Titre VII

N° 4 - avril 2020

Le traitement jurisprudentiel du principe d'égalité au sein des cours hispanophones

Résumé

Les cours constitutionnelles hispanophones ont développé une importante politique jurisprudentielle qui permet de connaître et de comprendre la portée et les limites de la protection du droit à l'égalité et à la non-discrimination. Elles ont d'abord articulé leur doctrine en la matière en partant de définitions élémentaires de ce principe avant d'établir des classifications normatives et une configuration interprétative leur permettant - notamment par le prisme de la proportionnalité et la notion de « catégorie suspecte » - d'établir une grille d'analyse opérationnelle, pour juger de la conformité à la constitution des mesures soumises à leur contrôle sur ce fondement.

Ricardo Lagos, alors Président de la République du Chili, avait affirmé, le 13 janvier 2004, lors du Sommet spécial des Amériques à Monterrey, en parlant de l'Amérique latine : « Ce n'est pas le continent le plus pauvre du monde, mais c'est peut-être l'un des continents les plus injustes du monde ». En effet, malgré les progrès économiques enregistrés dans cette région ces dernières années, les inégalités demeurent toujours élevées. Au-delà des évidentes disparités économiques, de nombreuses discriminations peuvent être observées, à l'image de celles affectant les femmes, les minorités sexuelles ou les communautés autochtones.

Malgré cette situation, le principe d'égalité est consacré comme une valeur essentielle et un droit fondamental dans l'ensemble des textes constitutionnels des Etats hispanophones. Ce principe se manifeste du point de vue matériel en donnant aux autorités publiques la mission de promouvoir une égalité effective entre les individus ou les groupes et du point de vue formel à travers l'égalité devant la loi et l'égalité dans l'application de la loi(1). L'article 66 alinéa 4 de la Constitution de l'Equateur s'inscrit dans cette perspective lorsqu'il affirme la reconnaissance et la garantie du « droit à l'égalité formelle, matérielle et à la non-discrimination ».

La « nbsp ; fondamentalité » du principe d'égalité est reconnue tant par les cours constitutionnelles hispanophones que par la Cour interaméricaine des droits de l'homme. Cette dernière a pu affirmer, avec une formule reprise par d'autres juridictions, que « la notion d'égalité découle directement de l'unité de la nature de l'espèce humaine et est inséparable de la dignité essentielle de l'individu(2) ».

Le principe d'égalité étant le plus fréquemment invoqué devant les juridictions constitutionnelles, les cours hispanophones, au même titre que leurs homologues, ont été amenées à développer une réelle doctrine en la matière(3), souvent d'ailleurs en s'inspirant des solutions étrangères. Il ne s'agira évidemment pas dans cette étude de proposer une approche exhaustive de la problématique, qui relèverait de la gageure au regard du caractère pléthorique de la jurisprudence en la matière, mais de souligner quelques traits particulièrement symptomatiques du traitement du principe d'égalité par ces juridictions. En effet, certaines tendances peuvent être observées dans l'examen des atteintes au principe d'égalité, notamment en ce qui concerne les techniques de contrôle mises en place, qui présentent une réelle convergence dans ce domaine. Les convergences jurisprudentielles sont d'autant plus importantes que les juridictions constitutionnelles hispanophones citent fréquemment leurs homologues - la Cour interaméricaine des droits de l'homme jouant un rôle de vecteur puissant - faisant place à une véritable « circulation des solutions juridiques(4) », notamment dans le traitement du principe d'égalité. Ainsi, la Cour constitutionnelle de l'Equateur avait pu appréhender les notions d'efficience et d'efficacité, en reprenant les définitions proposées par la Cour constitutionnelle colombienne, en estimant que « cela nécessite le recours au droit comparé afin d'intégrer dans notre culture juridique les évolutions et progrès de ces principes »(5).

