Titre VII
N° 10 - avril 2023
Le secret dans l’investigation et l’instruction
Le secret de l'investigation et de l'instruction, tel que garanti par le Code de procédure pénale, est un secret qui protège à la fois les justiciables et les magistrats, tout au long de la procédure judiciaire. Mais c'est un secret qui doit également composer avec d'autres secrets protégés par le législateur dans la recherche d'un équilibre entre plusieurs impératifs constitutifs d'une société démocratique.
Le secret de l'enquête et de l'instruction est un principe fondateur de la procédure pénale française qui vise à garantir l'efficacité et l'équité de la procédure judiciaire. Son corollaire, le principe de transparence, est devenu aujourd'hui non plus seulement un droit, mais une exigence. Parallèlement à la montée de la transparence dans notre société, le secret exprime également un aspect essentiel de notre civilisation : le respect de la personne, de son intimité, de sa vie privée.
Les enjeux autour de la notion de secret en droit ont été parfaitement identifiés à l'occasion d'un colloque organisé par l'université de Tours en avril 2022 : « L'objectif de transparence a été érigé ces dernières années en garant de la confiance dans l'institution judiciaire, confiance qui est très fragilisée, et il peut être intéressant d'interroger le poids d'une autre notion liée à l'exercice de la justice : le secret. Si les deux termes ne sont pas des antonymes -- la transparence s'opposant plutôt à l'opacité - la progression de la transparence peut entraîner le recul du secret. La place de ce secret dans les procédures juridictionnelles pose question, notamment quant au fait de savoir si la confiance dans la justice passe nécessairement par son recul »(1).
La notion de secret en procédure pénale revêt plusieurs acceptions : le secret est d'abord celui de l'enquête et de l'instruction, tel que garanti par le Code de procédure pénale. C'est un secret qui protège, à la fois les justiciables et les magistrats, tout au long de la procédure judiciaire. Mais le secret peut être également perçu comme un obstacle à la manifestation de la vérité : en effet, les principes de notre procédure pénale peuvent avoir à composer avec d'autres secrets protégés par le législateur dans la recherche d'un équilibre entre plusieurs impératifs constitutifs d'une société démocratique.
A) Le secret de l'enquête et de l'instruction : une protection garantie par le Code de procédure pénale
1. La définition du secret de la procédure
La conception moderne du secret de l'enquête et de l'instruction a été élaborée au cours de XIXe siècle, et deux lois viendront modifier certaines de ses modalités : la loi Constans du 8 décembre 1897 accorde à l'inculpé le droit d'être assisté d'un avocat devant le juge d'instruction et de prendre connaissance du dossier de l'instruction la veille de l'audience, et la loi du 2 juillet 1931 portant modification du Code d'instruction criminelle a interdit la publication de toute information relative à des constitutions de partie civile avant la décision judiciaire, afin de réduire les risques de fuites.
Même s'il existe également dans d'autres contentieux, le secret de l'instruction n'a été codifié qu'en procédure pénale, en 1957, à l'article 11 du Code de procédure pénale. Comme le décrit Merwane Benrahou, précédemment cité : « nbsp ;Du point de vue interne, il concerne les parties et revient à interroger le principe du contradictoire. Du point de vue externe, il désigne la non-publicité de l'enquête et de l'instruction à l'égard des tiers. C'est principalement sur ce second aspect que la sauvegarde du secret poursuit des objectifs étroitement liés à la confiance que peut avoir une partie au procès dans la justice, et par extension tout citoyen en tant que justiciable potentiel ».
Ce secret de l'enquête et de l'instruction n'est ni général ni absolu. Il fonctionne sur un mode binaire où seules les personnes concourant formellement à la procédure y sont soumises, les autres en étant dégagées, sauf à respecter les règles plus générales de secret professionnel auxquelles elles peuvent, du fait de leur statut, être astreintes (comme, par exemple, les avocats). Sont donc concernés par l'article 11 du Code de procédure pénale, le juge d'instruction, les membres de la chambre de l'instruction, les magistrats du parquet, les enquêteurs de police, les huissiers, les greffiers, les experts et toutes les personnes qui participent au contrôle judiciaire. En sont donc exclus, la personne mise en examen, les témoins, la victime, les avocats ou encore les journalistes.
