Titre VII

N° 4 - avril 2020

Chronique de droit privé (juillet 2019 à fin décembre 2019)

1. Qu'elle paraît lointaine, la douce époque du début de législature où le Parlement ne nous accablait pas encore de ces lois à rallonges censées faire notre bonheur ! À mi-mandat présidentiel (le seul qui semble compter, sous l'ère du quinquennat), le moins que l'on puisse dire est que les choses ont bien changé, à tel point que le nombre des décisions de contrôle a priori (cinq) frise celui des décisions QPC (six) pour ce deuxième semestre de l'année 2019, du moins en ce qui concerne le droit privé. Avant d'essayer d'ordonner ce salmigondis juridique, on rappellera brièvement que le Conseil constitutionnel n'est pas lui-même dépourvu d'armes pour lutter contre certains fléaux de la législation contemporaine, ainsi que l'illustre sa décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019 relative à la loi d'orientation des mobilités (dite « LOM »). Outre qu'elle fustige plusieurs « cavaliers législatifs » (§ 55 et s.) -- rien là que de très banal [1] --, cette décision prononce la censure de plusieurs habilitations données au Gouvernement de prendre par ordonnances des mesures relevant du domaine de la loi, sur le fondement de l'article 38 de la Constitution. Or, telles de multiples matriochkas disséminées au cœur des lois votées par le Parlement, ces délégations de compétence ne sont pas pour rien dans l'inflation législative qui frappe si durement la France, surtout depuis qu'elle est censée être « en marche ». Quatre habilitations ont ainsi été censurées, toutes d'office. Les deux premières se sont attirées les foudres du Conseil au motif que le législateur, servile exécutant des ordres gouvernementaux, a insuffisamment défini « em>le domaine et les finalités [des] mesures » à adopter [2]. La manœuvre n'est pas nouvelle, même s'il a fallu attendre 2017 pour que le Conseil constitutionnel condamne pour la première fois une loi sur ce fondement tiré de l'imprécision de l'habilitation [3]. L'accélération de ces censures, qui témoigne très bien du peu d'intérêt des parlementaires pour leur tâche, mérite d'être saluée. La deuxième série de censures est plus intéressante encore, qui concerne des habilitations données au Gouvernement de généraliser par ordonnances des expérimentations en cours (ou en voie d'être entreprises)[4]. Combinant les articles 38 (recours aux ordonnances) et 37-1 (lois expérimentales) de la Constitution de 1958, le Conseil décide, pour la première fois, que « le Gouvernement ne saurait être autorisé à procéder à la généralisation d'une expérimentation par le Parlement, sans que ce dernier dispose d'une évaluation de celle-ci ou, lorsqu'elle n'est pas arrivée à son terme, sans avoir précisément déterminé les conditions auxquelles une telle généralisation pourra avoir lieu » (§ 53). Ce rappel à l'ordre est aussi salutaire que le précédent. Les lois expérimentales ne doivent pas être dévoyées ; elles n'ont de sens que si une évaluation de leur application permet d'en apprécier les bénéfices éventuels -- bon sens qui avait manifestement échappé à nos honorables parlementaires, puisqu'ils avaient ici procédé à des habilitations « à l'aveugle »[5]. Cela est d'autant plus étonnant que le Parlement sait faire preuve d'une grande malice lorsqu'il estime que le jeu politique en vaut la chandelle juridique, ce dont témoignent parfaitement deux décisions du Conseil constitutionnel dont l'étude va suivre. Toutes deux concernent les domaines qui seront le plus représentés dans cette chronique : d'une part les exigences tirées du respect de la vie privée, notamment en lien avec le droit des étrangers, et, d'autre part, le droit du travail. Suivra la brève présentation de plusieurs décisions qui, sans innover, prouvent que le Conseil constitutionnel fait preuve de vigilance dans l'application de ses principes les mieux ancrés.

2. La première décision s'inscrit dans le prolongement de celle récemment rendue par le Conseil au sujet des examens radiologiques osseux qui peuvent être pratiqués en vue de déterminer l'âge des étrangers qui sollicitent la protection qu'offre la France aux personnes mineures (art. 388 C. civ.) [6] -- dispositions très contestées par certains, mais validées par les sages sans la moindre réserve d'interprétation. Dans la droite ligne de ce ténébreux précédent, la décision n° 2019-797 QPC du 26 juillet 2019, Unicef France et autres , valide, toujours sans aucune réserve, les dispositions de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée (beaucoup), un droit d'asile effectif (un peu) et une intégration réussie (pas du tout) qui ont créé, au sein du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), un fichier des ressortissants étrangers se déclarant mineurs non accompagnés. Il existe deux façons de présenter les choses, selon que l'on met l'accent sur leurs aspects purement juridiques ou bien sur la volonté politique que ceux-ci dissimulent assez mal. Une fois n'est pas coutume, notre chronique mettra d'abord en évidence la seconde approche, tandis que le Conseil constitutionnel s'en est résolument tenu, sans surprise, à une froide analyse technique des dispositions contestées. La question politique trouve son origine dans le constat effectué par certains conseils départementaux, chargés de mettre en œuvre la protection des mineurs étrangers isolés[7] (notamment via l'aide sociale à l'enfance), que certaines personnes pouvaient éhontément solliciter cette protection dans un nouveau département après avoir antérieurement échoué à démontrer leur minorité dans un ou plusieurs autres. Que de temps perdu pour nos élus et leurs services administratifs qui, en période d'optimisation de la gestion de leurs finances, ont tout de même mieux à faire que s'occuper de la misère du monde, fût-elle celle des (grands) enfants ! L'esprit en éveil, le pouvoir étatique centralisé a bien vu que l'exaspération départementale pouvait être exploitée avec le plus grand bénéfice pour lutter contre l'immigration illégale, quitte à dissuader certains mineurs de solliciter la protection qui devrait leur être due. Il suffisait, pour cela, de créer un fichier (encore un !) des étrangers qui se déclarent mineurs et -- surtout -- de prévoir discrètement, dans un décret d'application de la loi [8], de « reverser » les intéressés dans le fichier des ressortissants étrangers en France (AGDREF2 [9]) afin de faciliter leur expulsion, dans l'hypothèse où les personnes se déclarant mineures non accompagnées viendraient à être considérées comme majeures (éventuellement à l'issue d'un test osseux dont les approximations scientifiques n'ont pas ému le Conseil quatre mois plus tôt -- tout ce sombre édifice se tient). Voilà pour le contexte politique, qui a débouché sur l'adoption du nouvel article L. 611-6-1 du CESEDA, dont le premier alinéa prévoit qu'« afin de mieux garantir la protection de l'enfance et de lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France, les empreintes digitales ainsi qu'une photographie des ressortissants étrangers se déclarant mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille peuvent être relevées, mémorisées et faire l'objet d'un traitement automatisé dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés » ; selon le troisième alinéa du même texte, « les données peuvent être relevées dès que la personne se déclare mineure. La conservation des données des personnes reconnues mineures est limitée à la durée strictement nécessaire à leur prise en charge et à leur orientation, en tenant compte de leur situation personnelle ». Qu'en était-il du point de vue constitutionnel ? Plusieurs griefs étaient soulevés par les très nombreux requérants [10], qui avaient obtenu le renvoi de cette QPC à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir formé devant le Conseil d'État à l'encontre du décret d'application des dispositions contestées, issues de la loi du 10 septembre 2018 (nouvel exemple d'une QPC « sur mesure », selon l'expression d'un médiatique avocat aux Conseils ayant eu l'occasion de plaider cette affaire, c'est-à-dire d'une QPC fabriquée in abstracto pour contester le plus rapidement possible des dispositions qui n'ont pas été soumises au contrôle a priori du Conseil constitutionnel). Le premier de ces griefs se fondait sur la toute récente exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant [11], paradoxalement dégagée par le Conseil dans sa décision n° 768 QPC du 21 mars 2019 relative aux tests osseux, si peu favorable en vérité aux intérêts des enfants [12]. De manière un peu alambiquée, les requérants critiquaient « l'absence de définition de la notion de « personnes reconnues mineures » qui rendrait possible que, sur la base d'une évaluation administrative erronée de l'âge de l'intéressé, ce dernier fasse l'objet d'une mesure d'éloignement en dépit de sa minorité. Il résulterait également de cette absence de définition une atteinte à la présomption de minorité qui découlerait de l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant » (§ 2). Sur ce point, le Conseil constitutionnel répond logiquement que les dispositions contestées « n'ont ni pour objet ni pour effet de modifier les règles relatives à la détermination de l'âge d'un individu [qu'il a validé dans sa décision n° 768 QPC] et aux protections attachées à la qualité de mineur », ce qui est une évidence. Il ajoute qu'« à cet égard, la majorité d'un individu ne saurait être déduite ni de son refus opposé au recueil de ses empreintes ni de la seule constatation, par une autorité chargée d'évaluer son âge, qu'il est déjà enregistré dans le fichier en cause ou dans un autre fichier alimenté par les données de celui-ci [en pratique le fichier AGDREF2] » (§ 7). Comme dans sa décision relative aux tests osseux, le Conseil refuse toutefois d'ériger ces exigences en une véritable réserve d'interprétation qui aurait, à tout le moins, été bienvenue... Car à quoi pourrait bien servir le fichier des mineurs, ou le défaut d'inscription dans ce fichier, si ce n'est à simplifier la tâche des conseils départementaux[13] ? En pratique, les personnes proches de la majorité ne sont-elles pas, désormais, dissuadées de demander la protection afin d'éviter d'être « reversées » dans le fichier AGDREF2, onglet « étrangers en situation irrégulière » (art. R. 611-2 du CESEDA) ? De manière très perverse (ou pas ?), le décret du 30 janvier 2019 prévoit d'ailleurs que les personnes intéressées sont informées que, si elles sont « évaluées majeures » (que le vocabulaire administratif est pitoyable !), leurs données seront transférées dans le fichier AGDREF2 (art. R. 221-15-8, 3 °, du CESEDA)... On peut facilement rêver d'un système qui se montrerait plus respectueux de l'intérêt soi-disant « supérieur » des enfants, exigence que le Conseil ne semble avoir dégagée que pour mieux la reléguer au rang des principes secondaires, qu'il s'agisse du droit des étrangers ou des procédures de divorce [14]. Soucieux de ne pas passer à nouveau pour d'affreux pères fouettards, les sages ont ensuite entendu répondre à l'argument des requérants qui estimaient qu'« en ne limitant pas l'objet du traitement automatisé à la seule finalité de protection de l'enfance, le législateur n'aurait pas exclu la réutilisation des données aux fins de lutte contre l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France » (§ 2), ce que l'article L. 611-6-1 du CESEDA dit au reste expressément, tandis que le décret du 30 janvier 2019 met clairement en œuvre cet objectif. Sur ce point, évoqué « en second lieu » au titre du grief tiré d'une atteinte au respect de la vie privée, le Conseil pense se revêtir de ses habits de chevalier blanc, puisqu'il décide qu'« en évitant la réitération par des personnes majeures de demandes de protection qui ont déjà donné lieu à une décision de refus, le traitement automatisé mis en place par les dispositions contestées vise à faciliter l'action des autorités en charge de la protection des mineurs et à lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France. Ce faisant, et alors qu'aucune norme constitutionnelle ne s'oppose par principe à ce qu'un traitement automatisé poursuive plusieurs finalités, le législateur a, en adoptant les dispositions contestées, entendu mettre en œuvre l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant et poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre l'immigration irrégulière » (§ 8). Si l'on comprend bien la première moitié de ce raisonnement quelque peu basique, écarter les faux mineurs profiterait donc aux vrais. L'argument n'avait pas manqué d'être soulevé lors des travaux préparatoires de la loi de 2018, le rapporteur en commission en déduisant que « l'objectif de protection des mineurs n'[était] pas ignoré » par le texte[15]. Emporté par son enthousiasme, le Conseil va plus loin et estime que le fichier met en œuvre cette protection -- ce dont les sots requérants ne s'étaient probablement pas rendus compte ! En quoi l'intérêt de l'enfant est-il toutefois « supérieur » si, dans les cas litigieux (qui sont les seuls qui importent, dans les hypothèses où la minorité des intéressés peut paraître douteuse), il peut céder si facilement devant les exigences de la lutte contre l'immigration illégale ? Le Conseil constitutionnel néglige complètement l'effet dissuasif de ce nouveau fichier institué par la loi. Tout bon chasseur sait qu'il est difficile de poursuivre deux lièvres à la fois ; avec son chien de garde constitutionnel, auquel les décisions n° 768 (tests osseux) et 797 QPC (fichier des mineurs étrangers) ne font pas honneur selon nous, le législateur peut sereinement partir à la chasse aux jeunes étrangers isolés, dont la protection ne relève que des beaux principes éthérés. S'agissant enfin du grief fondé sur une atteinte au droit au respect de la vie privée, le Conseil rappelle ses exigences classiques en matière de fichiers (« La liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Par suite, la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif » ; § 4) et en fait, en l'espèce, une application non moins classique. En lui-même, un tel raisonnement peut paraître surprenant au regard de l'objet du fichier, qui est de recenser des mineurs étrangers en situation de détresse qui sollicitent une protection -- ce qui n'est pas tout à fait la même chose que « ficher » des crédits à la consommation [16] ou des contrats d'assurance-vie[17] (selon les parallèles établis par le service juridique du Conseil au regard de ses précédents[18]) ou encore de « ficher » des boîtes de sardines... Ne pouvait-on pas s'attendre, en ce sens, à ce que le Conseil fasse une application combinée du droit au respect de la vie privée et de l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant pour renforcer ses exigences traditionnelles en matière de « fichage » ? Tel n'est pas le parti pris par les sages qui, rappelons-le, désamorcent la difficulté en décidant précisément que le fichier contesté met tout au contraire en œuvre l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant (§ 8, préc.). Au titre de l'intérêt général poursuivi, ils ajoutent que le fichier poursuit également « l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre l'immigration irrégulière » (§ 8 in fine), ce qui a au moins le mérite d'être plus crédible. L'objectif d'intérêt général étant ainsi caractérisé, il ne restait plus qu'à apprécier le caractère « adéquat et proportionné » de ces mesures. Sur ce point, le Conseil fait encore une application tout à fait ordinaire de ses exigences habituelles, qui consistent à tenir compte :

