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Textes à l'appui - Sélection de décisions de la Cour suprême d'Irlande

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 17 (Dossier : Irlande) - mars 2005

I. Décision du 30 juillet 1971

Byrne c. Irlande

Le principe d'immunité de juridiction de l'État est-il conforme aux dispositions de la Constitution irlandaise ?

Dans la common law britannique, qui a prévalu en Irlande pendant de nombreux siècles, il était admis que la Couronne, en tant que personnification de l'État, ne pouvait faire l'objet de poursuites. Selon ce principe, « le roi ne peut mal faire ». La question dans cette affaire était de savoir si cette immunité de juridiction continuait à faire partie intégrante du droit de l'État souverain d'Irlande.

Comme c'est souvent le cas dans beaucoup de pays s'agissant des décisions de justice les plus fécondes, la question de droit au coeur des débats se posait dans une affaire où les faits étaient relativement banals. Une femme s'était blessée en tombant dans un sentier sur le domaine public. Selon ses dires, des manquements à leurs obligations de la part de fonctionnaires ou d'agents de l'État étaient à l'origine du préjudice corporel qu'elle avait subi. Une action en dommages et intérêts fut introduite contre « l'Irlande » et l'Attorney General. La High Court jugea qu'une action ne pouvait être dirigée à l'encontre de « l'Irlande » dès lors que l'État bénéficiait d'une immunité de juridiction et que les décisions dont la demanderesse se prévalait ne faisaient pas autre chose qu'établir que « l'Irlande » était une personne morale ayant la capacité de posséder des biens et de réaliser des opérations sur ceux-ci. De quoi il ne résultait nullement que l'État pouvait être poursuivi en responsabilité quasi délictuelle sur le plan civil, étant donné que pour ce faire, aucun fondement particulier ne pouvait être trouvé dans le texte de la Constitution. L'idée même que l'État pût faire l'objet d'une décision émanant de ses propres juridictions apparaissait en contradiction flagrante avec sa souveraineté.

La Cour suprême parvint en appel, avec une majorité de quatre contre cinq, à une solution diamétralement opposée. Elle accorda la plus grande importance à l'objet de l'article 5 de la Constitution de l'Irlande, lequel dote l'Irlande du statut d'État souverain. À travers une approche historique de l'interprétation de la Constitution, il apparaissait clairement que l'article 5 signifiait seulement que l'État ne répondait de sa conduite devant aucune autorité extérieure, et non qu'il bénéficiait d'une immunité de juridiction. Il était faux de tirer de la souveraineté de l'État la conclusion que celui-ci était insusceptible de poursuites. Le principe britannique d'immunité de la Couronne reposait sur le fait que la souveraineté résidait dans une seule et même personne à qui cette immunité était attachée, ce qui n'était pas le cas en Irlande.

La Cour s'appuya sur le constat que, dans le système juridique de nombre d'États souverains, la responsabilité de l'État pouvait être engagée du fait de ses agents. Une attention toute particulière fut accordée à la décision Blanco du 8 février 1873, où le Conseil d'État refusa de suivre le principe issu de l'Ancien Régime selon lequel le roi ne peut mal faire pour décider que l'État français pouvait être tenu responsable des actes de ses fonctionnaires et agents. Le droit de pays comme la République fédérale d'Allemagne, l'Australie, l'Inde, la Nouvelle-Zélande et l'Afrique du Sud militait également en faveur de cette proposition.

La Cour fit également référence au texte promulguant la Constitution, qui indiquait avec force que : « ... La Constitution et la forme qu'elle revêt sont la création du Peuple... c'est le peuple qui est investi de l'autorité suprême, et non l'État. » Elle estima que cette affirmation était incompatible avec la proposition selon laquelle l'État était souverain sur le plan interne. En réalité, c'était « la teneur de la Constitution dans son ensemble » qui conduisait à la conclusion que « il n'existe dans le pays aucune autorité, aucune institution ni aucune personne qui soit dispensée de l'application de la loi, à moins de bénéficier d'une immunité résultant expressément de la Constitution ou accordée par elle ».

Dans ces conditions, la prérogative traditionnelle de l'immunité de juridiction de la Couronne apparaissait incompatible avec la nature de la souveraineté de l'Irlande et n'avait dès lors pu être importée dans le droit de l'Irlande par les articles 49 et 50 de la Constitution de 1937, aux termes desquels seuls pouvaient continuer à faire partie intégrante du droit de l'État les aspects de la common law compatibles avec la nouvelle constitution. De surcroît, cette immunité ne pouvait avoir survécu car elle n'avait pas fait partie intégrante de notre droit dans la période ayant immédiatement précédé l'entrée en vigueur de la Constitution de 1937, la Constitution de l'État libre d'Irlande de 1922 n'ayant pas introduit en droit irlandais la prérogative de la Couronne.

De sorte que la Cour suprême déclara le principe d'immunité de juridiction de l'État contraire à la Constitution de 1937, en particulier au regard des dispositions de l'article 6 et des articles 49 et 50 de celle-ci.

Suite à cette décision, il est aujourd'hui courant de voir des particuliers poursuivre l'État, « l'Irlande », sur le plan civil à raison de fautes commises par des agents ou des organismes publics, ou pour violation de leurs droits constitutionnels.

II. Décision du 22 juillet 1976

État (Healy) c. Donoghue

Un procès pénal s'est-il déroulé « dans le respect de la loi » ?

L'article 38 de la Constitution de l'Irlande dispose qu'une personne accusée d'avoir commis une infraction pénale est en droit de bénéficier d'un procès « dans le respect de la loi ». Dans l'affaire ici considérée, la Cour suprême se pencha sur la portée de cette expression « dans le respect de la loi », dont elle donna une interprétation large au point de juger que la disposition en cause imposait à l'État l'obligation de faire en sorte que chaque prévenu bénéficie d'un procès équitable.

Le prévenu avait dix-huit ans et était analphabète. Il était poursuivi pour vol simple devant le tribunal de district et plaidait coupable. Il avait demandé le bénéfice de l'aide juridictionnelle et s'était vu assigner un avocat conformément à la loi de 1972 sur la justice pénale (aide juridictionnelle). Par la suite toutefois, cet avocat se retira du système de l'aide juridictionnelle et ne fut donc pas à même de représenter le prévenu au procès et de lui apporter son conseil. Le prévenu fut déclaré coupable et condamné à une peine de prison de six mois. Il se tourna ensuite vers la High Court pour obtenir d'elle un jugement infirmant sa condamnation.

Ce que fit la High Court, en déclarant que la juridiction de première instance avait outrepassé la compétence que lui conférait la loi de 1972 sur la justice pénale (aide juridictionnelle) pour avoir accepté que puisse se dérouler un procès dans lequel une personne avait obtenu l'aide juridictionnelle mais ne se trouvait pas effectivement représentée et assistée. La High Court avait toutefois refusé de considérer que les droits constitutionnels du prévenu avaient été violés ou que celui-ci disposait d'un droit constitutionnel à être représenté et assisté lors de son procès.

Saisie d'un pourvoi, la Cour suprême confirma l'annulation de la condamnation du prévenu mais, plutôt que de se fonder sur l'interprétation de la loi, elle fit reposer ses conclusions principalement sur l'article 38.1 de la Constitution.

La Cour suprême interpréta l'expression « dans le respect de la loi » utilisée à l'article 38.1 de la Constitution comme exigeant que tous les procès soient menés en conformité avec les principes fondamentaux d'équité et de justice. Les critères permettant de considérer que l'État avait rempli les obligations lui incombant sur ce plan n'étaient pas immuables et pouvaient changer avec le temps. La Cour déclara que la protection des droits garantis par l'article 38.1 de la Constitution nécessitait que fût préservé un minimum d'équilibre entre l'accusé et ses accusateurs et que la possibilité fût donnée à l'accusé de mettre sur pied une défense appropriée.

