Titre VII

N° 5 - octobre 2020

Chronique de droit public (janvier 2020 à juin 2020)

L'art de la guerre

Conseil constitutionnel, décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020

Force 5 [Autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité]

Dans sa décision du 28 mai 2020(1), le Conseil affirme pour la première fois que, à compter de l'expiration du délai d'habilitation, les ordonnances non ratifiées « doivent être regardées comme des dispositions législatives ». Petite phrase apparemment sans conséquence, mais qui contredit pourtant une jurisprudence bâtie de longue date par le Conseil en matière d'ordonnances.

À vrai dire, le contentieux des ordonnances a toujours posé de redoutables difficultés conceptuelles en raison de la nature incertaine de ces « lois administratives »(2). L'article 38 de la Constitution - qui fixe le régime constitutionnel des ordonnances - ne dit d'ailleurs pas beaucoup de la nature des ordonnances, puisqu'il se contente pour l'essentiel d'organiser la procédure d'adoption de ces actes sans entrer dans l'épineux débat de leur nature juridique. À cela s'ajoute un inconvénient : la Constitution elle-même utilise de nombreuses formules pour qualifier les « lois » sans que l'on sache toujours très bien si les différentes expressions impliquent par ricochet des différences de régime juridique. Le juge a donc naturellement tenté - et en particulier le juge constitutionnel - de démêler le sens des mots afin d'offrir aux ordonnances un statut et un régime à peu près cohérent. Mais, disons-le tout de suite, cette décision du 28 mai 2020 ne s'inscrit pas dans cette démarche louable de lisibilité.

Dans cette affaire, il était d'abord question d'un contentieux environnemental opposant l'association « Force 5 » et l'État à propos des actes autorisant l'exploitation par la société Direct Énergie Génération d'une centrale de production d'électricité. L'association requérante soutenait que toute décision administrative approuvant l'exploitation d'une installation de production d'électricité entraîne des effets « directs et significatifs sur l'environnement » ; or, faute de dispositif permettant la participation du public à l'élaboration de ces décisions, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence au regard de l'article 7 de la Charte de l'environnement.

Pour juger de la pertinence des arguments, le Conseil estime, dans un premier temps, que la décision d'exploiter une installation d'électricité a bien une « incidence » sur l'environnement, et cela même si, dans les faits, cette décision ne constitue que le premier maillon d'une longue chaîne d'actes administratifs. Dans un second temps, le Conseil cherche à savoir si, en l'état du droit, il existe une procédure de participation du public comme l'exige l'article 7 de la Charte. Sur ce point, le juge constitutionnel apporte une réponse nuancée : le régime des autorisations d'exploitation introduit par l'ordonnance du 9 mai 2011 est bien contraire à la Constitution, dit le Conseil, car ce régime ne prévoit aucun mécanisme de participation du public ; mais, poursuit le juge, cette « carence » a été corrigée par l'ordonnance du 5 août 2013, ce qui a eu pour effet de répondre aux exigences constitutionnelles. Autrement dit, la législation était contraire à l'article 7 de la Charte entre 2011 et 2013, puis conforme à cet article après cette période.

Se posait enfin une dernière question : peut-on valablement « regarder » l'ordonnance du 5 août 2013 comme étant une « loi » au sens de l'article 7 de la Charte, ou faut-il au contraire estimer que, faute de ratification expresse, cette ordonnance demeure une simple mesure administrative ? La seconde alternative paraissait plus séduisante, puisque le Conseil estime, depuis sa décision du 10 février 2012(3), que les dispositions d'une ordonnance non ratifiée « ne revêtent pas le caractère de dispositions législatives au sens de l'article 61-1 de la Constitution ». Mais contre toute attente, le Conseil choisit en l'espèce une solution inverse et juge que les ordonnances non ratifiées « doivent être regardées comme des dispositions législatives » à compter de l'expiration du délai d'habilitation. De cette façon, le Conseil en conclut que l'ordonnance du 5 août 2013 peut logiquement accueillir la procédure de participation du public exigée par l'article 7 de la Charte.