2. Les objectifs du secret de l'investigation et de l'instruction
Plusieurs objectifs liés à des considérations d'intérêt public justifient le secret des enquêtes et de l'instruction tel qu'il est prévu par notre législation actuelle.
Dans le Code d'instruction criminelle déjà, la procédure était secrète à l'égard de la personne mise en cause afin de garantir l'effectivité et l'efficacité des investigations. En effet, la nécessité de ne pas désarmer l'État dans sa lutte contre la criminalité commande ce secret temporaire. Il est le vecteur de la qualité du travail préparatoire d'investigation, d'analyse et de réflexion, qui précède la phase décisionnelle. Durant cette phase de recueil des éléments à charge et à décharge, il importe de favoriser la manifestation de la vérité, d'éviter la disparition des preuves et de préserver la sincérité des témoignages et la sécurité des protagonistes, et cela dans l'intérêt de chacun - mis en examen, victime, témoin, accusation -, mais aussi dans l'intérêt général.
Car, en assurant une mission spécifique de sanction et de correction de toutes les ruptures d'égalité devant la loi, la justice ne saurait être réduite à la seule dimension de service rendu à des usagers. La sécurité publique et la sécurité juridique auxquelles contribue ce secret temporaire sont les conditions préalables de la garantie effective des libertés individuelles.
Au fil du temps, la conception inquisitoriale des investigations a été remise en cause : un large droit d'accès au dossier de l'instruction au bénéfice de la personne mise en examen, de la partie civile, et du témoin assisté, par l'intermédiaire ou non de leur avocat a été octroyé avec les articles 114 et 113-3 du Code de procédure pénale.
Au-delà de concourir à l'effectivité des investigations, le secret de l'enquête et de l'instruction vise à préserver la présomption d'innocence. Cela se conçoit à la lecture de l'article 11 du Code de procédure pénale lequel astreint les personnes concourant à la procédure au secret professionnel soit, en d'autres termes, à l'impossibilité pour ces dernières de révéler ou divulguer des informations issues du dossier de procédure. Le secret de l'enquête et de l'instruction doit assurer la présomption d'innocence des personnes mises en cause. Ce droit fondamental est inscrit à l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à l'article 6 § 2 de la convention européenne des droits de l'homme.
Enfin, le secret vise, par la confidentialité de la phase de collecte des preuves et de la détermination des charges, à garantir que toute mise en cause ne se traduira pas par un jugement préalable de l'opinion publique et ne se construira pas au travers de pressions exercées sur les enquêteurs et l'ensemble de la chaîne judiciaire. Le secret dans l'investigation permet la sérénité de la justice et la protection de la présomption d'innocence de ceux qui pourraient être livrés en pâture à l'opinion publique avant même que leur responsabilité pénale ne soit définitivement établie.
La conservation du secret de l'enquête et de l'instruction protège l'ensemble des acteurs tout au long de la procédure pénale, et est intrinsèquement liée à la confiance de nos concitoyens dans la Justice.
Ces objectifs ont été réitérés par les jurisprudences constitutionnelle et conventionnelle. Le Conseil constitutionnel a ainsi réaffirmé que deux finalités étaient attraites au secret de l'instruction, « d'une part, garantir le bon déroulement de l'enquête et de l'instruction poursuivant ainsi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions, tous deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle [...], d'autre part, protéger les personnes concernées par une enquête ou une instruction, afin de garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d'innocence, qui résulte des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789 »(2).
