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Réflexions sur la constitutionnalité par renvoi

Agnès ROBLOT-TROIZIER - Maître de conférences à l'Université Panthéon-Assas, Paris II

Cahier du Conseil constitutionnel n° 22 (Prix de thèse 2006) - juin 2007

Le « bloc de constitutionnalité » n'existe pas ; défini comme l'ensemble des normes de valeur constitutionnelle, il n'est même pas certain qu'il ait jamais existé. Les normes de référence du contrôle de constitutionnalité, qui sont avant tout des normes de valeur constitutionnelle, ne se limitent pas aux normes constitutionnelles ; elles couvrent également des normes extérieures à la Constitution et auxquelles celle-ci renvoie.

Bien qu'ancienne, cette situation a connu ces dernières années une expansion considérable, si bien qu'aujourd'hui il est permis de distinguer trois sources de la constitutionnalité : la première – dans tous les sens du terme – concerne les normes constitutionnelles énoncées par la Constitution du 4 octobre 1958 ainsi que celles énoncées par des textes, anciens ou modernes, visés par le Préambule de celle-ci ; la deuxième catégorie contient des normes dépourvues de valeur constitutionnelle à l'origine, mais qui servent de fondement au contrôle de constitutionnalité parce que la Constitution l'impose ; la troisième regroupe des principes généraux, non formulés en tant que tels dans les textes constitutionnels, mais déduits de dispositions constitutionnelles par le juge. Il n'est pas utile de revenir sur la première catégorie de ces sources tant leur existence est connue ; plus intéressant en revanche est l'enrichissement des sources de la constitutionnalité sur le fondement de dispositions constitutionnelles qui visent des normes extérieures à la Constitution et qui sont dépourvues, au moins initialement, de valeur constitutionnelle. Cette technique n'est pas nouvelle et de là d'ailleurs vient l'expression « bloc de constitutionnalité ». En effet, elle apparaît dans la doctrine dès 1970 pour signifier que des textes législatifs s'imposent, sous le contrôle obligatoire du Conseil constitutionnel, aux règlements des assemblées parlementaires(1). Si l'expression est aujourd'hui pervertie par l'assimilation du « bloc de constitutionnalité » aux « normes constitutionnelles »(2) , elle tendait initialement à montrer l'utilisation de lois organiques, voire de lois ordinaires, dans l'exercice du contrôle de constitutionnalité. Aussi les normes de référence du juge de la constitutionnalité contiennent-elles des normes de valeur infraconstitutionnelle. Elles contiennent également, et ceci est plus récent, des normes de valeur « extra-constitutionnelle », telles que celles figurant dans des engagements internationaux qui présentent la particularité d'être explicitement visés par la Constitution française. Ainsi en est-il du traité sur l'Union européenne auquel se réfèrent les articles 88-1 et suivants de la Constitution, du « traité instituant la Communauté européenne, dans sa rédaction résultant du traité signé le 2 octobre 1997 » en vertu de l'article 88-2, mais aussi du traité portant statut de la Cour pénale internationale mentionné à l'article 53-2 de la Constitution.

Cet accroissement des normes de référence du juge de la constitutionnalité s'explique donc par la multiplication des dispositions constitutionnelles renvoyant à une norme qui, bien que visée par la Constitution, reste extérieure au texte constitutionnel. Aux traités internationaux et aux lois organiques ou ordinaires déjà mentionnés et dont le nombre augmente quasiment à chaque révision constitutionnelle, il faut ajouter le renvoi à l'accord de Nouméa visé par les articles 76 et 77 de la Constitution et le renvoi aux actes de droit dérivé relatifs au mandat d'arrêt européen ; il faut ajouter également la référence aux règles du droit public international qui figure à l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 puisque le Conseil constitutionnel lui reconnaît une portée nouvelle : il en déduit la constitutionnalisation de certains principes généraux du droit international au nombre desquels figurent la règle pacta sunt servanda(3) .

La diversité de ces exemples s'explique par les avantages que présente la technique qui consiste à renvoyer à une norme formellement extérieure à la Constitution : en sauvegardant la concision du texte constitutionnel, elle permet au pouvoir constituant de marquer son adhésion à des normes auxquelles il attache une importance particulière ; ainsi, le Préambule de la Constitution de 1958 marque son attachement à la Déclaration de 1789, au Préambule de la Constitution de 1946 et à la Charte de l'environnement et le Préambule de 1946 marque son adhésion aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et aux règles du droit public international. En outre, la technique du renvoi présente également l'avantage d'être simple à réaliser soit lorsqu'il s'agit de permettre la ratification d'un traité international jugé contraire à diverses dispositions constitutionnelles ou aux « conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale »(4) , soit lorsqu'il s'agit de permettre l'entrée en vigueur d'un accord politique dérogeant à des dispositions constitutionnelles tel que l'accord de Nouméa.

