Le contrôle de constitutionnalité renforce-t-il les pouvoirs financiers du Parlement ?
Titre VII
Le contrôle de constitutionnalité des lois financières - Hors-série - juillet 2024
1. Introduction
Avant de répondre à cette question posée par le Conseil constitutionnel, il est important de définir les pouvoirs financiers du Parlement italien, ainsi que leurs caractéristiques spécifiques.
La Constitution italienne dispose, en premier lieu, que la souveraineté réside dans le peuple, c'est-à-dire les citoyens, qui l'exercent selon les modalités et dans les limites énoncées. La souveraineté populaire s'exprime à travers le Parlement, dont les membres sont élus par les citoyens au suffrage universel et dont les fonctions sont principalement, mais pas exclusivement, législatives, et sont exercées conjointement par la Chambre des députés et par le Sénat (article 70 de la Constitution). Dans l'exercice de ces fonctions, qui constituent sans aucun doute la plus haute expression de la démocratie représentative, le Parlement adopte le budget annuel et les états financiers établis par le Gouvernement (article 81 de la Constitution). Cette adoption est un préalable nécessaire à l'exercice par le Gouvernement de sa fonction exécutive qui consiste, en résumé, à mettre en œuvre des plans d'action spécifiques, s'appuyant sur l'orientation politique exprimée par la majorité parlementaire qui soutient le Gouvernement.
Normalement, la loi de finances est adoptée en même temps que la loi fixant le budget. Elle contient les dispositions relatives aux finances publiques et à la politique budgétaire et a pour objet de régir la politique économique du pays. Elle est directement applicable aux organes administratifs.
La politique économique et financière du pays a évidemment un impact sur la vie quotidienne des citoyens. Les décisions prises ont des effets sur les initiatives menées pour atteindre les différents objectifs, mais aussi sur les priorités établies pour orienter chaque initiative.
Les objectifs de finances publiques fixés par le Parlement sont poursuivis conjointement par l'État, les régions, les provinces et les collectivités locales qui, à ce titre, en portent la responsabilité à l'égard des citoyens et des institutions européennes.
2. Le budget, en tant qu'instrument d'exercice des pouvoirs financiers
Le principal instrument par lequel les pouvoirs financiers se manifestent est le budget, qui revêt une importance particulière dans un État démocratique. En effet, la présentation d'un budget est une exigence indispensable pour ceux qui ont l'autorité d'un organe exécutif particulier, puisque les ressources nécessaires pour mettre en œuvre les mesures prévues dans le budget proviennent en grande partie des impôts payés par les citoyens.
En ce qui concerne spécifiquement l'origine des ressources, le budget doit fournir des informations à ceux qui contribuent aux recettes, ainsi qu'aux parties prenantes, en général. Il doit donc expliquer les objectifs et les programmes prévus de manière précise et transparente et permettre d'identifier l'ampleur réelle de leur mise en œuvre (voir notamment les décisions nº 165/2023, nº 168/2022 et nº 184/2016).
C'est la raison pour laquelle la Cour constitutionnelle italienne a qualifié ce document de « bien public » synthétisant et garantissant les choix effectués par les collectivités territoriales (voir notamment la décision nº 115/2020).
En mettant en balance les différentes demandes des citoyens, souvent contradictoires, le budget permet d'évaluer les besoins financiers et d'affecter les ressources publiques. Les droits fondamentaux peuvent ainsi être effectivement exercés, conformément au principe d'équité intergénérationnelle (voir notamment les décisions nº 235/2021 et nº 18/2019).
3. Relation entre le droit national et le droit communautaire
Il existe une relation étroite entre la politique économique – qui vise à éviter les déséquilibres et les inégalités économiques, ainsi qu'à poursuivre le bien commun – et les objectifs fixés par le droit communautaire et le droit international, ainsi que les principes budgétaires consacrés par la Constitution pour garantir la stabilité et la croissance économique et sociale du pays. Cette relation s'est resserrée lors des crises économiques qui ont touché le pays dans les dernières décennies et qui ont eu des effets directs et indirects sur la vie des citoyens.
Compte tenu de cette relation, une coordination est nécessaire pour assurer un équilibre harmonieux entre les pouvoirs et les responsabilités, fixer les objectifs à moyen et à long terme susceptibles de produire les meilleurs résultats et élaborer les plans d'action correspondants.
