Je connais plusieurs manières de faire la synthèse d'un colloque.

D'abord la synthèse analytique qui consiste à résumer en quelques phrases les différentes interventions de chaque intervenant en dégageant de chacune la « substantifique moelle » au risque de perdre toutes les nuances que l'orateur a apportées à son propos.

Ensuite il y a la synthèse synthétique qui consiste à essayer de regrouper tout ce qui a été dit durant la journée dans une pensée précise et charpentée. Le colloque vient de s'achever, je n'ai pas eu le temps de réaliser cette synthèse et je ne peux donc pas choisir d'orienter mon propos vers cette voie.

Pour ma part, je vais ici m'orienter vers une synthèse impressionniste. Quelles sont les impressions que l'on peut tirer et, en réalité, que je tire de cette journée de travail ? C'est donc une synthèse subjective.

Parmi les éléments marquants qu'il est possible de retenir de cette journée fort riche, j'en retiendrais deux.

I. Le premier, c'est l'importance considérable des lois financières pour l'existence d'un État. Il n'y a pas d'État sans loi de finances. Même dans une dictature, il y a un budget. Et l'on se souvient que le budget est très vite devenu un élément essentiel des régimes politiques dans leur ensemble et plus particulièrement encore un élément essentiel dans la naissance des régimes démocratiques. Il suffit pour s'en convaincre de se reporter aux conséquences du Bill of Rights de 1689.

Le budget avait été précédé par la naissance de mesures fiscales et en particulier du principe du consentement à l'impôt. Et là, c'est vers la Grande Charte de 1215 qu'il faut se tourner. Il faut alors en venir à se demander, comme l'a indiqué V. Dussart, s'il y a véritablement une connexion entre la loi de finances et la loi fiscale. L'orateur l'a rappelé, depuis une certaine circulaire (Circulaire du 4 juin 2010 relative à l'édiction de mesures fiscales et de mesures affectant les recettes de la sécurité sociale), la quasi-totalité des dispositions fiscales se trouve dans la loi de finances ou dans la loi de financement de la sécurité sociale. La Constitution ne l'impose pas ; c'est, selon les termes mêmes de l'article 34, la loi qui fixe les règles concernant « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; le régime d'émission de la monnaie » mais il ne s'agit pas là d'une compétence exclusive de la loi de finances ou de financement. Du reste, nombreux sont les orateurs aujourd'hui qui ont montré que d'autres pays ne pratiquent pas cet amalgame et au contraire séparent la loi de finances de la loi fiscale. Et, en tous les cas, au regard de ce que nous avons entendu aujourd'hui, l'analyse que fait le Conseil constitutionnel des dispositions fiscales et des dispositions financières, n'est pas du tout la même.

D'abord, son rôle n'est pas le même. Dans la plupart des cas, s'agissant des dispositions financières, le Conseil constitutionnel n'est pas saisi dans le cadre de l'exception d'inconstitutionnalité, dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité. C'est en matière fiscale qu'il joue un rôle dans le cadre de cette procédure.

De même, il n'utilise pas, dans le contrôle qu'il opère sur ces différentes dispositions, les mêmes normes de référence. Il n'est pas possible au Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution une disposition fiscale parce qu'elle serait contraire à la hiérarchie des normes entre la Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF) et la Constitution. Ce sont les droits et libertés que la Constitution garantit (égalité devant la loi ; égalité devant les charges publiques ; etc.) qui peuvent servir de base à une QPC selon le contenu de la disposition fiscale contestée.

À partir de là, on peut raisonnablement se poser la question de savoir s'il est indispensable, voire de bonne politique, que les dispositions fiscales soient dans les lois de finances. Et là on ne peut que rejoindre Vincent Dussart : il y a une certaine pollution du débat budgétaire par le débat fiscal au point qu'on en arrive, surtout dans la situation politique de majorité relative telle qu'on la connait actuellement, à ne même plus discuter des dispositions budgétaires. On ne discute dans la première partie de la loi de finances que des dispositions fiscales. Du reste, cette première partie est souvent présentée comme la « partie recettes » de la loi de finances alors que, chacun le sait, cette première partie fixe aussi les plafonds des dépenses du budget et arrête les données générales de l'équilibre budgétaire (art. 34 de la LOLF). Ces éléments, pourtant essentiels, sont totalement occultés par le débat fiscal. Certes, les parlementaires, lorsqu'ils saisissent le Conseil constitutionnel de la loi de finances, soulèvent l'insincérité de l'équilibre de celle-ci. Mais le fait est que les parlementaires n'en ont pas discuté et demandent donc au Conseil constitutionnel de faire le débat qui n'a pas eu lieu au Parlement. C'est du reste, on le remarquera, une tendance qui existe en dehors des dispositions financières.