La Cour européenne des droits de l'homme a estimé qu'il était légitime de vouloir accorder une protection particulière au secret de l'instruction compte tenu de l'enjeu d'une procédure pénale, tant pour l'administration de la justice que pour le droit au respect de la présomption d'innocence des personnes mises en examen. La Cour a même pris soin de rappeler les objectifs poursuivis par le secret de l'instruction, qui « sert à protéger, d'une part, les intérêts de l'action pénale, en prévenant les risques d'une collusion ainsi que le danger de disparition et d'altération des moyens de preuve et, d'autre part, les intérêts du prévenu, notamment sous l'angle de la présomption d'innocence et, plus généralement, de ses relations et intérêts personnels. Il est en outre justifié par la nécessité de protéger le processus de formation de l'opinion et de prise de décision du pouvoir judiciaire »(3).
3. Un secret protégé par des sanctions pénales
Les solutions tirées du droit comparé et du droit européen militent non seulement en faveur du maintien du secret de l'article 11 du Code de procédure pénale, mais aussi du renforcement des sanctions infligées en cas de violation de ce secret.
C'est ainsi que la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire du 22 décembre 2021 clarifie le régime pénal applicable en cas de violation de ce secret et aggrave considérablement les peines encourues.
En effet, jusqu'à lors, une telle violation était analysée comme une simple atteinte au secret professionnel, telle que prévue et réprimée par les articles 226-13 et 226-14 du Code pénal, les peines encourues étant d'un an d'emprisonnement et 15 000 € d'amende. Parallèlement, le délit spécifique de divulgation d'informations issues d'une enquête ou d'une instruction à des personnes susceptibles d'être impliquées venait compléter la protection du secret, l'article 434-7-2 du même Code prévoyant, dans une telle hypothèse, des peines de deux à cinq ans d'emprisonnement et 30 000 à 75 000 € d'amende. En outre, une troisième infraction prévue par l'article 114-1 du Code de procédure pénale punissait, quant à elle, la diffusion, à des tiers, de pièces remises à une partie à l'occasion d'une information judiciaire, faisant encourir à l'auteur de cette diffusion une simple amende de 10 000 €.
L'article 434-7-2 réprime désormais spécifiquement la violation du secret de l'enquête et de l'instruction, punissant de trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende le fait, pour toute personne en ayant connaissance en raison de ses fonctions, de révéler sciemment à des tiers des informations issues d'une telle procédure, quels que soient le ou les tiers bénéficiaires de ces informations.
Dès lors, si les articles 226-13 et 226-14 du Code pénal demeurent inchangés, ils seront désormais inapplicables à de tels faits, en vertu de l'adage specialia generalibus derogant.
Le délit de divulgation d'informations issues d'une enquête ou d'une instruction à des personnes susceptibles d'être impliquées subsiste, quant à lui, au sein du même article 434-7-2, mais les peines d'emprisonnement se voient également aggravées, passant de trois à cinq ans, et jusqu'à sept ans et 100 000 € lorsque l'enquête ou l'instruction porte sur un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement.
Enfin, le délit susmentionné prévu à l'article 114-1 du Code de procédure pénale voit les peines encourues également aggravées, l'amende de 10 000 € étant remplacée par trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende.
Parallèlement, le droit de communication du procureur de la République prévu à l'article 11 du Code de procédure pénale est considérablement élargi, puisque ce dernier peut désormais faire état d'éléments tirés de la procédure non plus seulement « nbsp ;afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public lorsque tout autre impératif d'intérêt public le justifie », sans que l'on sache encore précisément ce qu'il convient d'entendre par cette formule. En outre, ce droit de communication peut désormais être exercé indirectement, « par l'intermédiaire d'un officier de police judiciaire agissant avec son accord et sous son contrôle ».
4. Le secret de la procédure vis-à-vis des parties et des tiers
En même temps que se sont renforcées les sanctions de la violation du secret de l'enquête et de l'instruction, des assouplissements vis-à-vis du secret de la procédure ont été accordés au bénéfice des droits de la défense : principalement aux parties, et exceptionnellement aux tiers.