Cependant, par cette technique, sont introduites dans le texte constitutionnel des normes contradictoires et celui-ci devient moins lisible, voire instable, puisque les modifications des traités visés par la Constitution peuvent conduire à de nouvelles révisions constitutionnelles : parfois, les renvois appellent d'autres renvois. Aussi la multiplication des dispositions constitutionnelles de renvoi participe-t-elle à ce que certains appellent la « désacralisation » de la Constitution(5).

Mais au-delà de ce constat, la prise en compte par le juge des normes visées par la Constitution suppose qu'elles conditionnent la constitutionnalité des textes examinés ; à ce titre, elles constituent des normes de référence du contrôle de constitutionnalité, et les caractéristiques du contrôle de constitutionnalité se trouvent affectées par l'utilisation de ces normes.

I. La technique du renvoi et ses conséquences sur les normes de référence du contrôle de constitutionnalité

Les dispositions constitutionnelles renvoyant à des normes extérieures à la Constitution ont d'abord pour conséquence l'insertion des normes ainsi visées parmi les normes de référence du contrôle de constitutionnalité. Cet enrichissement des sources de la constitutionnalité concerne tant des normes internationales et communautaires que des normes infraconstitutionnelles issues du droit interne.

A. Le renvoi à des normes internationales et communautaires

Depuis 1975 et selon une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel refuse d'inclure dans les normes de référence de son contrôle les conventions internationales régulièrement ratifiées ou approuvées alors même qu'elles ont, en vertu de l'article 55 de la Constitution, une autorité supérieure à celle des lois. Il est donc tentant d'exclure des normes de référence du contrôle de constitutionnalité l'ensemble du droit international et du droit communautaire. Pourtant, les exceptions se multiplient et elles trouvent leurs fondements soit dans des dispositions constitutionnelles renvoyant explicitement à des conventions internationales, soit dans des dispositions constitutionnelles plus générales marquant une certaine adhésion au droit international et au droit communautaire.

1) Les engagements internationaux explicitement visés par la Constitution

Les traités nommément visés par la Constitution sont susceptibles de devenir des normes de référence du contrôle de constitutionnalité comme en atteste la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et particulièrement la décision n° 98-400 DC du 20 mai 1998, Loi organique relative à l'exercice par les citoyens de l'Union européenne résidant en France, autres que les ressortissants français, du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales(6) . En effet, parce que l'article 88-3 de la Constitution prévoit le droit de vote et d'éligibilité pour les ressortissants de l'Union européenne « selon les modalités prévues par le traité sur l'Union européenne », le Conseil constitutionnel a confronté la loi organique mettant en œuvre l'article 88-3 aux « modalités prévues » par le droit européen. Les renvois à des conventions internationales apportent donc, sur le fondement de la Constitution, des exceptions à la jurisprudence née de la décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l'interruption volontaire de grossesse(7) . Cette jurisprudence qui implique l'exclusion des conventions internationales des normes de référence du contrôle de constitutionnalité demeure dans son principe, mais elle connaît aujourd'hui des exceptions ponctuelles.

Ces exceptions s'expliquent par l'introduction dans la Constitution de dispositions permettant la ratification de traités internationaux qui font explicitement référence aux traités à ratifier. Ainsi, peuvent se voir intégrés aux normes de référence, non seulement le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne sur le fondement des articles 88-2 et 88-3 de la Constitution, mais également le traité portant statut de la Cour pénale internationale que vise l'article 53-2 de la Constitution.

Aussi le Conseil constitutionnel est-il en mesure de constater la violation de l'article 53-2 par une loi d'amnistie si cette loi est incompatible avec le statut de la Cour pénale internationale fixant l'étendue de la compétence de cette Cour. De la même manière, le droit communautaire dérivé peut exceptionnellement servir de référence dans le contrôle de constitutionnalité : l'article 88-3 fait référence aux « modalités » prévues par le traité sur l'Union européenne quant à l'attribution du droit de vote et d'éligibilité aux citoyens de l'Union pour les élections municipales ; or ces modalités ayant été déterminées par une directive communautaire, la loi organique mettant en œuvre l'article 88-3 doit, pour être conforme à la Constitution, être compatible avec cette directive(8) . Une conclusion identique peut être déduite du dernier alinéa de l'article 88-2 de la Constitution selon lequel la loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris sur le fondement du traité sur l'Union européenne : la décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen deviendra alors une norme de référence dans l'examen de la constitutionnalité de la loi qui la transpose. Enfin, la participation de la France à l'Union et aux Communautés européennes, consacrée par l'article 88-1 de la Constitution, contient une référence générale au traité sur l'Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne, et cette référence générale a conduit le Conseil constitutionnel à affirmer que « la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle »(9) ; dès lors, il ne lui appartient pas de juger de la constitutionnalité d'une loi qui se borne à « tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises » d'une directive communautaire. La décision n° 2006-540 DC, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, va plus loin en faisant des directives communautaires des éléments de la constitutionnalité des lois de transposition(10) : en affirmant qu'il ne « saurait déclarer non conforme à l'article 88-1 de la Constitution qu'une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu'elle a pour objet de transposer », le Conseil constitutionnel accepte de sanctionner l'erreur manifeste dans l'opération de transposition des directives ; c'est admettre que les directives constituent, sur le fondement de l'article 88-1, une norme de référence du contrôle de constitutionnalité, même si l'exercice de celui-ci ne peut conduire qu'à la censure de l'inconstitutionnalité manifeste.