La Cour estima en outre que, pour déterminer le contenu des droits protégés par l'article 38.1, il pouvait être utile de considérer les instruments de protection internationale des droits de l'Homme, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Sur ce point la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis relative à la clause de « respect du droit » de la Constitution américaine était également tout à fait pertinente. Le principe selon lequel l'État devrait donner à toute personne accusée d'avoir commis une infraction pénale grave la possibilité d'être représentée et assistée était internationalement reconnu comme étant fondamental.

En affirmant qu' « un procès mené en stricte conformité avec la loi pouvait ne pas être un procès équitable », la Cour rejeta l'argument selon lequel l'État s'acquittait de manière satisfaisante de ses obligations envers l'accusé dès lors qu'il se conformait aux exigences légales. Ne pas donner à une personne accusée de s'être rendue coupable d'une infraction pénale la possibilité d'être représentée et assistée par un avocat « ... reviendrait à tolérer l'injustice ». En conséquence, la Cour décida que l'article 38.1 conférait à toute personne à qui une infraction pénale grave était reprochée et qui n'avait pas les moyens financiers de se faire représenter et assister en justice, un droit constitutionnel à bénéficier de l'aide juridictionnelle de la part de l'État.

Dans la présente affaire, l'accusé n'avait pas été mis à même d'être représenté et assisté par un avocat rémunéré par l'État. De ce fait la violation de son droit à bénéficier d'un procès dans le respect de la loi était caractérisée. Considérant les dispositions de l'article 38.1, la Cour admit en conséquence que la déclaration de culpabilité du prévenu par le tribunal de district violait la Constitution et devait être cassée.

III. Décision du 25 janvier 1980

Murphy c. Attorney General

De la question de la constitutionnalité des dispositions législatives ayant institué un régime fiscal discriminatoire à l'égard des couples mariés au regard des dispositions constitutionnelles relatives à l'égalité devant la loi et au statut de la famille.

Dans les domaines de l'organisation économique et fiscale, les juridictions s'en tiennent généralement aux choix du législateur, car ceux-ci impliquent des considérations de politique générale que le législateur est le mieux à même d'apprécier. À titre exceptionnel, cependant, la Cour suprême a dans la présente affaire privé d'effet, pour incompatibilité avec la Constitution, une disposition législative fiscale.

Les requérants, un couple marié, exerçaient tous deux la profession de maîtres d'école dans des écoles d'État. Leurs employeurs respectifs opéraient sur chacun de leurs salaires une retenue à la source au titre de l'impôt sur le revenu conformément à la loi de 1967 relative audit impôt. En application de l'article 192 de cette loi, le revenu de l'épouse était réputé être celui de son mari, en ce sens qu'aux fins de leur imposition, leurs revenus respectifs étaient cumulés, avec pour résultat que le revenu d'un couple marié se trouvait imposé à un taux supérieur à celui applicable aux revenus combinés de deux personnes célibataires. Les requérants soutenaient que les dispositions législatives en cause étaient frappées d'inconstitutionnalité en ce qu'elles réservaient aux couples mariés un traitement défavorable.

La High Court leur donna raison parce qu'en les obligeant à payer des impôts plus lourds que des couples de concubins, ces dispositions infligeaient aux couples mariés un traitement discriminatoire et manquaient, ce faisant, à l'obligation d'assurer, de la manière qu'exigeait l'article 41 de la Constitution, la protection de l'institution du mariage.

Saisie d'un pourvoi, la Cour suprême confirma cette décision, mais en se fondant sur des motifs quelque peu différents. Elle refusa d'admettre que les dispositions en cause étaient constitutives d'une discrimination inéquitable au regard de l'article 40.1 de la Constitution, considérant que le législateur avait toute latitude pour décider que couples mariés et célibataires remplissaient des fonctions sociales suffisamment différentes pour qu'ils pussent être traités différemment sur le plan fiscal. De plus, la Cour estima que c'était à tort que le juge de la High Court avait déclaré que le droit irlandais comportait un soi-disant principe d'imposition séparé des personnes physiques.

La Cour prit en compte un certain nombre de décisions de juridictions étrangères pour apprécier si les dispositions législatives en question violaient ou non l'article 40.1 de la Constitution en réservant un traitement discriminatoire aux couples mariés. Référence fut en particulier faite à des décisions des Cours constitutionnelles de République fédérale d'Allemagne, de Chypre et d'Italie ayant déclaré inconstitutionnelles des dispositions législatives similaires. La pertinence desdites décisions ne fut toutefois pas retenue aux fins de l'interprétation de l'article 40.1 dans la mesure où les lois qui y étaient en cause n'y avaient pas été écartées sur le fondement de la discrimination.

La Cour se plaça ensuite sur le terrain de l'article 41 de la Constitution, et en particulier de l'article 41.3.1, qui dispose :

« L'État s'engage à assurer avec un soin tout particulier la sauvegarde de l'institution du mariage, fondement de la famille et à la protéger contre toute attaque. »

La Cour admit que dans ses lois, l'État accordait certes aux personnes mariées de nombreux avantages et privilèges d'ordre financier, social ou autre, mais elle refusa d'accéder à l'argument selon lequel, pour déterminer si l'État avait manqué à son obligation de protection de l'institution du mariage, ceux-ci pouvaient être mis en balance avec un cas de traitement défavorable.

Prenant en considération la gravité potentielle des conséquences financières de la distinction établie par les dispositions contestées et se référant à « ... la nature et l'importance potentiellement progressive de la charge créée par l'article 192 de la loi de 1967 », la Cour arriva à la conclusion que les dispositions en cause réservaient aux couples mariés un traitement tellement défavorable qu'elles violaient l'article 41 de la Constitution.

Donc, compte tenu de l'article 41, la Cour décida que les dispositions de la loi de 1967 sur l'impôt sur le revenu prévoyant le cumul des salaires des couples mariés étaient contraires à la Constitution. En conséquence, lesdites dispositions étaient nulles et insusceptibles d'application, et les requérants reçurent remboursement de l'impôt qui leur avait été infligé à tort.

IV. Décision du 16 décembre 1987

Webb c. Irlande

L'État dispose-t-il d'un droit constitutionnel de propriété sur des objets de valeur anciens relevant du patrimoine national ?

La question posée à la Cour suprême dans la présente affaire était de savoir si l'État détenait un titre juridique sur les trésors (objets de valeur découverts sur le territoire de l'État et sur lesquels personne ne peut justifier de sa propriété). La difficulté provenait ici du fait que la propriété des trésors avait pendant des siècles constitué un élément de la prérogative de la Couronne britannique en Irlande et qu'il n'était pas évident que l'État souverain d'Irlande continuât à en être investi. En fin de compte la Cour trouva une solution prétorienne à cette question en se fondant sur les dispositions de la Constitution.

Les requérants, un père et son fils, avaient trouvé, en utilisant des détecteurs de métaux, des objets artisanaux anciens en argent et en bronze enfouis dans un terrain sur lequel le propriétaire leur avait donné l'autorisation d'entrer. La valeur de ces objets devait par la suite être estimée à 7 millions d'euros. Ils prirent possession du trésor et le confièrent au directeur du National Museum le lendemain, en précisant expressément qu'il était remis dans l'attente de la détermination du titulaire légal de la propriété dudit trésor. L'État donna aux requérants l'assurance qu'ils seraient « honorablement traités ». Quelque temps plus tard les requérants introduisirent une action dirigée contre l'État par laquelle ils exigeaient que le trésor leur fût restitué.