Cette coordination entre les différentes échelles de Gouvernement signifie que : a) des limites et des contraintes peuvent être imposées aux collectivités locales autonomes – comme le prévoit expressément l'article 119, paragraphe 2, de la Constitution – afin de garantir le caractère unitaire de la République italienne, y compris à l'égard de l'UE ; b) un système homogène doit être utilisé pour la gestion des écritures comptables, afin de pouvoir comparer et rapprocher les différents comptes de fin d'exercice.
En ce qui concerne le premier point, il convient tout d'abord de souligner que la coordination établit un lien indissociable entre les finances nationales, régionales et locales d'une part, et les objectifs fixés par le droit communautaire, d'autre part. En outre, l'article 117, paragraphe 3, de la Constitution confère une compétence législative concurrente en la matière à l'État et aux régions, qui doivent donc coopérer pour assurer la préservation générale des ressources financières publiques.
De fait, la Cour constitutionnelle a jugé qu'en raison de la limitation des finances publiques, l'Italie est tenue à l'égard de l'Union européenne d'adopter des politiques de contrôle des dépenses publiques, dont la conformité est vérifiée dans le budget consolidé des administrations publiques (voir notamment les décisions nº 138 de 2013, nº 425 et nº 36 de 2004), qui doit respecter les paramètres de l'UE. C'est pourquoi, ses agrégats, qui sont composés des budgets des collectivités du secteur public largo sensu, relèvent de la compétence de l'État qui, en les coordonnant, détermine la manière dont chacun contribue aux objectifs fixés au niveau de l'UE (voir les décisions nº 80/2017 et nº 40/2014).
La coordination des finances publiques permet ainsi à l'État d'imposer des contraintes sur les politiques budgétaires des collectivités locales, en définissant des principes législatifs – qui doivent respecter les principes généraux de caractère raisonnable et d'impartialité – pour la réalisation des objectifs nationaux, sous réserve des contraintes imposées par le droit communautaire. Cette coordination est autorisée, bien qu'elle limite l'autonomie des recettes et des dépenses, inscrite dans la Constitution (voir la décision nº 139/2012).
En effet, dans sa décision nº 252/2017, la Cour constitutionnelle a jugé que les principes fondamentaux établis par le droit national concernant la coordination des finances publiques « servent à prévenir les déficits budgétaires, à préserver l'équilibre économique et financier de l'ensemble des administrations publiques et à garantir l'unité économique de la République, comme l'exigent les principes constitutionnels et les contraintes résultant de l'appartenance de l'Italie à l'Union européenne ».
En outre, l'article 97 de la Constitution, modifié par l'article 2, paragraphe 1, de la Loi constitutionnelle nº 1 du 20 avril 2012, exige que l'ensemble des administrations publiques veille au respect du principe d'équilibre budgétaire et de soutenabilité de la dette. Il prévoit expressément que ce respect soit assuré « conformément au droit communautaire ».
L'article 119, paragraphe 1, de la Constitution contient une disposition similaire qui, en affirmant l'autonomie des communes, des provinces et des régions en matière de recettes et de dépenses, soumet cette autonomie au principe d'équilibre budgétaire et impose l'obligation de respecter les contraintes économiques et financières découlant du droit communautaire.
En ce qui concerne le deuxième point, c'est-à-dire l'adoption d'un système comptable homogène, l'article 117, paragraphe 2, alinéa e) de la Constitution italienne confère à l'État la compétence législative exclusive en matière d'harmonisation des budgets et des comptes du secteur public. Cette compétence a été mise en œuvre par la loi nº 42/2009, qui autorise le Gouvernement à prendre un décret législatif sur l'harmonisation des systèmes comptables et des cadres budgétaires des régions, des autorités locales et des organes qui en dépendent. Cette délégation d'autorité a donné lieu à l'adoption ultérieure du décret législatif nº 118/2011, qui prévoit un système comptable homogène pour toutes les collectivités relevant du champ d'application des finances publiques largo sensu.
La nécessité d'harmoniser les systèmes comptables a également été prise en considération par les institutions européennes qui, en adoptant la directive 85/2011/EU, ont énoncé l'obligation de fixer des exigences uniformes pour les règles et procédures budgétaires appliquées par les États membres.