Est-ce là, finalement, une décision convaincante ? Il est permis d'en douter pour au moins deux raisons.

D'abord, en estimant que les ordonnances « doivent être regardées comme des dispositions législatives » à compter de l'expiration du délai de l'habilitation, le Conseil contredit ouvertement le constituant de 2008 qui a posé la règle selon laquelle les ordonnances ne peuvent être ratifiées que de manière expresse (art. 38 C al. 2). C'est l'expression « doivent être regardées » qui est ici importante : par cette formule, le Conseil avoue sans le dire tout à fait qu'il découvre, ou « regarde », une disposition d'une ordonnance comme étant de nature législative, par un effort d'interprétation et non par une volonté claire et assumée du Parlement lui-même. Or précisément, le processus de ratification a pour finalité de transformer les dispositions des ordonnances en dispositions législatives, c'est-à-dire des textes en forme de lois au sens de l'article 24 de la Constitution - des actes « votés » par le Parlement. D'où que l'on prenne le problème, le fait d'interpréter, de découvrir, de « regarder » dans le langage du Conseil, une disposition comme étant de nature législative revient à ratifier l'ordonnance de façon implicite, et donc par un procédé contraire au 2e alinéa de l'article 38 de la Constitution. Il faut au demeurant se souvenir que l'interdiction des ratifications implicites est intervenue en 2008 pour contrer les arrêts qui décelaient trop souvent, dans les différentes lois, des volontés plus ou moins claires du législateur de ratifier certaines ordonnances, interdisant du même coup les contestations citoyennes à une époque où la QPC n'était pas encore en vigueur. Or, que fait le Conseil dans cette affaire ? Il rejoue en réalité la même partition en décidant qu'une disposition doit « être regardée » comme une disposition de nature législative, alors qu'aucune ratification expresse n'est intervenue.

On peut néanmoins objecter à cela un argument fort : si le 2e alinéa de l'article 38 interdit bien les ratifications implicites et semble donc contredire cette décision du 28 mai 2020, il n'en reste pas moins vrai, comme le rappelle le Conseil, que le 3e alinéa de l'article 38 indique qu'« à l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article [délai d'habilitation] les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi ». De ce dernier alinéa, le Conseil en déduit que lorsque le délai de l'habilitation est dépassé et qu'un projet de loi de ratification a été déposé sans être pour autant voté, les dispositions d'une ordonnance « deviennent » des dispositions de nature législative par une sorte de parallélisme des formes, c'est-à-dire en considération du fait que seul le législateur peut modifier ces dispositions. Autrement dit, la ratification, le changement de nature juridique, se réalise sans intervention directe du Parlement et donc de façon implicite(4). Voilà donc tout le paradoxe de cet article 38 de la Constitution qui dit à la fois tout et son contraire : interdiction des ratifications implicites au 2e alinéa, et transformation « automatique » des ordonnances en lois au 3e alinéa. On pourrait donc, en admettant cette difficulté, accorder au Conseil le bénéfice d'avoir préféré le 3e alinéa - qui a surtout l'avantage de lui offrir la plus grosse part du gâteau contentieux...

Mais cette réponse nous semble un peu trop conciliante à l'égard du Conseil. En effet, quand deux normes de même rang hiérarchique s'opposent dans leur signification ou leurs effets, il existe une technique simple permettant de résoudre l'équation : en principe, la norme la plus récente l'emporte sur la norme la plus ancienne, car la nouvelle législation est toujours supposée être un progrès qui efface la législation antérieure. Or, lorsque le Conseil « lit » l'article 38 de la Constitution en privilégiant la signification qui découle du 3e alinéa au détriment de celle qui découle du 2e alinéa, il place ainsi le constituant de 1958 dans une position de supériorité par rapport au constituant de 2008. Il nous semble donc que la lecture du Conseil de l'article 38 en faveur du 3e alinéa souffre d'une certaine incohérence et contredit en tout cas la volonté affichée des parlementaires en 2008 d'interdire toute ratification implicite.

