I. DROIT PÉNAL SPÉCIAL

Pénalisation du refus de remettre aux autorités judiciaires la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie. Cons. const., 30 mars 2018, n° 2018-696 QPC.

Un individu placé en garde à vue pour trafic de stupéfiants, qui avait refusé de donner les codes de chiffrement de ses téléphones portables, était donc poursuivi, notamment, pour refus de remettre aux autorités judiciaires la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie sur le fondement de l'article 434-15-2 du code pénal dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale. Le prévenu contesta cette procédure au moyen d'une question prioritaire de constitutionnalité par laquelle il fit grief au texte de méconnaître à la fois le droit au procès équitable (rattaché à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen), le droit à la présomption d'innocence (article 9 de la déclaration) dont découlent le droit au silence et le droit de ne pas « s'auto-incriminer (sic) ». Il était en cela appuyé par plusieurs parties intervenantes, dont l'association La quadrature du net, qui reprochaient au texte de méconnaître, pêle-mêle, le droit au respect de la vie privée, le secret des correspondances, les droits de la défense, le principe de proportionnalité des peines et la liberté d'expression.

Après avoir limité son examen au 1er alinéa de l'article 434-15-2 du code pénal, qui réprime « le fait, pour quiconque ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie susceptible d'avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, de refuser de remettre ladite convention aux autorités judiciaires ou de la mettre en œuvre, sur les réquisitions de ces autorités délivrées en application des titres II et III du livre Ier du code de procédure pénale » , le conseil conclut à sa conformité, à l'aune des articles 2 (droit à la vie privée et au secret des correspondances) et 9 (respect de la présomption d'innocence) de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

A priori, la nécessité du texte ne se discute guère, celui-ci poursuivant l'objectif à valeur constitutionnelle -- récurrent - de prévention des infractions et de recherche des auteurs d'infractions, tous deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle (voir, par exemple, Cons. const., 2 mars 2018, n° 2017-693 QPC). Cela dit, le Conseil ne met pas pour autant en balance cette finalité d'intérêt général avec la nécessité de préserver vie privée et présomption d'innocence - ce en quoi il aurait repris sa logique classique de balance des intérêts en présence - car il estime, au contraire, que ces deux prérogatives ne sont guère en cause.

Mais sa réponse est insatisfaisante car des plus lapidaires, d'autant plus qu'il choisit de laisser de côté les griefs d'atteinte à la liberté d'expression, aux droits de la défense et à la proportionnalité des peines.

Elle s'appuie sur un argument majeur : le texte n'oblige la personne à communiquer une clé de chiffrement que s'il est établi qu'elle en a connaissance. Autrement dit, selon le Conseil, la finalité du texte se révèle purement technique - permettre le déchiffrement des données cryptées - et non substantiel : il ne saurait être ici question d'obtenir des aveux ou d'emporter une reconnaissance ou une présomption de culpabilité. En d'autres termes, dans la mesure où l'autorité publique a réussi à démontrer que la personne connaît la clé, la loi l'autorise à la lui demander, sous peine de sanction.

Le conseil étaye alors son raisonnement par deux arguments.

Tout d'abord, l'enquête ou l'instruction doivent avoir permis d'identifier l'existence des données traitées par le moyen de cryptologie susceptible d'avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit. Il s'agirait donc bien d'obtenir, par la coopération de la personne mise en cause, le moyen matériel de rendre les données intelligibles. On retrouve d'ailleurs cette logique sous la plume du Conseil (voir, par exemple, Cons. const., 8 juill. 2016, n° 2016-552 QPC à propos du droit de communication de documents des agents des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence et des fonctionnaires habilités par le ministre chargé de l'économie : ce droit, qui permet aux agents habilités d'exiger la communication d'informations et de documents, tend à l'obtention non de l'aveu de la personne contrôlée, mais de documents nécessaires à la conduite de l'enquête de concurrence ; voir encore Cons. const., 26 sept. 2010, n° 2010-25 QPC, utilisant la même formule à propos de l'obligation pénalement sanctionnée de se soumettre au prélèvement biologique aux fins de la conservation au fichier, prévu par le deuxième alinéa de l'article 706-54, des empreintes génétiques des personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves et concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis certaines infractions et au prélèvement biologique aux fins de rapprochement d'empreintes, prévu par le troisième alinéa de l'article 706-54).