-Premièrement, du nombre de personnes susceptibles d'être incluses dans le fichier. Ce nombre est certes beaucoup moins important, ici, que pour le fichier d'identité biométrique que le Conseil avait censuré en 2012 [19] ou que pour le fichier des crédits à la consommation institué par la « loi Hamon » en 2014 et également censuré[20].

  • Deuxièmement, de la sensibilité des données personnelles recueillies dans le fichier. Sont seulement mentionnées, ici, « les empreintes digitales ainsi qu'une photographie », selon l'article 611-6-1 du CESEDA, qui interdit expressément, en outre, que le traitement de données comporte un « dispositif de reconnaissance faciale à partir de la photographie ».

  • Troisièmement, des finalités d'utilisation ou de consultation du fichier. À ce titre, le Conseil constitutionnel déduit des dispositions précitées du CESEDA que « les données recueillies sont celles nécessaires à l'identification de la personne et à la vérification de ce qu'elle n'a pas déjà fait l'objet d'une évaluation de son âge » (§ 9 in fine ; v. aussi § 6). Pourtant, on a beau lire et relire l'article L. 611-6-1, et dans tous les sens si on le souhaite, cette limitation des conditions d'utilisation du fichier n'apparaît pas clairement dans le texte même de la loi. Comme dans sa décision n° 768 QPC (tests osseux), le Conseil n'érige toutefois pas sa constructive déduction en réserve d'interprétation, ce qui est à nouveau regrettable.

  • Quatrièmement, le Conseil tient compte des garanties techniques et juridiques instituées par le législateur. S'agissant de cette dernière condition, l'article 611-6-1 du CESEDA peut paraître bien laconique, qui prévoit seulement, d'une part, que les données personnelles en cause « peuvent être relevées, mémorisées et faire l'objet d'un traitement automatisé dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés » (al. 1er) et, d'autre part, que « la conservation des données des personnes reconnues mineures est limitée à la durée strictement nécessaire à leur prise en charge et à leur orientation, en tenant compte de leur situation personnelle » (al. 3). Pour le reste, la loi contestée se contente de renvoyer à un décret le soin de « précis[er] la durée de conservation des données enregistrées et les conditions de leur mise à jour, les catégories de personnes pouvant y accéder ou en être destinataires ainsi que les modalités d'exercice des droits des personnes concernées » (art. L. 611-6-1, al. 4). Ce large renvoi au pouvoir réglementaire ne serait-il pas le signe d'une incompétence négative condamnable ? Que nenni ! Ne se départissant toujours pas de sa jurisprudence traditionnelle (fût-ce en faveur des mineurs isolés), jurisprudence vieille en l'occurrence de dix-sept ans [21], le Conseil constitutionnel admet sans ambages que le législateur renvoie à un décret la définition de ces aspects techniques du sujet. Les juristes savent bien, pourtant, que le diable se cache dans les détails, de sorte qu'il appartiendra au Conseil d'État de vérifier avec une particulière attention que les dispositions du décret précité du 30 janvier 2019 respectent les libertés fondamentales... On relèvera que le Conseil constitutionnel accepte également que la référence à la loi du 6 janvier 1978 fasse en quelque sorte « écran » à son contrôle [22]. Ainsi, en huit lignes, le Conseil condense toute la velléité de son contrôle dans les termes suivants : « D'une part, les dispositions contestées prévoient que la conservation des données des personnes reconnues mineures est limitée à la durée strictement nécessaire à leur prise en charge et à leur orientation, en tenant compte de leur situation personnelle. D'autre part, le fichier instauré par les dispositions contestées est mis en œuvre dans le respect de la loi du 6 janvier 1978 mentionnée ci-dessus [§ 10]. Il résulte de ce qui précède que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a opéré entre la sauvegarde de l'ordre public et le droit au respect de la vie privée une conciliation qui n'est pas disproportionnée [§ 11] », sans qu'aucune incompétence négative ne puisse au surplus lui être reprochée (§ 12). Le moins que l'on puisse dire, en conclusion, est que la lapidaire décision n° 797 QPC [23], à l'instar de celle sur les tests radiologiques osseux rendue quatre mois plus tôt, laisse sur leur faim ceux qui pourraient croire en l'effectivité de la protection des libertés fondamentales dans les domaines qui sont les plus sensibles. Paradoxalement, on sent en effet le Conseil constitutionnel beaucoup plus à l'aise quand il s'agit de protéger le droit de propriété ou la liberté d'entreprendre d'Électricité de France (cf. infra)...

3. Avant d'aborder plus loin ces sonnantes et trébuchantes considérations, il convient de relever que le respect de la vie privée est au cœur d'une autre décision récente du Conseil qui, brevitatis causa (mais ce qui est bref a souvent le mérite d'être percutant...), valide l'espionnage administratif des réseaux sociaux... Cette grande première résulte de la décision n° 2019-796 DC du 27 décembre 2019, Loi de finances pour 2020 . Big brother en rêvait, le Parlement français l'a fait -- certes avec certaines précautions, qui suffisent, pour l'essentiel, à satisfaire le Conseil constitutionnel -- : l'article 154 de la dernière loi de finances autorise ainsi l'administration, selon le très bon résumé qu'en dresse le Conseil, « à recourir à des moyens informatisés et automatisés pour collecter et exploiter les contenus accessibles sur les sites internet des opérateurs de plateforme de mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un contenu, d'un bien ou d'un service. Elles lui permettent ainsi, d'une part, de collecter de façon indifférenciée d'importants volumes de données, relatives à un grand nombre de personnes, publiées sur de tels sites et, d'autre part, d'exploiter ces données, en les agrégeant et en opérant des recoupements et des corrélations entre elles » (§ 83). Pour éviter la censure de ces règles, un privatiste qui serait fidèle lecteur de la jurisprudence développée par la Cour de cassation, au sujet de l'article 9 du code civil, pourrait songer à objecter que ce qui est rendu public sur internet n'est plus, par définition, privé. Un tel raisonnement négligerait toutefois la puissance de l'intelligence artificielle et de ses algorithmes, prompts à établir des liens entre des données décousues ou éloignées dans le temps que chacun d'entre nous peut laisser sur la toile. En bon juge, le Conseil constitutionnel ne s'y est pas trompé : « Même s'il s'agit de données rendues publiques par les personnes qu'elles concernent, les dispositions contestées portent atteinte au droit au respect de la vie privée » (même §). Il n'en reste pas moins que ces dispositions pouvaient être sauvées du ball-trap constitutionnel à condition, comme nous l'avons vu précédemment au sujet du fichier des mineurs étrangers isolés, d'être « justifi[ées] par un motif d'intérêt général et mis[es] en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif » (§ 79). Les parlementaires requérants invoquaient également, à l'encontre de l'article 154 de la loi de finances, une atteinte à la liberté d'expression et de communication (art. 11 DDHC) « dès lors qu'il conduirait les utilisateurs d'internet à s'autocensurer » (§ 76). Là encore, le Conseil constitutionnel admet la pertinence du grief, reprenant la substance de sa célèbre décision de 2009 relative à la « loi Hadopi »[24] : « Dans la mesure où elles sont susceptibles de dissuader d'utiliser de tels services [de communication au public en ligne] ou de conduire à en limiter l'utilisation, [les dispositions contestées] portent également atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et de communication » (§ 83). De telles atteintes sont toutefois acceptées par le Conseil constitutionnel, à condition d'« être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi » (§ 82). Fusionnant les deux griefs, le Conseil examine de concert leurs caractères adéquat et proportionné à l'objectif poursuivi qui, en l'espèce, était bien sûr de nature fiscale et revêtait la dimension -- chère au Conseil, lorsqu'il s'agit de placer le curseur de son contrôle -- d'une exigence constitutionnelle : « En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu renforcer les moyens de contrôle des administrations fiscale et douanière, en les dotant de dispositifs informatisés et automatisés d'exploration de données personnelles rendues publiques sur internet, aux fins de recherche et de poursuite de manquements et d'infractions en matière fiscale et douanière. Il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale s » (§ 84). S'agissant du contrôle de proportionnalité, le Conseil détaille très longuement les diverses garanties résultant de la loi. Les principales sont les suivantes :