Pour chacune de ces hypothèses, rien ne permet d'affirmer que la qualité de norme de référence du contrôle de constitutionnalité implique la constitutionnalisation des normes qui, visées par la Constitution, restent formellement extérieures à celle-ci. Comment pourrait-il en aller autrement car, dans le cas contraire, toutes les directives auraient vocation à être constitutionnalisées, alors pourtant que le Conseil se contente à leur égard d'un contrôle restreint dans son étendue et dans sa portée ? De même, les références explicites à des traités internationaux dans la Constitution n'impliquent pas leur constitutionnalisation : le pouvoir constituant se contente d'en imposer le respect par une disposition constitutionnelle de renvoi. Dans tous les cas, les normes visées, de droit originaire ou de droit dérivé, vont pouvoir être modifiées ou abrogées dans le respect des procédures propres à leur modification ou leur abrogation et entrer en vigueur dans l'ordre interne sans révision constitutionnelle préalable(11).

Toutefois, dans d'autres hypothèses, le juge constitutionnel procède à la constitutionnalisation de principes issus du droit international ou du droit communautaire sur le fondement de dispositions constitutionnelles renvoyant, plus ou moins explicitement, à une catégorie de normes.

2) Les principes internationaux constitutionnalisés par le juge

Sur le fondement de dispositions constitutionnelles se référant à des catégories de normes, la jurisprudence constitutionnelle récente a attiré des principes issus du droit international et du droit communautaire dans le corps des normes de référence du contrôle de constitutionnalité. De même que la référence aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » dans le Préambule de la Constitution de 1946 a conduit à l'intégration de principes issus de textes législatifs aux normes constitutionnelles, le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle de principes préexistants dans l'ordre juridique international et/ou communautaire. Deux dispositions constitutionnelles ont permis cet enrichissement des normes constitutionnelles : l'une est ancienne, l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 ; l'autre est plus récente, l'article 88-1 de la Constitution issu de la révision constitutionnelle du 25 juin 1992.

L'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 se réfère aux « règles du droit public international » en affirmant que la République française « fidèle à ses traditions, se conforme » à ces règles. Par ce biais, le Conseil constitutionnel confère une valeur constitutionnelle à la règle pacta sunt servanda qui implique que « tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi »(12) . Cette décision a mis un terme à plusieurs années d'incertitudes quant à la portée de l'alinéa 14 du Préambule de 1946(13) . Ces incertitudes provenaient de ce que ou bien le Conseil entendait neutraliser l'alinéa 14 sans pouvoir ouvertement écarter une disposition constitutionnelle, ou bien il n'avait pas encore trouvé l'occasion d'y recourir de manière non équivoque(14). La décision du 9 avril 1992, dite Maastricht I, montre que le Conseil constitutionnel n'avait pas l'intention de se priver des potentialités offertes par l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946. Elle est confirmée par la décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale, qui présente un double intérêt(15) . D'une part, en affirmant que les stipulations du statut de la Cour pénale internationale qui se contentent de tirer les conséquences de la règle pacta sunt servanda ne portent pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, le Conseil reconnaît implicitement dans ce principe d'exécution de bonne foi des engagements internationaux un principe constitutionnel de nature à limiter l'étendue du principe de la souveraineté nationale. D'autre part, en jugeant que « le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que, sur le fondement des dispositions [de l'alinéa 14] du Préambule de la Constitution de 1946, la France puisse conclure des engagements internationaux en vue [···] d'assurer le respect des principes généraux du droit international public », le Conseil constitutionnel procède à une assimilation entre les « règles du droit public international » visées par ledit alinéa et les « principes généraux du droit international » ; et cette assimilation renseigne sur l'étendue des principes susceptibles de faire l'objet d'une constitutionnalisation par le juge constitutionnel à l'instar du principe pacta sunt servanda. En effet, la notion de « principes généraux du droit international », bien que relativement incertaine et absente de l'article 38 du statut de la Cour internationale de justice qui énonce les sources du droit international, renvoie à une catégorie de principes marqués par leur portée générale, d'origine essentiellement coutumière, même s'ils trouvent parfois une expression textuelle, et qu'utilise la Cour internationale de justice – et avant elle la Cour permanente de justice internationale – pour trancher les différends dont elle est saisie. La règle pacta sunt servanda, reprise dans la Convention de Vienne sur le droit des traités, figure parmi ces principes ; et la jurisprudence internationale range également parmi ces principes le principe de prévalence du droit international sur le droit interne(16) , le principe de prohibition de l'emploi de la force ou le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes(17) . Dès lors, potentiellement, l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 peut servir de fondement à l'intégration, parmi les normes constitutionnelles, des principes les plus fondamentaux du droit international, dont le principe de primauté de ce droit sur l'ensemble du droit interne.