Si la solution du conseil ne paraît pas, a priori, s'éloigner de sa position antérieure, on peut malgré tout douter qu'elle soit tout à fait conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme pour laquelle le droit de se taire comme le droit de ne pas s'auto-accuser, corollaires du droit au respect de la présomption d'innocence, se comprennent à la fois comme le droit de ne pas témoigner contre soi-même et comme celui de ne pas fournir aux autorités publiques d'éléments de nature incriminante. Or, donner une clé de chiffrement, tout en conférant aux enquêteurs le moyen technique d'accéder à des informations jusque là codées, peut dans le même temps équivaloir, pour le mis en cause, à leur fournir indirectement l'aveu de sa culpabilité. Ce dernier doit donc bénéficier des garanties offertes par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales -- droit de ne pas s'auto-accuser, droit au silence -- qui, pour rappel, a vocation à s'appliquer dès lors que le requérant fait l'objet d'une accusation en matière pénale (CEDH, Brusco c. France, 14 oct. 2010, n° 1466/07), ce qui était évidemment le cas en l'espèce.

C'est pourquoi, ensuite, le Conseil précise que les données traitées, déjà fixées sur un support, « existent indépendamment de la volonté de la personne suspectée », reprenant in extenso la formule de la Cour européenne des droits de l'homme qui, dans l'arrêt Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996, a admis une limite au droit de ne pas s'auto-accuser, jugeant que celui-ci « ne s'étend pas à l'usage, dans une procédure pénale, de données que l'on peut obtenir de l'accusé en recourant à des pouvoirs coercitifs mais qui existent indépendamment de la volonté du suspect, par exemple les documents recueillis en vertu d'un mandat, les prélèvements d'haleine, de sang et d'urine ainsi que de tissus corporels en vue d'une analyse de l'ADN » (CEDH, 17 déc. 1996, Saunders c. R-U (GC), n° 19187/91). Et les moyens de cryptage sont effectivement des données existant indépendamment de la volonté du suspect.

C'est la raison pour laquelle, en considération de tous ces éléments, le Conseil estime que les dispositions contestées ne portent atteinte ni au droit de ne pas s'accuser ni au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances.

On soulignera que si l'on comprend la première partie de sa conclusion, on reste plutôt circonspect devant l'affirmation d'une absence d'atteinte à la vie privée et aux correspondances car le conseil n'a aucunement développé ces deux aspects. Pourtant, le risque d'atteinte est réel, d'autant plus qu'en l'espèce, la clé de chiffrement permettait précisément d'accéder au contenu d'un téléphone portable. Or, pour être conforme à la Constitution, toute ingérence dans ces droits, que le Conseil rattache classiquement à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, doit être justifiée par un motif d'intérêt général et mise en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif. On aurait donc pu s'attendre à ce que le Conseil apprécie la proportionnalité de l'atteinte. Las ! Il reste muet, montrant implicitement qu'il dénie toute idée d'atteinte, ce qu'il confirme dans sa conclusion.

VP

II. PROCEDURE PÉNALE

Présence de journalistes lors d'une perquisition et protection de la présomption d'innocence (Cons. const., 2 mars 2018, n°2017-693 QPC).