La Haute Cour leur donna satisfaction, pourvu qu'ils versent à l'État une indemnité pour le dédommager du coût de la restauration des objets qui avait été entreprise. Appliquant la décision rendue antérieurement par la Cour suprême dans l'affaire Byrne c. Irlande, la Cour jugea que la prérogative de la Couronne n'avait pas survécu en tant qu'élément du droit irlandais et que l'État ne disposait de ce fait d'aucun titre sur les trésors. En conséquence, dès lors que les requérants n'avaient fait que confier à l'État la garde du trésor, ils étaient en droit d'en obtenir la restitution.

Saisie d'un pourvoi, la Cour suprême infirma la décision de la Haute Cour et décida que l'État pouvait conserver le trésor. La première question à résoudre par la Cour était de savoir si la prérogative de l'État sur les trésors continuait à faire partie intégrante du droit irlandais car, si tel était le cas, l'État serait fondé à prétendre conserver le trésor pour lui-même, sans être tenu à rémunérer les inventeurs autrement que sur la base d'une décision purement gracieuse. Se fondant à son tour sur la décision de principe Byrne c. Irlande, la Cour jugea que la prérogative de la Couronne n'avait survécu dans aucun de ses éléments à la promulgation de la Constitution de l'État libre d'Irlande de 1922 et n'avait de ce fait pas été introduite dans le système juridique irlandais résultant de la Constitution de 1937.

La Cour suprême se livra à une analyse d'envergure de la nature et de l'étendue de la souveraineté de l'État moderne d'Irlande. Considérant l'accent mis dans le texte de la Constitution de 1937 sur le bien commun et les origines historiques de l'État, il fut jugé que l'un des éléments de la souveraineté en Irlande était que l'État devait détenir la propriété de tous les objets constituant des antiquités d'importance et dépourvus de propriétaire connu. La Cour en déduisit que les dispositions de la Constitution relatives à la souveraineté impliquaient que l'État était investi d'un droit sur les objets anciens dépourvus de propriétaire et relevant du patrimoine national, en s'exprimant dans les termes suivants :

« ... Le peuple d'Irlande dans son universalité admettrait aujourd'hui que l'un des biens nationaux les plus précieux qui appartiennent au Peuple est constitué par l'héritage de ses ancêtres et la connaissance exacte de ses origines, ainsi que les bâtiments et les objets qui sont les clés permettant d'accéder à son histoire ancienne... le fait que l'État soit investi de la propriété de tous les objets formant des antiquités d'importance et dont il est établi qu'ils n'ont pas de propriétaire connu constitue un élément nécessaire de tout État moderne... et concourt au bien commun. »

La Cour jugea ensuite que l'État avait créé chez les requérants des espoirs légitimes de rémunération en les assurant qu'ils seraient « honorablement traités ». Il eût été injuste de les priver de tout paiement relativement au trésor. La Cour ordonna ainsi à l'État de verser à ce titre aux requérants 25000 £ chacun.

V. Décision du 3 juillet 1964

Ryan c. Attorney General

[1965] IR 294

Les droits fondamentaux garantis par l'article 40.3.2 1 vont-ils jusqu'à inclure des droits non expressément spécifiés dans cette disposition ?

L'article 43.3.1 de la Constitution irlandaise dispose que l'État s'engage à respecter dans ses lois et, dans la mesure du possible, à défendre et faire valoir par ses lois les droits individuels du citoyen. L'article 43.3.2 dispose que l'État, en particulier, protégera du mieux qu'il le pourra par ses lois contre toute agression injuste et fera prévaloir la vie, la personne, la réputation et les droits de propriété de chacun des citoyens. Au lendemain de la Constitution, les juridictions ne voyaient dans ces paragraphes rien de plus qu'une déclaration de principe dépourvue de toute portée effective. Bien que des droits particuliers fussent expressément garantis par la Constitution (liberté de parole, droit de réunion, liberté syndicale, etc.), les références des juridictions aux déclarations plus générales de l'article 43.2 apparaissaient secondaires. L'extension de la portée de l'article 40.3 a débuté dans les années 1950 mais ce fut en 1964 seulement que le juge Kenny dans l'arrêt rendu par la High Court dans l'affaire Ryan c. L'Attorney General déclara ouvertement que l'article 43.3 contenait « des droits de la personne non spécifiés ». Cet aspect du jugement fut ensuite approuvé par la Cour suprême, ce qui fit de l'affaire un jalon d'une importance considérable dans l'histoire constitutionnelle de l'Irlande.

L'affaire portait sur les dispositions de la loi sur la santé (fluoration de l'eau) de 1960 qui prévoyaient la fluoration du système de distribution des eaux afin de prévenir les caries dentaires, des enfants en particulier. La requérante, Mme Ryan, était mariée, mère de cinq enfants et habitait la région de Dublin. Elle prétendit que les dispositions de cette loi étaient inconstitutionnelles en se fondant, inter alia, sur le fait que le fluor était dangereux pour la santé et que les obliger, elle et sa famille, à consommer de l'eau fluorée circulant dans le système public de distribution des eaux (auxquels elles n'avaient en pratique aucun moyen de se soustraire) constituait une violation de leurs droits individuels garantis par l'article 40.3 qui, selon ses dires, incluaient implicitement un droit à l'intégrité corporelle.

Le juge de la High Court ne suivit pas la requérante sur le terrain des qualités objectives de la fluoration de l'eau mais admit que la garantie générale des droits de la personne contenue dans l'article 40.3.1 s'étendait à des droits non expressément spécifiés audit article. Il considéra que si la garantie générale incluait des droits de la personne autres que ceux spécifiés à l'article 40, il revenait à la High Court et à la Cour suprême d'identifier les droits de la personne garantis aux citoyens par la Constitution. Il mentionna un certain nombre d'éléments indiquant que la garantie de l'article 40.3.1 ne se limitait pas aux droits spécifiés à l'article 40.3.2 :

« En premier lieu... les mots »en particulier" montrent que le paragraphe 2 est un exposé détaillé de quelque chose qui est déjà contenu dans la paragraphe 1 de la garantie générale. Mais le paragraphe 2 se rapporte à des droits liés à la vie et à la réputation mais aucun droit relatif à ces deux domaines n'est spécifié à l'article 40. Il s'ensuit, selon moi, que la garantie générale du paragraphe 1 doit être étendue à des droits non spécifiés à l'article 40. »

En second lieu, nombreux étaient les droits de la personne découlant de « la nature démocratique et chrétienne de l'État », tels que le droit au mariage ou la liberté d'aller et venir au sein de l'État qui n'étaient pas mentionnés à l'article 40.3.1 Ce qui tendait à conforter l'opinion selon laquelle la garantie générale de l'article 40.3.1 couvrait des droits de la personne non spécifiées audit article.

En posant l'existence d'un droit à l'intégrité corporelle, la Cour définit celui-ci comme signifiant que « il ne peut être procédé sous l'autorité de la loi à aucune mutilation du corps ou de l'un quelconque de ses membres que pour le bien du corps considéré dans son ensemble et qu'une loi du Parlement ne peut imposer un traitement qui est, ou est susceptible d'être, dangereux ou nocif pour la vie ou la santé des citoyens ».

