Page

Sécurité juridique et qualité de la réglementation: quelques considérations pratiques

Serge LASVIGNES - Directeur au secrétariat général du gouvernement

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 11 (Dossier : Le principe de sécurité juridique) - décembre 2001

Le principe de précaution et celui de sécurité juridique ont au moins un point commun. L'un comme l'autre prennent appui sur des notions subjectives, dont on a entrepris de tirer des effets juridiques. C'est ce qui explique que l'administration, d'une part, éprouve des difficultés à se les approprier, d'autre part, se les voie fréquemment opposer de manière ambiguë. Ainsi est-il souvent difficile de savoir si ce qui lui est reproché est d'avoir enfreint une norme juridique, ou manqué de discernement dans la conduite de son action.

Principe général du droit reconnu par certaines juridictions, en particulier la Cour de justice des communautés européennes, la « sécurité juridique » peut également désigner un ensemble de préoccupations qui ont en commun le souci de prendre en compte l'impact réel de la norme sur les citoyens, la façon dont elle peut être connue, comprise et acceptée.

Le Conseil d'État a clairement dégagé ces préoccupations, lorsqu'il a consacré les considérations générales ouvrant son rapport public pour 1991(1) à ce qu'il percevait comme un risque croissant d'« insécurité juridique ». Il y mettait en garde contre la prolifération des textes, trop nombreux, trop volumineux, et sujets à des modifications trop fréquentes, ces dernières étant en outre souvent dotées d'un effet rétroactif. Il s'inquiétait également d'une « dégradation de la norme », critiquant le faible caractère normatif de certaines dispositions, ainsi que le recours à des projets de loi « portant diverses dispositions », dépourvus d'unité, déplorant que les rédacteurs n'aient pas une meilleure formation juridique, et lui-même davantage de temps pour examiner les textes.

On n'entreprendra pas de dresser un bilan permettant d'apprécier, dix ans après, dans quelle mesure les avertissements de la Haute Assemblée ont été entendus. Il est en effet bien difficile de faire le tri entre ce qui relève, dans ce diagnostic, de pratiques administratives susceptibles d'être amendées, et ce qui est imputable à des évolutions de société ou à des choix politiques.

C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles les instances européennes, lorsqu'elle se sont intéressées à la question, ont préféré retenir un objectif de « qualité de la réglementation » (2). L'accent est alors mis sur la nécessité que les États disposent de capacités d'expertise et de procédures assurant que la norme sera claire, cohérente, concertée dans son élaboration et facile d'accès lorsqu'elle sera en vigueur. La démarche européenne apparaît ainsi en pleine harmonie avec la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, qui fait de l'accessibilité et de l'intelligibilité de la loi un objectif de valeur constitutionnelle (3).

Un groupe de travail, présidé par M. Dieudonné Mandelkern, a été chargé, lors du dernier comité interministériel pour la réforme de l'État, de faire des propositions en ce sens au Gouvernement français. Dans l'attente du résultat de ces travaux, on se bornera à donner le modeste point de vue d'un praticien sur la question de la qualité des textes et à dresser un rapide bilan des mesures prises pour améliorer leur accessibilité.

Travailler la qualité de la réglementation

En sus du rôle traditionnellement joué par le Conseil d'État, et, dans une plus modeste mesure, par le secrétariat général du Gouvernement, on peut espérer que se développe un contrôle « à la source », grâce au renforcement de la fonction juridique dans les ministères.

La pratique traditionnelle et ses limites

Dans la tradition administrative française, c'est la consultation du Conseil d'État qui constitue, au premier chef, une garantie de qualité. On sait, en effet, que les formations administratives du Conseil d'État ne se bornent pas à vérifier la rectitude juridique des projets qui leur sont soumis. Ainsi que le soulignent avec une parfaite clarté les auteurs de l'ouvrage consacré aux « Grands avis du Conseil d'État »(4), ce dernier, au-delà de la correction formelle des textes, s'attache à lever les ambiguïtés qui peuvent les affecter. Il se livre, en outre, à un exercice délicat, parfois mal compris de l'administration, mais en parfaite harmonie avec les actuelles préoccupations communautaires : il s'agit de faire la part entre l'opportunité politique, qu'il n'appartient pas au Conseil d'État de discuter, et cette opportunité qui peut être « entendue d'un point de vue administratif », parce qu'elle consiste à apprécier l'intérêt effectif de la nouvelle réglementation, à dresser un bilan de ses avantages et de ses inconvénients, à vérifier sa cohérence avec le reste de l'action du Gouvernement et à s'assurer des capacités de l'administration à la mettre en oeuvre.

