p> Rapport d'Activité 2021 - dc Crise sanitaire
Conseil Constitutionnel

Décision n° 2020-808 DC / 13 novembre 2020 / Loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire

Décision n° 2021-819 DC / 31 mai 2021 / Loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire

Décision n° 2021-824 DC / 5 août 2021 / Loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire

Crise sanitaire

Crise sanitaire

©Arié Botbol / Hans Lucas via AFP

Dans le prolongement des premières décisions qu’il avait eu à prendre dès le mois de mars 2020, le Conseil constitutionnel a été saisi à trois reprises de lois venues modifier le cadre législatif de la gestion de la crise provoquée par l’épidémie de covid-19. Dans les deux premiers dossiers, le Premier ministre lui a demandé de statuer selon la procédure d’urgence prévue au troisième alinéa de l’article 61 de la Constitution.

* Par sa décision n° 2020-808 DC du 13 novembre 2020 portant sur la loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, le Conseil constitutionnel, saisi par plus de soixante députés et par plus de soixante sénateurs, a notamment eu à statuer sur la prorogation jusqu’au 16 février 2021 de l’état d’urgence sanitaire déclaré par décret du 14 octobre 2020.

Le Conseil constitutionnel a rappelé que la Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence sanitaire.

Le Conseil constitutionnel a rappelé que la Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence sanitaire. Il appartient au législateur, dans ce cadre, d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République.

Au regard de ces exigences constitutionnelles, le Conseil a relevé tout d’abord qu’il n’y avait pas lieu de remettre en cause l’appréciation du législateur selon laquelle, d’une part, l’épidémie de covid-19 se répand à une vitesse élevée contribuant, compte tenu par ailleurs des capacités actuelles de prise en charge des patients par le système de santé, à un état de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population et selon laquelle, d’autre part, cet état devrait perdurer au moins durant les quatre mois à venir. Il a jugé en effet que cette appréciation, corroborée par les avis des 19 et 26 octobre 2020 du comité de scientifiques prévu par l’article L. 3131-19 du code de la santé publique, n’était pas manifestement inadéquate au regard de la situation présente de l’ensemble du territoire français.

Le Conseil constitutionnel a relevé ensuite que les mesures prévues dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ne peuvent en tout état de cause être prises qu’aux seules fins de garantir la santé publique. Elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. Le juge est chargé de s’assurer que de telles mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité qu’elles poursuivent.

Enfin, il a rappelé que, quand la situation sanitaire le permet, il doit être mis fin à l’état d’urgence sanitaire par décret en conseil des ministres avant l’expiration du délai fixé par la loi.

Pour l’ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur a pu, sans méconnaître aucune exigence constitutionnelle, proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021.

Le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis.

* Puis, par sa décision n° 2021-819 DC du 31 mai 2021, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur plusieurs dispositions de la loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dont il avait été saisi par plus de soixante députés.

Au nombre des dispositions critiquées par les députés requérants figuraient notamment celles permettant au Premier ministre, au cours de la période allant du 2 juin au 30 septembre 2021, de subordonner l’accès à certains lieux, établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou des salons professionnels à la présentation soit du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d’un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19.

Le Conseil constitutionnel a jugé que, en permettant de subordonner l’accès des personnes à certains lieux, établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes, le législateur a entendu limiter l’application des dispositions contestées aux cas où il est envisagé de mettre en présence simultanément un nombre important de personnes en un même lieu. Par ailleurs, le législateur a précisé que cette réglementation doit être appliquée « en prenant en compte une densité adaptée aux caractéristiques des lieux, établissements ou événements concernés, y compris à l’extérieur, pour permettre de garantir la mise en œuvre de mesures de nature à prévenir les risques de propagation du virus ». Le Conseil constitutionnel a jugé qu’il appartiendra donc au pouvoir réglementaire de prendre en compte les conditions effectives d’accueil du public. Dès lors, en réservant l’application des dispositions contestées aux cas de grands rassemblements de personnes, le législateur, qui n’avait pas à déterminer un seuil minimal chiffré, n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence.

D’autre part, la notion d’activité de loisirs, qui exclut notamment une activité politique, syndicale ou cultuelle, n’est ni imprécise ni ambiguë. De l’ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel a déduit que les griefs tirés de la méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi et de la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence devaient être écartés.