La Cour suprême rejeta le pourvoi du requérant. Elle avalisa le jugement de la High Court et jugea que les « droits de la personne » ne se limitaient pas à ceux spécifiquement mentionnés à l'article 40.3.1 :

« La Cour partage l'opinion du juge Kenny selon laquelle l'énumération figurant au paragraphe 3.2 de »la vie, la personne, la réputation et les droits de propriété", comme le montre l'emploi des mots « en particulier », ni le traitement séparé de droits particuliers dans les paragraphes suivants de l'article, ne valent définition exhaustive des « droits de la personne » mentionnés au paragraphe 3.1. »

La Cour jugea en outre qu'il n'était pas nécessaire, pour les besoins du cas d'espèce, d'essayer d'énumérer les droits qui entrent à juste titre dans la catégorie des droits de la personne. Il n'en existait pas de liste exhaustive.

Pour terminer, la Cour refusa de se prononcer au sujet de la définition que la High Court avait donnée du droit à l'intégrité corporelle, en observant qu'il n'était pas nécessaire de définir « l'intégrité corporelle » ni le « droit à l'intégrité de la personne » ni de se poser la question de savoir dans quelle mesure et dans quelles circonstances l'État pourrait s'immiscer dans l'exercice de ce droit.

Ainsi donc, malgré l'échec de la requête sur le plan des faits, la Cour suprême admit dans sa décision que la portée de l'article 40.3.1 allait jusqu'à inclure des droits de la personne « non énumérés », dont le droit à l'intégrité corporelle. Suite à cette affaire, les juridictions reconnurent l'existence de droits tels que le droit au travail et à des moyens d'existence 2 ainsi que le droit au respect de la vie privée de l'individu 3 et du couple marié 4.

VI. Décision du 11 avril 2002

Maguire c. Ardagh

La Constitution irlandaise imposait-elle de mettre un terme à une enquête parlementaire ?

À la suite d'un long siège tenu par des membres des forces de police irlandaises (An Garda Siochana) un homme armé fut tué par balle le 2 avril 2000 dans une maison d'Abbeylara, dans le comté de Longford. Ceci provoqua un tollé dans la population et de nombreuses récriminations à l'égard du comportement des personnels de police, notamment de la part de membres de la famille du défunt. Le Parlement mit sur pied une commission mixte de députés et de sénateurs aux fins d'enquêter et d'établir un rapport sur l'incident. Pour faciliter son travail, le Parlement conféra à la commission le pouvoir de se faire communiquer des documents et des archives et d'obliger des personnes à comparaître devant elle et à faire l'objet d'un interrogatoire contradictoire. La commission reçut également le pouvoir de procéder à des constatations défavorables à l'encontre de particuliers et de conclure à des violations de la loi pénale.

Les requérants étaient tous membres d'An Garda Siochana. Quelques-uns d'entre eux avaient reçu l'ordre de comparaître devant la commission et d'y témoigner. Ils avaient introduit une action en contrôle juridictionnel de légalité devant la High Court dirigée contre les membres de la commission et cherchant à contester les actions par eux entreprises et prétendant que le Parlement n'avait pas le pouvoir d'instituer la commission. La High Court rendit en faveur des requérants un jugement appuyé sur de nombreux motifs, en particulier celui selon lequel le Parlement n'avait aucun pouvoir ni intrinsèque ni constitutionnel de mener une enquête impliquant des fonctions de décision du type de celles que les défendeurs s'étaient efforcés d'exercer.

La Cour suprême rejeta le pourvoi à une majorité de cinq contre deux. Les juges de la majorité firent observer que l'enquête en cause était susceptible de conduire à des constatations de fait défavorables et à des conclusions sur la culpabilité de personnes relativement à des questions d'une gravité certaine. En l'absence de toute disposition autorisant expressément dans la Constitution le Parlement à mener des enquêtes de cette nature, un tel pouvoir ne pouvait exister que s'il était explicite ou implicite. En outre, pour déterminer si une enquête de ce type avait été instituée de manière appropriée, il convenait d'accorder toute l'importance qu'il méritait au droit au respect de la réputation que les particuliers tiennent de la Constitution (art. 40.3.2).

La Cour poursuivit en décidant qu'il n'existait aucun pouvoir ni exprès ni implicite permettant au corps législatif d'initier une enquête de cette nature. Même si le pouvoir d'ouvrir une enquête qui fût indépendante du processus politique existait bien, ceci n'impliquait nullement l'existence de celui d'ouvrir une enquête analogue à l'enquête en cause, laquelle était par sa nature totalement politique.

La Cour suprême observa ensuite, de plus, qu'il n'existait aucun précédent sur la question de savoir si le Parlement irlandais disposait du pouvoir intrinsèque d'initier cette sorte d'enquête. En outre, l'analyse des expériences de l'exercice du pouvoir parlementaire aux États-Unis et au Royaume-Uni ainsi que dans d'autres pays ne permettait en rien de conclure à l'existence, au profit du Parlement dans un pays démocratique, d'une compétence qui lui fût inhérente et qui l'autorisât à initier une enquête de ce type. Ainsi la démonstration n'avait pas été apportée de l'existence d'une compétence intrinsèque de cette nature. Aussi la Cour décida dans les termes suivants que le Parlement n'était tout simplement pas investi du pouvoir d'instituer l'enquête en cause :

" ... Si l'on souhaite mener une enquête assortie de pouvoirs de décision comme celle qui est en cause dans la présente affaire, il y faut un fondement légal. Or il n'en existe aucun ni dans la Constitution ni dans la loi. "

Les juges de la majorité poursuivirent en déclarant que, dès lors que la commission n'était aucunement investie du pouvoir de mener une enquête de la nature de celle qui était en cause, elle n'avait aucune compétence pour obliger les gens à comparaître devant elle, à être soumis à un interrogatoire contradictoire et à s'exposer à la possibilité de constatations qui leur soient défavorables. Ainsi la commission n'était dotée d'aucune prérogative l'autorisant à donner des ordres obligeant quiconque à comparaître devant elle.

Sur le fondement de ce qui précède, la Cour suprême cassa en conséquence la résolution parlementaire conférant à la commission les pouvoirs susmentionnés ainsi que d'autres résolutions et ordres de la commission, mettant ainsi effectivement un terme à l'enquête.

VII. Décision du 19 décembre 1973

McGee c. Attorney General

[1974] IR 284

La reconnaissance judiciaire de l'existence d'un droit au respect de la vie privée dans le mariage

Dans une certaine mesure la décision McGee c. Attorney General se présente comme une suite de l'affaire Ryan c. Attorney General, qui a posé les fondations du concept des droits de la personne « non énumérés » dans la Constitution. La décision McGee a construit sur ce concept de droits de la personne la reconnaissance, pour la première fois, du droit au respect de la vie privée du couple marié. Nous vivons aujourd'hui encore les répercussions de cette décision qui a finalement conduit à la mise en vente libre des contraceptifs pour la première fois en Irlande.

La requérante, une femme mariée mère de quatre enfants, avait été mise en garde quant aux risques graves pour sa santé d'un nouvelle grossesse, qui aurait mis sa vie en danger. Elle décida donc d'utiliser en tant que moyen contraceptif un diaphragme combiné à une gelée spermicide. Comme la gelée contraceptive n'était ni fabriquée ni disponible en Irlande, la requérante en passa commande au Royaume-Uni. Quand le colis contenant la gelée arriva en Irlande par voie postale, il fut saisi et confisqué par les autorités douanières. L'article 42 de la loi de 1976 portant consolidation en matière douanière, modifié par l'article 17 (3) de la loi de 1935 portant modification du droit pénal proscrivait l'importation de contraceptifs dans l'État. La requérante introduisit une action demandant à la High Court de déclarer que l'article 17 de la loi de 1935 était contraire aux dispositions de la Constitution en ce que, inter alia, il portait atteinte à son droit personnel au respect de la vie privée dans le mariage.

La High Court rejeta les prétentions de la requérante et décida, inter alia, que les droits de la personne mentionnés à l'article 40.3.1 5 n'incluaient pas un droit à la vie privée de la nature de celui qui était allégué par la requérante.