Saisi par le Conseil d'Etat à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par l'Association de la presse judiciaire (CE, 27 déc. 2017, req. n° 411915) , le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer sur la conformité à la Constitution de l'article 11 du code de procédure pénale qui, dans sa rédaction résultant de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes consacre le principe du secret de l'enquête et de l'instruction tout en lui apportant une exception par ce que l'on a coutume d'appeler les « fenêtres de l'information » et sans préjudice des droits de la défense. Cette exception permet au procureur de la République, soit d'office, soit à la demande de la juridiction ou des parties, de rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure à la condition qu'ils ne comportent aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause. Plus précisément, il était reproché à ce texte mais surtout à l'interprétation qui en est faite par la Cour de cassation, d'interdire toute présence d'un journaliste ou d'un tiers lors d'une perquisition pour en capter le son ou l'image même lorsque cette présence a été autorisée par l'autorité publique et par la personne concernée par la perquisition. Pour le requérant, cette interdiction générale constitue une méconnaissance de la liberté d'expression et de communication protégée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que du « droit du public à recevoir des informations d'intérêt général » qui en constitue le corollaire.

Il est vrai que la question de la compatibilité de ce droit au respect de la présomption d'innocence et de la liberté d'expression n'est pas nouvelle. Elle se pose au plan du droit pénal avec les abondantes décisions relatives à la question du recel de violation du secret de l'instruction (par ex. Cass. crim., 9 juin 2015, n° 14-80.713 , Bull. crim., n° 142 ; Comm. com. électr. 2015, comm. 70) , nos obs. ; Rev. pénit. 2015, p. 715, obs. F. Safi). Elle se pose aussi au plan procédural puisqu'une atteinte au secret de l'enquête ou de l'instruction concomitante à la réalisation d'un acte d'investigation constitue une cause d'irrégularité de la procédure et entraîne donc la nullité de l'acte pratiqué (en ce sens, v. Cass. crim., 19 juin 1995, n° 94-85.915 , Bull. crim., n° 223 ; Dr. pén. 1995, comm. 39, A. Maron : interpellation filmée par un journaliste. -- Cass. crim., 25 janv. 1996, n° 95-85.560 , Bull. crim., n° 51 ; Dr. pén. 1996, comm. 200, A. Maron. -- Cass. crim., 11 juill. 2017, n° 17-80.313). Cette analyse procédurale a notamment donné lieu à un important arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 10 janvier 2017 et visé par le Conseil dans la décision à propos de la régularité d'une perquisition pratiquée au domicile d'une personne gardée à vue en présence d'un journaliste, muni d'une autorisation, qui avait filmé cet acte ( Cass. crim., 10 janv. 2017, n° 16-84.740, Comm. com. électr. 2017, comm. 25 et les obs. ; AJ pénal 2017, p. 140, obs. J.-B. Thierry ; Gaz. Pal. 25 avr. 2017, n° 16, p. 55, obs. F. Fourment). Elle avait alors jugé, dans un motif de principe que : « constitue une violation du secret de l'enquête ou de l'instruction concomitante à l'accomplissement d'une perquisition, portant nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu'elle concerne, l'exécution d'un tel acte par un juge d'instruction ou un officier de police judiciaire en présence d'un tiers qui, ayant obtenu d'une autorité publique une autorisation à cette fin, en capte le déroulement par le son ou l'image ». Il résulte de cet arrêt que la seule présence du journaliste constitue par elle-même une atteinte aux intérêts de la personne sans que celle-ci ait à rapporter la preuve d'un quelconque grief causé par cette présence.