Au stade de l'enquête, aucun accès à la procédure n'est autorisé, sauf pour la personne en garde à vue et son avocat, mais uniquement pour certaines pièces telles que le procès-verbal de notification des droits, le certificat médical, ou les procès-verbaux d'auditions, sans pouvoir cependant en obtenir de copie, conformément à l'article 63-4-1 du Code de procédure pénale.
L'article 77-2 du Code de procédure pénale, modifié récemment par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, permet au procureur de communiquer de son propre chef tout ou partie de la procédure au mis en cause ou au plaignant pour recueillir ses observations. L'hypothèse est assez rare puisque les magistrats attendent en général la fin de l'enquête pénale pour rendre la procédure contradictoire.
Cet article confère également le droit à la personne soupçonnée d'avoir commis une infraction punie d'une peine d'emprisonnement de demander au parquet à consulter librement le dossier pour formuler ses observations ou une demande d'acte. Par ailleurs, le procureur de la République peut refuser à la personne la communication de tout ou partie de la procédure si l'enquête est toujours en cours et si cette communication risque de porter atteinte à l'efficacité des investigations. Pour autant, l'égalité des armes est toujours à nuancer puisque l'autorisation d'accès au dossier reste soumise au pouvoir discrétionnaire du parquet.
En matière de criminalité organisée, l'article 706-105 du Code de procédure pénale prévoit que toute personne ayant fait l'objet d'une garde à vue en matière de criminalité organisée a le droit, à l'issue d'un délai de six mois après cette mesure, d'être informée de la décision du parquet sur la suite de la procédure. En cas de poursuite de l'enquête, l'avocat de l'intéressé peut consulter le dossier avant toute nouvelle audition, sans pouvoir toutefois en obtenir de copie. De la même manière, cet article est rarement mis en œuvre, car la matière relève de la criminalité organisée de sorte que la garde à vue débouche généralement sur l'ouverture d'une information.
Au stade de l'instruction, le mis en cause et la partie civile valablement constituée peuvent avoir accès à tout le dossier (mais pas de copie). Le témoin assisté, qui n'est pourtant pas une partie stricto sensu, bénéficie des mêmes conditions, mais le témoin simple n'a pas accès au dossier.
Certaines dispositions législatives, dérogatoires au principe édicté par l'article 11 du Code de procédure pénale, autorisent la communication à des tiers de pièces de la procédure d'enquête ou d'instruction, et ce, le plus souvent dans un intérêt public au profit d'une administration, d'une autorité administrative ou d'une juridiction.
Dans le cadre de l'enquête, l'administration fiscale peut ainsi se faire communiquer tout ou partie d'un dossier par le parquet, sans que le secret de l'article 11 ne puisse lui être opposé(4). Le justiciable pourra dès lors se voir opposer par l'administration des pièces obtenues dans le cadre pénal -- soit par le biais de mesures d'enquête différentes de celles qui sont applicables dans la procédure pénale -- et auxquelles il n'a jamais eu accès, sans pour autant avoir le droit de consulter la procédure dans son intégralité ni d'en vérifier la régularité. Le juge d'instruction doit également communiquer à l'administration fiscale, spontanément ou à la demande de celle-ci, tout élément de nature à faire présumer une fraude fiscale(5), le secret de l'article 11 du Code de procédure pénale ne pouvant pas être opposé au droit de communication.
En matière de délinquance financière, les services de Tracfin bénéficient à la fois d'un droit d'accès direct au fichier de la police judiciaire relatif aux données à caractère personnel et d'un droit de communication des autorités judiciaires, qui peuvent les rendre destinataires de toute information utile, même issue d'une enquête pénale en cours(6).
L'exigence du secret, pourtant censée s'appliquer « sans préjudice des droits de la défense », révèle ici sa dimension unilatérale, au bénéfice unique du parquet et de l'administration.