  • champ d'application limité à « la recherche de certains manquements et de certaines infractions dont la commission est rendue possible ou favorisée par l'usage d'internet » (§ 85) et à « un des cas les plus graves de soustraction à l'impôt, qui peut être particulièrement difficile à déceler » (§ 86) ;

  • collecte et exploitation des données limitées à des « contenus se rapportant à la personne qui les a, délibérément, divulgués » et qui excluent certaines « données sensibles », telles que l'origine raciale ou ethnique des intéressés, leurs opinions politiques ou leurs données de santé[25] (dont on voit très mal, il est vrai, le rapport potentiel avec la fraude fiscale ; § 87) ;

  • pas de traitement des données comportant un « système de reconnaissance faciale » et mise en œuvre exclusive par des contrôleurs « spécialement habilités » et « tenu[s] au secret professionnel », sans possibilité de sous-traitance (§ 88) ;

  • « les données qui s'avèrent manifestement sans lien avec les manquements et infractions recherchés ou qui constituent des données sensibles sont détruites au plus tard dans les cinq jours suivant leur collecte, sans aucune autre exploitation possible de ces données pendant ce délai. (...) » (§ 89) ;

  • « aucune procédure pénale, fiscale ou douanière ne peut être engagée sans qu'ait été portée une appréciation individuelle de la situation de la personne par l'administration, qui ne peut alors se fonder exclusivement sur les résultats du traitement automatisé » (§ 90), ce que le Conseil déduit toutefois du seul fait que les données collectées doivent être transmises à l'administration fiscale ou douanière « pour corroboration et enrichissement », ce qui ne semble pas constituer une très forte garantie ;

  • « respect du principe du contradictoire et des droits de la défense » résultant du renvoi aux procédures de contrôle du code des douanes et du livre des procédures fiscales (§ 90 in fine) ;

  • respect de la loi du 6 janvier 1978, notamment en matière d'accès et de rectification des données (§ 91 ; rappr. supra, au sujet du fichier des mineurs étrangers isolés).

La multiplication de ces garanties, soigneusement relevées par le Conseil, présente l'inconvénient (ou l'avantage, selon le point de vue...) de très bien révéler, en creux, la gravité de l'atteinte portée par la loi de finances pour 2020 aux libertés fondamentales en cause. Prises isolément, certaines de ces « garanties » laissent toutefois un peu songeur. Ainsi, si seules les données dites « sensibles » ne peuvent pas être exploitées, cela signifie forcément que toutes les autres peuvent l'être, ce qui laisse une énorme marge de manœuvre à l'administration. De même, ces données « sensibles », comme celles « qui s'avèrent manifestement sans lien avec les manquements et infractions recherchés » ne doivent être détruites qu'au bout de cinq jours, tandis que celles qui « ne sont pas de nature à concourir à la constatation des manquements ou infractions » (la distinction avec les données précédemment visées pourrait être délicate...) peuvent être conservées trente jours, ce qui peut paraître bien long. Au fond, on serait tenté de reprocher au Conseil constitutionnel d'accepter que le ver inquisiteur soit ainsi placé au cœur de la pomme « internautique »[26]. Sauf, peut-être, à faire preuve d'un froid pragmatisme en considérant qu'un tel encadrement législatif, même perfectible, vaut mieux que l'absence de réglementation qui peut laisser des pratiques se développer de manière sauvage -- même si ces pratiques sont interdites, en principe, tant qu'elles ne sont pas autorisées... En vérité, dès lors que cet espionnage administratif à grande échelle [27] est admis, la seule véritable garantie est celle mentionnée « en dernier lieu » par le Conseil constitutionnel : « Il résulte du dernier alinéa du paragraphe I de l'article 154 que la mise en œuvre des traitements de données, tant lors de leur création que lors de leur utilisation, doit être proportionnée aux finalités poursuivies. Il appartiendra notamment, à ce titre, au pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge, de veiller à ce que les algorithmes utilisés par ces traitements ne permettent de collecter, d'exploiter et de conserver que les données strictement nécessaires à ces finalités » (§ 92). C'est dire que le contrôle de constitutionnalité touche là ses limites, de sorte qu'il faut espérer que le juge ordinaire ait la compétence technique et les moyens nécessaires pour mener efficacement le contrôle préconisé... Big brother is watching you : pour notre part, la décision n° 796 DC ne peut qu'inciter à fuir les plateformes numériques et autres réseaux sociaux... sur lesquels le site du Conseil constitutionnel est ironiquement disponible, désormais, comme le clame une énorme publicité sur sa page d'accueil ! Plaisanterie mise à part, la présente décision laisse tout de même entrevoir, derrière sa globale permissivité, deux menus espoirs. Le premier est le plus concret, qui résulte d'une « micro-censure » prononcée au détriment de cette vaste entreprise de surveillance des utilisateurs d'internet (qu'ils soient contribuables ou non, tous sont bien sûr concernés par les données recueillies qui, rappelons-le, seront conservées de cinq à trente jours, quand bien même elles n'auraient aucun rapport avec un manquement visé par la loi de finances). Puisqu'elle est assez nette, le plus simple est de reproduire cette censure : « Les dispositions contestées permettent également la collecte et l'exploitation automatisées de données pour la recherche du manquement prévu [à] l'article 1728 du code général des impôts, qui sanctionne d'une majoration de 40 % le défaut ou le retard de production d'une déclaration fiscale dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure. Or, dans une telle situation, l'administration, qui a mis en demeure le contribuable de produire sa déclaration, a déjà connaissance d'une infraction à la loi fiscale, sans avoir besoin de recourir au dispositif automatisé de collecte de données personnelles. Dès lors, en permettant la mise en œuvre d'un tel dispositif pour la simple recherche de ce manquement, les dispositions contestées portent au droit au respect de la vie privée et à la liberté d'expression et de communication une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi » (§ 94). Si cette censure est justifiée, elle prouve dans le même temps que l'administration nourrit certainement, pour l'avenir, de grosses ambitions en matière de « flicage de l'internet »... À Bercy comme ailleurs, le futur sera certainement « algorithmique » [28]. Il en résulte que le second espoir que laisse percer la décision du Conseil paraît très diffus, sinon franchement illusoire. Les sages concluent en effet leur décision en rappelant le caractère expérimental des dispositions ici contrôlées et ils décident que « pour apprécier s'il convient de pérenniser le dispositif expérimental en cause au terme du délai de trois ans fixé par la loi, il appartiendra au législateur de tirer les conséquences de l'évaluation de ce dispositif et, en particulier, au regard des atteintes portées aux droits et libertés précités et du respect des garanties précitées, de tenir compte de son efficacité dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. À la lumière de cette évaluation, la conformité à la Constitution de ce dispositif pourra alors de nouveau être examinée » (§ 96). Sur la forme, cette solution devrait ravir les spécialistes du contentieux constitutionnel qui pourront débattre du fait que la conformité à la Constitution d'un dispositif expérimental soit dépourvue de l'autorité de la chose jugée lorsque viendra éventuellement l'heure de sa pérennisation[29] ; sur le fond, on se contentera de dire que l'espoir fera vivre les optimistes qui pourraient croire à une future croisade constitutionnelle contre l'espionnage administratif sur internet, phénomène qui n'en est probablement qu'à ses premiers balbutiements.

4. Pour clore ce premier volet « vie privée - liberté d'expression », sera rapidement signalée, enfin, la décision n° 2019-817 QPC du 6 décembre 2019, Mme Claire L. , qui juge conformes à la Constitution les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse relatives à l'interdiction de procéder à la captation ou à l'enregistrement des audiences des juridictions administratives ou judiciaires (art. 38 ter) [30]. Le Conseil décide en effet, au terme d'une motivation expresse, que cette « atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et de communication [art. 11 DDHC] (...) est nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis » (§ 10). Ces derniers consistent, en premier lieu, dans la « sérénité des débats » qu'impose « l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice » (§ 7). Sur ce point, le Conseil rejette donc le raisonnement suivi par la Cour de cassation dans son arrêt de renvoi[31], qui suggérait que « l'évolution des techniques de communication » (via des appareils plus petits et plus discrets) pouvait avoir changé la donne par rapport à l'époque où cette interdiction avait été édictée (en 1954, à la suite des procès de Marie Besnard et de Gaston Dominici, affaires qui « suscitèrent un intérêt considérable du public et furent propices à des débordements médiatiques qui troublèrent le déroulement des audiences »[32]). Mais, comme l'explique le service juridique du Conseil, l'atteinte à la sérénité des débats peut très bien « résulter de la seule perspective, pour les personnes y participant, de la diffusion d'images ou d'enregistrement de ces débats »[33], diffusion dont « l'évolution des moyens de communication est susceptible de conférer (...) un retentissement important qui amplifie le risque qu'il soit porté atteinte aux intérêts précités » (§ 8) -- ce qui participe du caractère proportionné de l'interdiction édictée par la loi. En second lieu, le Conseil estime que le législateur, en posant l'interdiction contestée, « a également entendu prévenir les atteintes que la diffusion des images ou des enregistrements issus des audiences pourrait porter au droit au respect de la vie privée des parties au procès et des personnes participant aux débats, à la sécurité des acteurs judiciaires et, en matière pénale, à la présomption d'innocence de la personne poursuivie » (§ 7 in fine). Il restait à écarter l'argument de la journaliste requérante[34] selon lequel la protection de la liberté d'expression irait de pair avec le « droit du public de recevoir des informations d'intérêt général ». On reconnait ici un raisonnement cher au droit européen et à la Cour de cassation quand il s'agit de concilier le respect de la vie privée (art. 9 C. civ.) avec le droit à l'information : tout est affaire de proportionnalité. Mais, comme l'a rappelé le Conseil, le respect de la vie privée des acteurs du procès (civil, pénal ou administratif) n'est pas ici le seul enjeu, et pour juger proportionnée l'atteinte portée par la loi de 1881 à la liberté d'expression et de communication, le Conseil relève encore que « l'interdiction résultant des dispositions contestées, à laquelle il a pu être fait exception, ne prive pas le public qui assiste aux audiences, en particulier les journalistes, de la possibilité de rendre compte des débats par tout autre moyen, y compris pendant leur déroulement, sous réserve du pouvoir de police du président de la formation de jugement » (§ 9). Les exceptions auxquelles fait référence le Conseil n'ont cependant qu'une portée limitée, puisque la principale d'entre elles concerne la constitution d'archives audiovisuelles de la justice (art. L. 221-1 et s. du code du patrimoine ; seulement huit procès filmés sur ce fondement depuis 1985) et qu'elle poursuit « des fins étrangères au droit à l'information du public », ainsi que l'avait très bien relevé la chambre criminelle dans son arrêt de renvoi [35]. Le caractère « globalement général » de l'interdiction ne devait-il pas plaider, dès lors, pour l'inconstitutionnalité de l'article 38 ter de la loi de 1881 ? Un auteur avait avancé cette opinion au regard de certains précédents du Conseil[36]. En l'espèce, celui-ci estime toutefois que la grande marge de manœuvre par ailleurs laissée aux journalistes suffit à garantir la liberté d'expression et de communication et, par conséquent, le droit du public à l'information. Nous pourrons donc continuer, grâce à la sagesse du Conseil constitutionnel, d'être préservés de la dictature des images qui partout ailleurs sévit.