La requérante triompha devant la Cour suprême en obtenant une décision rendue à une majorité de quatre contre un. Trois des quatre opinions exprimées en faveur de la requérante allaient dans le sens d'une violation de son droit personnel au respect de la vie privée dans ses relations matrimoniales avec son mari, en contradiction avec l'article 40.3.1 de la Constitution, du fait de l'interdiction de l'importation des contraceptifs destinés à son usage personnel. La Cour n'a pas spécifiquement reconnu l'existence d'un droit général au respect de la vie privée, elle a au contraire fondé sa décision sur le motif selon lequel la relation entre époux méritait d'être protégée par un droit au respect de la vie privée dans le mariage découlant de la doctrine des droits « non énumérés ». Toutefois, cette décision a depuis lors servi de fondement à la reconnaissance d'un droit constitutionnel général au respect de la vie privée, semblable à celui qui est proclamé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et reconnu dans les systèmes juridiques de la plupart des pays démocratiques.

La Cour a mis en exergue la nature fondamentale du droit au respect de la vie privée dans le mariage de la manière suivante :

« Bien que les »droits de la personne« ne fassent pas l'objet d'une définition spécifique, il ne fait guère de doute que dans nos sociétés le droit au respect de la vie privée soit universellement reconnu et accepté sous réserve éventuellement des exceptions les plus rares, et cette question des relations matrimoniales doit être rangée parmi les plus importantes de celles que l'on rencontre dans le domaine de la vie privée. »

En conséquence de quoi les dispositions de l'article 42 de la loi de 1976 portant consolidation en matière douanière, modifié par l'article 17 (3) de la loi de 1935 portant modification du droit pénal, furent considérées comme constitutives d'une violation injustifiée du droit de la requérante au respect de la vie privée dans ses relations matrimoniales et furent déclarées dépourvues de validité et inapplicables en tant qu'incompatibles avec la garantie générale figurant à l'article 40.3.1 de la Constitution.

VIII. Décision du 31 juillet 1980

King c. Attorney General

De la question de savoir si la création par la loi d'une infraction pénale ambiguë était constitutive d'une violation du droit constitutionnel à un procès « dans le respect de la loi »

L'article 38.1 de la Constitution dispose que « aucune personne ne sera jugée pour une infraction pénale que dans le respect de la loi ». Dans Goodman International c. Hamilton (n° 1) la Cour avait vu dans l'article 38.1 comme un écho de l'expression « application de la loi selon les procédures prévues » figurant au cinquième amendement à la Constitution des États-Unis d'Amérique. En conséquence, la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis revêtait sur ce sujet une pertinence toute particulière. Bien que la portée exacte de l'expression « dans le respect de la loi » n'eût pas fait l'objet d'une définition, la Cour fut d'avis, dans l'affaire Heaney c. Irlande, que ce qu'elle impliquait « allait bien au-delà de la simple assertion selon laquelle les procès devaient se dérouler en conformité avec les lois adoptées par le Parlement ». De ce fait, l'article 38.1 avait été considéré comme embrassant une large palette de droits tant de nature procédurale que portant sur des questions de fond. King c. Attorney General est la première affaire dans laquelle une loi fut privée d'effet pour avoir porté atteinte au droit à un procès dans le respect de la loi.

Les articles 4 et 7 de la loi de 1824 sur le vagabondage avait créé l'infraction de fréquentation par « toute personne suspecte ou supposée voleur » de l'un ou l'autre des endroits indiqués dans la loi avec l'intention de commettre une infraction grave. Le 13 novembre 1975, le requérant fut déclaré coupable par le tribunal de district statuant sur une plainte dirigée contre lui et fondée sur le fait que, en tant que personne suspecte, il avait été trouvé en train de traîner dans un lieu public dans l'intention de voler, en infraction avec l'article 4 de la loi de 1924 sur le vagabondage. Le requérant introduisit une action devant la High Court par laquelle il demandait à celle-ci de déclarer que certaines des dispositions de la loi de 1824 étaient incompatibles avec celles de la Constitution.

Lui donnant raison, la High Court jugea que la partie de l'article 4 de la loi de 1824 sur le vagabondage qui se rapportait à l'infraction commise par « toute personne suspecte ou supposée voleur » était incompatible avec la Constitution en ce que, inter alia, elle ne s'appliquait pas à « toute personne suspecte » ou « supposée voleur » et violait de ce fait le principe de l'égalité devant la loi proclamé à l'article 40.1.

Confirmant la décision de la High Court dans les termes les plus vigoureux, la Cour suprême condamna la loi en cause en la qualifiant d'atteinte intolérable au droit à un procès dans le respect de la loi. La Cour exprima l'opinion selon laquelle le caractère vague et inéquitable de l'infraction instituée par ce texte était absolument contraire aux droits des accusés qui s'attachent à un procès équitable dans un pays démocratique aujourd'hui. Le juge Henchy, membre de la Cour, décrivit la loi en des termes qui devaient devenir l'une des plus fameuses citations de l'histoire du droit irlandais :

« À mon avis, les éléments de l'infraction et le mode d'administration de la preuve de sa commission sont si arbitraires, si vagues, si difficiles à réfuter, si étroitement liés à la rumeur ou à la mauvaise réputation ou à la conduite passée, si ambigus de par l'absence de distinction entre l'apparence et la réalité du comportement délictueux qui la caractérise, si ouverts à la transformation d'occupations parfaitement légales en occupations illégales et délictueuses du seul fait de l'étendue et du caractère arbitraire du pouvoir discrétionnaire dont sont investis le procureur et le juge, si aveuglément orientés qu'ils marquent du sceau de la délinquance les agissements de certaines personnes dans certaines circonstances là où les mêmes agissements d'une autre personne dans les mêmes circonstances apparaîtraient vierges de toute coloration pénale, si totalement étrangère à ce concept au coeur de notre système juridique qui veut qu'un homme puisse aller et venir, en ayant le sentiment et l'assurance de ne pas risquer d'être mis au ban de ses concitoyens, stigmatisé et puni comme un criminel à moins d'avoir été convaincu, au delà de tout doute raisonnable, de s'être écarté d'une règle de conduite clairement prescrite, et plus largement si extraordinairement en contradiction avec les caractéristiques et les limites tant implicites qu'explicites du droit pénal dans le domaine de la charge et de l'administration de la preuve que la question se pose moins de déclarer inconstitutionnel le type d'infraction dont nous sommes saisis que d'identifier les dispositions particulières de la Constitution avec lesquelles une telle infraction entre en conflit. »

Pour les motifs exposés et dans les termes cités ci-dessus, la Cour suprême condamna l'article 4 de la loi sur le vagabondage pour violation des articles 38.1 et 40.1 de la Constitution.

IX. Décision du 9 avril 1987

Crotty c. Attorney General

La ratification par l'Irlande de l'Acte unique européen était-elle compatible avec la souveraineté internationale de l'État ?

Directement liée à la qualité de l'Irlande d'État membre de la CEE, la décision rendue dans l'affaire Crotty a revêtu d'une importance considérable sur le plan politique dans la mesure où le requérant parvint à retarder la ratification par l'Irlande de l'Acte unique européen et, de ce fait, l'application des amendements que ledit Acte entendait apporter au traité de Rome. La décision mettait en jeu nombre de questions fondamentales régies par la Constitution, notamment celles de la nature souveraine, indépendante et démocratique de l'État et des limites s'imposant au pouvoir exécutif dans la conduite de la politique étrangère.