La directive prévoit que l'application de pratiques de comptabilité publique exhaustives et fiables dans tous les sous-secteurs des administrations publiques est un préalable à la production de statistiques de grande qualité qui soient comparables d'un État membre à l'autre. Elle dispose également que les États membres doivent faire en sorte que les règles soient mises en œuvre dans l'ensemble des sous-secteurs de l'administration publique.
Dans sa décision nº 80 de 2017, la Cour constitutionnelle souligne que « le statut absolu du principe d'harmonisation des budgets du secteur public est intrinsèquement lié à la nécessité de présenter les informations contenues dans les budgets du secteur public dans un langage uniforme ». Cette exigence permet d'assurer la « coordination des finances publiques », « l'unité économique de la République » et le respect des obligations économiques et financières imposées par le droit communautaire.
La Cour souligne que l'harmonisation « est à la fois distincte et essentielle à la coordination des finances publiques : en effet, les finances publiques ne peuvent pas être coordonnées si les budgets respectifs des collectivités ne sont pas structurés de la même manière et si les calendriers de planification et de prévision ne coïncident pas avec ceux qu'utilise l'État » (voir la décision nº 80/2017).
Ainsi, d'une part, les politiques économiques et financières des États membres, axées sur les objectifs de l'UE pour créer des synergies, doivent être transparentes et réciproquement compréhensibles, et les budgets doivent être établis selon des règles comptables homogènes. D'autre part, des pays qui, comme l'Italie, reconnaissent l'autonomie financière des collectivités locales, doivent faire en sorte que les informations présentées dans les budgets de ces collectivités soient établies sur la base de règles comptables uniformes et homogènes. Cela est indispensable pour pouvoir « additionner » les totaux des bilans, dont les éléments constitutifs doivent être exprimés dans le même langage juridique et comptable et doivent être comptabilisés selon les mêmes règles d'évaluation (voir la décision nº 184/2016).
L'exigence d'uniformité de l'information financière et comptable s'applique non seulement aux systèmes et aux modèles de regroupement, mais aussi à la représentation des phénomènes juridiques et économiques qui sous-tendent la structure mathématique des états financiers (décision nº 80/2017). Si tel n'était pas le cas, il serait impossible de consolider les finances publiques largo sensu, car la consolidation ne peut être effectuée que dans un cadre absolument homogène (voir la décision nº 80/2017).
4. Principes constitutionnels applicables aux budgets
La Constitution italienne, notamment ses articles 81, 97, 117 et 119, régit les budgets en affirmant des principes qui visent à assurer une bonne gestion financière, l'équilibre budgétaire et la soutenabilité de la dette.
4.1. Budgets et états financiers selon l'article 81, paragraphe 4, de la Constitution
L'article 81, paragraphe 4, de la Constitution dispose que « chaque année, le Parlement adopte le budget et les états financiers présentés par le Gouvernement ».
Le budget, qui autorise les futures dépenses, est établi annuellement pour une période de trois ans. Il constitue la référence en matière d'affectation, de gestion et de suivi des recettes et des dépenses, conformément au « principe de programmation »(1), qui permet d'organiser les activités et les ressources nécessaires au développement économique et social des collectivités concernées selon un calendrier spécifique, dans le respect du principe de solidarité.
Le budget est un instrument indispensable pour fixer les objectifs à atteindre et déterminer le volume de ressources nécessaires à leur réalisation pérenne sur le plan économique, financier, social et environnemental, en veillant à une affectation des ressources appropriée et efficace.
Par ailleurs, les états financiers présentent les comptes rétrospectifs de fin d'exercice. Ils montrent ainsi les actions déjà entreprises pour mettre en œuvre les prévisions inscrites dans le budget. Leur objectif est de garantir la bonne gestion des ressources publiques et, notamment, le respect du principe de bonne conduite des administrations publiques, mentionné à l'article 97 de la Constitution. Il s'agit également d'assurer les niveaux de services essentiels en matière de droits civils et sociaux, conformément à l'article 117, paragraphe 2, alinéa m) de la Constitution.
La nécessité de présenter des états financiers et d'assurer la transparence des comptes est dictée par un principe qui définit intrinsèquement la démocratie représentative : le fait que chaque administration est responsable de ses actions à l'égard des citoyens et doit veiller à la bonne gestion des ressources provenant de l'ensemble de la société (voir les décisions nº 115/2020 et nº 184/2016). La présentation des états financiers permet ainsi une évaluation objective et éclairée de l'exercice du mandat électoral. Elle renforce également la responsabilisation des administrations (voir la décision nº 49/2018) à l'égard des citoyens, qui contribuent aux recettes de l'État par le paiement de l'impôt et participent donc, directement et indirectement, par l'intermédiaire de leurs élus, à l'exercice des pouvoirs publics.