À cet égard, il faut remarquer le paradoxe de la jurisprudence constitutionnelle française. Non seulement, en intégrant les « principes généraux du droit international » aux normes de référence du contrôle de constitutionnalité alors qu'elle le refuse pour les conventions internationales, elle tend à établir, en droit interne, une sorte de hiérarchie entre lesdits principes et lesdites conventions, hiérarchie que récuse, par principe, le droit international. Mais encore, elle introduit une dichotomie qui, dans la pratique, peut s'avérer délicate à manier et être source de difficulté dès lors que, par un « phénomène de migration normative »(18) , nombre des principes généraux du droit international se trouvent repris dans des textes internationaux tels des conventions ou des résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies, si bien qu'ils pourraient être considérés tout aussi bien soit comme relevant du champ d'application de l'article 55 de la Constitution et insusceptibles de servir de normes de référence du contrôle de constitutionnalité a priori exercé par le Conseil constitutionnel, soit comme des principes généraux du droit international ayant vocation à être promus, sur le fondement de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946, au rang constitutionnel.

Le même paradoxe peut être remarqué relativement à la reconnaissance, sur le fondement de l'article 88-1 de la Constitution, de la valeur constitutionnelle du principe de primauté du droit de l'Union européenne. En se fondant sur cette disposition qui consacre la participation de la France à l'Union et aux Communautés européennes « en vertu des traités qui les ont instituées », le Conseil constitutionnel juge que la primauté du droit de l'Union européenne est devenue une exigence constitutionnelle : dans un premier temps, il déduit de cet article que la transposition des directives communautaires résulte d'une exigence constitutionnelle(19) ; puis il juge, dans sa décision n° 2004-505 DC, Traité établissant une Constitution pour l'Europe, que « la portée du principe de primauté résulte de l'article 88-1 de la Constitution »(20). Ainsi, l'article 88-1 qui, littéralement, se contente de se référer aux traités, contient le principe de primauté du droit de l'Union et en définit la portée en droit interne. Sous cet angle, l'article implique la constitutionnalisation du principe de primauté, lequel conduit le Conseil à refuser d'exercer sa compétence à l'égard des lois qui se contentent de tirer les conséquences du droit de l'Union européenne : aussi le Conseil constitutionnel se refuse-t-il à contrôler la constitutionnalité d'une loi qui ne fait que retranscrire les dispositions inconditionnelles et précises d'une directive communautaire. Le droit de l'Union européenne dispose donc d'une immunité contentieuse devant le Conseil constitutionnel qui est justifiée par la compétence de la Cour de justice des Communautés européennes pour contrôler la validité des actes de droit communautaire dérivé. En effet, dans sa décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, le Conseil précise qu'il « n'appartient qu'au juge communautaire, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par une directive communautaire tant des compétences définies par les traités que des droits fondamentaux garantis par l'article 6 du traité sur l'Union européenne »(21).

Mais la suprématie de la Constitution n'en est pas moins préservée dans la mesure où, d'une part, la primauté du droit de l'Union impliquant l'obligation de transposer les directives communautaires trouve sa source, d'après le Conseil constitutionnel, dans la Constitution elle-même – non dans la spécificité de l'ordre juridique communautaire alors que tel est son fondement au regard de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes – et, d'autre part, la transposition d'une directive « ne saurait aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ». Ainsi, le principe de primauté de l'Union européenne tel qu'il est déduit de l'article 88-1 n'a pas une portée absolue puisqu'il peut y être fait obstacle par une disposition constitutionnelle « expresse »(22) et « spécifique » en ce qu'elle ne trouve pas d'équivalent en droit communautaire(23).

Il n'en demeure pas moins vrai que l'exigence de transposition des directives comme celle de primauté du droit de l'Union impliquent qu'il soit dérogé à la jurisprudence issue de la décision Interruption volontaire de grossesse. Traditionnellement, le droit communautaire dérivé est rattaché à l'article 55 de la Constitution parce que son existence découle des traités instituant les Communautés et l'Union européennes. De ce rattachement, est déduit son autorité supérieure à celle des lois et le juge français est conduit à exercer un contrôle de la conventionnalité des lois au regard du droit communautaire dérivé. Or, la jurisprudence constitutionnelle tend à soustraire le droit communautaire du champ d'application de l'article 55 de la Constitution pour faire des normes de ce droit, spécialement des directives – mais rien dans l'article 88-1 n'implique que seules les directives soient concernées – des normes de référence du contrôle de constitutionnalité(24) .