La vigueur du principe ainsi consacré par la chambre criminelle de la Cour de cassation se retrouve, mais pour partie seulement dans la décision du Conseil appelait à statuer, non pas sur la régularité de la procédure mais sur la comptabilité de l'article 11 du code de procédure pénale à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

Le Conseil conclut à la conformité de ce texte à la Constitution après avoir rappelé d'une part la raison d'être du principe du secret et d'autre part, la portée du secret (à propos de cette décision, v. A. Lepage, Communication Commerce électronique 2018, comm. 36). S'agissant du principe du secret de l'enquête et de l'instruction, le conseil rappelle que ce secret a pour but de garantir le bon déroulement de l'enquête et de l'instruction de telle sorte qu'il permet de satisfaire les objectifs à valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions mais aussi de protéger les personnes concernées par une enquête ou une instruction afin de garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d'innocence. S'agissant de la portée du secret, le Conseil recense les diverses dérogations au secret prévues par les textes à savoir d'une part, les fenêtres de l'information et d'autre part, la possibilité pour les parties et leurs avocats de communiquer des informations sur le déroulement de l'enquête ou de l'instruction au nom des droits de la défense. Pour le Conseil, l'atteinte qui se trouve ainsi portée à la liberté d'expression et de communication est nécessaire et proportionnée à l'objectif poursuivi.

De cette décision, on retiendra surtout une incise dans le motif selon laquelle l'atteinte est nécessaire et proportionnée « sans que cela interdise au législateur d'autoriser la captation par un tiers du son et de l'image à certaines phases de l'enquête et de l'instruction dans des conditions garantissant le respect des exigences constitutionnelles ». Le Conseil semble ainsi implicitement valider par anticipation des dispositifs légaux qui permettraient par exemple aux officiers de police judiciaire, dans le cadre d'une enquête, de faire appel à des tiers pour filmer des perquisitions alors que les textes actuels ne permettent qu'au seul officier de police judiciaire, avec les personnes désignées aux articles 57 et 60 du code de procédure pénale, de prendre connaissance des papiers ou documents avant de procéder à leur saisie (C. pr. pén., art. 56 et 76). En attendant, les journalistes devront se contenter des possibilités que leur offre actuellement le droit positif et que rappelle le Conseil constitutionnel dans sa décision (Cons. 9) à savoir la possibilité qui est la leur de rendre compte d'une procédure pénale et de relater les différentes étapes d'une enquête et d'une instruction, voire de s'exprimer une fois ces actes d'enquête et d'instruction accomplis puisque le secret ne vaut que pendant la durée des investigations correspondantes (cons. 9). Il est vrai que de tout temps, la chambre criminelle a admis que les révélations postérieures à l'acte de procédure ne remettent pas en cause la régularité de la procédure antérieurement menée (V. Cass. crim., 25 janv. 1996 : Dr. pén. 1996, chron. 39, rapp. H. de Larosière de Champfeu ; Cass. crim., 9 sept. 2014, pourvoi n° 12-87.638).

EB

Voies de recours contre un jugement rendu par défaut et peine prescrite (Cons. const., 8 juin 2018, déc. n°2018-712 QPC).

A l'auteur d'une question prioritaire de constitutionalité qui mettait en doute la conformité des articles 492 du code de procédure pénale et 133-5 du code pénal relatifs aux voies de recours contre les jugements rendus par défaut au motif qu'ils seraient contraires au droit à un recours effectif dès lors qu'ils interdisent à une personne, condamnée par défaut pour un délit, de contester cette condamnation lorsque la peine est prescrite, y compris si elle n'en a pas eu connaissance avant cette prescription, le Conseil constitutionnel procède à une déclaration d'inconstitutionnalité. Il déclare partiellement non conforme à la Constitution ces deux textes. Plus précisément, s'agissant de l'article 492 du code de procédure pénale qui dispose dans son alinéa 2 : « Toutefois, s'il s'agit d'un jugement de condamnation et s'il ne résulte pas, soit de l'avis constatant remise de la lettre recommandée ou du récépissé prévus aux articles 557 et 558 , soit d'un acte d'exécution quelconque, ou de l'avis donné conformément à l'article 560 , que le prévenu a eu connaissance de la signification, l'opposition tant en ce qui concerne les intérêts civils que la condamnation pénale reste recevable jusqu'à l'expiration des délais de prescription de la peine », il déclare les mots « jusqu'à l'expiration des délais de prescription de la peine » contraires à la Constitution. S'agissant de l'article 133-5 du code pénal qui dispose : « Les condamnés par contumace ou par défaut dont la peine est prescrite ne sont pas admis à purger la contumace ou à former opposition », ce sont les mots « ou par défaut » et « ou à former opposition » qui sont abrogés. Ces abrogations prennent effet à compter de la date de publication de la décision soit au 9 juin 2018 dans la mesure où le Conseil n'a pas estimé nécessaire de reporter les effets de cette double déclaration d'inconstitutionnalité (cons. n°16).