4.2. L'exigence de couverture des dépenses et le principe d'équilibre budgétaire : article 81, article 97, paragraphe 1, et article 119, paragraphe 1, de la Constitution
L'article 81, paragraphe 3, de la Constitution dispose que « toute autre loi entraînant la création ou l'augmentation de dépenses doit en préciser les moyens ». Cette disposition fondamentale exige que les conditions justifiant l'inscription des postes budgétaires et expliquant l'obtention des recettes nécessaires à leur couverture financière soient remplies (voir la décision nº 213/2008).
La Cour constitutionnelle a rappelé à plusieurs reprises que la couverture des dépenses publiques doit, sans exception, être prévue par la loi (voir les décisions nº 165/2023 et nº 197/2019). Cela signifie que les ressources nécessaires à la réalisation concrète des projets prévus aux différents postes budgétaires et à leurs annexes doivent être effectivement disponibles.
Selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, l'exigence de couverture des dépenses est étroitement liée au principe d'équilibre budgétaire, selon lequel les fonds nécessaires à tout projet prévu doivent être affectés à l'avance. L'objectif est notamment d'éviter de creuser des déficits qui pourraient entraîner des crises économiques aux conséquences totalement imprévues.
La loi constitutionnelle nº 1/2012 a inscrit un principe important à l'article 81 de la Constitution(2), qui permet au législateur de mettre en œuvre des mesures anticycliques, sans pour autant violer l'exigence d'équilibre budgétaire, afin de résister aux phases descendantes du cycle économique et d'éviter le risque d'une situation où il serait impossible d'assurer les droits fondamentaux à certains services.
Comme l'ont affirmé dans la littérature plusieurs commentateurs faisant autorité, la protection de tous les droits – sans exception – a un prix, en ce qui concerne la relation avec d'autres droits, mais aussi les ressources qui doivent être allouées pour permettre l'exercice de ces droits(3).
Dans sa jurisprudence sur cette question (voir la décision nº 275/2016), la Cour constitutionnelle a souligné que, lors de la recherche d'un équilibre entre différents intérêts publics, la priorité doit être donnée à la protection des droits fondamentaux de la personne. Une fois que le cœur des garanties minimales nécessaires pour donner effet à un droit fondamental a été défini par la loi (droit absolu), ce droit ne peut être soumis à aucune condition financière, en termes absolus ou généraux.
Cela signifie que les prestations essentielles (« em>nécessairesne peut être assurée que si les ressources financières nécessaires au respect de ce droit sont disponibles » (voir la décision nº 169/2017). En conséquence, l'exigence d'équilibre budgétaire ne peut exclure ni conditionner la fourniture de ces services essentiels.
4.3. Règles d'emprunt : article 81, paragraphe 2, et article 119, paragraphe 7, de la Constitution
La crise économique qui a éclaté aux États-Unis en 2006 et s'est ensuite propagée en Europe entre 2007 et 2013, à la suite de la crise du marché des subprimes et de l'ensemble du marché immobilier, a eu des répercussions sur l'économie réelle, entraînant une récession, une baisse des investissements et des revenus, un effondrement de la consommation et une augmentation du chômage. Les États ont dû intervenir avec des mesures d'envergure, afin de contrer les effets négatifs de la crise et d'insuffler une dynamique positive aux marchés et à l'économie. Pour ce faire, ils ont d'abord effectué des injections massives de liquidités dans les circuits financiers, et pris ensuite des mesures d'austérité impliquant une réduction des dépenses publiques et une hausse des impôts.
Des mesures d'austérité ont également été imposées par l'UE, qui a exigé des États membres le respect de contraintes budgétaires pour éviter des déséquilibres des comptes publics qui pourraient compromettre la stabilité de l'ensemble de l'Union. D'autres mesures ont été imposées en vertu du droit international, notamment le Paquet budgétaire, qui a introduit des règles et des procédures supplémentaires dans le domaine des finances publiques, afin d'assurer la coordination entre les politiques économiques dans le cadre de la gouvernance économique européenne.