Mais, et c'est la perversité du système, cela aboutit à ce que la loi fiscale elle-même ne soit plus débattue. En effet, compte tenu de l'importance de la loi de finances, le Gouvernement ne peut envisager son rejet. Il va donc mettre en œuvre l'article 49 al. 3 de la Constitution pour obtenir l'adoption, sans vote, de la première partie et donc, ipso facto, de toutes les dispositions fiscales.

Séparer loi de finances et loi fiscale pourrait résoudre le problème. Soit la Constitution viendrait ajouter les lois fiscales aux lois pour lesquelles on peut, sans limite, utiliser l'article 49 al. 3 (les ajouter à la première phrase de l'alinéa). Soit, au contraire, les laisser dans les lois ordinaires pour lesquelles le Premier ministre ne dispose que d'un usage par session. Il appartiendrait alors au Premier ministre de déterminer si la loi fiscale qu'il envisage est suffisamment importante pour justifier cet usage et l'en priver pour l'avenir.

On ne reviendra pas sur le débat qui consiste à se demander si l'article 49 al. 3 peut être mis en œuvre sur « un texte » ou « par session ». C'est le déclenchement qui compte et il importe peu que le texte soit examiné sur plusieurs sessions. Comme l'a justement dit Jean-Pierre Camby, à partir du moment où il y a remise à zéro des compteurs à chaque changement de Gouvernement, il serait incohérent qu'un déclenchement lors d'une session prive le Premier ministre de l'usage de cet article à l'avenir, si le texte dont il s'agit est examiné sur la durée de deux sessions. Ce serait alors une incitation au changement de Gouvernement (même purement fictif ; même Premier ministre ou non ; mêmes ministres à quelques exceptions près) pour regagner un « droit de tirage ».

II. Le second élément sur lequel je voudrais dire quelques mots touche plus directement au Conseil constitutionnel lui-même. Est-il véritablement dans son rôle lorsqu'il examine les dispositions financières des lois de finances ?

Il est dans son rôle lorsqu'il vérifie que la procédure utilisée est la bonne et si cette bonne procédure a été respectée. Certes, le Conseil a une tendance, compte tenu de l'importance des lois de finances que je mentionnais au début, de leur caractère essentiel pour le fonctionnement d'un État, à admettre que l'usage cumulé de toutes les procédures possibles et imaginables du parlementarisme rationnalisé, est possible dans ce cadre, au point même de l'admettre dans le cadre de lois de finances rectificatives. Mais, malgré cette interprétation élastique, le Conseil reste dans son rôle.

Il est dans son rôle aussi lorsqu'il vérifie que les parlementaires ont pu s'exprimer dans le cadre du débat budgétaire. Certes, lorsqu'il y a utilisation de l'article 49 al. 3, l'expression parlementaire est réduite mais elle peut renaître dans le cadre de l'examen de la motion de censure, élément central de contestation d'un gouvernement dans le cadre d'un système parlementaire. On rappellera du reste que la loi de finances rectificative pour 1962 contenant les crédits pour le développement de l'arme nucléaire a été adoptée par le mécanisme de l'article 49 al. 3 mis en œuvre par le Premier ministre sitôt après le dépôt par l'opposition d'une « question préalable » (ancien nom de la motion de rejet préalable) dont on n'a même pas débattu. Mais on a débattu de la motion de censure, ce qui est bien l'essentiel.

Dès lors, on peut s'interroger. Est-il, comme on l'a proposé aujourd'hui, souhaitable de ne pas autoriser l'usage de l'article 49 al. 3 pour la première partie de la loi de finances, laisser le débat parlementaire ouvert et en reporter l'usage seulement lors du vote global, in fine ? À mon sens cela présente un danger : le vote d'une motion de rejet au début entraînerait le rejet du budget dans sa totalité, sans que le Gouvernement puisse au moins obtenir l'autorisation de percevoir l'impôt. Une sorte de « shutdown » à la française. Donc, dans tous ces cas, le Conseil constitutionnel est dans son rôle.

