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Prix de thèse 2015 du Conseil constitutionnel

Le dix-neuvième jury d'attribution du prix de thèse du Conseil constitutionnel s'est réuni le jeudi 9 avril 2015.

Présidé par Jean-Louis DEBRÉ, président du Conseil constitutionnel, sa composition avait été ainsi
fixée :

Trois professeurs d'université :

  • Hélène RUIZ FABRI, directeur du Max Planck Institute de Luxembourg ;
  • Fabrice HOURQUEBIE, professeur à l'université de Bordeaux ;
  • Julien BONNET, professeur à l'université de Montpellier.

Deux membres du Conseil constitutionnel :

  • Claire BAZY MALAURIE ;
  • Nicole MAESTRACCI.

Le secrétaire général du Conseil constitutionnel :

  • Laurent VALLÉE.

Un secrétaire de séance (sans voix délibérative) :

  • Lionel BRAU.

Ce dix-neuvième jury a attribué le prix de thèse du Conseil constitutionnel 2015 à la thèse de Jean-Baptiste DUCLERCQ intitulée « Les mutations du contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel ».

(Thèse soutenue le 26 novembre 2014 devant l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne ; dirigée par Michel VERPEAUX)

Cet ouvrage sera en conséquence publié dans la collection « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique » des éditions LGDJ-Lextenso.

Résumé de thèse : Les mutations du contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Jean-Baptiste DUCLERCQ

La présente étude n'a pas entendu découvrir le concept de proportionnalité – la recherche s'en était déjà emparée – mais redécouvrir le contrôle de proportionnalité sous l'angle du contrôle juridictionnel exercé par le Conseil constitutionnel. Elle entend modestement « prendre le relais » de la thèse publiée par le professeur Xavier Philippe en 1990 sur « Le contrôle de proportionnalité dans les jurisprudences constitutionnelle et administrative françaises » en tenant compte des évolutions profondes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui se sont depuis lors opérées.

Le contrôle de proportionnalité renvoie à l'examen par le juge du degré du lien qui unit deux ou plusieurs éléments de la norme contrôlée. Dans le cadre du contentieux constitutionnel, il suppose un examen par le Conseil constitutionnel au cœur même de la loi, ce qui le rend potentiellement intrusif. Cette définition traduit déjà un changement dans la manière de concevoir le contrôle de proportionnalité, tant il est traditionnellement associé à la conciliation entre les droits et les libertés, c'est-à-dire à une pondération entre les normes de contrôle. La réalisation d'un contrôle de proportionnalité devenu « interne » de la loi signifie désormais que le Conseil constitutionnel n'examine plus seulement le contenu des dispositions législatives par rapport au contenu des dispositions constitutionnelles. La Haute instance « cloisonne » désormais son contrôle dans le périmètre de la loi à travers l'examen de la relation qui unit le moyen – une disposition particulière de la loi – à l'objectif poursuivi. Pour autant, cet examen correspond moins à un nouveau contrôle qu'à une nouvelle manière de contrôler l'œuvre du Parlement. Une mutation du contrôle de proportionnalité est perceptible à un double niveau.

En premier lieu, sous l'effet de cette nouvelle technique de contrôle, le contrôle de constitutionnalité s'est médiatisé à droit constitutionnel constant. Cette médiatisation du contrôle depuis les exigences constitutionnelles de contrôle jusqu'aux dispositions législatives contrôlées s'est opérée par l'intermédiaire de l'objectif poursuivi par le législateur. Parce qu'il occupe une place intermédiaire entre la Constitution qu'il concrétise et la loi qu'il oriente, l'objectif législatif est devenu le centre de gravité du contrôle de constitutionnalité. C'est à partir de lui que se cristallisent désormais tous les enjeux de constitutionnalité. Toutefois, compte tenu de l'absence d'obligation pesant sur le législateur de définir ses objectifs et de la retenue qu'il observe le plus souvent dans leur formulation, la réalisation du contrôle de proportionnalité est compromise. D'une certaine manière, le sort de cette technique de contrôle devient dépendant du choix fait par le législateur de formuler ou non ses objectifs dans le corps de la loi objet du contrôle. Le Conseil constitutionnel tente de surmonter cet obstacle en cherchant à identifier les orientations du législateur dans les travaux préparatoires, même si ses méthodes d'analyse s'exposent à la critique.

En second lieu, le contrôle de constitutionnalité s'est dédoublé autour des contrôles d'appropriation – un néologisme renvoyant à la forme positive du contrôle de l'inapproprié – et de disproportion qui obéissent à des logiques différentes. Le Conseil constitutionnel sanctionne, à travers la relation entre le moyen et l'objectif, l'absence de lien logique – c'est le contrôle d'appropriation – et l'absence de lien juridique – c'est le contrôle de disproportion. Le premier contrôle s'attache à la faculté décisionnelle. Le Conseil s'assure que le moyen choisi poursuit effectivement, sans nécessairement l'atteindre, l'objectif fixé. Le second contrôle s'attache au pouvoir décisionnel. Cette fois, le Conseil joue le rôle de gardien du cadre décisionnel à l'extérieur duquel les dispositions législatives votées sont sanctionnées. Cette dissociation du contrôle sous deux formes, qui se complètent en se succédant, gagnerait à ressortir avec acuité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, restée opaque. La Haute instance ne réalise pas toujours les types de contrôles qu'elle annonce – notamment le test de nécessité – et n'annonce pas toujours les contrôles qu'elle réalise. L'évolution de la motivation des décisions a été plus lente que l'évolution du raisonnement en lui-même. Comme l'y invite l'exemple de certaines Cours constitutionnelles étrangères, un effort de clarification s'impose.

En définitive, cette double mutation du contrôle de proportionnalité montre tout à la fois l'intention louable du Conseil constitutionnel de remplir plus fidèlement son rôle de gardien des droits et libertés que le constituant lui a imparti, mais aussi toutes les difficultés nouvelles qu'il s'efforce de surmonter. Pour autant, ces changements ne viennent pas reconnaître de nouvelles propriétés au droit mais appuyer l'idée qu'il n'est pas le produit d'une mécanique dont le résultat est connu à l'avance. La rigueur du juge n'est pas la régularité de l'automate. Le contrôle de proportionnalité n'a ni la bonne intention de redresser la règle ni la mauvaise intention de la rendre plus retors, mais de parier – la proportionnalité est aussi un calcul – sur l'existence, a minima, d'une rationalité commune aux acteurs du droit.

Paris : LGDJ, 2015.- (Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, 146)