La modification de la Constitution effectuée en 2012 doit être analysée dans ce contexte. La loi constitutionnelle nº 1/2012 (Introduction dans la Constitution du principe d'équilibre budgétaire) inscrit à l'article 81 de la Constitution une règle selon laquelle les phases ascendantes et descendantes du cycle économique doivent être prises en compte pour assurer l'équilibre budgétaire, outre le fait que l'État ne peut emprunter que pour prendre en considération les effets du cycle économique ou des circonstances exceptionnelles.
Le concept de circonstances exceptionnelles, c'est-à-dire d'une situation dans laquelle l'emprunt est autorisé, est défini aux articles 6 et 8 de la loi nº 243/2012, en tant que grave récession dans la zone euro ou événement extraordinaire échappant au contrôle de l'État, tel qu'une catastrophe ou une crise financière grave ayant des répercussions importantes sur l'économie nationale. Lorsque ces conditions sont réunies, le Gouvernement peut être autorisé par les deux chambres du Parlement à s'écarter des objectifs à moyen terme, afin d'obtenir des ressources pour faire face à la situation, tout en prévoyant un plan de retour aux objectifs budgétaires. Cela signifie que l'État peut poursuivre des politiques anticycliques en stimulant la demande publique, dans le but de lutter contre la récession économique et d'encourager la relance, qui peut à son tour entraîner une hausse de la consommation, de la production, de l'investissement et de l'emploi.
Il est important de souligner que plusieurs approches doivent être adoptées concernant les dépenses et les investissements, dans le cadre des politiques anticycliques. Si les investissements peuvent aussi être financés par le recours à l'emprunt obligataire, les dépenses courantes doivent être limitées pendant les périodes de crise, en assurant uniquement les niveaux de service essentiels, c'est-à-dire les services primaires, nécessaires pour assurer le bien-être de la société dans son ensemble.
Par ailleurs, contrairement aux règles applicables à l'État, en vertu d'une disposition inscrite à l'article 119 de la Constitution par la loi constitutionnelle nº 3/2001, la Constitution n'autorise les collectivités locales à emprunter que pour financer les dépenses d'investissement. La loi constitutionnelle nº 1/2012, adoptée ultérieurement, modifie l'article 119, paragraphe 1, au sens où l'autonomie financière en matière de recettes et de dépenses reconnue aux communes, aux provinces, aux métropoles et aux régions ne peut déroger à l'exigence d'équilibre de leurs budgets, et où toutes ces collectivités doivent contribuer au respect des obligations économiques et financières imposées par le droit communautaire. Elle introduit également une nouvelle contrainte en n'autorisant le recours à l'emprunt qu'à condition que l'ensemble des collectivités de chaque région respecte l'exigence d'équilibre budgétaire.
5. Le contrôle de constitutionnalité renforce-t-il les pouvoirs financiers du Parlement ?
À la lumière de ce qui précède, il est clair que le contrôle de constitutionnalité renforce les pouvoirs du Parlement, en particulier les pouvoirs financiers concernant la coordination des finances publiques, l'exigence de couverture des dépenses et d'équilibre budgétaire, ainsi que la limitation des déficits.
C'est notamment le cas lorsque la décision de la Cour confirme la constitutionnalité d'une loi contestée, soit dans le cadre d'une procédure engagée directement par une région estimant que l'État empiète sur les pouvoirs dont elle est investie en vertu de la Constitution, soit dans le cadre d'une procédure incidente engagée par une juridiction posant une question de constitutionnalité relative à une loi qui doit être appliquée pour statuer sur l'affaire dont elle est saisie, lorsqu'un doute a été soulevé.
La décision nº 168/2021 sur la nomination d'un commissaire spécial pour les organismes régionaux chargés des services de santé illustre cette forme de contrôle. En effet, la Cour a jugé que la loi nationale introduisant des mesures extraordinaires pour renforcer les pouvoirs du commissaire spécial en cas de crise au sein du système régional de santé était conforme à la Constitution. En premier lieu, ces mesures sont de nature à assurer les « niveaux essentiels de prise en charge » et à atteindre les objectifs économiques et financiers. En deuxième lieu, elles relèvent du pouvoir de l'État de se substituer aux régions, prévu à l'article 120, paragraphe 2, de la Constitution, et de la compétence de l'État en matière de détermination des niveaux de services essentiels (article 117, paragraphe 2, alinéa m) de la Constitution), au regard du droit à la santé et des principes fondamentaux de coordination des finances publiques.