En décembre de l'année 1986, le requérant, nommé Crotty, saisit la High Court d'une demande de déclaration de nullité de la ratification de l'Acte unique européen au regard des dispositions de la Constitution ainsi que d'une demande d'injonction aux fins d'empêcher cette ratification. À titre principal, il arguait que les dispositions relatives à la coopération des États membres de la Communauté européenne dans le domaine de la politique étrangère contenues dans l'Acte unique européen allaient au-delà des engagements souscrits à l'article 29.4.3 de la Constitution, qui avaient pour objet de tempérer et de limiter à certains égards la portée des dispositions constitutionnelles de manière à permettre à l'Irlande d'adhérer à la Communauté européenne. Il était dès lors soutenu que la ratification de l'Acte unique européen nécessitait une révision de la Constitution.

La High Court refusa de donner satisfaction aux demandes formulées en se fondant sur deux motifs principaux. Elle assurait qu'il n'était pas nécessaire d'empêcher la ratification de l'Acte unique européen pour « assurer la protection de la Constitution » étant donné que les parties de l'Acte unique incorporées en droit interne par la loi de 1986 portant modification et relative aux Communautés européennes, une fois cette dernière adoptée et promulguée, seraient soumises aux mêmes règles de contrôle juridictionnel de légalité que n'importe quelle autre législation. La Cour estimait par ailleurs que le requérant était dépourvu de l'intérêt pour agir (locus standi) nécessaire pour contester une législation qui n'avait pas encore fait l'objet d'une incorporation en droit interne.

Saisie d'un pourvoi, la Cour suprême se dit convaincue que l'intérêt du requérant pour agir contre la loi de 1986 était caractérisé dès lors que, vu les circonstances, l'entrée en vigueur de cette loi aurait une incidence sur chaque citoyen, quand bien même le requérant ne démontrait pas qu'il risquait d'en résulter pour lui-même un dommage spécial ou un préjudice particulier. La Cour rejeta toutefois l'argument de la violation de la Constitution par la loi de 1986 par le motif que ce qui, dans l'Acte unique européen, devait être intégré dans la législation par la loi de 1986 entrait bien dans le cadre de l'autorisation donnée par l'article 29.4.3 de la Constitution. Ce texte autorisait l'adhésion de l'État à une communauté vivante, dynamique, et les modifications proposées au vote à la majorité qualifiée au Conseil européen avaient déjà été prévues dans les traités institutifs après la période transitoire ; les objectifs de l'Acte unique européen incorporés en droit irlandais et présentés comme nouveaux n'étaient rien d'autre qu'une énumération plus précise des objectifs des traités institutifs ; et la création proposée du nouveau tribunal de première instance n'avait nullement pour effet d'intensifier de quelque manière que ce soit la primauté de la Cour de justice des Communautés européennes sur les juridictions irlandaises au-delà de ce que l'article 29.4.3 permettait déjà.

Une majorité des juges de la Cour fit néanmoins droit au pourvoi du requérant au motif que la partie de l'Acte unique européen non incorporée en droit interne (à savoir le titre III, relatif à la coopération dans le domaine de la politique étrangère) était inconstitutionnelle. Le raisonnement était le suivant. Comme l'article 29 de la Constitution confiait au gouvernement l'exercice du pouvoir exécutif de l'État dans le domaine des relations extérieures, sous réserve des dispositions de la Constitution, la conduite par le gouvernement de la politique étrangère échappait normalement aux attributions des tribunaux. Tel n'était cependant pas le cas lorsque le gouvernement se proposait d'aliéner l'un quelconque de ses pouvoirs ou de mettre des entraves à la souveraineté de l'État. Le titre III obligerait l'État à se défaire d'une partie de sa souveraineté dans le domaine des relations avec les autres États et à conduire la politique étrangère sans prendre en compte les exigences du bien commun. Ce faisant, le gouvernement outrepassait les pouvoirs que lui avait confiés la Constitution. Et les tribunaux ne pouvaient pas ne pas empêcher le gouvernement d'agir ainsi, car :

« Il n'entre pas dans la compétence du gouvernement non plus d'ailleurs que dans celle du Parlement [the Oireachtas] de s'affranchir des liens de la Constitution... Tous deux ont été créés par la Constitution et ne sont pas dotés du pouvoir d'agir en ignorant les contraintes constitutionnelles. Il revient au pouvoir judiciaire seul de trancher la question de savoir s'il y a eu manquement aux dites contraintes. »

Dans ces conditions, la Cour suprême décida que la ratification du titre III de l'Acte unique européen par le gouvernement constituerait, en l'absence d'autorisation donnée par le Peuple par voie de référendum, une violation de l'article 29 et serait de ce fait inconstitutionnelle. [Le Parlement adopta ensuite des mesures en vue de l'organisation d'un référendum, et par ce référendum l'État fut autorisé à ratifier l'Acte unique européen.]

X. Décision du 11 juillet 1991

Cox c. Irlande

De la violation par la législation anti-terroriste des dispositions constitutionnelles relatives à l'égalité et au droit de propriété

L'affaire est de celles dans lesquelles la Cour suprême s'est montrée disposée à se livrer à l'examen approfondi de la législation en vue d'y déceler des manquements à la Constitution avec une intensité bien supérieure à celle que les juridictions mettaient en oeuvre à titre habituel auparavant. Elle a également été présentée comme un exemple d'application de la méthode de contrôle de la législation connue sous le nom de doctrine de la proportionnalité. Même si le mot « proportionnalité » n'a pas été employé par la Cour suprême dans sa décision, celle-ci a pu être considérée comme le paradigme de celles dans lesquelles il a été jugé que « l'emploi de moyens disproportionnés au service d'un objet légitime a pour effet d'invalider une disposition législative ».

En février 1988, le requérant, professeur de l'enseignement secondaire depuis 1974, fut déclaré par le tribunal pénal spécial coupable d'infractions aux lois de 1925 et 1971 sur les armes à feu du fait de la détention illégale de trois fusils et de munitions. Il purgea la peine de deux ans de prison à laquelle il avait été condamné et fut libéré en août 1989. Bien qu'ayant eu recours à un professeur remplaçant, l'école dans laquelle il avait auparavant enseigné était disposée à le reprendre dans ses fonctions d'origine. Mais alors que la décision du ministre de l'Éducation était sollicitée sur ce point, un responsable du département de l'Éducation informa le conseil de l'école et le ministre que les dispositions de l'article 34 de la loi de 1939 sur les infractions contre l'État s'appliquaient au cas du requérant. L'article 34 disposait que toute personne reconnue coupable par le tribunal pénal spécial d'une infraction reconnue en application de l'article 36 de la même loi était exclue de tout emploi d'État pendant sept ans à compter de la date de sa condamnation et perdait ses droits à la retraite et au bénéfice de l'assurance liée à son salaire. [Cette législation était destinée à combattre l'activité subversive illégale de groupes paramilitaires illégaux]. L'infraction dont le requérant avait été reconnu coupable était une « infraction délibérée ». Le requérant chercha à faire casser la décision du ministre d'appliquer à son cas l'article 34 de la loi de 1939 sur les infractions contre l'État.