Ensuite, lorsque le Conseil juge que les ordonnances « doivent être regardées comme des dispositions législatives » à compter de l'expiration du délai de l'habilitation, il ne se contente pas de répondre à la question du champ d'application de la Charte de l'environnement, il redessine aussi - et peut-être surtout - les contours du contentieux des ordonnances dans son ensemble. Au demeurant, les mots ne sont pas innocents : l'article 7 de la Charte parle bien de « lois », mais le Conseil préfère, pour trancher le débat, le terme de « dispositions législatives » qui fait évidemment référence à l'article 61-1 de la Constitution. On peine à croire que cette référence appuyée au contentieux de la QPC soit totalement innocente et le commentaire officiel n'hésite d'ailleurs pas à projeter la solution d'espèce bien au-delà de son cadre initial. Dès lors, en effet, que les dispositions des ordonnances deviennent d'authentiques « dispositions législatives », il faut en conclure - et même si le Conseil n'en dit rien - que ces dispositions entrent dorénavant de plain-pied dans le contentieux de la QPC... et échappent donc à l'intervention du Conseil d'État.

Est-ce alors une avancée pour les requérants, une conquête pour les droits des justiciables ? On pourrait certes l'admettre en estimant que la QPC offre aux citoyens de bons outils pour défendre leurs prétentions après dix années de rodage du mécanisme - ce qui peut néanmoins se discuter. Mais le malheur vient du fait que l'accès au contentieux de la QPC n'est ouvert que pour les seules dispositions des ordonnances dont le délai d'habilitation est dépassé et pour lesquelles un projet de ratification a été déposé. Dans tous les autres cas, l'ancienne jurisprudence continue de s'appliquer en empêchant les justiciables d'attaquer en QPC une ordonnance non ratifiée.

Le justiciable perd donc une jurisprudence claire qui confiait au juge administratif l'ensemble du contentieux et « gagne » en retour une jurisprudence complexe dont il n'est pas certain qu'elle trouve beaucoup à s'appliquer dans le quotidien des Palais.

De son côté, le Conseil constitutionnel renforce tranquillement son image de juge protecteur de l'environnement, censure à nouveau une disposition sur le fondement de l'article 7 de la Charte (qui devient mine de rien un redoutable principe constitutionnel), et en profite au passage pour s'emparer d'un territoire contentieux jusque-là détenu par son voisin au Palais-Royal. Une belle victoire !

Le motif d'intérêt général « impérieux » gagne du terrain

Conseil constitutionnel, décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020

M. Daniel D. et autres [Modification du calendrier des élections municipales]

Aucun principe constitutionnel n'est absolu. Le législateur peut toujours contredire les droits et libertés au nom d'un motif d'intérêt général, parce que les nécessités du moment imposent des mesures particulières ou parce que, dans la balance des intérêts, une considération particulière l'emportera sur une autre. La plupart du temps, le Conseil se contente d'enregistrer cet intérêt général pour valider les réformes souhaitées par le Parlement sans trop fouiller parmi la diversité des motifs qui accompagnent en général les projets de loi. Dans certains cas néanmoins, le Conseil impose au législateur de justifier ses mesures par un intérêt général plus fort, plus important, « suffisant » selon la terminologie aujourd'hui consacrée. De restreint, le contrôle devient alors normal : le juge ne se contente plus ici de constater la présence d'un intérêt général simple, il apprécie également son contenu pour dire si, oui ou non, le motif en cause autorise l'atteinte aux principes constitutionnels.