5. Le droit du travail va constituer le deuxième bloc de la présente chronique, à travers trois décisions rendues au cours du second semestre 2019 : deux décisions de contrôle a priori (nos 790 et 794 DC) ainsi qu'une décision de contrôle a posteriori. Dans cette décision n° 2019-816 QPC du 29 novembre 2019, Fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle CGT et autre [37] , le Conseil avait à connaître des dispositions du code du travail (C. trav.) permettant au ministre chargé du travail d'« engager une procédure de fusion du champ d'application des conventions collectives d'une branche avec celui d'une branche de rattachement présentant des conditions sociales et économiques analogues » (art. L. 2261-32 C. trav.). C'est la question -- forcément sensible puisqu'elle relève du droit social ! -- de la restructuration des branches professionnelles, processus ambitieux que les pouvoirs publics ont initié en 2014, dans le but de lutter contre le morcellement jugé excessif du paysage conventionnel français. La décision n° 816 QPC peut être facilement découpée en trois parties qui correspondent aux trois séries de griefs dirigés par les syndicats requérants contre les dispositions contestées ; doivent ainsi être étudiées, de manière successive, les conditions de la fusion (à la source d'une censure partielle), ses conséquences et sa procédure (toutes deux à l'origine de substantielles réserves d'interprétation). S'agissant, en premier lieu, des conditions de la fusion des champs d'application des conventions de branche, le Conseil constitutionnel était confronté à leur assouplissement progressif, au gré des lois sociales qui se succèdent à un rythme toujours plus effréné. Ainsi les dispositions qui nous occupent sont-elles issues d'une loi du 5 mars 2014 modifiée par la « loi Rebsamen » du 17 août 2015, puis par la « loi El Khomri » du 8 août 2016, puis par l'une des « Ordonnances Macron » du 22 septembre 2017, puis par la « loi Pénicaud » du 5 septembre 2018 : on croit rêver, ou plutôt cauchemarder [38]... En l'espèce, c'est dans sa rédaction issue de la dernière loi citée qu'était transmis au Conseil l'article L. 2261-32 du code du travail, lequel énumère les différents critères pouvant justifier la fusion entre une « petite » convention de branche et une « grande » convention de rattachement [39], selon la logique voulue par le législateur. Outre le principe même d'une telle fusion, les requérants critiquaient cinq des sept critères prévus par la loi, notamment au nom d'une « *méconnaissance d'un « principe de liberté de la négociation collective » (§ 5), ce qu'il ne va pas être loin de faire ! Les spécialistes de la jurisprudence constitutionnelle savent que le droit social est depuis longtemps propice à la floraison de principes trouvant leur origine dans le droit des contrats. Ainsi le principe de la liberté contractuelle, fondé sur l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme, fut-il jadis dégagé par le Conseil dans sa décision n° 98-401 DC au sujet de la « loi Aubry » relative à la réduction du temps de travail. En matière sociale, il est en outre classique que le rattachement de la liberté contractuelle à l'article 4 de la DDHC soit complété par une référence au huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui prévoit le principe de participation des travailleurs, par l'intermédiaire de leurs délégués, à la détermination collective des conditions de travail. En l'espèce, le Conseil constitutionnel va plus loin puisque, suivant l'argumentation des requérants, il offre à la négociation collective -- sans toutefois la qualifier de liberté autonome -- une troisième norme de rattachement : la liberté syndicale proclamée par le sixième alinéa du Préambule de 1946. Une telle référence n'est certes pas complétement inédite dans la jurisprudence du Conseil, mais elle concernait jusqu'à aujourd'hui des hypothèses dans lesquelles les lois contestées avaient pour objet d'évincer (plus ou moins) les syndicats de la négociation collective[40] -- ce qui n'est pas le cas dans la présente affaire. La décision n° 816 QPC offre ainsi à la négociation collective un appui renforcé qui se matérialise dans une formulation inédite : « En matière de négociation collective, la liberté contractuelle découle des sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 et de l'article 4 de la Déclaration de 1789. Il est loisible au législateur d'y apporter des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi » (§ 10). Contrairement à la première, la seconde phrase employée par le Conseil est tout à fait habituelle, de sorte que la portée du contrôle effectué n'est pas modifiée ; c'est donc symboliquement qu'est ici renforcée la protection constitutionnelle de la négociation collective. Mais peut-être le symbole a-t-il de l'importance, puisque la liberté contractuelle (appliquée à la négociation collective) va conduire, en l'espèce, à la censure d'un critère permettant la fusion des branches professionnelles[41]. Techniquement, il convenait préalablement que le Conseil vérifie si le principe de la fusion constituait ou non une atteinte à la liberté contractuelle. Au regard de l'économie précise des dispositions en cause, les sages estiment que tel est bien le cas : « Il résulte des dispositions contestées de l'article L. 2261-32 et du premier alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail que, lorsque le ministre du travail prononce la fusion de branches professionnelles, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs qui souhaitent négocier un (...) accord de remplacement sont, d'une part, contraintes de le faire dans le champ professionnel et géographique ainsi déterminé par le ministre et, d'autre part, tenues d'adopter des stipulations communes pour régir les situations équivalentes au sein de cette branche. Ce faisant, ces dispositions portent atteinte à la liberté contractuelle » (§ 16). Comme l'enseigne notre Constitution civile, la liberté contractuelle implique en effet la liberté de déterminer le contenu du contrat et de négocier avec qui l'on veut (art. 1102 C. civ.). La deuxième étape du processus constitutionnel consiste à vérifier que cette atteinte poursuive un objectif d'intérêt général. En se référant aux travaux préparatoires de la loi, le Conseil constitutionnel décide que la volonté du législateur de remédier à l'« éparpillement » des branches professionnelles caractérise notamment l'intérêt général requis (§ 17 [42]). La troisième et dernière étape est la plus délicate, qui consiste à vérifier que l'atteinte ainsi portée à la liberté contractuelle des acteurs de la négociation collective est proportionnée à l'objectif d'intérêt général précédemment caractérisé. Cela implique, en particulier [43], de rentrer dans le détail des critères (alternatifs) fixés par la loi pour autoriser les fusions. Les quatre premiers critères contestés par les syndicats requérants (art. L. 2261-32, 1 °, 2 °, 3 ° et 5 °) sont jugés adéquats : branche comptant moins de 5 000 salariés, branche ayant une faible activité conventionnelle[44], branche ayant un champ d'application géographique uniquement régional ou local[45], absence de mise en place ou de réunion de la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation (CPPNI). Le dernier critère contesté est en revanche condamné par le Conseil constitutionnel : « En prévoyant, au huitième alinéa du paragraphe I de l'article L. 2261-32 du code du travail, que la procédure de fusion peut également être engagée « pour fusionner plusieurs branches afin de renforcer la cohérence du champ d'application des conventions collectives » , le législateur n'a pas déterminé au regard de quels critères cette cohérence pourrait être appréciée. Il a ainsi laissé à l'autorité ministérielle une latitude excessive dans l'appréciation des motifs susceptibles de justifier la fusion. Il a, ce faisant, méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant la liberté contractuelle » (§ 24). Ces dispositions, issues de la « loi El Khomri » du 8 août 2016, sont donc censurées sur le fondement d'une incompétence négative. Concernant, en deuxième lieu, les conséquences de la fusion des champs d'application des conventions collectives, le Conseil devait répondre au grief des requérants qui soutenaient que l'article L. 2261-33, al. 3, portait atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues, « en ce qu'il prévoit, à défaut d'accord de remplacement conclu par les partenaires sociaux dans un délai de cinq ans à compter de la fusion des branches, l'application de plein droit de la convention de la branche de rattachement, au détriment des stipulations conventionnelles propres à la branche absorbée » (§ 7). Ainsi était convoqué, après la liberté contractuelle, un autre principe fondamental aux origines civilistes, celui de la force obligatoire des contrats, ici cuisiné à la sauce constitutionnelle. Sur ce point, le Conseil ne se départ pas de la formulation traditionnelle de son principe, appliqué, comme tel est souvent le cas dans sa jurisprudence, à la négociation collective[46] : « Le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789, ainsi que, s'agissant de la participation des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail, du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 » (§ 26). Or, le processus de fusion administrative peut avoir pour conséquence, comme le dénonçaient les requérants, une disparition -- à terme -- de la convention « rattachée » (c'est-à-dire « absorbée ») au profit de la convention de rattachement (c'est-à-dire « absorbante »). Tel est précisément le cas lorsqu'aucun accord de remplacement n'est conclu dans les cinq ans qui suivent la fusion. Pour le Conseil, « en mettant fin de plein droit à l'application de la convention collective de la branche rattachée, ces dispositions portent atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues » (§ 28 ; une telle manœuvre de fusion contractuelle paraît en effet difficilement concevable pour un civiliste !). Cette atteinte est néanmoins justifiée, pour l'essentiel, par un motif d'intérêt général suffisant qui consiste à « assurer l'effectivité de la fusion [qui poursuit elle-même un but d'intérêt général ; cf. supra] , en soumettant les salariés et les entreprises de la nouvelle branche à un statut conventionnel unifié » (§ 29). Tel est du moins le cas, selon les sages, lorsque la convention unifiée a vocation à régir des « situations équivalentes » dans les deux « branches d'origine ». D'où, a contrario, une importante réserve d'interprétation : « En revanche, [les] dispositions [contestées] ne sauraient, sans porter une atteinte excessive au droit au maintien des conventions légalement conclues, mettre fin de plein droit à l'application des stipulations de la convention collective de la branche rattachée qui régissent des situations spécifiques à cette branche » (§ 30). Faute de signature d'un accord de remplacement, les anciennes stipulations seront donc maintenues. Citant un éminent spécialiste du droit social, le service juridique du Conseil justifie concrètement cette pertinente réserve : « La convention de rattachement peut ne pas être adaptée à la situation de la branche dont la convention collective n'a pas été choisie (...). Elle peut ne pas prévoir de stipulations sur des situations que connaissent les branches rattachées dont la convention n'a pas été choisie : travail dominical, travail de nuit, modulation du temps de travail, recours au temps partiel, ou aux contrats de travail intermittent »[47]. La réserve du Conseil constitutionnel permet de conjurer cette menace de vide juridique potentiellement préjudiciable aux entreprises et / ou à leurs salariés. S'agissant, en troisième lieu, de la procédure de fusion, celle-ci conduit principalement à une seconde réserve d'interprétation (qui se situe dans le prolongement de la précédente), réserve encore une fois originale du point de vue du droit civil, mais qui se comprend assez bien au regard des spécificités de la négociation collective. En résumé, les syndicats requérants reprochaient à l'article L. 2261-34 du code du travail d'entraîner une « dilution » de leur audience au sein de la « branche » née de la fusion, ce qui diminuerait, à court terme, leur poids dans la négociation de l'accord de remplacement (ou de regroupement) et, à long terme, leur capacité à maintenir leur représentativité dans la nouvelle « branche » élargie (§ 6). Plus concrètement, ils contestaient ainsi le fait que la négociation au sein de la « branche restructurée », et donc élargie, se fasse « en tenant compte de leur niveau de représentativité à l'échelle de la nouvelle branche, plutôt qu'en fonction de leur poids dans les anciennes branches » (§ 33). Pour le Conseil, cette solution constitue cependant la suite logique de la fusion dont le principe a été admis, quand bien même ces règles auraient pour effet de priver certains syndicats, anciennement représentatifs, de la possibilité de signer une nouvelle convention dans la « branche » issue de la fusion [48] (§ 37). De manière très constructive, le Conseil constitutionnel décide toutefois d'introduire une distinction entre, d'une part, la capacité juridique de signer un accord au sein de la « branche élargie » et, d'autre part, la faculté de participer à la négociation de cet accord. Ce raisonnement conduit à une réserve d'interprétation exclusivement fondée sur la liberté contractuelle (donc sans référence, cette fois, à la liberté syndicale) : « Dans le cas particulier où les organisations représentatives dans chacune des branches fusionnées ont, dans le délai de cinq ans, entamé la négociation de l'accord de remplacement avant la mesure de l'audience suivant la fusion, les dispositions contestées du premier alinéa de l'article L. 2261-34, applicables tant aux organisations d'employeurs que de salariés, pourraient aboutir si ces organisations ne satisfaisaient plus aux critères de représentativité à l'issue de la nouvelle mesure de l'audience, à les exclure de la négociation alors en cours. Or (...) la participation de ces organisations à la négociation de cet accord garantit la prise en compte des spécificités de chacune de ces branches [comme l'a exigé le Conseil dans sa précédente réserve] » (§ 38). Négociation en cours, négociation toujours ! -- même si le syndicat ne pourra pas forcément signer l'accord (§ 39 ; négocier oui, signer non !). La comparaison avec le droit civil est encore une fois intéressante : si la liberté contractuelle inclut expressément la liberté de négocier (art. 1112 C. civ.), ce n'est, par hypothèse, que dans la perspective de la conclusion d'un contrat. Il n'est guère surprenant, au regard de ses spécificités, qu'il puisse en aller différemment en matière de négociation collective, comme le décide ici le Conseil constitutionnel, dans un cas, il est vrai, très particulier.