L'enrichissement des normes de référence du contrôle de constitutionnalité sur le fondement de dispositions constitutionnelles visant des normes extérieures à la Constitution n'est toutefois pas propre aux normes internationales et communautaires. Les sources de la constitutionnalité se développent également par la prise en compte de normes internes infraconstitutionnelles.

B. Le renvoi à des normes internes visées par la Constitution

L'insertion de normes internes visées par la Constitution au sein des normes de référence du contrôle de constitutionnalité est le résultat soit de dispositions constitutionnelles qui renvoient à un texte préalablement adopté, entré en vigueur ou non, mais dont le contenu est nécessairement connu avec précision, soit de dispositions constitutionnelles qui renvoient à un texte à venir dont le contenu n'est pas encore établi à la date où est opéré le renvoi.

1) Renvois à des textes existants

Outre les renvois, dans le Préambule de la Constitution de 1958, à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et au Préambule de la Constitution de 1946 qui constituent des renvois à des textes existants au jour du renvoi et qui impliquent l'utilisation de ces normes dans le contrôle de la constitutionnalité, d'autres dispositions constitutionnelles opèrent des renvois formellement comparables. À ce titre, les articles 76 et 77 de la Constitution, issus de la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie, visent explicitement l'accord de Nouméa dont plusieurs des stipulations s'avéraient contraires à la Constitution. En conséquence, à l'occasion du contrôle de la constitutionnalité de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel a fait de l'accord de Nouméa une norme de référence de son contrôle(25) . La solution retenue ici est parfaitement similaire à celle envisagée s'agissant du renvoi exprès aux modalités prévues par le traité sur l'Union européenne figurant à l'article 88-3 de la Constitution. Il faut alors en déduire que, quelle que soit la nature de la norme visée par la Constitution, qu'elle soit issue d'un texte international ou interne, elle est susceptible de devenir une norme de référence du contrôle de constitutionnalité. Cette situation s'explique ainsi : par la technique du renvoi à une norme formellement extérieure à la Constitution, le pouvoir constituant fait obligation aux pouvoirs publics, et particulièrement au législateur, de se conformer à une norme qui n'est pas reprise en tant que telle dans le texte constitutionnel, mais qui constitue, par l'effet du renvoi, une exigence de constitutionnalité.

Dès lors, la question de la valeur juridique de l'accord de Nouméa se pose. Si dans un premier temps le Conseil constitutionnel n'a pas tranché la question(26) , la Cour de cassation quant à elle a affirmé de manière particulièrement nette que l'accord de Nouméa a valeur constitutionnelle en vertu de l'article 77 de la Constitution(27) ; et, dans un second temps, le Conseil constitutionnel a confirmé la valeur constitutionnelle des « orientations de l'accord »(28) . Cette affirmation n'en est pas moins contestable dans la mesure où, si l'article 77 de la Constitution fait obligation au législateur de respecter l'accord de Nouméa, il n'implique pas nécessairement qu'il faille reconnaître la valeur constitutionnelle d'un accord conclu entre le gouvernement de l'époque et les partis politiques néo-calédoniens. L'obligation constitutionnelle de respecter un texte ne fait pas du contenu de ce texte une norme constitutionnelle : en atteste l'article 55 de la Constitution qui implique que les lois doivent respecter les traités et les accords internationaux régulièrement introduits dans l'ordre interne et faisant l'objet d'une application réciproque.
Aussi est-il permis de considérer qu'étant une norme de référence du contrôle de constitutionnalité en vertu de l'obligation constitutionnelle faite au législateur de respecter l'accord, le contenu de ce dernier n'a pas acquis pour autant une valeur constitutionnelle.

Outre l'accord de Nouméa, la Constitution française vise également des dispositions législatives existantes qui, par ce biais, vont être intégrées aux normes de référence du contrôle de constitutionnalité. Ainsi en est-il de l'article 2 de la loi référendaire n° 88-1028 du 9 novembre 1988 explicitement visé par l'article 76 de la Constitution ; d'après l'arrêt du Conseil d'État, M. Sarran, M. Levacher et autres(29) , les dispositions de cet article législatif ont valeur constitutionnelle car l'article 76 de la Constitution détermine la composition du corps électoral invité à se prononcer sur l'accord de Nouméa en se référant « aux conditions fixées par l'article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 ». Alors que cet article, issu d'une loi référendaire, est fréquemment présenté par la doctrine comme portant atteinte au principe de l'universalité du suffrage en ce qu'il exige une domiciliation de dix années sur le territoire néo-calédonien pour pouvoir participer à la consultation relative à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie(30) , il n'a pu faire l'objet d'aucun contrôle juridictionnel : disposition référendaire, il n'aurait pu être contrôlé par le Conseil constitutionnel ; devenu d'après l'arrêt M. Sarran une disposition constitutionnelle par l'effet du renvoi de l'article 76 de la Constitution, il n'a pu faire l'objet d'un contrôle de sa conventionnalité en raison de la suprématie reconnue, dans ce même arrêt, aux dispositions de nature constitutionnelle sur les conventions internationales.