Si le secret des actes de l'enquête et de l'instruction prévaut procéduralement, certains secrets professionnels peuvent également être protégés au sein des procédures judiciaires.
B) L'investigation et l'instruction face aux secrets protégés par la procédure pénale
Le secret de l'investigation et de l'instruction peut être mis en balance avec d'autres droits, comme le droit du journaliste d'informer le public sur un sujet d'intérêt général. Et il peut également se trouver confronté à d'autres secrets protégés.
Le secret professionnel a pour objectif de protéger la personne qui a besoin de se confier à un professionnel, et d'assurer la crédibilité de certaines professions qui ont une fonction sociale. Dans cette hypothèse, il s'agit d'une balance entre plusieurs « secrets » aux régimes et aux sources différents. La procédure pénale se retrouve alors à la croisée des chemins entre divers droits fondamentaux et intérêts supérieurs.
1. Le secret des sources journalistiques
Les juges doivent tenir compte de deux impératifs a priori contradictoires et rechercher un équilibre. D'un côté, celui du secret des sources des journalistes qui est la condition de la liberté de la presse, elle-même « l'un des fondements essentiels d'une société démocratique »(7). De l'autre, celui des dangers de certaines divulgations qui peuvent nuire à la vie privée, à la Défense nationale ou au bon déroulement des enquêtes et instructions pénales. Un équilibre doit être recherché entre ces deux impératifs dans un domaine où règne la casuistique.
Les dispositions spécifiques de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, très protectrices de cette liberté et de ceux qui en jouissent, n'excluent pas, sauf mention ou dérogations très explicites, l'application complémentaire, à ceux qui s'expriment publiquement et notamment aux journalistes, des règles du droit commun, de portée plus générale. Il en est notamment ainsi de celles qui sont relatives au secret de l'enquête et de l'instruction, modalité particulière du secret professionnel, et au recel de violation de secret, auxquels les journalistes ne devraient pas pouvoir prétendre opposer, pour cacher de telles pratiques, la protection de leurs sources d'information.
Les juridictions françaises et européennes rappellent régulièrement que certains principes déontologiques doivent être respectés pour garantir l'exercice d'un journalisme responsable. Certes, le public a un intérêt légitime à être informé et à s'informer sur les procédures en matière pénale et les articles relatifs au fonctionnement du pouvoir judiciaire traitent d'un sujet d'intérêt général, mais la diffusion, dans une perspective sensationnaliste, d'informations issues d'une procédure en cours, pouvant perturber le cours des investigations, ne saurait être légitimée au nom du droit de la liberté d'expression. La CEDH a ainsi récemment validé la condamnation, pour recel de violation du secret de l'instruction, d'un journaliste, estimant que l'ingérence reposait sur la nécessité de protéger le secret dont doivent pouvoir bénéficier les informations relatives à la conduite d'une enquête pénale et, plus généralement, de garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire et poursuivait donc un but revêtant un caractère légitime(8).
D'autres jurisprudences, au contraire, protègent davantage le secret des sources invoqué par les journalistes. S'agissant d'enregistrements diffusés dans la presse et provenant nécessairement d'une violation du secret de l'instruction, donc de provenance illicite, la chambre criminelle de la Cour de cassation a créé une sorte de présomption d'origine privée de la preuve produite dans le cadre de la procédure pénale. S'il n'est pas démontré que ces enregistrements ont été réalisés par une autorité judiciaire, s'ils ont donc une origine incertaine, alors ils sont supposés être d'origine privée et, en conséquence, ne peuvent être annulés puisqu'ils ne sont pas des actes de la procédure(9).