Plus que le sens de la décision, ce sont les motifs de celle-ci qui doivent retenir l'attention car le Conseil constitutionnel y livre de riches indications sur les conséquences de la prescription d'une peine qui ne saurait être analysée comme un effacement pur et simple de celle-ci pour le futur mais aussi pour le passé. Certes, la peine ne peut plus être mise à exécution une fois prescrite. Toutefois, elle ne disparaît pas au sens où la décision de condamnation conserve une existence juridique et peut, dès lors, sur le fondement de son seul prononcé, produire des effets juridiques tant au plan pénal qu'au plan procédural (E. Bonis et V. Peltier, Droit de la peine, Lexisnexis, 2ème éd., n°846 et s.). A ce titre, le Conseil souligne que, même prescrite, une peine est susceptible d'emporter quatre conséquences qui justifient, à elles seules, que la personne condamnée par défaut et qui prend connaissance de la décision de condamnation postérieurement à la prescription de la peine, conserve un intérêt à contester la décision que ce soit par la voie de l'appel ou de l'opposition. Tout d'abord, le conseil rappelle qu'une peine correctionnelle prescrite continue à produire des effets lors de la caractérisation de l'état de récidive légale puisque les articles 132-9 et 132-10 du code pénal, admettent comme premier terme de la récidive légale, une peine jusqu'à cinq ou dix ans après sa prescription. Il est vrai que cette peine, même prescrite, demeure inscrite au casier judiciaire de la personne. Ensuite, il rappelle les conditions d'octroi d'un sursis simple qui, en application de l'article 132-30 du code pénal, en matière correctionnelle ou criminelle, interdisent l'octroi d'un tel sursis à l'égard d'une personne condamnée au cours des cinq ans précédant les faits pour crime ou délit de droit commun à une peine de réclusion ou d'emprisonnement, y compris si cette peine est prescrite. En outre, et sur un plan plus procédural, il souligne que lorsqu'une personne mise en examen a déjà été condamnée à une peine d'emprisonnement sans sursis supérieure à un an, même prescrite, l'article 145-1 du code de procédure pénale prévoit, sous certaines conditions, que la durée maximale de détention provisoire puisse être augmentée au-delà de sa durée classique qui est de quatre mois (pour une illustration de cette hypothèse : Cass. crim., 18 juin 2003 : Bull. crim., n°126). Enfin, et s'agissant de la décision sur les intérêts civils, le Conseil rappelle que le créancier peut, conformément à l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution, poursuivre son exécution dans un délai d'au moins dix ans, même, le cas échéant, après prescription de la peine (v. aussi à ce sujet, C. pén., art. 133-6). Voilà dressé par le Conseil un beau tableau des effets de la prescription de la peine. Ne manque à l'appel que les articles 133-13 et 133-14 du code pénal relatifs à la réhabilitation en cas de peine prescrite mais il est vrai que la réhabilitation est alors légale et non judiciaire de cette sorte que l'intérêt du condamné à agir en justice est plus limité.