Par ailleurs, de manière plus discrète, l'article 74 de la Constitution, dans sa rédaction résultant de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, vise des lois en vigueur. En se référant aux compétences « déjà exercées » par les collectivités d'outre-mer, l'article 74 se réfère tacitement aux dispositions législatives attribuant compétences à ces collectivités et implique que ces dispositions servent de normes de référence dans le contrôle de la constitutionnalité des lois relatives au statut des différentes collectivités d'outre-mer. Aussi le Conseil constitutionnel a-t-il été conduit à confronter des lois portant sur la Polynésie française, adoptées en 2004, à la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française et donc antérieure à la révision constitutionnelle de 2003(31) .

La valeur juridique de ces normes législatives, qui sont devenues des normes de référence du contrôle de constitutionnalité, est particulièrement ambiguë : si le Conseil d'État attribue une valeur constitutionnelle à l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988, il est pour le moins étonnant de voir le Conseil constitutionnel non seulement admettre la constitutionnalité d'une loi organique l'abrogeant, mais aussi exercer son contrôle sur des dispositions qui ne font que reprendre le contenu des normes visées par la Constitution(32) .

Le renvoi par une disposition constitutionnelle à des textes antérieurement adoptés a pour effet d'étendre les normes de référence du contrôle de la constitutionnalité, mais il s'avère difficile d'affirmer sans nuance que, visées par la Constitution, ces nouvelles normes de référence acquièrent une valeur constitutionnelle que, en tout état de cause, elles n'ont pas formellement. Aussi faut-il y voir plutôt une « validation constitutionnelle » de normes infraconstitutionnelles : à l'image des validations législatives qui, en principe, ne modifient pas la valeur juridique des actes validés, mais se contentent de les soustraire aux contestations contentieuses, la « validation constitutionnelle », qui passe par une disposition constitutionnelle visant expressément une norme infraconstitutionnelle, ne modifie pas la valeur juridique de cette norme. Encore une fois, il est des normes de référence du contrôle de constitutionnalité dépourvues de valeur constitutionnelle. Cette constatation est d'ailleurs corroborée par l'analyse de la jurisprudence portant sur l'utilisation des lois organiques en tant que normes de référence du contrôle de constitutionnalité.

2) Renvois in futurum

Les renvois à des textes ultérieurs peuvent être qualifiés de renvois in futurum dans la mesure où les textes visés n'existent pas encore dans l'ordonnancement juridique au jour où est introduite dans la Constitution une disposition qui les vise ; l'exemple le plus caractéristique de ce type de renvoi concerne les lois organiques, chargées de mettre en œuvre, compléter ou préciser les dispositions constitutionnelles qui le prévoient. Par ce biais, les lois organiques deviennent des normes de référence du contrôle de la constitutionnalité des règlements des assemblées parlementaires(33) . Qu'en est-il s'agissant du contrôle de la constitutionnalité des lois ? Il faut remarquer d'abord que la Constitution répartit les compétences entre, d'un côté, la loi organique et, d'un autre côté, les lois ordinaires. Autrement dit, il existe un cloisonnement entre les matières relevant de la compétence du législateur organique et celles relevant de la compétence du législateur ordinaire. Ce cloisonnement implique qu'une loi ordinaire empiétant sur la compétence organique méconnaît directement la disposition constitutionnelle renvoyant à une loi organique(34) . À l'inverse, les dispositions d'une loi organique qui empiètent sur la compétence du législateur ordinaire méritent de se voir retirer leur caractère organique(35) . Enfin, le législateur organique doit exercer l'intégralité de sa compétence : le Conseil constitutionnel censure les dispositions d'une loi organique qui renvoient à la loi ordinaire le soin de déterminer les conditions d'application d'un principe posé dans la loi organique(36) . Ainsi, les relations entre la loi organique et la loi ordinaire sont régies par un principe de compétence et non par un principe hiérarchique.