Indépendamment des techniques de contrôle qui ont pu être développées et formalisées au fur et à mesure du déploiement de la jurisprudence en la matière, les juridictions constitutionnelles ont dû identifier ce qui constituait une discrimination injustifiée. La définition proposée par la Cour suprême de justice chilienne est intéressante de ce point de vue(6). Dans une décision du 24 mai 1991, elle a défini la discrimination arbitraire comme « toute différenciation ou distinction faite par le législateur ou toute autorité publique qui apparaît contraire à l'éthique élémentaire ou à un processus normal d'analyse intellectuelle ; en d'autres termes, qui n'a pas de justification rationnelle ou raisonnable, ce qui équivaut à dire que le législateur ne peut pas, par exemple, adopter une loi qui impose des exigences ou des obligations différentes à différentes personnes dans les mêmes circonstances(7) ». La Cour a jugé dans la foulée qu'une discrimination ne pouvait être conforme à la Constitution que « lorsqu'elle vise à sauvegarder ou à protéger des biens juridiques supérieurs(8) ».

De manière générale, une différence de traitement n'est pas exclue par principe, dès lors qu'elle répond à un objectif constitutionnel légitime. Il est tout à fait possible pour le législateur de mettre en œuvre des ajustements raisonnables afin de dépasser l'égalité formelle et d'atteindre une égalité réelle. Un traitement juridique différent n'est pas nécessairement discriminatoire s'il est justifié par les circonstances ou les objectifs poursuivis(9).

L'étude de la jurisprudence des juridictions constitutionnelles hispanophones montre que dès qu'elles sont confrontées à l'invocation d'une atteinte au principe d'égalité, elles vont appliquer une procédure de contrôle à peu près similaire, fondée sur le test dit de « razonabilidad » (II). Ce test repose sur un contrôle d'intensité variable (I), selon que la mesure litigieuse affecte ou non une « catégorie suspecte ».

I. L'intensité variable du contrôle de l'atteinte au principe d'égalité

Le contrôle exercé par le juge varie en fonction de l'affaire qui lui est soumise. Dans l'hypothèse où la mesure litigieuse n'affecte pas une « catégorie suspecte », le juge exercera un contrôle normal, dans l'hypothèse où la mesure affecte une « catégorie suspecte », il effectuera un contrôle strict. Si dans les deux cas, la Cour va examiner le « caractère raisonnable de la mesure » (« razonabilidad »), dans la seconde hypothèse, la Cour va, sur la base d'une présomption d'inconstitutionnalité de la mesure, devoir examiner si cette dernière répond à un objectif constitutionnel impérieux, si elle est pleinement orientée vers la seule satisfaction de cet objectif et surtout qu'elle est la mesure la moins attentatoire aux droits fondamentaux pour atteindre l'objectif constitutionnel poursuivi.

Il convient d'insister sur l'utilisation de la référence aux « catégories suspectes », inspirée de la jurisprudence de la Cour suprême des Etats-Unis(10) et présente dans la jurisprudence de plusieurs juridictions constitutionnelles hispanophones(11). Les « catégories suspectes » concernent des sujets (origine ethnique, nationalité, sexe, âge, handicap, religion, orientation sexuelle, etc.) qui sont affectés d'une présomption d'inconstitutionnalité lorsqu'ils font l'objet d'une mesure distinctive les concernant. Le juge constitutionnel amené à contrôler de telles distinctions doit procéder à un examen rigoureux de la mesure pour en vérifier la constitutionnalité à la lumière du principe d'égalité et s'assurer qu'il existe un motif légitime et une justification très forte de cette dernière.

Indépendamment de la référence aux classifications ou catégories suspectes, un dénominateur commun peut être identifié au niveau des juridictions constitutionnelles, les cours hispanophones n'y échappant pas. Ainsi, ces dernières, confrontées à une mesure affectant une catégorie suspecte, présument ce type de lois inconstitutionnelles tant que l'autorité à l'origine de la mesure n'a pas démontré le contraire, notamment en prouvant que ladite mesure présente un caractère raisonnable et n'est pas disproportionnée au regard des objectifs poursuivis.