L'ensemble de ces considérations, tant de fond que de forme, conduit le Conseil à considérer qu'une personne condamnée par défaut, qui n'a pas eu connaissance de la décision de condamnation, doit pouvoir, lorsqu'elle prend connaissance de la signification de cette décision après la prescription de la peine, encore contester cette décision en formant opposition à celle-ci. A défaut de permettre un tel recours, les textes contestés constituent une atteinte excessive aux droits de la défense et au droit à un recours effectif. La prescription de la peine ne doit donc avoir pour effet que de dispenser la personne d'avoir à exécuter sa peine. Elle laisse en revanche intacte la condamnation prononcée qui continue à produire des effets et doit, à ce titre, offrir au justiciable, sur un plan procédural, des droits équivalents à ceux reconnus à toute personne de pouvoir faire valoir devant un juge, à l'occasion d'une nouvelle instance, ses moyens de défense.

EB

Restrictions des communications des personnes détenues et droit à un recours effectif (Cons. const., 22 juin 2018, déc. n°2018-715 QPC).

L'article 40, alinéa 1er de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dispose : « Les personnes condamnées et, sous réserve que l'autorité judiciaire ne s'y oppose pas, les personnes prévenues peuvent correspondre par écrit avec toute personne de leur choix ». L'incise « sous réserve que l'autorité judiciaire ne s'y oppose pas » a suscité devant le Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionalité soulevée par l'Observatoire international des prisons qui y voyait une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif (CE, 11 avril 2018, déc. n°417244). Selon le requérant trois critiques pouvaient être formulées. La première critique, tenait au fait que la décision par laquelle l'autorité judiciaire s'oppose à l'exercice, en détention, du droit de correspondre par écrit des personnes prévenues, ne puisse être contestée. La deuxième s'attachait à relever que les motifs susceptibles de justifier cette opposition ne sont pas précisés. La dernière voyait dans cette restriction au droit de correspondre des personnes détenues une méconnaissance du droit à mener une vie familiale normale et du droit au respect de la vie privée.

Le Conseil constitutionnel donne raison au requérant et déclare non conformes à la Constitution les mots « sous réserve que l'autorité judiciaire ne s'y oppose pas », dès lors que l'absence de voie de recours permettant une remise en cause de la décision du magistrat conduit à priver la personne du droit d'exercer un recours juridictionnel effectif tel qu'il résulte de l'article 16 de la DDHC. De la sorte, le Conseil constitutionnel ne remet pas en cause la possibilité pour l'autorité judiciaire d'apporter des restrictions à la liberté de communication des détenus. Ces restrictions demeurent. La censure est purement procédurale et tient à la nécessité de prévoir un recours contre la décision de l'autorité judiciaire.

Cette abrogation ne prend toutefois pas effet immédiat. Le Conseil constitutionnel a en effet considéré que l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de priver l'autorité judiciaire de toute possibilité de refuser aux personnes placées en détention provisoire de correspondre par écrit. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Aussi, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il reporta au 1er mars 2019 la date de cette abrogation. Toutefois, à titre transitoire et afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la décision, le Conseil a prévu que les décisions de refus prises après la date de la publication de la décision soit le 23 juin 2018, peuvent être contestées devant le président de la chambre de l'instruction dans les conditions prévues par la deuxième phrase du quatrième alinéa de l'article 145-4 du code de procédure pénale. A titre transitoire donc, il a créé un nouveau cas de recours, jurisprudentiel, à côté des cas légaux de l'article 145-4 du code de procédure pénale qui permettent à la personne placée en détention provisoire de déférer au président de la chambre de l'instruction, qui statue dans un délai de cinq jours par une décision écrite et motivée non susceptible de recours, la décision par laquelle le juge d'instruction a refusé la délivrance d'un permis de visite ou d'une autorisation de téléphoner. On rappellera que ces possibilités de recours prévues à l'article 145-4 du code de procédure pénale résultent d'une loi du 3 juin 2016 prise pour remédier à l'inconstitutionnalité du texte antérieur qui ne prévoyait pas de recours contre ces décisions du juge d'instruction et que le Conseil constitutionnel avait relevé à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité jugée le 24 mai 2016 (Cons. const., 24 mai 2016 : déc. n°2016-543, QPC ; à propos de cette décision, v. nos obs. aux Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel 2016, n°53, p. 128 et s.). Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la décision du 22 juin 2018 est des plus logiques. Elle permet ainsi au Conseil de poursuivre son travail de contrôle de la conformité de la loi pénitentiaire à la Constitution et de participer à la construction du droit de recours des personnes placées en détention provisoire dans le but de préserver leurs droits fondamentaux rattachés au droit au respect de la vie privée et au droit à mener une vie familiale normale.