Soutenant que la fonction d'infliger des peines était l'apanage exclusif du pouvoir judiciaire, le requérant expliqua que l'article 34 revenait à permettre à une autorité extra-judiciaire (en l'occurrence le directeur du service des poursuites pénales) de choisir d'infliger à une personne une peine supplémentaire en la faisant comparaître devant le tribunal pénal spécial plutôt que devant une juridiction de droit commun. À la High Court, le juge Barr, tout en donnant satisfaction à l'intéressé, refusa néanmoins de le suivre sur le plan de la motivation. Pour lui, du fait des articles 49 (1) et (2) de la loi et de sa procédure de certification, le choix de la juridiction était le fait « du législateur et non du directeur ». Il admit toutefois l'argument du requérant selon lequel, de par les conséquences considérables qu'il est susceptible d'avoir sur les droits de la personne de ceux qui tombent dans son champ d'application, l'article 34 fonctionnait de façon déraisonnable et erratique et allait à l'encontre du bien commun, qui exige cohérence et équité dans l'application de la loi. Par ailleurs, les peines qu'il prévoyait étaient manifestement injustes et fantaisistes, avec pour résultat une intrusion déraisonnable et injustifiée dans les droits de la personne garantis au requérant par l'article 40.2 de la Constitution. De plus, elles étaient constitutives d'une atteinte à l'égalité devant la loi contraire à l'article 40.1 de la Constitution.

Pour rejeter le pourvoi interjeté par l'État, la Cour suprême estima que les dispositions de l'article 34 constituaient un danger potentiel pour le droit de gagner ses moyens de subsistance, l'un des droits de la personne non énumérés par la Constitution, dont est titulaire toute personne auxquelles ces dispositions sont applicables, comme pour les droits constitutionnellement protégés d'une telle personne sur ses biens. Sans doute l'État était-il en droit d'imposer par voie législative des peines et déchéances sévères et d'une grande portée pour sanctionner des infractions menaçant la paix et l'ordre publics et de faire en sorte que leurs auteurs fussent, dans toute la mesure du possible, exclus de toute participation à l'exercice des fonctions étatiques, mais la poursuite de tels objectifs ne le dispensait pas de protéger autant que possible les droits que la Constitution garantit aux citoyens.

Dans des termes qui préfigurent le développement de la doctrine de la proportionnalité, la Cour considéra ensuite qu'il lui restait à trancher la question de savoir :

« Si l'article 34, lorsqu'il est lu en relation avec les autres dispositions pertinentes de la loi de 1939, était constitutif d'un défaut de protection des droits du citoyen non justifié par les objectifs de la loi. »

Un certain nombre d'éléments conduisirent la Cour à la conclusion que, nonobstant la protection des intérêts fondamentaux de l'État qu'elles cherchaient à assurer, les dispositions de l'article 34 ne protégeaient pas autant qu'elles auraient dû le faire les droits garantis au citoyen par la Constitution à un traitement égal devant la loi et au respect de ses biens (art. 40.1 et art. 43) comme de son droit à gagner ses moyens de subsistance (art. 40.3.1) et étaient par conséquent d'une portée et d'une généralité inadmissibles. La Cour se fonda, inter alia, sur le fait que parmi les infractions instituées par l'article 36 figuraient, à côté d'infractions extrêmement graves, d'autres de moindre gravité, et que les citoyens visés par l'article 34 se trouvaient dans l'impossibilité d'échapper aux incapacités et aux déchéances automatiques qui y étaient édictées. Par ailleurs, les citoyens ne pouvaient adresser de protestations au procureur quand l'intention ou la motivation qui étaient les leurs en se rendant coupables de l'infraction considérée ou les circonstances de celle-ci n'avaient aucun rapport avec des considérations de paix ou d'ordre publics ou de sûreté de l'État.

En conséquence la Cour suprême condamna les dispositions incriminées de l'article 34 de la loi de 1939 sur les infractions contre l'État pour violation de l'article 40.1, de l'article 40.3.1 et de l'article 43 de la Constitution.

XI. Décision du 20 mai 1999

Laurentiu c. Ministre de la Justice

[1999] 4 IR 26

Du principe de non-délégation du pouvoir législatif garanti par l'article 15.2 6 de la Constitution

L'article 15.2 (1) de la Constitution dispose que le Corps législatif est investi du pouvoir entier et exclusif de faire les lois de l'État. L'article 5 (1) (e) de la loi de 1935 sur les étrangers a conféré au ministre de la Justice des pouvoirs étendus lui permettant de « prendre des dispositions en vue de l'interdiction de séjour ou de l'expulsion » des étrangers. L'article 13 (1) de l'ordonnance de 1946 sur les étrangers (un règlement ministériel) autorisait le ministre à prendre des arrêtés intimant à un étranger de quitter le territoire de l'État. La décision Laurentiu c. Ministre de la Justice présente la particularité remarquable d'être la seule à ce jour à recourir à la doctrine de la non-délégation de l'article 15.2 (1) pour invalider une disposition législative. Bien que sa validité eût été débattue par divers universitaires, l'article 5 est resté en vigueur jusqu'à sa condamnation par Laurentiu c. Ministre de la Justice.

La question fondamentale soulevée dans cette affaire était de savoir si le corps législatif pouvait, comme il l'avait fait par l'article 5 (1) (e) de la loi de 1935 sur les étrangers, conférer à un ministre du gouvernement le pouvoir général d'édicter des mesures de législation déléguée par la voie d'un règlement précisant les circonstances dans lesquelles le ministre pouvait expulser des étrangers ou si une aussi large délégation du pouvoir législatif n'était pas admissible et violait l'article 15.2.1 de la Constitution.

Le requérant, ressortissant roumain, s'était vu refuser le statut de réfugié par le ministre de la Justice et avait fait introduit sans succès un recours auprès d'un tribunal d'appel. Il avait ensuite demandé l'autorisation de séjourner sur le territoire de l'État en se fondant sur différents moyens, mais ceci lui avait été également refusé et un arrêté d'expulsion avait été pris à son encontre. L'autorisation de déférer l'arrêté d'expulsion au contrôle juridictionnel de légalité lui fut accordée. Il soutint inter alia que l'article 13 de l'ordonnance de 1946 sur les étrangers, édictée sur le fondement des pouvoirs conférés par l'article 5 de la loi de 1935 sur les étrangers était une forme de législation qui n'avait pas été édictée par le corps législatif et qu'en conséquence elle excédait le champ des compétences permettant une délégation légitime et violait l'article 15.2 de la Constitution. Il ajouta que l'article 5 conférait au ministre des pouvoirs excessifs dans le domaine législatif sans par ailleurs aucunement préciser les principes encadrant l'exercice par le ministre de ces compétences.

À une majorité de trois voix sur cinq, la Cour suprême confirma l'arrêt rendu par la High Court dans cette affaire et déclara l'article 5 de la loi de 1935 sur les étrangers inconstitutionnel.

Elle jugea que l'Oireachtas 7 était la seule institution investie du pouvoir de légiférer et qu'il lui appartenait de déterminer les principes et les politiques en matière législative. Seules les questions de nature administrative, réglementaire et technique pouvaient faire l'objet d'une délégation.

Pour déterminer si elle était en présence d'une délégation interdite de la compétence parlementaire, la Cour eut à trancher la question de savoir si ce qui lui était déféré allait au-delà de la simple mise en oeuvre des principes et politiques de la loi elle-même. La Cour suprême confirma le raisonnement suivi par la High Court et selon lequel l'article 5 (1) (e) avait pour effet que le législateur irlandais « ne légiférait pas dans le domaine de l'expulsion, il ne faisait qu'autoriser le ministre de la Justice à légiférer dans le domaine de l'expulsion ». L'un des juges exprima l'opinion que :

« Le législateur s'est dessaisi de l'exécutif de sa compétence à l'égard des étrangers pour la déléguer de manière inadéquate au ministre. Il a abdiqué son pouvoir. »

La Cour suprême décida donc que l'article 5 comportait une délégation interdite de la compétence parlementaire, contraire à l'article 15.2 de la Constitution. L'article 5 (1)(e) de la loi de 1935 fut en conséquence déclaré contraire à la Constitution et l'arrêté ministériel déclaré nul.

XII. Décision du 8 novembre 2001

The North Western Health Board c. H.W. et C.W.