La décision rendue le 8 août 2006(12) par la Cour suprême de justice de la Nation Argentine est particulièrement significative de ce point de vue. Elle concernait une personne de nationalité allemande qui résidait en Argentine depuis plus de vingt ans et qui s'était vue refuser l'accès à un concours de recrutement pour un poste de greffière d'un tribunal de première instance de la ville de Buenos Aires, du fait de sa nationalité, alors même qu'elle avait effectué ses études secondaires et universitaires en Argentine. La Cour a été saisie afin de se prononcer sur la conformité à l'article 16 de la Constitution(13) de la condition de nationalité pour l'accès à un emploi public.

La Cour, confrontée à une « catégorie suspecte », en l'occurrence une discrimination fondée sur la nationalité, devait effectuer un examen strict de l'égalité. Un tel examen implique que la présomption d'inconstitutionnalité ne peut être levée qu'à condition de démontrer que la finalité poursuivie par la mesure emportant une inégalité de traitement devait être substantielle (première condition) et que les moyens retenus par le législateur pour y parvenir doivent, au-delà d'une simple « adéquation », favoriser effectivement l'objectif poursuivi et qu'il n'existe pas d'autres solutions moins restrictives des droits incriminés qui permettraient de parvenir à un résultat équivalent (seconde condition). Ce dernier critère, celui de l'opportunité, est identifiable dans l'ensemble des « tests » mis en œuvre par les juridictions constitutionnelles hispanophones. En cas de présomption d'inconstitutionnalité, il appartient au législateur de démontrer qu'il n'existe pas d'autres solutions, permettant de parvenir au résultat visé, qui seraient moins attentatoires aux droits fondamentaux.

En l'espèce, la Cour a considéré que s'agissant d'un emploi public n'impliquant pas l'exercice de fonctions étatiques essentielles, notamment juridictionnelles, la distinction fondée sur la nationalité n'était pas justifiée, d'autant que d'autres critères de distinction, tel que le lieu où les études ont été effectuées, auraient pu être utilisés, de manière aussi pertinente au regard de l'objectif poursuivi, mais moins attentatoire aux libertés. Le traitement jurisprudentiel du principe d'égalité implique une dimension relationnelle évidente. Tant les membres de la doctrine que les cours font ainsi référence à la notion de tertium comparationis(14) qui apparaît comme une idée préalable au jugement d'égalité.

Le traitement des discriminations fondées sur la nationalité repose sur la mise en balance et la conciliation des différents principes constitutionnels applicables. Ainsi, la Cour constitutionnelle de Colombie a pu admettre, dans sa décision C-1058/03(15) la conformité à la Constitution de l'article 473 du Code de commerce qui impose à une société étrangère souhaitant exploiter ou gérer un service public en Colombie d'être représentée par un employé de nationalité colombienne. Cette disposition avait été contestée sur le fondement des articles 13(16) et 100(17) de la Constitution de 1991. Après avoir rappelé que les restrictions prévues à l'article 100 devaient être « expresses, nécessaires, minimales et viser à atteindre des objectifs constitutionnels légitimes(18) », la Cour a jugé que les décisions susceptibles d'être prises par les sociétés qui gèrent ces services, « inhérents à la finalité sociale de l'Etat », pouvaient être « d'une ampleur telle que l'ordre public [en soit] affecté », justifiant par là même la restriction imposée aux étrangers en la matière(19).

II. La procédure de contrôle de l'atteinte au principe d'égalité : le test de « razonabilidad »

La référence aux « catégories suspectes » est utilisée, par les juridictions constitutionnelles hispanophones, de manière implicite ou explicite, dans le cadre du test du « caractère raisonnable » (« razonabilidad ») mis en place pour contrôler la conformité à la constitution des atteintes au principe d'égalité.