Pendant longtemps, le Conseil s'est contenté de cette dichotomie « simple / suffisant » en estimant peut-être que le terme « suffisant » lui offrait assez de latitude pour écarter les motifs trop fragiles. Mais en 2014(5), à propos d'une validation législative, le Conseil décide de mobiliser un nouveau terme en exigeant du législateur de justifier la mesure envisagée par un motif d'intérêt général « impérieux », copiant ainsi l'expression utilisée de longue date par la Cour européenne des droits de l'homme lorsqu'elle est confrontée à des mesures nationales susceptibles d'écorner le droit au recours. Jusqu'à présent, cet intérêt général new look est resté dans le domaine des « validations législatives » ; et de cela, on pouvait en conclure que la nouveauté de 2014 était seulement guidée par le souci bien légitime du Conseil d'accorder sa jurisprudence à celle du juge européen.

Dans sa décision du 17 juin 2020, le Conseil innove et impose pour la première fois au législateur de justifier d'un intérêt général « impérieux » à propos d'une disposition totalement étrangère au domaine des validations.

Il s'agissait en l'espèce de la mesure visant à décaler le second tour des élections municipales en raison de l'épidémie de covid-19. Initialement prévue le 22 mars 2020, l'élection a été, en effet, reportée par le législateur « au plus tard en juin 2020 » et à la condition que la situation sanitaire permette l'organisation des opérations électorales. À défaut, les électeurs des communes dont le conseil municipal n'a pas été élu au complet à l'issue du premier tour seraient à nouveau convoqués pour les deux tours de scrutin. Tout cela posait évidemment de redoutables questions de constitutionnalité en raison notamment de l'atteinte potentielle au principe de sincérité du scrutin et à l'égalité devant le suffrage.

Le Conseil décide néanmoins de valider l'ensemble du dispositif mis en place par le législateur et juge que « le report du second tour des élections municipales au plus tard en juin 2020 ne méconnaît ni le droit de suffrage, ni le principe de sincérité du scrutin, ni celui d'égalité devant le suffrage ». Pour autant, précise également le Conseil, le législateur ne saurait « autoriser une telle modification du déroulement des opérations électorales qu'à la condition qu'elle soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ». Par cette courte phrase en forme d'avertissement, le Conseil semble ainsi indiquer au Parlement que cette modification du calendrier électoral ne serait pas admise en temps normal, et que seule une circonstance exceptionnelle, un motif « impérieux », permet d'altérer la temporalité d'un processus électoral en cours de réalisation. On trouvera peut-être ici une nouvelle décision « d'exception » liée au caractère en tout point singulier de la période actuelle. Il reste que, si les mots ont un sens, le « suffisant » n'est pas « l'impérieux » et rien ne permet de dire que cette première ouverture du motif impérieux en dehors des validations législatives ne soit pas l'amorce de nouvelles échappées. Faut-il s'en inquiéter ou au contraire s'en réjouir ?

On y verra davantage, pour notre part, un facteur d'inquiétude. Non pas que le contrôle exercé par le Conseil du motif d'intérêt général ne soit pas légitime : le législateur doit pouvoir contourner les principes constitutionnels dans certains cas, et le Conseil doit alors vérifier que les motifs justifiant les écarts sont bien acceptables. La difficulté vient du fait que, en l'état de sa jurisprudence, le Conseil s'en tient officiellement à l'idée selon laquelle il ne détient pas une marge d'appréciation « identique » à celle du Parlement et que, pour cette raison, il ne peut évaluer le bien-fondé des mesures envisagées. Autrement dit, le motif poussant le législateur à agir ne subit jamais un examen du Conseil qui reste en retrait des passions politiques et des débats partisans. Mais alors, comment quantifier ce qui est « suffisant » ou « impérieux » puisque les raisons du législateur restent toujours et par nature des raisons politiques ? Impossible !