Par ailleurs, la relativité du principe du secret des sources s'est récemment manifestée à la suite du renvoi d'une QPC par décision de la chambre criminelle du 27 juillet 2022(10). Le Conseil constitutionnel a alors déclaré conformes les dispositions des articles 60-1 et 100-5 du Code de procédure pénale qui interdisent, à peine de nullité, de verser au dossier de la procédure les éléments obtenus par une réquisition prise en violation du secret des sources d'un journaliste et de transcrire les correspondances avec un journaliste permettant d'identifier une source, en violation de l'article 2 de la loi de 1881(11).
Si le journaliste ne peut, comme tout autre tiers à la procédure, obtenir l'annulation par la chambre de l'instruction d'un acte d'investigation accompli en violation du secret des sources, il dispose d'autres voies de droit qui lui sont ouvertes, et peut notamment mettre en mouvement l'action publique devant les juridictions pénales en se constituant partie civile et demander la réparation de son préjudice. Il conserve également la possibilité d'invoquer l'irrégularité de cet acte à l'appui d'une demande tendant à engager la responsabilité de l'État du fait de cette violation.
2. Le secret professionnel de l'avocat qui concourt aux droits de la défense
L'avocat, n'étant pas considéré comme concourant à la procédure, est tenu au secret en vertu de l'article 11 du Code de procédure pénale, par application de l'article 226-13 du Code pénal, ainsi que des règles de la profession d'avocat.
L'avocat est ainsi passible de poursuites sur le terrain disciplinaire et pénal sur le fondement de la violation du secret professionnel. D'ailleurs, la définition déontologique renvoie au secret de l'enquête et de l'instruction. En effet, selon l'article 5 du décret du 12 juill. 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat : « L'avocat respecte le secret de l'enquête et de l'instruction en matière pénale, en s'abstenant de communiquer, sauf pour l'exercice des droits de la défense, des renseignements extraits du dossier, ou de publier des documents, pièces ou lettres intéressant une enquête ou une information en cours. Il ne peut transmettre de copies de pièces ou actes du dossier de la procédure à son client ou à des tiers que dans les conditions prévues à l'article 114 du Code de procédure pénale ».
Au-delà de cette obligation pour l'avocat de respecter le secret de la procédure judiciaire, le secret professionnel de l'avocat est lui-même protégé par les dispositions du Code de procédure pénale et par les modifications apportées par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire : de nouvelles garanties ont été apportées pour le secret professionnel de l'avocat en cas de perquisitions et saisies effectuées dans son cabinet ou à son domicile (avec une autorisation préalable écrite et motivée du juge des libertés et de la détention). Par ailleurs, le texte reconnaît le secret professionnel de l'avocat, tant dans son activité de défense que de conseil, dans l'article préliminaire du Code de procédure pénale. Jusqu'alors, la Cour de cassation ne reconnaissait pas le secret de l'avocat dans ses activités de conseil. Toutefois, ce secret n'est pas général, et ne vaudra pas en cas de fraude fiscale, de corruption ou de blanchiment de ces délits et de financement du terrorisme.
Le Conseil constitutionnel a ainsi déclaré les dispositions prévues aux articles 56-1 et 56-1-2 du Code de procédure pénale conformes aux droits et libertés que la Constitution garantit(12).
Pour le respect de l'équilibre des principes, il faut s'interroger sur la nécessité et la proportionnalité des atteintes au secret professionnel qui résultent des investigations qui sont ordonnées. L'irrespect des principes de nécessité et de proportionnalité est contraire à l'article préliminaire du Code de procédure pénale et à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme s'agissant des atteintes à l'intimité de la vie privée. Et il met également gravement en cause les droits de la défense.
Il ne faut jamais oublier que le rôle du magistrat consiste à s'assurer que les libertés sont protégées, et notamment le secret professionnel des avocats. Il faut trouver le juste équilibre entre la recherche de la vérité et la protection des droits de la défense.
3. Le secret de la Défense nationale
Il existe une catégorie d'actes qui caractérise l'une des plus fortes réminiscences de la raison d'État dans notre droit : ce sont les actes protégés par le secret de la Défense nationale (appelé « secret-défense »). Selon le ministère de la Défense, la protection du secret-défense a pour objectif d'assurer la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation.