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle de l'Equateur est intéressante de ce point de vue. Cette dernière a précisé les modalités d'appréhension d'une discrimination acceptable à travers ce qu'elle a donc formulé sous le nom de test de « razonabilidad ». Ce test comporte trois étapes qui doivent être contrôlées par la Cour : « a. l'existence d'un objectif justifiant l'instauration d'une inégalité de traitement ; b. la validité de cet objectif au regard de la Constitution ; c. le caractère raisonnable de l'inégalité de traitement, c'est-à-dire le rapport de proportionnalité existant entre ce traitement et le but poursuivi(20) ».

Pour le dire autrement, ce test repose sur un triptyque classique qui permet d'identifier la finalité de la mesure, les moyens mis en œuvre pour y parvenir et le rapport entre ces moyens et la finalité poursuivie. Le jugement d'égalité dépendra ensuite de l'intensité du contrôle. Le contrôle « léger » se limitera à vérifier que la décision du législateur n'est pas arbitraire, le contrôle « intermédiaire » concernera les mesures potentiellement discriminatoires ou n'affectant pas des droits constitutionnellement garantis tandis que le contrôle « strict » sera appliqué dès qu'une « catégorie suspecte » sera concernée(21).

Notons que ce test en trois phrases est la reprise mot pour mot du test élaboré par la Cour constitutionnelle de Colombie et formulé de manière explicite dans la décision C-022 du 23 janvier 1996(22). Cette décision concernait l'examen de conformité à la Constitution d'une loi de 1993 qui prévoyait que les candidats au test ICFES (qui permet d'accéder à l'Université) bénéficieraient d'une majoration de 10 % de leur résultat dans l'hypothèse où ils auraient préalablement effectué leur service militaire. La Cour utilise son test de « razonabilidad » afin de déterminer si des raisons suffisantes justifient une telle mesure. Pour la Cour, l'analyse des éventuelles justifications repose sur les trois étapes précédemment évoquées.

La Cour précise que l'ordre de ces étapes correspond à un besoin logique et méthodologique. Ainsi, les trois étapes doivent être abordées successivement, les deuxième et troisième étant les plus délicates. En effet, elles nécessitent de confronter d'abord l'objectif poursuivi avec les valeurs énoncées dans la Constitution avant d'examiner le caractère raisonnable de la différence de traitement (ou, pour le dire autrement, entre le traitement mis en œuvre et l'objectif poursuivi).

Sachant que pour la Cour, l'appréhension du caractère proportionnel de la mesure en cause implique la vérification de trois autres principes. L'adéquation tout d'abord, renvoie à l'utilisation des moyens les plus adaptés au regard de l'objectif constitutionnellement valable poursuivi. La nécessité, qui implique qu'aucun autre moyen n'aurait pu être utilisé pour accomplir le même objectif et que la solution retenue est celle qui affecte le moins les principes constitutionnels concernés. Enfin, la proportionnalité au sens strict qui suppose que la solution retenue ne porte pas atteinte à des principes constitutionnels plus importants.

Ce test, qui est au cœur de la jurisprudence constitutionnelle colombienne dans le traitement du principe d'égalité s'inscrit dans le cadre d'une véritable politique jurisprudentielle. En effet, la même Cour, dans une décision T-422 de 1992(23) avait affirmé que « les moyens choisis par le législateur doivent, non seulement être proportionnels aux fins recherchées par la norme, mais doivent aussi partager son caractère de légitimité. Le principe de proportionnalité vise à ce que la mesure n'ait pas seulement une base juridique, mais qu'elle soit appliquée de telle sorte que les intérêts juridiques d'autres personnes ou groupes ne soient pas affectés, ou que cela se produise dans une mesure minimale ».

Ainsi, le respect de la proportionnalité(24) permet de justifier, selon les circonstances, une atteinte au principe d'égalité.