Le Conseil navigue ainsi en affrontant des vents opposés : il se juge incapable d'apprécier les motifs qui guident l'action du législateur en raison de la nature éminemment politique de cette appréciation, mais dans le même mouvement, il accepte de creuser cet intérêt général en tentant d'évaluer son caractère suffisant ou impérieux. En l'espèce, par exemple, lorsque le Conseil estime que l'épidémie de covid-19 autorise une atteinte à l'égalité devant le suffrage, il prend lui-même une décision de nature « politique » en jugeant que ce motif est assez fort pour justifier l'inconstitutionnalité. Il n'y a rien de surprenant ni même d'illégitime à cela, mais encore faut-il nommer et dire clairement les choses.

Il est peut-être temps que le Conseil abandonne sa formule selon laquelle il ne détient pas un pouvoir d'appréciation identique à celui du Parlement, car si la formule a le mérite de gommer le pouvoir créateur du juge, elle paraît tout de même bien éloignée de la réalité du contrôle exercé. Ou qu'il revienne à l'idée selon laquelle un intérêt général est ou n'est pas présent selon les cas d'espèce, sans chercher à qualifier les motifs revendiqués par le législateur. La simplicité a ses vertus !

Consécration d'un nouveau droit d'accès aux documents administratifs

Conseil constitutionnel, décision n° 2020-834 QPC du 3 avril 2020

Union nationale des étudiants de France [Communicabilité et publicité des algorithmes mis en œuvre par les établissements d'enseignement supérieur pour l'examen des demandes d'inscription en premier cycle]

Avec la décision du 3 avril 2020, le Conseil poursuit sa jurisprudence audacieuse visant à exiger de l'administration une plus grande transparence. Non pas directement l'administration en réalité, mais le législateur qui est désormais contraint de respecter un ensemble de principes constitutionnels lorsqu'il adopte des mesures concernant les relations entre les citoyens et les autorités publiques.

Dans cette affaire, le Conseil consacre pour la première fois l'existence d'un « droit d'accès aux documents administratifs » qui découle, dit-il, de l'article 15 de la Déclaration de 1789. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un nouveau principe, puisque le droit français reconnaît déjà, avec la fameuse loi du 17 juillet 1978, une « liberté d'accès aux documents administratifs » (liberté aujourd'hui insérée dans le Code des relations entre le public et l'administration(6)). Mais il manquait, pour offrir à ce principe son plein potentiel, une reconnaissance au rang des principes constitutionnels.

Sur quel fondement ? Le Conseil choisit, pour consacrer le principe, de mobiliser l'article 15 de la Déclaration de 1789 en vertu duquel la « société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». La disposition ne parle sans doute pas directement « d'accès aux documents administratifs », mais il n'est pas besoin de fournir de gros efforts d'interprétation pour estimer, comme le Conseil, que l'accès aux documents administratifs constitue une étape préalable et nécessaire permettant de « demander compte » aux autorités administratives -- sinon comment contester les décisions ? Au demeurant, si l'article 15 de la Déclaration n'a jamais nourri une jurisprudence abondante, il a permis en 2017(7) la découverte d'un droit d'accès aux archives publiques, principe assez proche, on en conviendra, de celui consacré dans cette affaire. C'est donc davantage une continuité qu'une rupture.

En l'espèce, l'Union nationale des étudiants de France reprochait au législateur d'avoir restreint l'accès aux informations relatives aux critères et aux modalités d'examen des demandes d'inscription dans une formation du premier cycle universitaire. En effet, le Code de l'éducation n'offre pas aux étudiants la possibilité de connaître à l'avance les critères utilisés par les commissions pour sélectionner les différents candidats. Un droit d'information est bien prévu par le Code, mais seulement à l'issue de la procédure, et non de façon anticipée.