6. La deuxième décision relative au droit du travail concerne les « chartes sociales » que la loi a tout récemment incité les plateformes de mise en relation de personnes par voie électronique à instituer, dès lors que ces plateformes ont pour objet la fourniture de services de conduite d'une voiture de transport avec chauffeur (VTC) ou de livraison de marchandises au moyen d'un véhicule à deux ou trois roues ( décision préc. n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019, loi d'orientation des mobilités [49] , dite « LOM », § 8 à 33). Plus encore que dans la loi relative aux mineurs étrangers isolés (cf. supra), la duplicité du législateur s'exposait ici dans sa plus répugnante expression. Qu'on en juge : sous couvert de renforcer la « responsabilité sociale » (concept éminemment flou) de ces plateformes, dont Uber est l'archétype, et, corrélativement, sous couvert d'améliorer les droits des travailleurs indépendants qui travaillent sous leurs couleurs -- travailleurs dont l'indépendance est souvent très théorique... --, la loi du 20 décembre 2019, qui se plaçait très clairement dans le camp des plateformes, permettait en réalité à celles-ci de faire unilatéralement obstacle à une éventuelle requalification de leurs relations avec les travailleurs « indépendants » en contrat de travail (sous la seule condition d'une homologation de leur « charte » par l'administration) -- requalification en contrat de travail dont la Cour de cassation a très logiquement admis la possibilité dans une affaire retentissante [50]. Si la manœuvre était moralement perfide, encore fallait-il trouver, sur le plan constitutionnel, un moyen de censurer ces dispositions résultant de l'article 44 de la loi déférée au Conseil. Les griefs développés par les parlementaires requérants, qui avaient évidemment vu, comme tout le monde, la grosse ficelle néo-libérale de l'actuelle majorité politique, sont écartés par le Conseil constitutionnel au profit d'une subtile motivation qui conduit fort heureusement à la pulvérisation de cette escroquerie juridique -- et qui conduit aussi, de manière plus intéressante, à préciser et enrichir certaines règles constitutionnelles déjà dégagées par le passé. Quatre séries de critiques étaient soulevées à l'encontre des dispositions introduites par la « LOM » aux articles L. 7342-8 à L. 7342-11 du code du travail. Étaient en premier lieu stigmatisées les modalités d'établissement des chartes sociales et leur contenu (§ 11 à 18). À ce titre, le Conseil écarte d'abord le grief tiré d'une atteinte au principe de participation des travailleurs (qui sont seulement consultés pour l'élaboration de la charte par les plateformes), au motif que « les travailleurs recourant à une telle plateforme pour l'exercice de leur activité professionnelle sont des travailleurs indépendants n'entretenant pas avec cette plateforme une relation exclusive. Dès lors, les plateformes de mise en relation par voie électronique et les travailleurs en relation avec elles ne constituent pas, en l'état [51] , une communauté de travail » au sens de la jurisprudence développée par le Conseil sur le fondement du huitième alinéa du Préambule de 1946 [52] (§ 13). Les sages écartent ensuite le grief d'incompétence négative dans la définition du contenu de la charte, au motif que celle-ci présente « un caractère uniquement facultatif » pour les plateformes numériques (§ 15). Le Conseil n'en prend pas moins soin, dans un paragraphe a priori superfétatoire, de préciser « au demeurant » ce qu'il faut comprendre lorsque la loi impose que la charte précise les modalités permettant aux travailleurs d'obtenir un « prix décent » pour leur prestation de services. Pour le Conseil, qui semble attacher de l'importance à la chose, il s'agit d'« une rémunération permettant au travailleur de vivre convenablement compte tenu du temps de travail accompli » (§ 17)... Économiquement, il n'est toutefois pas évident que le modèle des plateformes numériques puisse durablement reposer sur une telle rémunération, sauf à retenir une acception minimaliste de la vie « convenable » ou accepter que le temps de travail puisse dépasser les limites qui sont généralement celles de la physiologie humaine. Là n'est toutefois pas l'essentiel, car cette première victoire du Parlement et des plateformes est toute provisoire. En deuxième lieu, les requérants dénonçaient une atteinte au principe d'égalité (art. 6 DDHC ; § 19 à 22) fondée sur le fait que la loi ne permette la conclusion d'une charte sociale que dans certains types de plateformes (VTC et livraison de marchandises avec des véhicules à deux ou trois roues). Ainsi les plateformes de livraison de marchandises à monocycle n'auront pas le loisir de conclure des chartes sociales homologuées par l'administration... Comme l'on sait qu'il n'y a toutefois pas grand-chose à attendre du contrôle de constitutionnalité fondé sur le principe d'égalité, on ne sera pas étonné que le Conseil écarte ce grief, au nom de la spécificité du secteur concerné (§ 20)[53]. En troisième lieu vient l'essentiel, qui concerne « la portée juridique de la charte lorsqu'elle est homologuée » (§ 23 à 29). C'est précisément sur ce point qu'intervient en effet la censure déjà évoquée, qui devrait conduire à priver les chartes sociales de la majeure partie de l'intérêt qu'elles auraient pu présenter, en l'absence de cette ferme condamnation, aux yeux des plateformes numériques. Le nœud du problème posé par les dispositions litigieuses est très bien résumé par le Conseil dans les termes suivants : « Si, en principe, les travailleurs en relation avec une plateforme ayant établi une charte exercent leur activité de manière indépendante dans le cadre de la relation commerciale nouée avec elle, il appartient au juge, conformément au code du travail, de requalifier cette relation en contrat de travail lorsqu'elle se caractérise en réalité par l'existence d'un lien de subordination juridique. Les dispositions contestées visent à faire échec à cette requalification lorsqu'elle repose sur le respect des engagements pris par la plateforme dans les matières énumérées aux 1 ° à 8 ° de l'article L. 7342-9 [54] et que la charte a été homologuée » (§ 25). Or, vu la grande latitude laissée aux entreprises concernées pour définir le contenu de la charte, celles-ci pouvaient unilatéralement bloquer le pouvoir de requalification du juge, sous la réserve d'obtenir une homologation administrative dont le code du travail ne prévoyait pas grand-chose de plus que son existence [55]... Si, renonçant à accabler un Parlement peut-être plus bête que méchant, on tente de rentrer dans sa logique, digne d'une cour d'école maternelle, l'idée paraissait être celle, bien connue, du « donnant-donnant » : à condition d'établir cette charte « déterminant les conditions et modalités d'exercice de sa responsabilité sociale, définissant ses droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elle est en relation » (art. L. 7342-9 C. trav.), les entreprises concernées étaient mises à l'abri d'une utilisation de cette charte par le juge pour requalifier la relation plateforme-travailleur en relation de travail. En somme, l'idée était ainsi d'éviter que les chartes ne se retournent contre leurs auteurs. Mais, comme le relève parfaitement le Conseil, le problème résulte du fait que la charte peut contenir non seulement des droits consentis aux travailleurs, mais encore des obligations auxquelles les entreprises les soumettent, obligations qui, pour certaines d'entre elles, sont précisément « susceptibles de constituer des indices de nature à caractériser un lien de subordination du travailleur à l'égard de la plateforme » (§ 26, exemples à l'appui[56]). Comme le relève « em>en outre » le service juridique du Conseil [57], « une disposition se présentant sous la forme d'une garantie [pour les travailleurs prétendument indépendants] peut constituer corrélativement une obligation si on la lit a contrario . Par exemple, la disposition prévoyant qu'un travailleur a le droit de refuser un certain nombre de commandes valide nécessairement le fait que, au-delà de ce nombre de refus possibles, il doit accepter les commandes restantes ». Tout cela est très convaincant, mais il restait encore à trouver un fondement juridique pour censurer cette hypocrisie législative. Les députés et sénateurs requérants avaient songé au droit à un recours juridictionnel effectif (puisqu'il s'agit de faire obstacle au pouvoir du juge) et au droit pour chacun d'obtenir un emploi (dès lors que la loi « priverait les travailleurs en lien avec une plateforme des garanties dont ils pourraient bénéficier s'il s'avérait qu'ils se trouvent effectivement dans une relation salariée avec cette plateforme » ; § 10). Plutôt que de s'engager sur ces chemins escarpés, le Conseil a préféré emprunter la voie plus innovante d'une incompétence négative d'un type particulier qui le conduit, d'une part, à façonner une règle nouvelle et, d'autre part, à compléter une règle classique. Cette règle classique est celle selon laquelle « il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution, en particulier son article 34, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles (...) le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi » (§ 23 ; la règle est souvent utilisée dans l'hypothèse d'une délégation légale en faveur de la négociation collective [58]). Pour les besoins de l'affaire, le Conseil constitutionnel ajoute que le législateur ne saurait davantage se défausser sur « des personnes privées » -- en l'espèce les plateformes numériques élaborant les chartes sociales. De son côté, la règle inédite prévoit qu'« il y a lieu de ranger au nombre des principes fondamentaux du droit du travail, et qui comme tels relèvent du domaine de la loi, la détermination du champ d'application du droit du travail et, en particulier, les caractéristiques essentielles du contrat de travail » (§ 24, riche en virtualités !). Combinant ces principes, le Conseil décide que « les dispositions contestées permettent aux opérateurs de plateforme de fixer eux-mêmes, dans la charte, les éléments de leur relation avec les travailleurs indépendants qui ne pourront être retenus par le juge pour caractériser l'existence d'un lien de subordination juridique et, par voie de conséquence, l'existence d'un contrat de travail. Le législateur leur a donc permis de fixer des règles qui relèvent de la loi et, par conséquent, a méconnu l'étendue de sa compétence » (§ 28). Selon l'explication donnée par le service juridique du Conseil, « est donc censurée non une incompétence négative au sens où le législateur n'aurait pas apporté les précisions nécessaires dans la loi qui a été censurée (sur ce point, le Conseil a, comme on l'a vu, estimé qu'en soi le législateur avait suffisamment défini le contenu de la charte), mais une incompétence négative résultant de ce que le législateur a permis à d'autres que lui de fixer des règles qui relèvent normalement de sa compétence »[59]. Ainsi une partie du dernier alinéa de l'article L. 7342-9 du code du travail est-elle censurée. Dans sa version adoptée par le Parlement, celui-ci prévoyait en effet que « lorsqu'elle est homologuée, l'établissement de la charte et le respect des engagements pris par la plateforme dans les matières énumérées aux 1 ° à 8 ° du présent article ne peuvent caractériser l'existence d'un lien de subordination juridique entre la plateforme et les travailleurs ». À la suite de la décision n° 794 DC, le milieu de la phrase est gommé, de sorte que le texte ne fait plus référence aux « engagements » qui forment le contenu de la charte. Dans sa version promulguée, l'article L. 7342-9 dispose donc : « Lorsqu'elle est homologuée, l'établissement de la charte ne peut caractériser l'existence d'un lien de subordination juridique entre la plateforme et les travailleurs ». La différence est évidemment très sensible, car comme prend soin de l'expliquer le Conseil dans sa décision, « en prévoyant que la seule existence d'une charte homologuée ne peut, en elle-même et indépendamment de son contenu, caractériser un lien de subordination juridique entre la plateforme et le travailleur, le législateur s'est borné à indiquer que ce lien de subordination ne saurait résulter d'un tel critère, purement formel » (§ 29). Devant le juge judiciaire chargé d'examiner la nature réelle de la relation entre l'entreprise numérique et les travailleurs, la charte devient donc une coquille vide, au grand dam des plateformes, ce qui est une très bonne chose. En quatrième et dernier lieu, la saisine des sénateurs reprochait à la « LOM » de confier au juge judiciaire la compétence pour connaître des contestations relatives à la charte, y compris quant à son homologation par l'administration, au mépris du « principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à la compétence de la juridiction administrative » (§ 10). De manière tout à fait heureuse, le Conseil écarte cet argument au motif qu'« il est loisible au législateur, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein de l'ordre juridictionnel principalement intéressé »[60] (§ 31).