Pourtant, il faut faire une place à part aux lois organiques dont l'objet est de fixer les conditions d'adoption de certaines lois, telles les lois de finances ou les lois de financement de la sécurité sociale. En effet, ces lois organiques constituent des normes de référence dans le contrôle de la constitutionnalité des lois en raison de leur objet. Il en est particulièrement ainsi de la loi organique relative aux lois de finances qui est une norme de référence du contrôle de la constitutionnalité de ces lois(37), mais aussi de toutes dispositions législatives susceptibles d'entrer dans le champ d'application de cette loi organique en raison de leur caractère financier et qui auraient dû être adoptées selon la procédure fixée par ladite loi organique(38) . Cette spécificité s'explique par la rédaction des dispositions constitutionnelles renvoyant à la loi organique relative aux lois de finances : en précisant que le Parlement vote les lois de finances « dans les conditions » et « sous les réserves prévues par une loi organique »(39) , le constituant a fait de cette loi organique une condition de la constitutionnalité des lois de finances. De même, et pour des raisons identiques, d'autres lois organiques relèvent des normes de référence du contrôle de constitutionnalité : la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale(40) , mais également les lois organiques prévues aux articles 72, 73 et 74 de la Constitution. Les articles 72 et 73 de la Constitution disposent, chacun en ce qui les concerne, que des lois ordinaires – autorisant des dérogations législatives à titre expérimental ou habilitant les départements et régions d'outre-mer à adapter les lois et les règlements – seront adoptées « dans les conditions prévues par la loi organique ». De même, l'article 74 de la Constitution prévoit l'adoption d'une loi organique fixant les conditions dans lesquelles les institutions des collectivités d'outre-mer sont consultées sur les projets et propositions de lois comportant des dispositions particulières à ces collectivités ; dès lors, ces conditions de consultation s'imposent au législateur ordinaire qui entend adopter des dispositions particulières aux collectivités d'outre-mer.

Enfin, parmi les normes de référence du contrôle de constitutionnalité, doit être intégrée la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie qui non seulement intervient à l'occasion du contrôle de la constitutionnalité des lois du pays(41) , mais également, semble-t-il, dans le contrôle des lois adoptées par le Parlement français puisque les transferts de compétences opérés par loi organique au profit de la Nouvelle-Calédonie ont, en vertu de l'article 77 de la Constitution, un caractère définitif ; ce qui signifie que le législateur national ne saurait empiéter sur les compétences transférées à la Nouvelle-Calédonie par la loi organique sans méconnaître l'article 77 de la Constitution.

Pour autant, les dispositions de ces lois organiques ne sont pas purement et simplement des normes de valeur constitutionnelle : en atteste, d'une part, l'abrogation, à compter du 1er janvier 2005 et sans révision de la Constitution, de l'ordonnance portant loi organique relative aux lois de finances du 2 janvier 1959 et, d'autre part, la supériorité qu'il convient de reconnaître aux engagements internationaux de la France sur les lois organiques(42) .

Aussi doit-on considérer que les normes visées par la Constitution, qu'elles soient issues de l'ordre juridique international, communautaire ou interne, ont vocation à devenir des normes de référence du contrôle de constitutionnalité, sans qu'il faille systématiquement en déduire qu'elles acquièrent une valeur constitutionnelle. Mais affirmer qu'il est des normes de référence du contrôle de constitutionnalité dépourvues de valeur constitutionnelle, c'est admettre que les normes de référence du contrôle de constitutionnalité se dédoublent en deux types de normes : celles qui ont valeur constitutionnelle et celles qui ont une valeur « extra-constitutionnelle », mais qui conditionnent la constitutionnalité. Apparaissent dès lors toutes les spécificités d'un contrôle qui, pour résoudre une question de constitutionnalité, fait intervenir des normes dépourvues de valeur constitutionnelle.

II. La rénovation des modalités d'exercice du contrôle de constitutionnalité

Si les dispositions constitutionnelles visant des normes formellement extérieures à la Constitution n'ont pas par elles-mêmes pour effet de modifier la valeur juridique des normes visées, elles ont un impact sur les modalités d'exercice du contrôle de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel est conduit en effet à opérer un « contrôle de constitutionnalité médiatisé » qui présente la particularité de faire intervenir trois normes : la norme contrôlée, la disposition constitutionnelle de renvoi et la norme visée par la Constitution. De leur côté, les juridictions ordinaires deviennent de manière accrue juge de la constitutionnalité, du moins de la constitutionnalité indirecte.

A. L'apparition d'un contrôle de constitutionnalité médiatisé

Bien qu'il n'utilise pas l'expression, la paternité de la notion de contrôle de constitutionnalité « médiatisé » revient au doyen Vedel. Cherchant à justifier la censure d'une loi ordinaire et d'un règlement d'une assemblée parlementaire comme contraires à une loi organique, l'éminent juriste souligne que le fondement de cette censure n'est pas en dernière analyse la méconnaissance de la loi organique, mais la méconnaissance de la Constitution(43) . Il y a en effet une violation « médiate » de la Constitution, et notamment de son article 46, par toute loi ordinaire ou tout règlement parlementaire qui méconnaît une loi organique ; et cette violation médiate justifie que le Conseil constitutionnel en déclare l'inconstitutionnalité(44) . L'idée d'une violation médiate de la Constitution, développée à propos de l'utilisation des lois organiques dans le contrôle de constitutionnalité, peut être systématisée à l'ensemble des normes de référence du contrôle de constitutionnalité dépourvues de valeur constitutionnelle.
En outre, l'utilisation de ces normes par le Conseil le conduit parfois à opérer un contrôle minimum de constitutionnalité.