Soulignons que, dans la pratique, il est rare que le Gouvernement s'écarte de la rédaction préparée par la Haute Assemblée, lorsque sont en cause des décrets pris « en Conseil d'État ». Au demeurant, le ministère qui le souhaite n'y sera autorisé qu'au prix d'une procédure contraignante, comportant l'envoi au Premier ministre d'une « note de désaccord » motivée, puis la tenue d'une réunion interministérielle co-présidée par le cabinet du Premier ministre et le secrétariat général du Gouvernement. Ainsi, la quasi-totalité des textes dont le législateur a estimé que leur importance ou leur difficulté nécessitaient qu'ils soient pris « le Conseil d'État entendu » sont, effectivement, des textes écrits par le Conseil d'État.

Le SGG s'efforce, pour sa part, de tirer parti de sa fonction d'« aiguillage », qui le conduit à connaître des textes à divers stades de leur préparation, pour jouer un rôle de conseil inspiré des méthodes du Conseil d'État. Il connaît de l'ensemble des décrets soumis à la signature du Premier ministre, prépare lui-même la saisine du Conseil d'État lorsqu'il s'agit de projets de texte délibérés en Conseil des ministres ou de décrets, pris sur le fondement de l'article 37 de la Constitution, qui modifient des textes de forme législative. Il est, enfin, la porte d'entrée unique pour une publication au Journal officiel, ce qui lui permet d'avoir une vue particulièrement large de l'ensemble de la production réglementaire.

Ces occasions sont mises à profit pour apporter les corrections ou les éclaircissements que paraissent appeler les projets, une telle intervention pouvant d'ailleurs susciter quelque surprise de la part de services qui connaissent mal la palette des missions du SGG.

Il n'en reste pas moins vrai qu'un grand nombre de textes réglementaires (vraisemblablement la majorité) ne sont ni soumis à l'examen du Conseil d'État, ni vérifiés par le SGG.

C'est le cas des arrêtés et circulaires ministériels, sur lesquels le SGG n'exerce qu'un contrôle ponctuel, alors qu'en dépit de la modestie de leur rang dans la hiérarchie des normes, ils sont susceptibles d'avoir des conséquences importantes. Échappent de même à ces procédures traditionnelles les actes pris par les autorités administratives indépendantes, le SGG ne pouvant, au mieux, qu'attirer avec tact l'attention de l'autorité sur les difficultés que peut soulever l'un de ces textes, lorsqu'il le reçoit en vue d'une publication au Journal officiel. Nombre de textes, enfin, sont hors de sa vue, parce qu'ils n'empruntent pas la porte d'entrée au Journal officiel, soit qu'ils paraissent dans un bulletin, soit qu'ils émanent d'autorités déconcentrés. Or, il va de soi que la place de ces actes devrait normalement croître, du fait des progrès de la politique de déconcentration, ainsi que du fréquent recours à la formule des autorités indépendantes, même si, on le sait, la jurisprudence du Conseil constitutionnel limite étroitement la possibilité d'habiliter ces dernières à exercer le pouvoir réglementaire.

Par ailleurs, l'efficacité de l'intervention du secrétariat général du Gouvernement, et même, dans une certaine mesure, celle du Conseil d'État, trouvent leurs limites en raison du moment auquel elles s'exercent.

