Conseil Constitutionnel

DÉCISION N° 2018-744 QPC / 16 novembre 2018 / Mme Murielle B. [Régime de la garde à vue des mineurs] Non-conformité totale

Régime de la garde à vue des mineurs

Aucune mesure de garde à
vue ou de rétention ne peut
être prise envers un mineur
de moins de 10 ans.

Aucune mesure de garde à vue ou de rétention ne peut être prise envers un mineur de moins de 10 ans.
© Stéphane de Sakutin / AFP Photo

Saisi par la Cour de cassation d’une question QPC soulevée par Mme Murielle Bolle, le Conseil constitutionnel a jugé contraires à la Constitution des dispositions de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, dans leur rédaction applicable en 1984, faute qu’elles aient prévu des garanties suffisantes propres à assurer le respect des droits des personnes placées en garde à vue, notamment lorsqu’elles sont mineures.

Les dispositions en cause, qui étaient contestées dans leur rédaction, aujourd’hui abrogée, datant d’une loi du 5 juillet 1974, déterminaient en particulier les conditions dans lesquelles le juge des enfants ou le juge d’instruction enquête lorsqu’il est saisi par le procureur de la République aux fins d’instruire des faits criminels ou délictuels commis par un mineur. Il en résultait notamment qu’un officier de police judiciaire pouvait, dans le cadre d’une procédure d’instruction, retenir une personne à sa disposition vingt-quatre heures, délai à l’issue duquel la personne devait être conduite devant le magistrat instructeur. La garde à vue pouvait être prolongée, sur décision de ce magistrat, pour une durée de vingt-quatre heures. La personne gardée à vue bénéficiait du droit d’obtenir un examen médical en cas de prolongation de la mesure.

Le Conseil constitutionnel a rappelé que, selon une jurisprudence constante, il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre la recherche des auteurs d’infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et l’exercice des libertés constitutionnellement garanties. Au nombre de celles-ci figurent le respect des droits de la défense, qui découle de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et les exigences constitutionnelles protégées par l’article 9 de la même déclaration.

Il rappelle également la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.

Dans le cadre constitutionnel ainsi rappelé, le Conseil constitutionnel a relevé que, aux termes des dispositions contestées, aucune autre garantie légale que le droit d’obtenir un examen médical en cas de prolongation de la garde à vue n’était prévue afin d’assurer le respect des droits, notamment ceux de la défense, de la personne gardée à vue, majeure ou non. En outre, aucune disposition législative ne prévoyait d’âge en dessous duquel un mineur ne peut être placé en garde à vue.

Le législateur a également contrevenu au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs

Le Conseil constitutionnel en a déduit que, par ces dispositions, le législateur, qui n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre la recherche des auteurs d’infractions et l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, a méconnu les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789. Il a également contrevenu au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.

S’agissant des effets de cette décision, qui portait sur des dispositions qui ne sont plus en vigueur, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il résulte de l’article 62 de la Constitution que la déclaration d’inconstitutionnalité doit, en principe, bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et que la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel.

En application de ce principe, il a jugé que, en l’espèce, aucun motif ne justifiait de reporter la prise d’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité. Celle-ci est donc intervenue à compter de la date de la publication de la décision. Elle est applicable aux affaires non jugées définitivement à cette date. Il appartient au juge judiciaire, suivant les prescriptions du code de procédure pénale, de déterminer les conséquences de cette inconstitutionnalité sur la régularité d’actes ou de pièces de procédure.


OCTOBRE 2019
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