* Enfin, par sa décision n°2021-824 DC du 5 août 2021, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur plusieurs dispositions d’une nouvelle loi relative à la gestion de la crise sanitaire, dont il avait été saisi par le Premier ministre et par un recours émanant de plus de soixante députés, ainsi que par deux autres recours émanant, chacun, de plus de soixante sénateurs.

Au nombre des dispositions critiquées figuraient, au sein de l’article 1er de la loi déférée, les dispositions étendant le champ d’application du « passe sanitaire » en prévoyant que le Premier ministre peut subordonner l’accès du public à certains lieux, établissements, services ou événements où se déroulent certaines activités, à la présentation soit du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d’un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19, et que, à compter du 30 août 2021, une telle mesure peut être rendue applicable aux personnes qui interviennent dans ces lieux, établissements, services ou événements.

Il était notamment reproché à ces dispositions de subordonner l’accès aux grands magasins et centres commerciaux et aux transports publics à la présentation de ce passe, ce qui n’aurait pas d’intérêt dans la lutte contre l’épidémie. Il était soutenu qu’en outre, ces dispositions emporteraient des effets disproportionnés au regard de l’objectif poursuivi, ce dont il résulterait une méconnaissance de liberté d’aller et de venir, du droit au respect de la vie privée et du droit d’expression collective des idées et des opinions. Le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d’aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, le droit au respect de la vie privée garanti par cet article 2, ainsi que le droit d’expression collective des idées et des opinions résultant de l’article 11 de cette déclaration.

À cette aune, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions contestées, qui sont susceptibles de limiter l’accès à certains lieux, portent atteinte à la liberté d’aller et de venir et, en ce qu’elles sont de nature à restreindre la liberté de se réunir, au droit d’expression collective des idées et des opinions.

Toutefois, en premier lieu, le législateur a estimé que, en l’état des connaissances scientifiques dont il disposait, les risques de circulation du virus de la covid-19 sont fortement réduits entre des personnes vaccinées, rétablies ou venant de réaliser un test de dépistage dont le résultat est négatif. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à limiter la propagation de l’épidémie de covid-19. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.

En deuxième lieu, ces mesures ne peuvent être prononcées que pour la période, allant de l’entrée en vigueur de la loi déférée au 15 novembre 2021, période durant laquelle le législateur a estimé qu’un risque important de propagation de l’épidémie existait en raison de l’apparition de nouveaux variants du virus plus contagieux.

En troisième lieu, le législateur a circonscrit leur application à des lieux dans lesquels l’activité exercée présente, par sa nature même, un risque particulier de diffusion du virus. En outre, il a entouré de plusieurs garanties l’application de ces mesures. Ainsi, s’agissant de leur application aux services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, le législateur a réservé l’exigence de présentation d’un « passe sanitaire » aux seules personnes accompagnant ou rendant visite aux personnes accueillies dans ces services et établissements, ainsi qu’à celles qui y sont accueillies pour des soins programmés. Ainsi, cette mesure, qui s’applique sous réserve des cas d’urgence, n’a pas pour effet de limiter l’accès aux soins. S’agissant de leur application aux grands magasins et centres commerciaux, il a prévu qu’elles devaient garantir l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi qu’aux moyens de transport accessibles dans l’enceinte de ces magasins et centres. S’agissant des déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux, le législateur a exclu que ces mesures s’appliquent « en cas d’urgence faisant obstacle à l’obtention du justificatif requis ». En outre, comme le Conseil constitutionnel l’a jugé dans sa décision du 31 mai 2021 mentionnée ci-dessus, la notion « d’activité de loisirs » exclut notamment une activité politique, syndicale ou cultuelle. Les mesures contestées doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.

En quatrième lieu, les dispositions contestées prévoient que les obligations imposées au public peuvent être satisfaites par la présentation aussi bien d’un justificatif de statut vaccinal, du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination ou d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination. Ainsi, ces dispositions n’instaurent, en tout état de cause, ni obligation de soin ni obligation de vaccination. En outre, le législateur a prévu la détermination par un décret, pris après avis de la Haute autorité de santé, des cas de contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination et la délivrance aux personnes concernés d’un document pouvant être présenté dans les lieux, services ou établissements où sera exigée la présentation d’un « passe sanitaire ».

Le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de l’article 1er de la loi déférée prévoyant que le contrat à durée déterminée ou de mission d’un salarié qui ne présente pas les justificatif, certificat ou résultat requis pour l’obtention du « passe sanitaire », peut être rompu avant son terme, à l’initiative de l’employeur.