La troisième décision intéressant le droit social sera rapidement signalée puisqu'elle concerne, à titre principal, le droit administratif ( décision n° 2019-790 DC du 1er août 2019, Loi de transformation de la fonction publique )[61]. Si le Conseil s'y intéresse en particulier à l'exercice du droit de grève (septième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946), c'est ainsi dans le giron spécifique de la fonction publique (§ 42 à 57 ; L. 26 janvier 1984, art. 7-2). Les privatistes retiendront tout de même de cette décision qu'elle ne s'éloigne pas de la jurisprudence constitutionnelle habituelle qui fait preuve d'une grande mansuétude à l'égard des restrictions législatives apportées à l'exercice de ce droit -- que les habitants de la région parisienne pourraient bien qualifier de sulfureux en cette fin d'année 2019 ! Tous les griefs soulevés par les députés sont ainsi écartés, qu'ils concernent l'encadrement du droit de grève pour assurer la continuité des services publics dans les collectivités territoriales et leurs établissements publics (§ 49 à 52)[62] ou les obligations qui peuvent être imposées aux agents à l'occasion des mouvements de grève (respect d'un préavis de quarante-huit heures (§ 53) et interdiction des « grèves tournantes » (§ 54)). Rien dans tout cela de disproportionné. À titre éminemment accessoire, et à vrai dire hors sujet, on signalera aussi que la décision n° 790 DC réaffirme « la garantie de l'indépendance des enseignants-chercheurs » qui « résulte d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République ». Mais « ce principe n'impose pas que l'instance disciplinaire qui les concerne [CNESER] soit présidée par un enseignant-chercheur » (§ 40). Cette solution n'est pas motivée [63].

7. La dernière partie de notre chronique sera consacrée à quelques décisions, difficilement classables, qui concernent trois principes constitutionnels bien assis. Elles ont pour point commun d'en faire une application attentive conduisant, dans trois cas, à une censure ou une réserve d'interprétation. D'abord, dans sa décision n° 2019-805 QPC du 27 septembre 2019, Union de défense active des forains et autres , le Conseil était une nouvelle fois [64] confronté aux difficultés posées aux communes par l'accueil des « gens du voyage ». Les dispositions ici contestées étaient celles qui permettent l'interdiction de stationnement des « résidences mobiles » et leur évacuation forcée en cas de violation de l'arrêté d'interdiction [65]. Les requérants critiquaient ces règles au motif, notamment, qu'elles peuvent s'appliquer alors même que le territoire de la commune concernée ne comporte aucune aire d'accueil, en violation de la liberté d'aller et venir et en violation du jeune et médiatique principe de fraternité dégagé par le Conseil constitutionnel en juillet 2018 (§ 2). Ces griefs sont écartés par les sages, au terme d'une longue analyse de la législation applicable -- qu'il serait bien fastidieux d'imposer au lecteur, serait-ce sous la forme d'un court résumé (§ 8 à 17). Plus intéressante était la deuxième critique des requérants, qui contestaient la brièveté des délais dans lesquels leur recours (suspensif) contre une mise en demeure de quitter les lieux doit être formé (vingt-quatre heures) et tranché par le juge administratif (quarante-huit heures). Étaient selon eux méconnus le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense (§ 4 et 21). La motivation du Conseil se fait ici beaucoup plus brève et débouche sur un rejet sans appel du grief : « Le législateur a opéré une conciliation équilibrée entre le droit à un recours juridictionnel effectif et l'objectif poursuivi » (§ 25), objectif qui consiste à « garantir l'exécution à bref délai des arrêtés d'interdiction de stationnement des gens du voyage lorsque leur méconnaissance est de nature à porter atteinte à l'ordre public » (§ 23). Si, par le passé, la brièveté de certains délais a pu, au contraire, être jugée inconstitutionnelle, c'était au terme d'un contrôle de proportionnalité qui tenait compte des domaines très sensibles dans lesquels la loi les avait institués : expulsion de personnes défavorisées ne disposant pas d'un logement décent [66] et obligation faite à un étranger détenu de quitter le territoire français [67]. La troisième critique soulevée contre l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 va en revanche faire mouche, même s'il faut constater que sa portée est somme toute limitée. Par une maladresse rédactionnelle, le législateur avait en effet permis au maire, dans certains cas, d'interdire le stationnement des intéressés sur des terrains dont ils sont eux-mêmes propriétaires, « sans aucun motif tiré notamment d'une atteinte à l'ordre public » (§ 29). Ces dispositions sont censurées au nom de la protection constitutionnelle du droit de propriété (art. 2 et 17 DDHC).

Ensuite, dans la décision n° 2019-791 DC du 7 novembre 2019, Loi relative à l'énergie et au climat , étaient soumises à la sagacité du juge constitutionnel des dispositions du code de l'énergie qui imposent à la société Électricité de France (EDF) d'offrir à la vente aux autres fournisseurs, donc à ses concurrents, un certain volume d'électricité nucléaire. Ces dispositions sont validées au regard de la liberté d'entreprendre (que le Conseil fait découler de longue date de l'article 4 de la Déclaration de 1789), liberté à laquelle elles portent une atteinte justifiée par la volonté du législateur d'« assurer un fonctionnement concurrentiel du marché de l'électricité et [de] garantir une stabilité des prix sur ce marché » (§ 6). Il en va de même pour les dispositions du code de l'énergie qui prévoient que le prix de l'électricité cédée est arrêté par l'autorité administrative selon des critères fixés par la loi, qui renvoie à un décret le soin de fixer les méthodes d'identification et de comptabilisation de certains coûts supportés par EDF (§ 10). Ce mécanisme justifie toutefois une réserve d'interprétation, dans la mesure où l'article L. 337-16 du code de l'énergie ajoute que, jusqu'à l'entrée en vigueur de ce décret, le prix est fixé par l'autorité administrative sans encadrement spécifique. Le Conseil décide en effet que « ces dispositions qui ne prévoient aucune autre modalité de détermination du prix ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, autoriser les ministres chargés de l'énergie et de l'économie à arrêter un prix sans suffisamment tenir compte des conditions économiques de production d'électricité par les centrales nucléaires » (§ 11). Ainsi, bien qu'il soit dérogatoire et provisoire, ce mécanisme imprécis de fixation administrative des prix est amendé par le Conseil. Cette décision en rejoint d'autres précédemment rendues sur la question du contrôle administratif des prix [68]. Depuis 2010, le code de l'énergie va toutefois beaucoup plus loin puisqu'il autorise comme on vient de le voir une fixation du prix par la puissance publique. Si la spécificité du marché de l'électricité peut, dans un contexte nucléaire, le justifier[69] , encore faut-il que ces modalités de fixation ne soient pas laissées à l'arbitraire du ministre. Toujours au sujet du prix, mais dans un tout autre registre, on notera que la décision n° 2019-795 DC du 20 décembre 2019, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 , admet, de son côté, qu'un arrêté ministériel puisse fixer un prix maximal de vente pour certains produits de santé. La liberté d'entreprendre des laboratoires doit cette fois céder devant « les exigences de valeur constitutionnelle qui s'attachent tant à la protection de la santé qu'à l'équilibre financier de la sécurité sociale » (§ 49[70]) -- sachant que cette liberté cède encore plus facilement, selon la jurisprudence traditionnelle du Conseil constitutionnel, devant des exigences constitutionnelles que devant un simple objectif d'intérêt général. Ces deux décisions prouvent que, même au-delà d'un simple contrôle des prix, la marge constitutionnelle du législateur n'est pas négligeable quand il s'agit d'intervenir, de manière plus ou moins invasive, sur leur fixation.