Comme souvent lorsqu'il consacre un nouveau principe, le Conseil choisit dans cette affaire de ne pas censurer le dispositif. Néanmoins, pour « neutraliser » ses effets indésirables, il émet une réserve d'interprétation visant à obliger les établissements d'enseignement à publier, une fois la procédure achevée, les critères ayant permis la sélection des candidats : chaque établissement doit ainsi, juge le Conseil, « publier, à l'issue de la procédure nationale de préinscription et dans le respect de la vie privée des candidats, le cas échéant sous la forme d'un rapport, les critères en fonction desquels les candidatures ont été examinées et précisant, le cas échéant, dans quelle mesure des traitements algorithmiques ont été utilisés pour procéder à cet examen ». De cette façon, un droit d'accès aux documents administratifs est bien offert aux étudiants, certes non pas directement par la loi elle-même, mais par l'interprétation constructive du juge constitutionnel.

Il faut saluer cette jurisprudence qui, peu à peu, renforce la transparence administrative et contraint le législateur à respecter pleinement des principes qui jusque-là concernaient seulement l'administration.

(1): Voir not. D. Rousseau, « Le crime du 28 mai n'aura pas lieu ! », Gaz. Pal., 23 juin 2020, n° 23, p. 19 ; A. Levade, « Conseil constitutionnel et ordonnances : l'invraisemblable revirement ! », JCP G, 29 juin 2020, n° 26, p. 1185 ; R. Radiguet, « La protection de l'environnement face à l'ordonnance de l'article 38 de la Constitution : l'important, c'est de participer ! », JCP A, 15 juin 2020, n° 24 ; T. Carrère, « La guerre des ordonnances aura-t-elle lieu  ? À propos de la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020 », 8 juin 2020, [blog] juspoliticum ; J. Padovani, « Ordre ou désordre dans la nature juridique des ordonnances de l'article 38 de la Constitution ? À propos de la décision 2020-843 QPC du Conseil constitutionnel du 28 mai 2020 », 6 juin 2020, blog droit administratif.

(2): Y. Gaudemet, « La loi administrative », RDP, 2006, p. 65.

(3): Cons. const., déc. n° 2011-219 QPC du 10 février 2012, JO 11 février 2012, p. 2440 ; et avant : CE 11 mars 2011, Benzoni, n° 341658. Le Conseil d'État a ensuite assoupli sa jurisprudence en jugeant que les dispositions non ratifiées -- donc de nature réglementaire -- peuvent faire l'objet d'une QPC dès lors que ces dispositions sont « inséparables », dit-il, d'autres dispositions de nature législative (CE 16 janvier 2018, Union des ostéopathes animaliers et autre, n° 415043).

(4): Et comme le note Dominique Rousseau, « ce revirement de jurisprudence n'est qu'apparent dans la mesure où il est fondé sur le dernier alinéa de l'article 38 de la Constitution qui énonce clairement qu'à l'expiration du délai fixé par la loi autorisant le gouvernement à prendre des ordonnances, celles-ci « ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif ». Le Conseil ne dit rien de plus dans sa décision du 28 mai 2020 », (« Le crime du 28 mai n'a pas eu lieu ! », Gaz. Pal., 23 juin 2020, n° 23, p. 19).

(5): Cons. const., déc. n° 2013-366 QPC du 14 février 2014, JO 16 février 2014, p. 2724. Avant cette affaire, le Conseil avait utilisé l'expression à deux reprises au moins, mais nous semble-t-il sans y accorder beaucoup d'importance (Cons. const., déc. n° 89-256 DC du 25 juillet 1989, R. p. 53 ; Cons. const., déc. n° 2010-26 QPC du 17 septembre 2010, R. p. 229).

(6): Voir sur ce point les précisions de G. Eveillard, « Le fondement constitutionnel du droit d'accès aux documents administratifs », Droit Administratif, n° 7, juillet 2020, comm. 31.

(7): Cons. const., déc. n° 2017-655 QPC du 15 septembre 2017, JO 17 septembre 2017, texte n° 23.

Citer cet article

Pierre-Yves GAHDOUN. « Chronique de droit public (janvier 2020 à juin 2020) », Titre VII [en ligne], n° 5, La sécurité juridique , octobre 2020. URL complète : https://webview.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/chronique-de-droit-public-janvier-2020-a-juin-2020