Il est, en effet, difficile de toucher efficacement à l'économie d'un texte qui, même si, juridiquement, il conserve le caractère d'un projet jusqu'à sa signature par le Premier ministre, ou le Président de la République dans le cas des textes délibérés en Conseil des ministres, a déjà « une longue vie », administrative et politique, derrière lui. Il a donné lieu à des discussions entre le ministère rapporteur et ses divers interlocuteurs, au sein ou à l'extérieur de l'administration. Il a souvent été soumis à l'un ou plusieurs de ces organismes consultatifs qui sont un trait caractéristique du paysage administratif moderne. Enfin, du fait de la diachronie fréquente entre le temps de la communication et celui de la procédure, il est souvent regardé comme acquis par les médias et les milieux intéressés, avant même d'avoir été revêtu de la signature de l'autorité compétente.

Le secrétariat général du Gouvernement, qui intervient généralement alors que le texte est déjà revêtu des contreseings ministériels requis, subit particulièrement cette force d'inertie. Le Conseil d'État, lui-même, n'y échappe pas totalement. Les simples amendements rédactionnels, utiles pour faciliter la lecture du texte et prévenir des débats sur son interprétation, se heurtent souvent à de fortes résistances. Dans les matières, en particulier, où l'élaboration de la norme donne lieu à une concertation étroite et minutieuse entre l'administration et ses partenaires, on voit se constituer une sorte de langage codifié, voire de nominalisme, qui fait que le remplacement de tel ou tel terme peut être perçu comme la remise en cause d'un accord. Enfin, cette intervention en fin de parcours se heurte fréquemment aux impératifs de l'urgence, qu'il s'agisse d'une véritable situation d'urgence, ou que la publication du texte soit devenue urgente simplement parce que le temps de préparation a été largement consommé en amont de la saisine du SGG.

Pour l'ensemble de ces raisons, l'apparition progressive, dans les ministères, de structures spécialement dédiées à la fonction juridique représente une innovation particulièrement intéressante.

De nouveaux intervenants : les directions juridiques des ministères

Jusqu'à une époque récente, la fonction juridique n'était pas prise en compte en tant que telle dans les structures des administrations centrales. S'il existait des directions dont la capacité d'expertise juridique était particulièrement reconnue, c'était parce qu'elles étaient responsables de l'élaboration des textes dans telle ou telle branche du droit, ou encore dotées d'une fonction spécialisée, en matière de droit international, notamment. Pour le reste, les « affaires juridiques » étaient généralement perçues sous l'angle contentieux, et prises en charge par les directions d'administration générale.

Ce n'est que dans les dernières années que l'on a vu apparaître des directions et services dont la spécificité est de ne pas produire de normes, mais d'exercer une fonction de conseil et d'assistance au profit de l'ensemble des autres structures du ministère. On n'entreprendra pas ici l'analyse des raisons qui sont à l'origine de cette évolution. On peut rapidement mentionner la complexité accrue du droit, due, en particulier, au développement de la norme internationale, ainsi qu'une sensibilité croissante au risque contentieux, elle-même liée à l'action conjuguée de plusieurs facteurs : développement du contrôle de constitutionnalité ; tendance des citoyens à se tourner plus volontiers vers le prétoire ; raccourcissement des délais de jugements et, plus récemment, institution d'une véritable procédure de référé devant le juge administratif ; multiplication des actions devant le juge pénal...

Ainsi des directions ou services juridiques sont-ils apparus au ministère de la défense, au ministère de l'éducation nationale (département dont on sait qu'il est un grand producteur d'arrêtés et de circulaires intéressant des personnels et usagers nombreux), puis au ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie et au ministère de l'Agriculture et de la Pêche.

Il est clair que la contribution à la qualité des textes de ces directions, encore bien « jeunes » à l'aune de la vie des institutions administratives, dépendra des méthodes de travail qu'elles parviendront à établir de concert avec les directions « techniques ». Un contrôle de qualité effectué alors que le texte est déjà élaboré et prêt à sortir du ministère risque de trouver des limites similaires à celles déjà analysées. Leur rôle peut être, en revanche, irremplaçable, si elles sont effectivement associées à l'élaboration des textes, cette association pouvant au demeurant revêtir des formes diverses, allant du simple conseil lorsque le service en charge de la réglementation se heurte à une difficulté, à une véritable « coproduction », pour les textes dont la mise au point s'annonce particulièrement délicate.