Dans la décision C-022, la Cour a fait application du test qu'elle consacrait. Elle a considéré que la mesure mise en place remplissait les deux premières étapes du test. En effet, la mesure inégalitaire poursuit un objectif clair en encourageant l'incorporation dans l'armée et en compensant l'interruption corrélative des études. Et cet objectif est valable du point de vue constitutionnel, que cela soit dans une perspective large de satisfaction de principes tels que le maintien de l'ordre ou l'indépendance nationale ou plus spécifiquement du point de vue de l'article 216 de la Constitution de 1991 qui prévoit, explicitement, que la loi détermine « les prérogatives pour l'accomplissement de ce service (le service militaire) ».

Néanmoins, la Cour juge que la mesure litigieuse ne satisfait pas à la troisième étape du test et ne répond pas aux exigences du principe de proportionnalité. Elle considère, « en effet », que la compensation accordée aux candidats ayant effectué leur service militaire n'est pas nécessaire à la réalisation de l'objectif visé et qu'elle est disproportionnée par rapport aux autres candidats à l'accès au supérieur et à leurs « mérites académiques ». D'autres possibilités moins attentatoires aux droits d'autrui pourraient être envisagées, d'autant que l'inégalité de traitement mise en place n'a pas de lien direct avec le type d'activité exercée durant le service. Cet élément est très important pour la Cour, l'absence de finalité académique du service militaire démontre le caractère inadapté de la compensation instituée. Au surplus, la Cour rappelle qu'une telle mesure entre en contradiction avec des principes constitutionnels supérieurs tels que le droit à l'égalité consacré par l'article 13 de la Constitution.

Le privilège accordé aux personnes ayant effectué leur service militaire paraît d'autant plus disproportionné que la loi n° 48 de 1993 relative au service militaire autorise certaines personnes à ne pas effectuer ledit service, qu'il s'agisse des femmes, des hommes qui n'ont pas été tirés au sort ou de ceux qui en ont été exemptés et qui pourraient être victimes de la disposition incriminée malgré leurs mérites académiques.

Précisons toutefois que si cette solution a été réutilisée par la Cour colombienne et reprise par d'autres juridictions latino-américaines, elle n'est pas exempte de reproches au niveau de sa formalisation. En effet, le principe de proportionnalité semble parfois assimilé à celui du caractère raisonnable de la mesure. Sachant également que les sous-étapes du test peuvent paraître redondantes et ne semblent pas si clairement identifiables.

Il convient, enfin, de préciser que des mesures de discrimination positive ont également pu être admises, notamment en ce qui concerne les minorités ethniques. Ainsi, la Cour constitutionnelle de Colombie a pu ordonner à un département administratif du service éducatif de district la nomination d'un représentant de la communauté d'origine africaine au sein d'un conseil éducatif de district au motif qu' « en réglementant la composition [...] des conseils d'éducation de district, [une] mesure d'égalité de promotion générale a été introduite, visant à favoriser la communauté noire... Une manière de garantir que l'éducation ne soit pas un domaine de discrimination à l'avenir peut être, comme le prévoit la loi, que des représentants de la population noire siègent dans les conseils d'éducation de district, aux côtés de représentants d'autres groupes et secteurs de la société et de l'État(25) ».

Le département administratif justifiait sa décision de ne pas nommer de représentant de la communauté noire au motif qu'il n'y avait pas de telles populations dans le district de Santa Marta. La Cour a balayé sans équivoque cet argument en affirmant que « parfois, [...] la discrimination appliquée à un groupe s'exprime par l'invisibilité que les membres du groupe acquièrent pour le groupe dominant, ce qui explique pourquoi des faits publics et notoires peuvent être niés, comme la présence noire sur la côte atlantique du pays et son importante contribution à la culture colombienne(26) » !

Ainsi, l'atteinte législative à la stricte égalité de traitement est conforme à la Constitution en ce qu'elle poursuit un objectif légitime d'intégration sociale et de pluralisme culturel. L' « omission » du département administratif a donc porté atteinte au principe d'égalité consacré à l'article 13 de la Constitution en s'opposant au bon fonctionnement d'une mesure législative de discrimination positive.