Enfin, dans sa décision n° 2019-798 QPC du 26 juillet 2019, M. Windy B. , le Conseil constitutionnel a trouvé une énième opportunité de faire application des principes d'impartialité et d'indépendance (art. 16 DDHC) qui imposent une séparation des fonctions de poursuite et des fonctions de jugement au sein des autorités publiques indépendantes. Comme dans un précédent de 2018[71], c'est à nouveau l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) qui fait ici les frais de ce contrôle. Les dispositions censurées, qui concernaient les manquements commis par des personnes non licenciées, avaient toutefois été modifiées, antérieurement à cette QPC, dans un sens compatible avec les exigences du Conseil, par une ordonnance du 11 juillet 2018. Cette circonstance a conduit le Conseil à déterminer avec beaucoup de précision les conditions d'application dans le temps de la censure prononcée (§ 12 à 15), raisonnement qui le conduit, de manière originale, à donner un brevet de constitutionnalité indirect et anticipé à la réforme du 11 juillet 2018 (§ 14).


[1] Même s'il faut signaler que les sages font, en l'espèce et pour la première fois, évoluer la formulation de ce type de censures procédurales, en précisant qu'elles interviennent « sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles » (§ 64). Selon le commentaire du service juridique (site Internet du Conseil, p. 19), « Cette affirmation répond à une volonté du Conseil de rendre plus explicite la portée de ses décisions quant au contrôle des cavaliers qu'il censure, afin de bien marquer la différence entre ce contrôle et celui qu'il effectue, au « fond ».

[2] Qui étaient des mesures expérimentales. Voir la censure des articles 33 et 83, § II, de la « LOM » (§ 45 et s.). La première disposition permettait au Gouvernement de prendre « toute mesure à caractère expérimental » visant à « tester dans les territoires peu denses, afin de réduire les fractures territoriales et sociales, des solutions nouvelles de transport routier de personnes » ; la seconde l'habilitait à prendre par ordonnances toutes mesures visant à « expérimenter, pendant une durée ne dépassant pas cinq ans, des modalités particulières à certaines régions selon lesquelles, à leur demande, les employeurs de leur territoire prennent en charge une partie des frais de transport ». Dans l'un et l'autre cas, le Conseil a jugé que « le législateur a méconnu les exigences découlant de l'article 38 de la Constitution » (§ 48).

[3] Cons. const., déc. n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017, Loi relative à l'égalité et à la citoyenneté, § 13 et s. (v. cette chronique in Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2017, n° 55-56, p. 205 et s.). Voir aussi déc. n° 2018-769 DC du 4 septembre 2018, Loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, § 88.

[4] Censure des articles 98, § IX (dispositif d'attribution électronique des places d'examen au permis de conduire), et 113, § V, de la « LOM ».

[5] Selon la formule employée par le service juridique du Conseil (commentaire préc., p. 18).

[6] Cons. const., déc. n° 2018-768 QPC du 21 mars 2019,M. Adama S. Voir cette chronique in Titre VII. Les cahiers du Conseil constitutionnel, n° 3, octobre 2019.

[7] Que la novlangue d'inspiration européenne (fort peu éloignée, désormais, du « volapük intégré » jadis raillé par le général de Gaulle) a transmuté en « mineurs non accompagnés », comme si le fait que ces mineurs soient étrangers n'était pas essentiel dans l'esprit du législateur -- et dans les périls qui les guettent. Cette lamentable volonté d'édulcorer la réalité (mineur « non accompagné », plutôt qu'« isolé ») est typique de notre société qui préfère voiler les difficultés qu'elle a du mal à résoudre. Les exemples pullulent, particulièrement dans l'éducation nationale, des « zones d'éducation prioritaire » aux « parcours réussite » des Universités, qui ne trompent pas grand monde...

[8] Décret n° 2019-57 du 30 janvier 2019 relatif aux modalités d'évaluation des personnes (sic) se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et autorisant la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif à ces personnes. Voir art. R. 221-15-5 du CESEDA.

[9] Voir art. R. 611-1 et s. du CESEDA.

[10] Essentiellement des associations de protection de l'enfance (Unicef France en tête) et des droits des étrangers (Cimade, Gisti...), mais aussi le syndicat de la magistrature et le Conseil national des barreaux. Le Conseil constitutionnel a également admis plusieurs interventions.

[11] Déduite des dizième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, « cette exigence impose que les mineurs présents sur le territoire national bénéficient de la protection légale attachée à leur âge » (déc. n° 797 QPC, § 3).

[12] Cf. supra, note 6. Voir aussi déc. n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice , § 60, au sujet de la suppression de la phase de conciliation dans les procédures de divorce contentieux.

[13] Comme le prévoit expressément le décret précité du 30 janvier 2019 (art. L. 221-15-1 du CESESA) qui donne à ce dispositif de traitement des données le nom d'« appui à l'évaluation de la minorité (AEM) ».

[14] Cf. supra, note 12.

[15] Comme le relève le service juridique du Conseil (commentaire de la déc. n° 797 QPC, site Internet du Conseil, p. 5).

[16] Voir Cons. const., déc. n° 2014-690 DC du 13 mars 2014, Loi relative à la consommation, cons. 51 et s.

[17] Voir Cons. const., déc. n° 2013-684 DC du 29 décembre 2013, Loi de finances rectificative pour 2013, cons. 2 et s.

[18] Commentaire préc., p. 9 et s.

[19] Voir Cons. const., déc. n° 2012-652 DC du 22 mars 2012, Loi relative à la protection de l'identité, cons. 2 à 11.

[20] Voir Cons. const., déc. n° 2014-690 DC, préc., cons. 57.

[21] Cons. const., déc. n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure, au sujet du fichier des antécédents judiciaires, cons. 45.

[22] Voir déjà Cons. const., déc. n° 2013-684 DC, préc., cons. 13 (contrats d'assurance-vie).

[23] À laquelle s'ajoute, une fois n'est pas coutume, un commentaire du service juridique tout aussi laconique quand il envisage « l'application à l'espèce » des normes constitutionnelles qu'il expose préalablement avec un grand luxe de détails (p. 13-14). Serait-ce le signe d'un certain embarras ?

[24] Cons. const., déc. n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet , cons. 12 : « En l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services ». Voir § 81 de la déc. n° 796 DC.

[25] La liste exhaustive est celle de l'article 6, I, de la loi du 6 janvier 1978 : « Il est interdit de traiter des données à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l'origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l'appartenance syndicale d'une personne physique ou de traiter des données génétiques, des données biométriques aux fins d'identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l'orientation sexuelle d'une personne physique ».

[26] Selon l'étonnant adjectif préconisé par la mission linguistique francophone pour qualifier les activités qui se déploient sur l'internet. À notre oreille, ce néo-adjectif évoque plutôt d'aquatiques compétitions sportives.

[27] Car l'échelle est immense, puisque d'innombrables données sont ici rendues accessibles aux algorithmes du fisc et des douanes. Le Conseil n'a d'ailleurs pas manqué de le relever : les dispositions contestées permettent à l'administration « d'une part, de collecter de façon indifférenciée d'importants volumes de données, relatives à un grand nombre de personnes, publiées sur de tels sites et, d'autre part, d'exploiter ces données, en les agrégeant et en opérant des recoupements et des corrélations entre elles » (§ 83).

[28] De ce point de vue, l'affaire ici jugée par le Conseil constitutionnel est très différente de celles qui ont pu porter sur le blocage des sites internet diffusant des images de pornographie infantile (déc. n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure , cons. 5 et s.) ou sur le délit de consultation habituelle de sites internet terroristes (déc. n° 2016-611 QPC du 10 février 2017, M. David P. et déc. n° 2017-682 QPC du 15 décembre 2017, M. David P.), autant de décisions qui, quoiqu'elles se situent dans le giron de l'internet, ne concernaient en rien l'utilisation d'algorithmes. Ainsi, comme le relève le commentaire du service juridique du Conseil (site Internet, p. 8), jusqu'à la présente décision, « la question particulière du recours à des algorithmes par l'administration [n'avait] été appréhendée [qu']à deux reprises par le Conseil constitutionnel » (déc. n° 2003-467 DC, préc., cons. 34 et s., au sujet des traitements automatisés de données nominatives mis en œuvre par les services de la police et de la gendarmerie dans le cadre de leurs missions [conformité sous réserve], et déc. n° 2018-765 DC du 12 juin 2018, Loi relative à la protection des données personnelles, § 65 et s., à propos de dispositions légales autorisant l'administration à adopter des décisions individuelles sur le seul fondement d'un algorithme [conformité]). Dans l'un et l'autre cas, il ne s'agissait toutefois pas de traiter des informations issues des réseaux sociaux. En somme, il ne s'agissait pas d'espionnage algorithmique.

[29] Voir commentaire préc. du service juridique, p. 15.

[30] Dispositions qui avaient déjà été jugées conformes à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme (liberté d'expression) par la Cour de cassation. Voir Cass. crim., 8 juin 2010, n° 09-87.526. Sur la jurisprudence assez nuancée de la CEDH elle-même à propos de cette question, voir commentaire de la décision n° 2019-817 QPC par le service juridique du Conseil, site Internet, p. 7 à 9.

[31] Cass. crim., 1er octobre 2019, n° 19-81.769 : Communication-commerce électronique, nov. 2019, comm. n° 68, note A. Lepage.

[32] A. Lepage, note préc. La presse jouissait auparavant d'une totale liberté. Postérieurement à 1954, l'interdiction a été élargie par une loi du 2 février 1981. L'entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994 a seulement entraîné la suppression du minimum fixé pour la peine (loi du 16 décembre 1992).

[33] Commentaire préc., p. 15.

[34] Directrice de la publication de Paris Match ayant publié, en novembre 2017, sur le compte Twitter du journal, sur son site internet et dans le journal lui-même, une photographie d'Abdelkader Merah prise lors de son procès devant la Cour d'assises de Paris.

[35] Une autre exception figure à l'article 308 du code de procédure pénale, lequel ne permet toutefois l'enregistrement des débats d'assises que pour les besoins des juridictions elles-mêmes.

[36] Voir A. Lepage, note préc., qui fait référence aux décisions n° 2011-131 QPC du 20 mai 2011, Mme Térésa C. (censure de l'exception de vérité des faits diffamatoires remontant à plus de dix ans ; L. 29 juillet 1881, art. 35, al. 5) et n° 2013-319 QPC du 7 juin 2013, M. Philippe B. (censure de l'exception de vérité des faits diffamatoires constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou ayant donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision ; L. 29 juillet 1881, art. 35, c).

[37] A. Bugada, « Constitutionnalité réservée de la fusion imposée des champs conventionnels », JCP S, 10 déc. 2019, 1350.