EB

III. DROIT DE LA PEINE

Motivation des peines criminelles. Cons. const., 2 mars 2018, n° 2017-694 QPC.

C'est peu de dire que le Conseil constitutionnel a rendu, le 2 mars 2018, une décision très attendue par les magistrats et la doctrine pénalistes - même si le résultat était connu d'avance -- puisque touchant à la motivation des peines prononcées par les cours d'assises. On sait le mouvement qui a conduit la chambre criminelle à renforcer son contrôle de la motivation des peines correctionnelles -- privatives de liberté ou non (sur la question, v. Dr. pén. 2018, chron. 3, n° 11s, obs. E. Bonis) -- sans, en revanche, imposer aux cours d'assises de motiver d'une quelconque manière les peines infligées. Au contraire, elle avait, par quatre arrêts remarqués, affirmé qu' « en cas de condamnation par la cour d'assises, la motivation consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui l'ont convaincue de la culpabilité de l'accusé ; qu'en l'absence d'autre disposition légale le prévoyant, la cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu'ils prononcent dans les conditions définies à l'article 362 du code » (Cass. crim., 8 févr. 2017, n° 16-80.389 ; Cass. crim., 8 févr. 2017, n° 16-80.391 ; Cass. crim., 8 févr. 2017, n° 15-86.914 ; Cass. crim., 8 févr. 2017, n° 16-81.242). Cette position, pour le moins paradoxale, avait été analysée comme un appel au législateur (v. H. Dantras-Bioy, Qui peut motiver plus doit s'abstenir de le faire... Quelles perspectives pour la motivation du choix de la peine par les cours d'assises ? : Dr. pén. 2017, étude 10, n° 4) ou, à tout le moins, au Conseil constitutionnel pour que celui-ci se prononce sur cette différence de traitement des justiciables (La motivation des peines, Dr. pén. 2018, étude 9, par D. Guérin).

C'est donc ce qu'a fait le conseil, à la faveur du renvoi qu'une question prioritaire de constitutionnalité par la Cour de cassation le 13 décembre 2017 (Cass. crim., 13 déc. 2017, n° 17-82.086, n° 17-82.237, n° 17-82.858) qui faisait grief aux articles 362 et 365-1 du code de procédure pénale de méconnaître les principes de nécessité, de légalité et d'individualisation de la peine, le droit à une procédure juste et équitable et les droits de la défense, l'égalité devant la loi et devant la justice, garantis par les articles 6, 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que l'article 34 de la Constitution.

Au préalable, le conseil règle deux points de procédure. Tout d'abord, il circonscrit la question au seul article 365-1, et plus particulièrement à son alinéa 2, selon lequel « en cas de condamnation, la motivation consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises. Ces éléments sont ceux qui ont été exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury en application de l'article 356 , préalablement aux votes sur les questions ».

Ensuite, il se voit contraint d'examiner la recevabilité de la question posée, ayant déjà conclu à la conformité de ce texte lors du contrôle a priori effectué en vue de la promulgation de la loi du 10 août 2011 (Cons. const., 4 août 2011, n° 2011-635 DC), et pour cela de débusquer un changement de circonstances l'autorisant à examiner de nouveau la validité d'une disposition déjà déclarée conforme (Ord. n° 58-1067, 7 nov. 1958, art. 23-2, al. 3 et 23-5, al. 2). Ce dernier se présente sous une double forme : d'une part, les arrêts du 8 février 2017 par lesquels la Cour de cassation interdit aux cours d'assises de motiver les peines qu'elles infligent sur le fondement de l'article 365-1 et, d'autre part, la modification du 1er alinéa de l'article 362 par la loi du 15 août 2014 qui a remplacé la référence à l'article 132-24 du code pénal (individualisation et but de la peine) par un renvoi aux articles 132-1 (individualisation) et 130-1 (fonction) du même code. Ces éléments étant jugés suffisants, le conseil peut alors se consacrer à l'examen du fond de la question.