Il reste que ce rôle ne se développera pas pleinement sans que l'objectif de qualité de la réglementation ne figure explicitement parmi les missions de ces directions. Force est en effet de reconnaître que, si c'est bien un souci de « sécurité juridique » qui a inspiré leur création, celle-ci a surtout été perçue comme la sécurité de l'administration elle-même, confrontée à des risques contentieux croissants. Il n'est donc pas étonnant qu'en l'état, les directions juridiques fassent primer la fonction d'expertise sur celle de l'assistance à la rédaction des textes, privilégiant le « contrôle de légalité » par rapport au « contrôle de qualité ».

Plus généralement, on doit constater que l'administration française (mais c'est sans doute vrai de beaucoup d'autres) est encore mal préparée à une culture de la « qualité réglementaire » faisant du souci de « lisibilité » des textes un objectif en soi. À la différence d'autres pays, par exemple les États-Unis ou le Canada (5), la « légistique » n'est pas, en France, une discipline reconnue et enseignée en tant que telle. Le savoir-faire normatif y est pragmatique. Élaboré par le Conseil d'État et quelques grandes directions de législation, il se diffuse « par capillarité », au gré des mobilités ou grâce à la tradition des bureaux. Une circulaire (6) du Premier ministre, préparée par les soins du SGG et régulièrement actualisée, fixe certes un ensemble de prescriptions. Elle ne saurait toutefois, à elle seule, fonder une pédagogie de la qualité normative. En outre, comme c'est d'ailleurs le cas de la pratique du Conseil d'État, qui l'a inspirée, elle procède d'une approche globale de la qualité des textes, prenant en compte aussi bien un souci de clarté et d'intelligibilité, que des considérations d'unité stylistique ou d'élégance de la langue.

Ce pragmatisme a une double conséquence. Alors que l'administration française se caractérise par un grand éparpillement des lieux de production des normes, il n'existe pas une véritable culture de la rédaction des textes, qui serait largement partagée et que les multiples bureaux dotés de compétences en la matière s'approprieraient. Par ailleurs, même si l'on peut douter que la culture nationale se prête au développement d'une véritable légistique, il faut bien admettre que l'écriture normative ne se résout pas à un ensemble de bonnes pratiques, que tout administrateur cultivé posséderait naturellement. Elle peut également supposer de faire des choix. On mentionnera, à cet égard, le débat récurrent sur l'opportunité d'insérer dans les textes un ensemble de définitions préalables des notions utilisées : technique, largement inspirée du droit communautaire, à laquelle les ministères recourent désormais volontiers, afin de prévenir les débats contentieux sur l'interprétation du texte, alors que le Conseil d'État la condamne avec constance, en faisant valoir que la norme, ainsi rigidifiée, doit être modifiée plus souvent, et devient donc plus volatile...

Donner accès à la norme

Intervenant devant la Commission supérieure de codification, au mois de novembre 1989, le Premier ministre alors en fonction s'exprimait en ces termes :

« Je n'entends pas... nourrir l'illusion d'un droit miraculeusement simple, rédigé dans un vocabulaire limité à cinq cents mots, et accessible à quiconque a fait l'apprentissage de la lecture. - Je sais bien, sans être juriste moi-même, que la complexité des situations suppose une certaine complexité des normes qui les prévoient et les encadrent. Je sais également qu'un vocabulaire imprécis est source de plus de difficultés qu'un vocabulaire qui paie parfois la précision au prix de la limpidité. - Aussi bien n'est-ce pas sur la rédaction des normes que je mettrai l'accent mais bien plutôt sur leur cohérence et leur présentation. »

C'est sans doute sur ces deux aspects - cohérence et présentation des textes - que des progrès marquants ont pu être réalisés ces dernières années. On peut d'ailleurs penser que l'expérience française a joué dans la décision des instances communautaires de faire de la codification, puis de la consolidation et de la mise en ligne des textes des priorités.

Le « grand bond en avant » de la codification

Ils tiennent, en premier lieu, à la spectaculaire avancée qu'ont connue les travaux de codification.