En cinquième lieu, le contrôle de la détention d’un des documents nécessaires pour accéder à un lieu, établissement, service ou événement ne peut être réalisé que par les forces de l’ordre ou par les exploitants de ces lieux, établissements, services ou événements. En outre, la présentation de ces documents est réalisée sous une forme ne permettant pas de connaître « la nature du document détenu » et ne s’accompagne d’une présentation de documents d’identité que lorsque ceux-ci sont exigés par des agents des forces de l’ordre. De l’ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel a déduit que les dispositions contestées opèrent une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées.

En revanche, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de l’article 1er de la loi déférée prévoyant que le contrat à durée déterminée ou de mission d’un salarié qui ne présente pas les justificatif, certificat ou résultat requis pour l’obtention du « passe sanitaire », peut être rompu avant son terme, à l’initiative de l’employeur. Selon l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

À cette aune, le Conseil constitutionnel a relevé qu’il résulte des travaux préparatoires que le législateur a entendu exclure que la méconnaissance de l’obligation de présentation des justificatifs, certificats et résultats précités puisse constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement d’un salarié en contrat à durée indéterminée.

Il a jugé que les salariés en contrat à durée indéterminée et ceux en contrat à durée déterminée ou de mission sont dans des situations différentes. Toutefois, en instaurant une obligation de présentation d’un « passe sanitaire » pour les salariés travaillant dans certains lieux et établissements, le législateur a entendu limiter la propagation de l’épidémie de covid-19. Or, les salariés, qu’ils soient sous contrat à durée indéterminée ou en contrat à durée déterminée ou de mission, sont tous exposés au même risque de contamination ou de transmission du virus.

Crise sanitaire

©Ergin Yalcin / iStock.com

Dès lors, en prévoyant que le défaut de présentation d’un « passe sanitaire » constitue une cause de rupture anticipée des seuls contrats à durée déterminée ou de mission, le législateur a institué une différence de traitement entre les salariés selon la nature de leurs contrats de travail qui est sans lien avec l’objectif poursuivi. Le Conseil constitutionnel a également censuré l’article 9 de la loi déférée créant une mesure de placement en isolement applicable de plein droit aux personnes faisant l’objet d’un test de dépistage positif à la covid-19.

Il a rappelé que, aux termes de l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». La liberté individuelle, dont la protection est confiée à l’autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.

À cette aune, il a relevé que les dispositions contestées prévoyaient que, jusqu’au 15 novembre 2021 et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19, toute personne faisant l’objet d’un test positif à la covid-19 a l’obligation de se placer à l’isolement pour une durée non renouvelable de dix jours. Dans ce cadre, il était fait interdiction à la personne de sortir de son lieu d’hébergement, sous peine de sanction pénale.

Le Conseil constitutionnel a jugé que le placement en isolement s’appliquant sauf entre 10 heures et 12 heures, en cas d’urgence ou pour des déplacements strictement indispensables, il constitue une privation de liberté.

En adoptant ces dispositions, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. Toutefois, les dispositions contestées prévoient que, sous peine de sanction pénale, toute personne qui se voit communiquer le résultat positif d’un test de dépistage à la covid-19 a l’obligation de se placer à l’isolement pour une durée de dix jours, sans qu’aucune appréciation ne soit portée sur sa situation personnelle.

Or, d’une part, cette obligation n’est portée à sa connaissance qu’au seul moyen des informations qui lui sont communiquées au moment de la réalisation du test. D’autre part, l’objectif poursuivi par les dispositions contestées n’est pas de nature à justifier qu’une telle mesure privative de liberté s’applique sans décision individuelle fondée sur une appréciation de l’autorité administrative ou judiciaire.

Le Conseil constitutionnel a jugé que, dès lors, bien que la personne placée en isolement puisse solliciter a posteriori un aménagement des conditions de son placement en isolement ou auprès du représentant de l’État dans le département ou sa mainlevée auprès du juge des libertés et de la détention, les dispositions contestées ne garantissent pas que la mesure privative de liberté qu’elles instituent soit nécessaire, adaptée et proportionnée.

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Qu’est-ce que le contrôle de constitutionnalité a priori ? Quelles sont les lois concernées par ce contrôle ? Qui peut saisir le Conseil constitutionnel ? De combien de temps dispose-t-il pour rendre une décision ?

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