Serait-il dans son rôle s'il devait sanctionner, sur une base ou sur une autre, la politique financière choisie par le Gouvernement ? Autrement dit, et Xavier Cabannes a parfaitement posé la question : la Constitution doit-elle limiter les possibilités d'action d'un gouvernement ? Et par là même, la Constitution peut-elle imposer au peuple une politique économique dont il ne serait pas possible de se départir ? Et on comprend bien que les partisans de cette solution souhaitent qu'il s'agisse d'une « politique économique rigoureuse » interdisant ou limitant les déficits. Que se passerait-il si le peuple portait au pouvoir une majorité élue sur une politique de déficit ? Imaginons que nous ayons une « règle d'or » ou le « frein allemand » que Jérôme Germain et Monika Hermanns nous ont présenté, et qu'arrive au pouvoir une formation politique élue sur un programme induisant un déficit croissant. Est-ce que cela va empêcher ce parti de mettre en œuvre son programme ? Il y aura révision de la Constitution ou, si cela est inenvisageable compte tenu des forces en présence, il y aura un référendum. Est-ce qu'il faut corseter la Constitution à ce point pour permettre au Conseil constitutionnel de jouer les arbitres de la « vérité politique », pour lui permettre de choisir la politique à la place du Gouvernement ? De toute évidence, le Conseil n'y survivrait pas car le Conseil constitutionnel n'est pas là pour faire des choix politiques ou pour faire le bonheur du peuple contre sa volonté. Il nous le dit régulièrement et il a raison : le Conseil constitutionnel n'a pas « un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement ».

La tendance est désormais, on le sait, aux « finances publiques vertes ». Même si le concept reste difficile à déterminer ... est-il impératif que toute décision budgétaire s'oriente obligatoirement dans le sens d'une amélioration de la qualité de l'environnement ? On le sait, une telle politique suppose des investissements considérables qui risquent d'accroître l'endettement de l'État. Qui doit choisir la politique à suivre ?

Ces questions sont-elles un choix politique ou un choix « juridique » que l'on délègue au Conseil constitutionnel en l'invitant à contredire le choix politique par l'application de pseudo-normes juridiques : le « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » ne se heurte-t-il pas au principe d'équilibre et d'endettement soutenable ? Est-ce au Conseil de trancher ?

Non, le Conseil doit rester dans son domaine : le contrôle de la procédure, de la répartition des compétences et de la garantie des libertés et du principe d'égalité, c'est-à-dire des grands principes juridiques qui fondent notre démocratie. Il n'est pas le gardien d'une politique constitutionnellement prédéterminée, fût-elle vertueuse.

Les présentations qui nous ont été faites des systèmes de contrôle de constitutionnalité des lois de finances dans les autres pays ne contredisent pas cette analyse. La Cour constitutionnelle belge règle des problèmes de compétence. En Italie, même si le Tribunal constitutionnel a dégagé un principe de protection des générations futures, le contenu de ce principe général n'est pas déterminé. Convient-il de protéger les générations futures d'un surcroit d'endettement, auquel cas, il faudra renoncer à investir dans la protection de l'environnement ou s'agit-il de s'engager dans une politique environnementale protectrice, quitte à augmenter l'endettement du pays ? Et en fait, il en va de même en Allemagne du fait de l'intervention tardive du juge constitutionnel qui, s'il sanctionne effectivement un endettement trop important, le fait quelque 18 mois après l'entrée en vigueur de la loi de finances, c'est-à-dire une fois la loi de finances exécutée.

En conclusion, on dira que la situation actuelle est donc relativement saine et nos débats l'ont bien montré : le Conseil constitutionnel fait avec les armes qu'on lui donne ; il ne faut pas nécessairement lui donner une arme atomique pour détruire les gouvernements en fonction des politiques qu'ils mènent et qu'eux seuls doivent déterminer, selon l'article 20 de notre Constitution. Il faut que le Conseil continue à faire respecter la règle du jeu qu'est notre Constitution dans les procédures qu'elle prévoit pour répartir les compétences et les droits et libertés qu'elle garantit.

Citer cet article

Michel LASCOMBE. « Synthèse des travaux », Titre VII [en ligne], Le contrôle de constitutionnalité des lois financières - Hors-série, Le contrôle de constitutionnalité des lois financières - Hors-série, juillet 2024. URL complète : https://webview.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/synthese-des-travaux

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