Les pouvoirs parlementaires sont renforcés a fortiori, lorsque la Cour juge que des lois régionales sont non conformes à la Constitution au motif qu'elles violent des dispositions constitutionnelles, y compris en vertu de dispositions énoncées dans des lois adoptées par le Parlement ou dans des décrets législatifs pris à la suite de lois habilitantes.
La décision nº 184/2016 est particulièrement importante à cet égard. En effet, elle conclut que si les budgets et les comptes publics sont des instruments de gouvernance destinés à orienter les activités des régions, qui jouissent d'une autonomie protégée par le droit constitutionnel, celles-ci ne peuvent pas pour autant dépasser les limites imposant des contraintes financières fixées par le droit national et le droit communautaire.
Cela signifie que le système comptable des régions est soumis aux contraintes nécessaires « pour assurer la satisfaction simultanée d'une pluralité d'intérêts constitutionnellement importants » (voir la décision nº 279/2006). À ce titre, l'autonomie régionale est soumise aux limites externes fixées par les dispositions adoptées par l'État pour préserver les intérêts financiers.
Les pouvoirs parlementaires sont renforcés notamment lorsque la Cour constitutionnelle contrôle les lois régionales qui n'assurent pas la couverture des dépenses, comme l'exige l'article 81, paragraphe 4, de la Constitution. Dans ce cas, il est précisé que « si une disposition législative susceptible d'entraîner une dépense supplémentaire, même de manière hypothétique, est adoptée, elle doit toujours indiquer les ressources nécessaires pour couvrir cette dépense » (voir notamment les décisions nº 163/2020 et nº 307/2013). En outre, « [m]ême les collectivités autonomes régies par un statut spécial sont tenues [...] d'indiquer les moyens d'assurer la couverture financière de toutes lois prévoyant la création ou l'augmentation de dépenses à imputer sur leurs finances ou celles d'autres administrations publiques, conformément à l'article 81, paragraphe 3, de la Constitution » (voir la décision nº 190/2022). En effet, la couverture financière des dépenses et la stabilité budgétaire sont fondées sur le principe que les ressources nécessaires doivent être affectées préalablement à tout projet prévu. De fait, la Cour constitutionnelle a jugé que, aux fins du contrôle de constitutionnalité, l'exigence de couverture financière et le principe de stabilité budgétaire ont le statut d'exigences générales, qui peuvent s'appliquer à toutes dispositions législatives entraînant des déséquilibres susceptibles de porter atteinte à la bonne gestion financière et budgétaire (voir les décisions nº 165/2023, nº 274/2017, nº 184/2016 et nº 192/2012).
En outre, comme indiqué à la section précédente, il s'est constitué une abondante jurisprudence dans le domaine de l'harmonisation budgétaire et de la relation entre ce principe et d'autres principes constitutionnels. En effet, les procédures budgétaires doivent être menées en parallèle, dans le cadre de la planification financière au niveau national et de l'élaboration de la loi de stabilité budgétaire, lesquelles exigent que l'État ait une connaissance préalable de tous les facteurs susceptibles de compromettre les équilibres budgétaires et le respect des contraintes nationales et européennes.
Par ailleurs, une attention particulière doit être accordée au secteur de la santé et à l'exigence de contention des coûts dans les régions dont les comptes sont en déficit, car celles-ci ne peuvent pas assurer des niveaux de prise en charge supérieurs à ceux que l'État considère comme essentiels (« niveaux essentiels de prise en charge ») (voir la décision nº 190/2022). En effet, comme la Cour l'a jugé, « la prestation par une région, dans le cadre d'un plan de redressement du déficit du système de santé, de tout service ne relevant pas d'un »niveau essentiel de prise en charge" viole non seulement l'article 117, paragraphe 3, de la Constitution sur la coordination des finances publiques, mais aussi « en conséquence et en parallèle », l'article 81 et l'article 117, paragraphe 2, alinéa m) de la Constitution, « en érodant les ressources nécessaires au seul financement des services essentiels » (voir la décision nº 190/2022) » (voir la décision nº 242/2022).