L'oeuvre de codification présente un double mérite. Elle permet, d'une part, de rassembler des dispositions éparses, d'autre part, de les ordonnancer selon une présentation logique. Elle constitue, à cet égard, un palliatif à la complexité et à l'instabilité du droit. Elle est, au surplus, l'occasion de passer en revue l'ensemble des normes régissant une matière, et de repérer leurs éventuelles contradictions.

Cet ouvrage butait toutefois sur un obstacle : d'un côté, il était difficile, du fait de la charge de travail du Parlement et des priorités politiques, d'assurer l'inscription rapide à l'ordre du jour des projets de loi nécessaires à l'adoption de la partie législative des Codes ; d'un autre, ces projets pouvaient difficilement être laissés en suspens, le droit dont ils entreprenaient la codification continuant à évoluer. C'est afin de lever cet obstacle que le Gouvernement a demandé au Parlement de l'habiliter à procéder par ordonnances.

La mise en oeuvre de l'habilitation représentait une tâche difficile, puisqu'il s'agissait de faire aboutir, dans le délai maximum de douze mois accordé par le législateur, l'adoption de neuf Codes, qui étaient à des degrés divers de préparation, et dont certains étaient particulièrement volumineux. Il n'a été possible d'y parvenir que grâce à une remarquable mobilisation des administrations concernées, de la commission supérieure de codification, et du Conseil d'État, dont l'ordre du jour a été, durant cette période, très lourdement chargé.

Par ailleurs, si la codification s'est faite « à droit constant », le législateur a cependant autorisé le Gouvernement à procéder à l'abrogation des dispositions devenues contraires à la hiérarchie des normes, ainsi qu'à l'« harmonisation de l'état du droit », c'est-à-dire, selon l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel, à sa modification dans la mesure nécessaire pour remédier aux éventuelles incompatibilités entre les dispositions soumises à codification. Ainsi le droit régissant ces matières, non seulement est devenu plus facile d'accès, mais a en outre gagné en cohérence, voire en équité, la codification ayant fait apparaître des discordances injustifiables dans la sévérité des dispositions pénales réprimant certaines infractions.

Il convient maintenant que chacun de ces Codes soit doté rapidement d'une partie réglementaire, afin que la connaissance du droit applicable à la matière ne contraigne pas l'utilisateur à faire des aller et retour entre le paysage ordonné des dispositions législatives et le maquis des textes d'application. Il a donc été décidé d'en faire la priorité des travaux à venir.

La norme en ligne

On souhaiterait, en second lieu, souligner l'intérêt pratique qui s'attache à la mise en ligne des textes sur le réseau internet. Sans doute ne s'agit-il là que de mesures à caractère matériel, ce qui explique sans doute qu'elles n'aient que médiocrement retenu l'attention de la doctrine. Il semble, pour autant, qu'elles puissent avoir un impact significatif, tant en ce qui concerne le travail quotidien des administrations et des professionnels du droit, que la connaissance directe des textes par les citoyens. À ce dernier égard, le souci de sécurité juridique se double d'un enjeu démocratique.

La constitution, à l'initiative des pouvoirs publics, de bases de données rassemblant les textes normatifs peut apparaître comme une spécificité française, elle-même liée au phénomène du « minitel ». L'organisation de ce service, d'abord fixée par un décret du 24 octobre 1984, a été réformée par le décret du 31 mai 1996 relatif au service public des bases de données juridiques. Un recours pour excès de pouvoir formé contre ce texte a donné l'occasion au Conseil d'État de juger qu'un tel service, permettant la mise à disposition des textes et décisions « sans distinction », y compris de « ceux dont la diffusion ne serait pas économiquement viable », présentait le caractère d'un « service public par nature » (7).

Il reste que, jusqu'à ces dernières années, ce service était exploité sous une forme commerciale, et selon une logique qui était celle des services fournis par minitel. Le développement de l'internet permet désormais d'en faire un service gratuit, plus facile à consulter et susceptible d'utilisations multiples. Ainsi devrait apparaître, dans le courant de l'année 2002, un nouveau « service public de l'accès au droit ».

D'ores et déjà, on trouve sur l'internet un service gratuit, baptisé « légifrance », dont les principales caractéristiques peuvent être ainsi résumées.