Il va alors conclure à l'absence de conformité de la disposition, se fondant sur les articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui imposent au législateur, dans l'exercice de sa compétence, de fixer des règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l'arbitraire dans la recherche des auteurs d'infractions, le jugement des personnes poursuivies ainsi que dans le prononcé et l'exécution des peines, reprenant le considérant formulé le 4 août 2011 (Cons. const., 4 août 2011, préc., consid. 22). Mais, au surplus, il tire du principe d'individualisation de la peine la conséquence -- nouvelle - que les peines, à l'instar du jugement sur la culpabilité, doivent être motivées. Si l'on comprend cette exigence, il n'en demeure pas moins que sa mise en œuvre risque d'être des plus problématiques dans la mesure où la détermination de la peine ne résulte pas, à l'inverse de la décision sur la culpabilité, d'une série de questions auxquelles les jurés sont tenus de répondre et qui servent ensuite de support pour rédiger la feuille de motivation. De fait, rien de tel avec la peine à propos de laquelle il n'est posé aucune question ; au contraire, sa détermination résulte uniquement d'un vote sur le quantum proposé, celui-ci allant décroissant si aucune majorité n'est trouvée (CPP, art. 362, al. 2 et 3).

Il faudra donc que la cour d'assises énonce sur la feuille de motivation, les principaux éléments qui l'auront convaincue d'infliger sa sentence (nature, quantum, sursis éventuel, etc.). C'est d'ailleurs ce que suggère le conseil qui, ayant conclu à l'abrogation de l'alinéa 2 de l'article 365-1 du code de procédure pénale, a choisi d'en reporter l'entrée en vigueur au 1er mars 2019, pour éviter de supprimer le texte qui précise les modalités de motivation de la décision sur la culpabilité et de désorganiser les procédures d'assises.

Mais ce qui peut apparaître comme un progrès au regard de l'exigence constitutionnelle de motivation risque de sonner le glas d'un autre principe tout aussi essentiel : le secret du délibéré, pourtant protégé par le Conseil constitutionnel, qui le fait découler du principe d'indépendance des juridictions garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (Cons. const., 4 déc. 2015, n° 2015-506 QPC), principe jugé également essentiel par la Cour de cassation qui, le 25 mai 2016, a rappelé qu' « une dérogation à l'obligation de conserver le secret des délibérations, édictée par l'article 304 du code de procédure pénale, ne saurait être admise, même à l'occasion de poursuites pour violation du secret du délibéré, sans qu'il soit porté atteinte tant à l'indépendance des juges, professionnels comme non-professionnels, qu'à l'autorité de leurs décisions » (Cass. crim., 25 mai 2016, n° 15-84.099, Bull. crim. n° 160). L'équilibre précaire entre individualisation de la peine et secret du délibéré, déjà ébranlé par l'obligation légale de motiver la décision sur la culpabilité, se fragilise encore un peu plus en imposant à des citoyens les règles toujours plus complexes de la motivation, obligeant le juriste pénaliste à s'interroger sur la pertinence de conserver le système de la cour d'assises.

VP

Citer cet article

Evelyne BONIS ; Virginie PELTIER. « Chronique de droit pénal et de procédure pénale », Titre VII [en ligne], n° 1, Le sens d'une constitution, septembre 2018. URL complète : https://webview.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/chronique-de-droit-penal-et-de-procedure-penale