[2001] 3 IR 622

L'État est-il autorisé à obliger les parents à accepter des mesures de protection de la santé de leurs enfants ?

Cette affaire soulevait des questions délicates se rapportant à la relation juridique entre parents et enfants en Irlande, à la capacité de l'État à agir au mieux des intérêts de l'enfant et à la résolution de conflits potentiels entre les obligations des parents et celles de l'État envers les enfants et leur santé. Pour apporter une réponse à cette question, la Cour suprême eut à considérer quelques-unes des dispositions constitutionnelles les plus novatrices : l'article 40.3, qui contient une garantie générale des droits de la personne ainsi qu'un engagement particulier de protection de la vie, de la personne, de la réputation et du droit au respect des biens de chaque citoyen, l'article 41.1, qui protège la famille consacrée en tant qu'unité primordiale dans la société, l'article 42.1, qui reconnaît aux parents le droit inaliénable en même temps que l'obligation d'assurer l'éducation religieuse et morale, intellectuelle, physique et sociale de leurs enfants et l'article 42.5, qui autorise l'État à intervenir dans les cas exceptionnels où les parents manquent à leurs obligations envers leurs enfants. Les circonstances de fait de la présente affaire ont conduit la Cour suprême à rechercher avec attention un équilibre entre les droits et les devoirs inscrits dans ces articles.

Un Office régional de santé avait demandé à obtenir une injonction lui permettant de procéder sur l'enfant des défendeurs à un test PKU, un test sanguin de dépistage de certains troubles graves du métabolisme. Bien que le test comportât des risques minimes de dommages pour la santé et que les autorités médicales fussent d'avis qu'il était dans le meilleur intérêt de l'enfant d'y procéder, les parents avaient refusé de donner leur consentement au motif qu'il entraînait une piqûre au talon « attentatoire à la personne ».

Les tribunaux eurent donc à se pencher sur la question de savoir si la défense des droits constitutionnels de l'enfant justifiait qu'il fût passé outre à l'opinion apparemment irrationnelle de parents par ailleurs attentionnés et consciencieux.

À une majorité de cinq voix contre une la Cour suprême approuva la décision par laquelle la High Court avait refusé de faire droit à la demande de l'Office de santé. Elle confirma que les parents étaient investis de la responsabilité première dans le domaine de la santé et du bien-être de leurs enfants et que l'intervention de l'État n'était admissible que dans des circonstances exceptionnelles.

Il fut déclaré :

« La protection des libertés est l'un des objets inhérents à la Constitution. En disposant que »l'État s'engage en conséquence à protéger la Famille dans sa constitution et son autorité...", l'article 41.2 garantit à la famille la liberté de fonctionner en tant qu'institution morale autonome au sein de la société et, dans le cadre de la présente affaire, s'oppose à ce que son autorité soit compromise d'une manière telle que la liberté ainsi garantie s'en trouverait arbitrairement ébranlée... »

« Si l'Oireachtas [le Parlement] peut, dans l'exercice des fonctions dont l'a investi la Constitution, réglementer ou limiter dans certaines circonstances les droits proclamés par la Constitution sur le fondement de considérations politiques concrètes dans le but d'en assurer la conciliation avec le bien commun, tel n'est évidemment pas le cas en l'espèce et telle n'est pas la question qui se pose. Au cas présent la question est de savoir si, de par un manquement à leurs obligations, le comportement des parents a fait naître le type de circonstances exceptionnelles qui justifierait que l'État passât outre à la décision qu'ils ont prise pour leur enfant... »

« Au cas présent les parents ont refusé de donner leur autorisation à l'application à leur enfant d'un test de dépistage médical. Ce test, ni l'Oireachtas ni l'exécutif n'ont jugé bon de le rendre obligatoire dans l'intérêt du bien de tous. Les parents ont forgé leur propre jugement... »

Sans que la Cour précise l'ensemble des circonstances dans lesquelles une ingérence de l'État serait justifiable, l'on peut lire :

« ... l'on doit être en présence d'une menace immédiate et fondamentale de nature à empêcher l'enfant de pouvoir continuer à mener la vie d'une personne humaine sur les plans physique, moral ou social, et résultant d'un manquement d'une gravité exceptionnelle à leur devoir de la part des parents... »

L'on estima que ce n'était pas ici le cas parce qu'il n'existait pas de risque réel ou significatif pour l'enfant d'être atteint par l'une des maladies que le test avait pour objet de dépister et qu'il n'était pas allégué que les parents étaient autres qu'attentionnés et responsables. La Cour refusa ainsi d'accorder à l'Office de santé l'injonction qu'elle demandait et conclut qu'un désaccord de conscience opposant des parents aux autorités de santé n'était constitutif ni d'un manquement aux obligations parentales ni d'une circonstance exceptionnelle justifiant l'intervention de l'État.

XIII. Décision du 27 juillet 1992

McKinley c. Ministre de la Défense

[1992] 2 IR 333

L'application des principes constitutionnels impliquait-elle d'étendre à l'épouse le droit accordé par la common law au mari de demander réparation de la perte des relations conjugales

L'affaire est remarquable en ce que, pour la première fois, un privilège issu de la common law mais portant atteinte aux principes constitutionnels a été étendu, plutôt que supprimé, par la Cour suprême qui, ce faisant, confirmait une décision de la High Court.

L'action de common law pour perte des relations conjugales, que la Cour avait décrites comme « la vie en commun, les services réciproquement rendus, les rapports sexuels et les relations affectueuses entre époux », n'était accessible qu'aux maris selon la common law et l'article 35 de la loi de 1961 sur la responsabilité civile, ce qui, selon Mme McKinley, était contraire à la garantie d'égalité de l'article 40.1 de la Constitution. Mme McKinley prétendait avoir subi perte et diminution des relations conjugales en conséquence du préjudice corporel subi par son mari et que l'article 40.1 lui ouvrait droit à cette action en justice de common law.

Les défendeurs admirent que ce droit de common law était inconstitutionnel parce que discriminatoire à l'égard des femmes mariées mais soutinrent que pour cette raison il n'avait pas survécu à la promulgation de la Constitution et que les maris eux-mêmes ne pouvaient plus l'exercer.

La Cour se divisa sur cette question de savoir si le privilège de common law en cause devait être étendu ou s'il devait simplement être réputé inconstitutionnel, mais la majorité se prononça pour apporter un remède positif à son inconstitutionnalité en étendant son champ d'application à l'ensemble des époux. La Cour fonda sa décision non seulement sur les dispositions constitutionnelles relatives à l'égalité mais aussi sur la reconnaissance toute particulière que la Constitution accorde à l'institution du mariage et à la femme mariée tout spécialement.

Pour justifier l'extension aux épouses du bénéfice de l'action en justice à laquelle elle procédait, la Cour proposait cette pétition de principe :

« Lorsqu'une règle de common law enfreint le principe d'égalité dans le mariage, la solution consiste à déterminer en quoi consiste l'égalité et à proclamer l'égalité de manière positive plutôt que négative. Quelle que soit l'origine d'un droit de common law déterminé, quelque artificiel qu'apparaisse son fondement d'un point de vue contemporain, si, comme dans le cas présent, ce droit est aussi fermement ancré dans la common law, l'égalité entre les égaux requiert de la Cour une déclaration dans ce sens plutôt que ce que cette prétendue législation judiciaire qui consisterait à refuser au mari une telle action. »

En conséquence, il fut jugé que le champ du privilège de common law en cause s'étendait aux épouses et Mme McKinley fut reconnue fondée à ester en justice pour perte de ses relations conjugales. [Ce quasi-délit de common law fut ensuite aboli par le législateur].