Les cours constitutionnelles hispanophones ont développé une vaste politique jurisprudentielle qui permet de connaître et de comprendre la portée et les limites de la protection du droit à l'égalité et à la non-discrimination. Elles ont d'abord articulé une doctrine jurisprudentielle sur le droit à l'égalité en partant de définitions élémentaires de ce principe avant d'établir des classifications normatives et une configuration interprétative leur permettant, notamment par le prisme de la proportionnalité, d'établir une grille d'analyse opérationnelle, bien que critiquable, pour juger de la conformité à la constitution des mesures soumises à leur contrôle sur ce fondement.

Néanmoins, malgré la finesse de ces développements et des mécanismes mis en place par ces juridictions, les discriminations persistent dans ces pays où les femmes, les minorités sexuelles et ethniques sont toujours victimes d'une forte inégalité structurelle, malgré des mutations récentes qui tendraient à montrer les efforts des législateurs et des cours pour appréhender le principe d'égalité comme un élément d'émancipation pour certaines catégories de personnes(27).

(1): Iván Díaz García, « Igualdad en la aplicación de la ley. Concepto, iusfundamentalidad y consecuencias », Ius et Praxis, n° 2, 2012, p. 33-76.

(2): Cour IDH, 18 décembre 2009, Atala Riffo y niñas vs. Chile, § 79.

(3): Andrés Ollero Tassara, « La igualdad en la aplicación de la Ley en la doctrina del Tribunal Constitutcional », Estudios de Derecho Judicial, « La casación : unificación de doctrina y descentralización. Vinculación de la doctrina del Tribunal Constitucional y vinculación de la jurisprudencia del Tribunal Supremo », n° 87, 2006, p. 231-260.

(4): Alexis Le Quinio, Recherche sur la circulation des solutions juridiques : le recours au droit comparé par les juridictions constitutionnelles, préface de Guy Canivet, L.G.D.J., Fondation Varenne, vol. 53, 2011, 522 p.

(5): Sen. n° 002-09-SIN-CC, 14 mai 2009.

(6): Pour une étude complète sur la jurisprudence chilienne, voir Humberto Nogueira Alcala, « El derecho a la igualdad ante la ley, no discriminación y acciones positivas », Revista de Derecho, Año 13, n° 2, 2006, p. 61‑100.

(7): Sen., 24 mai 1991, Revista de Derecho y Jurisprudencia, t. 88, secc. 2, p. 182.

(8): Sen., 12 juillet 1991, Revista de Derecho y Jurisprudencia, t. 88, secc. 5, p. 179 et s.

(9): Dans une décision du 14 mai 2009 (Sen. N° 002-09-SIN-CC, Caso n° 0003-08-IN), la Cour constitutionnelle de l'Equateur a affirmé l'autonomie reconnue au législateur pour articuler les réformes envisagées avec le respect du principe d'égalité.

(10): Voir, par exemple, pour la Cour suprême d'Argentine, Maria Marta Didier, El principio de igualdad en las normas jurídicas. Estudio de la doctrina de la Corte Suprema de Argentina y su vinculación con los estándares de constitucionalidad de la jurisprudencia de la Corte Suprema de los Estados Unidos, Marcial Pons, 2011, 383 p.

(11): Andre Rosario Iñiguez Manso, « nbsp ; La noción de »categoría sospechosa" y el derecho a la igualdad ante la ley en la jurisprudencia del Tribunal Constitucional », Revista de derecho (Valparaíso), n° 43, 2014, p. 495-516 ; Guillermo [F.] Treacy, « Categorías sospechosas y control de constitucionalidad », Lecciones y Ensayos, n° 89, 2011, p. 181‑216.

