle semble difficile à mettre en œuvre désormais. Plus aucune révision n’est intervenue depuis 2008. Les raisons sont nombreuses, dans le détail desquelles je n’entrerai pas. Il me semble en tout cas qu’une des conséquences à tirer, c’est qu’une révision constitutionnelle est sans doute moins délicate, compte tenu des conditions fixées par l’article 89, dans des moments politiques particuliers, tels que le début d’un mandat présidentiel et d’une législature. Je n’ai pas à me prononcer ici sur l’opportunité de telle ou telle révision essentielle. Mais, dans le périmètre immédiat du Conseil constitutionnel, au moins deux modifications du texte constitutionnel aujourd’hui paraissent justifiées. D’une part, la suppression de l’attribution par l’article 56 aux « anciens présidents de la République » de la qualité de membres du Conseil. Cette disposition, qui avait peut-être – et encore ? – un sens lorsqu’il s’agissait de fournir en 1958 un complément de retraite aux anciens Présidents, ne se justifie plus du tout au sein du « nouveau » Conseil constitutionnel devenu depuis lors une véritable cour constitutionnelle. D’ailleurs, aucun des intéressés ne siège plus parmi nous, et je constate qu’il existe désormais un consensus sur le principe même de cette réforme.
Pourrait s’y ajouter, comme je l’évoquais plus haut, un progrès de l’État de droit qui consisterait à garantir que le Conseil constitutionnel contrôle systématiquement et rapidement les lois de déclaration d’état d’urgence ou celles le prolongeant.

Un peu d’histoire. La décision Liberté d’association a 50 ans en cette année 2021. En quoi cette décision a-t-elle marqué un tournant ?

L.F. La décision Liberté d’association du 16 juillet 1971 est en effet l’une des « grandes décisions » que l’on apprend en commençant ses études de droit et que l’on retient ensuite. Pourquoi ? Parce qu’elle est vue comme la décision qui a étendu les normes constitutionnelles de référence au « bloc de constitutionnalité », regroupant non seulement le corps de la Constitution de 1958, mais aussi les déclarations de droits du préambule et les principes de valeur constitutionnelle. De plus, en consacrant la valeur constitutionnelle de la liberté d’association, le Conseil a rendu là une décision dont l’actualité et l’importance se vérifient encore cinquante ans plus tard. Par exemple, c’est au titre de la protection de cette liberté que, par notre décision du 13 août 2021, nous avons encadré les conditions de retrait d’une subvention publique à une association qui manquerait à son « contrat d’engagement républicain », ainsi que les conditions de suspension des activités des associations par l’administration.

Quand nous rendons une décision, elle s’impose à tous, comme le prévoit l’article 62 de la Constitution.

Je saisis cette référence pour évoquer un autre grand progrès de l’État de droit en France que nous commémorons ces jours-ci : il y a 40 ans, le 9 octobre 1981, était adoptée la loi défendue par mon prédécesseur et ami Robert Badinter, alors Garde des Sceaux, sur l’abolition de la peine de mort, que le Constituant est venu couronner au début de ce siècle à l’article 66-1 de la Constitution.

Si l’on regarde vers l’avenir, quels devraient être les moments forts de l’année 2022 pour le Conseil constitutionnel ?

L.F. Vous savez qu’en ce domaine il n’existe jamais de certitude absolue. Pour autant, au-delà de nos activités habituelles de contrôle a priori et a posteriori des lois, deux moments seront sans nul doute importants. D’abord, évidemment, l’élection présidentielle. Comme le prévoit la Constitution, nous avons engagé le travail de contrôle de la régularité de l’organisation de l’élection du Président de la République. Il va se poursuivre dans les mois à venir par le contrôle des parrainages et la surveillance du scrutin prévu les 10 et 24 avril 2022, jusqu’aux résultats qu’il m’incombera de proclamer. Afin de permettre au public de suivre ce processus, le Conseil constitutionnel déploiera un site internet et une application mobile dédiés.
Auparavant, sera intervenu le renouvellement triennal de notre Collège. Trois de nos membres cessent leurs fonctions en mars 2022 : Claire Bazy Malaurie, Nicole Maestracci et Dominique Lottin. Toutes les trois, qui s’expriment d’ailleurs très librement dans ce rapport d’activité, ont été des « sages » compétentes, dévouées au respect de la Constitution et au rayonnement de notre institution. Je les remercie chaleureusement. Trois nouveaux membres nous rejoindront. Il ne m’appartient pas de formuler des recommandations sur ce point. Je souligne simplement que la parité actuelle de notre Collège (hors Présidence) en est une des richesses.

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OCTOBRE 2021
Conseil constitutionnel
2, rue de Montpensier 75001 Paris

DIRECTEUR DE PUBLICATION :
Laurent Fabius
COORDINATION ÉDITORIALE :
Sylvie Vormus, Florence Badin
CONCEPTION ET RÉALISATION :
Agence Cito

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