En matière pénale, le secret-défense protège les données « intéressant la Défense nationale qui ont fait l'objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès » (article 413-9 du Code pénal), la divulgation d'informations relevant du secret-défense constituant d'ailleurs un délit autonome.
Du point de vue du magistrat du ministère public, du magistrat instructeur et de celui de l'avocat de la défense, le secret-défense s'entrechoque avec les principes cardinaux de la procédure pénale, et ce tant avec les nécessités de l'enquête, de l'information judiciaire et de la recherche de la manifestation de la vérité, qu'avec le droit au procès équitable et ses composantes, y compris les plus élémentaires droits de la défense.
Le secret-défense est bien sûr opposable au parquet et au juge d'instruction. Il est une digue au-delà de laquelle le procureur et le magistrat instructeur ne peuvent investiguer, sauf accords spéciaux. Le secret-défense se traduit concrètement par des obstacles dans deux actes d'investigations en particulier : les perquisitions et saisies, et les auditions.
La classification secret-défense a pour effet de soustraire un document ou un acte aux pouvoirs d'investigation de l'autorité judiciaire. Cependant, une demande de levée peut être faite par le juge d'instruction, ou toute juridiction, à la commission du secret de la Défense nationale (CSDN). À l'issue d'une décision majeure du Conseil constitutionnel, il n'existe donc plus de zone inviolable pour le juge d'instruction, au nom du secret-défense, pourvu que celui-ci respecte les mécanismes d'information ou de déclassification prévus aux articles L. 2312-1 à L. 2312-8 du Code de la défense(13).
Un juge d'instruction peut éprouver les plus grandes difficultés à procéder à l'audition de fonctionnaires appartenant à des services dont l'organisation et le fonctionnement sont couverts par le secret. Le Conseil d'État considère que ceux-ci ne bénéficient pas d'une exception, et sont tenus de déférer à la citation ou au mandat délivré par l'autorité judiciaire. Toutefois, répondre à la convocation ne signifie pas répondre aux questions puisque cette obligation ne fait pas obstacle à ce que le fonctionnaire cité oppose à toutes investigations, éventuellement même si elles concernent son propre état civil, le secret de la défense dont il serait détenteur(14).
De ces dispositions, il résulte, pour le magistrat instructeur, un régime qui fait la synthèse entre faculté d'investiguer et de contribuer à la manifestation de la vérité d'une part, et nécessité de protéger les intérêts de la Nation d'autre part. Il demeure néanmoins que les décisions de refus de déclassification ne peuvent faire l'objet de recours.
Du point de vue de l'avocat de la défense, on ne peut que constater l'existence d'un régime attentatoire aux droits de la défense, puisque le secret-défense permet de soustraire des éléments de preuves ou des actes d'investigation du dossier d'enquête ou d'instruction. Or, à défaut de pouvoir consulter de tels actes, la défense se retrouve privée du droit de les quereller, et doit donc faire face à une accusation invisible, et partant, difficilement contestable.
4. Le secret médical
Selon l'article L. 1110-4 I du Code de la santé publique, toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou un service de santé a droit au respect de sa vie privée et au secret des informations le concernant. Ce secret s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé, et est également prévu par le Code de déontologie médicale. La violation du secret médical est sanctionnée par une peine pouvant atteindre un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende conformément à l'article 226-13 du Code pénal.
Toutefois, la loi apporte des dérogations au principe du secret médical, le médecin pouvant être autorisé à révéler des informations (« Excepté dans les cas de dérogations expressément prévus par la loi » selon l'article précité du Code de la santé publique). En effet, dans le cadre d'une enquête de flagrance, d'une enquête préliminaire, ou d'une instruction, à la suite par exemple de la survenue d'un événement indésirable grave, les établissements et les professionnels de santé peuvent être destinataires de réquisitions judiciaires. La remise des informations, et notamment d'un dossier médical, ne peut intervenir qu'avec l'accord des professionnels de santé. En cas de refus de ceux-ci, la saisie des documents peut être réalisée dans le cadre d'une perquisition autorisée par un juge des libertés et de la détention ou par un juge d'instruction.