(12): CSJN, 8 août 2006, Gottschau, Evelyn Patrizia c/ Consejo de la Magistratura de la Ciudad Autónoma de Buenos Aires, Fallos G. 841. XXXVI.

(13): Argentine, art. 16 C (1853) : « La Nation argentine n'admet pas de prérogatives de sang, ni de naissance : elle n'admet pas de privilèges personnels ni de titres de noblesse. Tous ses habitants sont égaux devant la loi, et sont admissibles à l'emploi sans autre condition que l'aptitude. L'égalité est la base de l'imposition et des charges publiques ».

(14): Juan-Carlos Gavara de Cara, Contenido y función del término de comparación en la aplicación del juicio de igualdad, Thomson/Aranzadi, Pamplona, 2005, 228 p. ; Francisco Rubio Llorente, « La igualdad en la jurisprudencia del tribunal constitucional. Introduccion », Revista Española de Derecho Constitucional, año 11, n° 31, janvier-avril 1991, p. 9-36.

(15): Sen. C-1058/03, 11 novembre 2003, Mariana Calderón Medina.

(16): Colombie, art. 13 C (1991) : « nbsp ; Tous les individus naissent libres et égaux devant la loi, reçoivent la même protection et le même traitement de la part des autorités et jouissent des mêmes droits, libertés et opportunités sans aucune discrimination [...]. L'État promeut les conditions d'une égalité réelle et effective et adopte des mesures en faveur des groupes qui sont discriminés ou marginalisés ».

(17): Colombie, art. 100 C (1991) : « Les étrangers jouissent en Colombie des mêmes droits civils que ceux accordés aux Colombiens. Toutefois, la loi peut, pour des raisons d'ordre public, soumettre les étrangers à des conditions particulières ou leur refuser l'exercice de certains droits civils. De même, les étrangers bénéficient, sur le territoire de la République, des garanties accordées aux nationaux, sauf les limitations établies par la Constitution ou la loi ».

(18): Sen. C-1058/03, Cons. 4.2.

(19): Sen. C-1058/03, Cons. 4.3.

(20): CC, 2012, Sen. n° 245-12-SEP-CC, p. 11-12.

(21): Pour une illustration « pédagogique » récente de la Cour constitutionnelle colombienne, voir : Sen. C-104/16, 2 mars 2016, Demanda de inconstitucionalidad contra el artículo 71 de la Ley 1098 de 2006, « Por la cual se expide el Código de la Infancia y la Adolescencia ».

(22): Sen. C-022-96, 23 janvier 1996, Alvaro Montenegro García, point 6.3.3.

(23): Sen. T-422/92, 19 juin 1992, Jorge Eliecer Rangel Peňa c. Instituto Nacional de los Recursos Naturales Renovables y del Ambiente, point 15.

(24): Sur l'utilisation du principe de proportionnalité comme élément central du contrôle de constitutionnalité : Sebastián Lopez Hidalgo, « El principio de proporcionalidad como canon de constitucionalidad : una aproximación al caso ecuatoriano », Estudios de Deusto, vol. 65, n° 1, 2017, p. 185-217.

(25): Sen. T-422/96, 10 septembre 1996, Germán Sánchez Arregoces c/ el Departamento Administrativo de Servicio Educativo Distrital de Santa Marta, Cons. 5.

(26): Id.

(27): Laura Clerico, Liliana Ronconi, Martín Aldao, « Hacia la reconstrucción de las tendencias jurisprudenciales en América Latina y el Caribe en materia de igualdad : sobre la no-discriminación, la no-dominación y la redistribución y el reconocimiento », Revista direito GV, 2013, vol. 9, n° 1, p. 115-170.

Citer cet article

Alexis LE QUINIO. « Le traitement jurisprudentiel du principe d'égalité au sein des cours hispanophones », Titre VII [en ligne], n° 4, Le principe d’égalité , avril 2020. URL complète : https://webview.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/le-traitement-jurisprudentiel-du-principe-d-egalite-au-sein-des-cours-hispanophones