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Retour sur le Conseil

Michel AMELLER - Membre du Conseil constitutionnel du 8 mars 1995 au 8 mars 2004

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 25 (Dossier : 50ème anniversaire) - août 2009

Ma première liaison avec le Conseil constitutionnel n'a pas été des plus heureuses. Elle remonte au réveillon de Noël 1979, vers vingt-trois heures. Étant de permanence au Palais-Bourbon, j'ai eu la triste charge de réceptionner la décision censurant l'ensemble de la loi de finances pour 1980 et l'impérieux devoir de lancer, dans les conditions que l'on peut imaginer, la procédure d'adoption d'une nouvelle loi avant le 1er janvier. Même le principal auteur de la saisine, Pierre Joxe, président du groupe socialiste, éloigné de Paris comme la plupart des députés en cette période de vacances, ne s'attendait pas à un tel succès de son entreprise. C'est son père, membre du Conseil de l'époque, qui l'en avait averti. Puis-je ajouter que le motif de la censure – une prétendue erreur de procédure – avait profondément affecté mon ego d'assistant du président de l'Assemblée nationale ?

Ma deuxième liaison résulte d'une heureuse initiative prise en 1983 en accord avec mon homologue du Conseil Bernard Poullain, celle de compléter le service juridique du Conseil, d'une rare compétence, par un administrateur de l'Assemblée fin connaisseur des techniques parlementaires. Avec le temps, cette idée s'est révélée très bénéfique pour les deux institutions, et il y a sans aucun doute lieu de persévérer dans cette fructueuse innovation.

Ma troisième liaison, la bonne, s'est traduite en 1995, trois années après mon départ de l'Assemblée nationale, sous la forme inattendue de ma nomination au sein du Conseil des neuf Sages de la République, par la grâce du président Philippe Séguin, à qui je dois neuf années de bonheur, « l'effet Becket » ayant rapidement fait son œuvre.

Puis-je extraire quelques brefs souvenirs de cette période consacrée à une fonction passionnante, effectuée dans l'atmosphère incomparable de ce lieu unique ?

Le 8 mars 1995, je me suis retrouvé le même jour, projeté à la table du Conseil où j'ai découvert une première curiosité : l'implacable ordre de préséance des membres, qui fait gagner trois places tous les trois ans. Personnellement, j'ai bénéficié d'une promotion accélérée par suite du décès de deux conseillers, Marcel Rudloff et Étienne Dailly, et de la démission du président Roland Dumas. Ces malheureux évènements m'ont permis d'accéder au titre de doyen d'âge et d'avoir ainsi eu l'occasion, le président étant souffrant, de présider une séance : on ne peut prétendre à plus d'honneur au sein du Conseil.

Défenseur acharné des prérogatives parlementaires, ma grande fierté, est d'avoir contribué à une évolution de la jurisprudence du Conseil sur le droit d'amendement et sur l'interprétation de l'article 45 de la Constitution. À ce propos, je me souviens toujours avec amusement de mon adoubement par mon collègue Alain Lancelot qui m'avait fait « Chevalier de l'Entonnoir » en raison de mon obstination à défendre ce principe constitutionnel. Je me félicite de la poursuite, après mon départ, de cette évolution jurisprudentielle, aujourd'hui parachevée.

Autre sujet de satisfaction au sein du Conseil : celui d'éprouver le sens du devoir accompli lorsque, désigné comme rapporteur d'une loi faisant date telle que la loi sur la parité des femmes et des hommes en matière électorale ou la « LOLF », le Conseil approuve vos projets de considérants et la décision qui en résulte.

Hors le contentieux électoral et l'examen de la conformité des lois à la Constitution, il est une activité du Conseil que l'on ne saurait négliger : la coopération juridique avec les institutions étrangères. L'association des Cours francophones m'a ainsi permis de bénéficier de rencontres fructueuses, à l'instar de celle de Monsieur Antoine Khair, actuellement Premier président de la Cour de cassation du Liban.

Les missions à l'étranger ne se révélaient pas moins positives. C'est ainsi que j'ai pu participer à la plupart des échanges avec les institutions d'Algérie, en raison de ma connaissance de ce pays où j'ai passé toute ma jeunesse. Je me souviens en particulier avec beaucoup d'émotion d'un séjour auprès du Conseil constitutionnel dont les membres m'ont réservé un accueil plus que chaleureux en ma qualité de « pied-noir ». L'amabilité du président Bedjaoui est allée jusqu'à me faire survoler ma région natale. Malheureusement, je me suis retrouvé quelque peu dans la situation du paysan espagnol, dans L'espoir, incapable de repérer, vus d'avion, les paysages de sa vie quotidienne.

Le moment le plus fort, je l'ai ressenti au cours d'un séjour en Pologne qui m'a permis d'accompagner ma collègue Simone Veil sur les lieux mêmes de sa déportation, à Auschwitz. Cet instant pathétique restera toujours gravé dans ma mémoire.

Ainsi ai-je vécu le Conseil, tantôt dans la joie, tantôt dans la peine, toujours dans l'amitié et la solidarité de tous, et dans la passion commune d'exercer notre mandat avec la dignité requise au sein de cette prestigieuse institution dont peut se flatter la Ve République.