Ce service a été conçu de manière à ce que l'accès aux textes puisse se faire aussi bien selon une logique de « flux » que de « stock ». Plus clairement, cela signifie que l'une des bases de données propose la lecture des numéros du Journal officiel de la République française (partie « lois et décrets ») parus depuis le 1er janvier 1990, tandis que d'autres bases donnent accès au « droit en vigueur », c'est-à-dire aux dispositions législatives et réglementaires, selon un classement en trois catégories : Codes ; lois ; décrets.

Les textes relevant de ces trois catégories apparaissent à l'écran sous une forme dite « consolidée », ce qui signifie qu'ils intègrent les dernières modifications qui leur ont été apportées. Ainsi l'instabilité de la norme est-elle, au moins pour partie, compensée, dans la mesure où elle affecte la connaissance du droit applicable. En outre, la souplesse offerte par la technologie de l'internet permet d'utiliser ce service, non seulement pour un accès direct des usagers, mais également comme un ensemble de ressources au profit d'autres services en lignes. Ainsi, tout site, public ou privé, désireux de donner accès au droit applicable dans une matière, peut établir un lien avec les dispositions correspondantes, avec la garantie que celles-ci seront mises à jour sans intervention de sa part.

À cet égard, on rappellera que, pour nombre de nos concitoyens, le sentiment premier n'est pas tant celui d'une « insécurité juridique », que d'une opacité des démarches. C'est ce qui explique l'intérêt de démarches combinées, telles que celles menées à partir du site « service-public », qui est le site portail de l'administration. Une rubrique, intitulée « droits et démarches », détaille, de manière pédagogique, les diverses conditions et formalités liées à une procédure administrative donnée. Par un système de liens, l'internaute peut alors naviguer de cette rubrique à une deuxième où se trouvent les formulaires adéquats, ou encore consulter directement sur légifrance les dispositions législatives et réglementaires régissant la démarche. Outre un confort matériel donné à l'usager, ce dispositif doit permettre de progressivement mettre fin à ces « doctrines locales » qui font que, pour certaines procédures, d'un bureau à l'autre, le nombre des pièces justificatives ou des renseignements demandés connaît des variations. Il rappelle que l'usager est aussi un citoyen, qui doit pouvoir accéder directement à la base légale des droits qui lui sont donnés ou des démarches qui lui sont imposées.

Codifier, consolider, diffuser. Ce triptyque ne constitue assurément pas un palliatif à la complexité de la norme, ou à sa volatilité. On peut y voir, à tout le moins, une réponse contemporaine à la préoccupation déjà exprimée par Portalis, rapporteur du Code civil devant le Conseil d'État : « Entre la loi et le peuple pour qui elle est faite, il faut un moyen de communication ; car il est nécessaire que le peuple sache ou puisse savoir que la loi existe et qu'elle existe comme loi. »

(1) Rapport public 1991, coll. « Études et documents », La Documentation française.
(2) V. la déclaration (n° 39), annexée à l'acte final d'Amsterdam, relative à la qualité rédactionnelle de la législation communautaire, et les conclusions du Conseil européen de Lisbonne demandant à la Commission, au Conseil et aux États membres de définir « une stratégie visant, par une nouvelle action coordonnée, à simplifier l'environnement réglementaire ».
(3) Décision n° 99-421 DC du 16 déc. 1999 : le Conseil constitutionnel était saisi de la conformité à la Constitution de la loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie législative de certains Codes.
(4) Y. Gaudemet, B. Stirn, T. Dal Farra, F. Rolin, Les grands avis du Conseil d'État, Dalloz
(5) La déclaration, déjà citée, annexée à l'acte final d'Amsterdam invite, pour sa part, le Parlement européen, le Conseil et la Commission à « arrêter des lignes directrices relatives à la qualité rédactionnelle de la législation communautaire ».
(6) Circulaire du 30 janvier 1997 relative aux règles d'élaboration, de signature et de publication des textes au Journal officiel et à la mise en oeuvre de procédures particulières incombant au Premier ministre.
(7) 17 déc. 1997, Ordre des avocats à la Cour de Paris, au Recueil Lebon.