[38] Pour les amateurs de sensations fortes, cet affligeant processus législatif est décrit en détail dans son commentaire de la décision n° 816 QPC par le service juridique du Conseil constitutionnel (site Internet, p. 5 à 11, « Évolution du droit de la restructuration des branches professionnelles »).

[39] Ces expressions sont très approximatives, car il s'agit techniquement de fusionner les champs d'application des conventions collectives en cause et non, bien entendu, les conventions elles-mêmes (voir A. Bugada, note préc., n° 3). Ce n'est qu'à terme qu'une unique convention a vocation à s'appliquer à tout le champ « fusionné ».

[40] Voir Cons. const., déc. n° 96-383 DC du 6 novembre 1996, Loi relative à l'information et à la consultation des salariés dans les entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire, ainsi qu'au développement de la négociation collective , spéc. cons. 8 ; déc. n° 2018-761 DC du 21 mars 2018, Loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social , spéc. § 13.

[41] Sur la distinction entre la fusion des champs d'application des conventions et la fusion des branches, voir A. Bugada, note préc., n° 5 et s.

[42] Le détail de la motivation est la suivante : « Il ressort des travaux préparatoires que le législateur a estimé que la seule négociation collective laissée à l'initiative des partenaires sociaux ne suffisait pas à limiter l'éparpillement des branches professionnelles. En adoptant les dispositions contestées, il a entendu remédier à cet éparpillement, dans le but de renforcer le dialogue social au sein de ces branches et de leur permettre de disposer de moyens d'action à la hauteur des attributions que la loi leur reconnaît, en particulier pour définir certaines des conditions d'emploi et de travail des salariés et des garanties qui leur sont applicables, ainsi que pour réguler la concurrence entre les entreprises. Ce faisant, le législateur a poursuivi un objectif d'intérêt général » (§ 17).

[43] En particulier, mais pas seulement, car le Conseil examine également la procédure que doit suivre le ministre qui met en œuvre la fusion (§ 19), l'économie de l'accord de remplacement que les partenaires sociaux sont appelés à conclure (si cet « accord (...) doit comporter des stipulations communes applicables aux situations équivalentes, [les] dispositions [contestées] ne font pas obstacle au maintien ou à l'adoption, notamment dans l'accord de remplacement, de stipulations spécifiques régissant des situations distinctes » ; § 20) ainsi que les contraintes que fait peser la fusion sur les négociations ultérieures (§ 21). C'est au regard de toutes ces « conditions et garanties » que l'essentiel des dispositions contestées est jugé conforme à la Constitution (§ 22).

[44] Le Conseil estime généreusement que cette formulation n'est pas imprécise (§ 18).

[45] Nous sommes au pays des jacobins ! Le Conseil décide que ce critère est « cohérent avec le principe posé à l'article L. 2232-5-2 du code du travail selon lequel les branches ont un champ d'application national » (§ 18).

[46] Voir déjà, par exemple, Cons. const., déc. n° 2002-465 DC du 13 janvier 2003, Loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi , cons. 37. Sur le fond, voir, pour la première mention de cette règle, déc. n° 99-423 DC du 13 janvier 2000, Loi relative à la réduction négociée du temps de travail, cons. 37 et s. (le droit au maintien des conventions légalement conclues était à cette époque placé dans le giron de la liberté contractuelle).

[47] G. Vachet, « Le champ d'application conventionnel en cas de fusion des branches professionnelles », Droit social, nov. 2018, p. 899.

[48] À cet égard, le Conseil rappelle sa jurisprudence selon laquelle « la liberté d'adhérer au syndicat de son choix, prévue par le sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, n'impose pas que toutes les organisations syndicales de salariés et toutes les organisations professionnelles d'employeurs soient reconnues comme étant représentatives indépendamment de leur audience » (§ 36). Voir Cons. const., déc. n° 2010-42 QPC du 7 octobre 2010, CGT-FO et autres, au sujet de la représentativité des syndicats, et déc. n° 2015-519 QPC du 3 février 2016, Mouvement des entreprises de France et autres, à propos des critères de l'audience des organisations professionnelles d'employeurs pour l'appréciation de la représentativité.

[49] B. Gomes, « Constitutionnalité de la « charte sociale » des plateformes de « mise en relation » : censure subtile, effets majeurs », Revue de droit du travail, janv. 2020, p. 42.

[50] Cass. soc., 28 novembre 2018, n° 17-20.079, affaire Take Eat Easy.

[51] Selon le commentaire du service juridique du Conseil (déc. n° 794 DC, site Internet, p. 5), « par l'incise « en l'état » , le Conseil a souligné que, si le cadre légal applicable aux travailleurs en lien avec des plateformes évoluait, son appréciation quant à l'existence d'une communauté de travail serait également susceptible d'évoluer ».

[52] Sur ce point, la décision n° 794 DC reprend en effet la formulation bien assise de la norme constitutionnelle suivante : « Le droit de participer « par l'intermédiaire de ses délégués » à « la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises » a pour bénéficiaires, non la totalité des travailleurs employés à un moment donné dans une entreprise, mais tous ceux qui sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail qu'elle constitue, même s'ils n'en sont pas les salariés ». Voir, en premier lieu, Cons. const., déc. n° 2006-545 DC du 28 décembre 2006, Loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social , cons. 29.

[53] Sur la question de la définition des plateformes de « mise en relation », voir B. Gomes, note préc., spéc. I.

[54] Sont visées par ces dispositions, en résumé : les conditions d'exercice de l'activité professionnelle des travailleurs (1 °), les modalités visant à permettre à ceux-ci d'obtenir un « prix décent » pour leur prestation de services (2 °), les modalités de développement des compétences professionnelles et de sécurisation des parcours (3 °), l'amélioration des conditions de travail et la prévention des risques professionnels (4 °), les modalités de partage d'informations et de dialogue entre la plateforme et les travailleurs sur les conditions d'exercice de leur activité (5 °), les modalités selon lesquelles les travailleurs sont informés des changements relatifs aux conditions d'exercice de leur activité (6 °), la qualité de service attendue, les modalités de contrôle par la plateforme de l'activité et de sa réalisation et les circonstances qui peuvent conduire à une rupture des relations commerciales (7 °) ainsi que, le cas échéant, les garanties de protection sociale complémentaire négociées par la plateforme (8 °).

[55] Selon l'article L. 7342-9, al. 13, du code du travail, « lorsqu'elle en est saisie par la plateforme, l'autorité administrative se prononce sur toute demande d'appréciation de la conformité du contenu de la charte au présent titre par décision d'homologation ». Rien de plus.

[56] Ainsi, « en application du 7 ° [de l'article L. 7342-9], la charte doit préciser « la qualité de service attendue, les modalités de contrôle par la plateforme de l'activité et de sa réalisation et les circonstances qui peuvent conduire à une rupture des relations commerciales entre la plateforme et le travailleur » » (§ 26). De même, étaient visées « les conditions d'exercice de l'activité professionnelle des travailleurs avec lesquels la plateforme est en relation » sous la seule réserve que les règles « garantissent le caractère non exclusif de la relation entre les travailleurs et la plateforme et la liberté pour les travailleurs d'avoir recours à la plateforme et de se connecter ou se déconnecter, sans que soient imposées des plages horaires d'activité » (art. préc., 1 °). La marge de manœuvre laissée aux entreprises pour faire obstacle au pouvoir du juge était donc grande.

[57] Commentaire préc., p. 9. Est aussi souligné le fait que l'homologation de la charte par l'autorité administrative n'a nullement pour objet de vérifier l'absence, au sein de celle-ci, d'éléments de nature à favoriser la qualification de contrat de travail (v., de manière implicite, § 27 de la décision).

[58] Voir notamment, au sujet du portage salarial, Cons. const., déc. n° 2014-388 QPC du 11 avril 2014, Confédération Générale du Travail Force Ouvrière et autre, cons. 4 (censure).

[59] Commentaire préc., p. 10.

[60] Voir déjà Cons. const., déc. n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001, Loi portant amélioration de la couverture des non salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles , cons. 43.

[61] Droit ouvrier , déc. 2019, n° 857, p. 804, note P.-Y. Gahdoun.

[62] Pourtant, comme le relève M. Gahdoun, « la loi est rédigée dans des termes tellement généraux qu'elle offre, à vrai dire, toute latitude à l'autorité locale pour limiter l'exercice du droit de grève de ses agents -- sans que cela ne conduise le Conseil à prononcer une censure » (note préc., p. 805).

[63] À titre encore plus accessoire et hors sujet, au regard des limites naturelles de cette chronique, signalons aussi que le Conseil constitutionnel a récemment décidé que « l'exigence constitutionnelle de gratuité s'applique à l'enseignement supérieur public » (déc. n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019, Union nationale des étudiants en droit, gestion, AES, sciences économiques, politiques et sociales et autres , § 6 ; v. D., 2019, p. 2310, obs. Ch. Fardet, qui relève que « le Conseil constitutionnel a été aussi loin qu'il le pouvait dans l'interprétation de la norme constitutionnelle » ; JCP G, 18 nov. 2019, 1180, obs. S. Braconnier). La décision est intéressante sur le fond, mais aussi en sa forme, car son caractère particulièrement lapidaire tranche énormément avec le long commentaire justificatif que lui consacre le service juridique du Conseil. Rarement un tel gouffre a été atteint entre la décision (une demi-page sur le fond) et son commentaire !

[64] Voir déjà Cons. const., déc. n° 2010-13 QPC du 9 juillet 2010, M. Orient O. et autre, et déc. n° 2012-279 QPC du 5 octobre 2012, M. Jean-Claude P.

[65] Article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage.

[66] Cons. const., déc. n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure , cons. 51 à 56.

[67] Cons. const., déc. n° 2018-709 QPC du 1er juin 2018, Section française de l'observatoire international des prisons et autres .

[68] Voir commentaire du service juridique du Conseil, déc. n° 791 DC, site Internet du Conseil, p. 4 et s. Voir notamment, pour un exemple récent, relatif au contrôle des prix et des marges en Nouvelle-Calédonie, déc. n° 2019-774 QPC du 12 avril 2019,Société Magenta Discount et autre (v. cette chronique in Titre VII. Les cahiers du Conseil constitutionnel, n° 3, octobre 2019).

[69] L'idée est en effet « de faire en sorte que l'investissement des Français dans la construction de ce parc [nucléaire] bénéficie à tous les consommateurs, quel que soit leur fournisseur [d'électricité] » (commentaire préc. du service juridique, p. 2).

[70] Sur le caractère proportionné de cette atteinte à la liberté d'entreprendre, voir § 50.

[71] Cons. const., déc. n° 2017-688 QPC du 2 février 2018, M. Axel N., au sujet de la saisine d'office de l'AFLD et de la réformation des sanctions disciplinaires prononcées par les fédérations sportives.

Citer cet article

Thomas PIAZZON. « Chronique de droit privé (juillet 2019 à fin décembre 2019) », Titre VII [en ligne], n° 4, Le principe d’égalité , avril 2020. URL complète : https://webview.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/chronique-de-droit-prive-juillet-2019-a-fin-decembre-2019