Ainsi, dans ce domaine également, le contrôle de constitutionnalité des dispositions régionales renforce les pouvoirs financiers du Parlement, plus précisément par le lien entre les dispositions constitutionnelles visant à garantir une bonne gestion financière et l'exercice des droits fondamentaux, d'une part, et la coordination des finances publiques, d'autre part, qui revêt une importance particulière dans le contexte des critères de convergence et de stabilité des comptes publics inscrits dans le droit communautaire et dans le droit national.
Enfin, les choix législatifs effectués par l'État et les régions, surtout pendant les crises caractérisées par l'aggravation de la détresse économique et sociale de la population ont, comme indiqué plus haut, des répercussions financières sur les budgets. Celles-ci ne peuvent être négligées, que ce soit dans le contexte particulier d'une collectivité ou dans le cadre général des collectivités relevant des finances publiques largo sensu, dès lors qu'elles ont un impact sur la vie quotidienne des citoyens.
En conclusion, le contrôle de constitutionnalité de la législation nationale et régionale renforce les pouvoirs financiers du Parlement, en ce qu'il contribue à garantir que les lois adoptées sont conformes aux objectifs des finances publiques, qu'elles sont compatibles avec les normes d'harmonisation et de stabilité budgétaire, et qu'elles respectent les limites et les contraintes externes fixées par le droit communautaire. Il réaffirme également l'importance de la démocratie représentative, qui doit donner aux citoyens les moyens de comprendre comment les ressources sont collectées, empruntées, affectées, budgétées et, finalement, dépensées.
(1): L'article 7 (Cycle et instruments de programmation financière et budgétaire) de la loi nº 196 du 31 décembre 2009 (Loi relative à la comptabilité et aux finances publiques) dispose que : « 1. Les prévisions de recettes et de dépenses contenues dans les budgets des administrations publiques sont basées sur la méthode de programmation. 2. Les instruments de programmation sont les suivants : a) le Document économique et financier (DEF), qui doit être présenté au Parlement au plus tard le 10 avril de chaque année, afin d'assurer les débats nécessaires au Parlement ; b) la mise à jour du DEF, qui doit être présentée au Parlement au plus tard le 27 septembre de chaque année, afin d'assurer les débats nécessaires au Parlement ; [c) le projet de loi de stabilité, qui doit être présenté au Parlement au plus tard le 15 octobre de chaque année ;] d) le projet de loi sur le budget de l'État, qui doit être présenté au Parlement au plus tard le 20 octobre de chaque année et e) le projet de loi sur le budget rectificative [legge di assestamento], qui doit être présenté au Parlement au plus tard le 30 juin de chaque année ; f) tous projets de loi relatifs aux paquets des finances publiques, qui doivent être présentés au Parlement au plus tard à la fin du mois de janvier de chaque année ; g) les instruments de programmation spécifiques des administrations publiques autres que l'État. 3. Les documents mentionnés au paragraphe 2, alinéas a), b), d) et e), doivent être présentés au Parlement par le Gouvernement, sur proposition du ministre de l'Économie et des Finances, après consultation du ministre de la Politique européenne en ce qui concerne la troisième section du DEF. Le document prévu au paragraphe 2, alinéa a), doit être transmis pour avis, dans le délai y indiqué, au comité permanent de coordination des finances publiques, qui doit se prononcer en temps utile pour les débats au Parlement mentionnés à l'alinéa a) ».
(2): « L'État équilibre les recettes et les dépenses dans son budget, en tenant compte des phases ascendantes et descendantes du cycle économique. Le recours à l'emprunt n'est possible que pour prendre en considération les effets du cycle économique ou des circonstances exceptionnelles, sous réserve de l'autorisation des deux chambres, accordée à la majorité de leurs membres ».
(3): Cf. L. Antonini, Il diritto alla salute i la « spesa costituzionalmente necessaria » [Le droit à la santé et les « dépenses constitutionnellement nécessaires »], https://www.recentiprogressi.it/archivio/4097/articoli/40940/.
Citer cet article
Angelo BUSCEMA. « Le contrôle de constitutionnalité renforce-t-il les pouvoirs financiers du Parlement ? », Titre VII [en ligne], Le contrôle de constitutionnalité des lois financières - Hors-série, Le contrôle de constitutionnalité des lois financières - Hors-série, juillet 2024. URL complète : https://webview.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/le-controle-de-constitutionnalite-renforce-t-il-les-pouvoirs-financiers-du-parlement
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