Comme dans le cas des secrets professionnels précédemment mentionnés, le droit applicable résulte donc de la recherche d'un juste équilibre entre l'ensemble des intérêts en présence : l'intérêt du patient, l'intérêt social et l'intérêt public.
La protection du secret de l'investigation et de l'instruction au nom de principes inhérents à une société démocratique est liée au maintien de la confiance de nos concitoyens dans la justice. L'équilibre à rechercher en permanence avec la protection des secrets professionnels et le respect des droits et libertés garantis par notre Constitution en est une condition nécessaire. Les secrets que notre Code de procédure pénale protège sont en effet à la croisée des chemins entre plusieurs droits fondamentaux tels que la présomption d'innocence, les droits de la défense, la liberté et la pluralité de la presse, la préservation des libertés individuelles et de la vie privée.
Le regain de la confiance dans la justice ne passe donc pas par le recul du secret, mais il incombe aux magistrats, plus que jamais, d'être vigilants dans leurs analyses juridiques et dans les arbitrages qu'ils se doivent de faire pour la défense et la protection de ces différentes valeurs dont ils sont les ultimes garants.
(1): M. Benrahou, « Un recul exigé du secret ? Observations sur la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire », Colloque « Secret et droit » organisé par l'association Hémisphère droit, Tours, 1er avril 2022 : Le secret et le Droit | Canal U (canal-u.tv) (Actes du colloques à paraître : M. Benrahou, « Entre secret et transparence, observations sur la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire », in C. Appert, J. Lebied et A. Nivert (dir.), Secret et droit, Presses universitaires juridiques de Poitiers, coll. Actes et colloques, 2023, pp. 41-49).
(2): Cons. const., déc. n° 2017-693 QPC du 2 mars 2018, Association de la presse judiciaire.
(3): CEDH, 29 mars 2016, Bédat c/ Suisse, n° 56925/08.
(4): Article L. 82 C du livre des procédures fiscales.
(5): Article L. 101 du livre des procédures fiscales, Crim., 10 avr. 2002, n° 00-30.122 ; 20 avr. 2017, n° 16-82.363.
(6): Article L. 561-27 du Code monétaire et financier.
(7): CEDH, 26 avr. 1979, Sunday Times, n° 6538/74.
(8): CEDH, 17 décembre 2020, Sellami c. France, n° 61470/15.
(9): Crim. 1er déc. 2020, n° 20-82.078.
(11): Cons. const., décision sur QPC, 28 octobre 2022, Mme Marie P., n° 2022-1021.
(12): Cons. const., décision sur QPC, 19 janvier 2023, Ordre des avocats au barreau de Paris et autre, n° 2022-1030.
(13): Cons. const., décision sur QPC, 10 novembre 2011, n° 2011-192.
(14): CE, avis, 29 août 1974.
Citer cet article
François MOLINS. « Le secret dans l’investigation et l’instruction », Titre VII [en ligne], n° 10, Le secret, avril 2023. URL complète : https://webview.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/le-secret-dans-l-investigation-et-l-instruction
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Les chroniques
La vie du Conseil constitutionnel
- Audience du Conseil constitutionnel à Bordeaux et conférence à l'ENM
- Réception des membres du jury et des lauréats du concours d'agrégation de droit public
- Cérémonie de vœux du Conseil constitutionnel au président de la République
- Rencontre du 15 décembre 2022 entre le président Fabius et la Conférence des doyens des Facultés de droit et de science politique
- Les lauréats de la 6e édition du concours Découvrons notre Constitution récompensés au Conseil constitutionnel