1) L'extension du champ d'application du contrôle de constitutionnalité médiatisé

La théorie de la violation médiate explique parfaitement l'impact, sur le contrôle de constitutionnalité, de l'utilisation par le juge constitutionnel des normes visées par la Constitution. En effet, l'examen du respect des dispositions constitutionnelles faisant référence à des normes extérieures à la Constitution s'avère être un contrôle spécifique puisque l'appréciation de la constitutionnalité suppose l'examen de « l'extra-constitutionnalité » : c'est un « contrôle de constitutionnalité médiatisé » dans la mesure où, pour résoudre une question de constitutionnalité, doit au préalable être résolue la question de la conformité du texte contrôlé à une tierce norme, laquelle, bien que visée par la Constitution, n'a pas valeur constitutionnelle. Il y a donc dissociation au sein des normes de référence du contrôle de constitutionnalité : si, pour la plupart d'entre elles, ces normes ont valeur constitutionnelle, certaines ne font que conditionner la constitutionnalité. Sous cet angle, les dispositions de la Constitution qui renvoient à des normes posent une obligation de valeur constitutionnelle, celle du respect de la norme visée, laquelle norme – adoptée par une autorité autre que le pouvoir constituant et selon une procédure qui n'est pas celle prévue par la Constitution pour sa révision – n'a pas une valeur constitutionnelle. Renvoyant à une norme, la Constitution en impose le respect par le législateur ; dès lors, la méconnaissance de cette norme – quelle qu'en soit la valeur – est inconstitutionnelle.

Ainsi, l'article 88-3 ayant « expressément subordonné la constitutionnalité de la loi organique prévue pour son application à sa conformité aux normes communautaires »(45) , le Conseil exerce un contrôle de constitutionnalité médiatisé parce que la constitutionnalité de la loi organique dépend de sa conformité à une directive communautaire. De manière identique, la confrontation de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie à l'accord de Nouméa peut s'expliquer, non par la constitutionnalisation de cet accord, mais par le fait que la violation de celui-ci suppose indirectement une violation de l'article 77 de la Constitution qui précise que la loi organique doit être prise « dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en œuvre »(46) .

Sans revenir sur l'ensemble des exemples évoqués plus haut, il apparaît que la théorie de la violation médiate de la Constitution, qui suppose l'exercice d'un contrôle de constitutionnalité médiatisé, explique parfaitement l'utilisation de normes qui ne sont que visées par la Constitution en tant que normes de référence, que ces normes soient issues de l'ordre international ou interne, qu'elles soient entrées en vigueur ou non au jour où est introduite dans la Constitution une disposition constitutionnelle qui les vise.

Toutefois, il convient de préciser les caractéristiques de ce contrôle de constitutionnalité médiatisé. Il n'est qu'un contrôle subsidiaire en ce qu'il ne s'exerce qu'à condition que l'acte contrôlé ne soit pas directement contraire aux dispositions constitutionnelles : le Conseil constitutionnel privilégie en effet un contrôle direct de constitutionnalité qu'il complète, en l'absence de violation directe de la Constitution, par un contrôle de constitutionnalité médiatisé faisant intervenir une norme visée par la Constitution(47) . Les termes des décisions du Conseil constitutionnel reflètent cette subsidiarité : opérant un contrôle de constitutionnalité médiatisé, le Conseil met en évidence le lien indissociable entre la disposition constitutionnelle de renvoi et la norme visée, soulignant ainsi que le contrôle de constitutionnalité médiatisé est avant tout un contrôle de constitutionnalité(48).
Par ailleurs, l'application par le juge des normes de référence du contrôle de constitutionnalité médiatisé présente quelques particularités. Si le juge constitutionnel peut interpréter la norme visée par la Constitution de la même manière qu'il peut interpréter les dispositions constitutionnelles elles-mêmes, il est difficile pour lui de faire abstraction de l'interprétation retenue par la Cour de justice des Communautés européennes des normes de droit de l'Union européenne intégrées aux normes de référence.

En outre, les normes de référence du contrôle de constitutionnalité médiatisé étant pour partie dépourvues de valeur constitutionnelle, elles peuvent être modifiées sans mise en œuvre de la procédure de révision constitutionnelle : la réalisation d'événements de droit extérieurs à la Constitution influe donc sur l'étendue et le contenu des normes de référence du contrôle de constitutionnalité. À titre d'exemple, l'entrée en vigueur du traité sur l'Union européenne visé par l'article 88-2 de la Constitution constitue un changement dans les circonstances de droit, changement qui est de nature à permettre le contrôle de la constitutionnalité d'une loi relative à la Banque de France au regard des « modalités prévues par le traité »(49) . De même, puisque la directive communautaire relative au droit de vote et d'éligibilité des citoyens de l'Union européenne aux élections municipales est devenue une norme de référence dans le contrôle de la constitutionnalité de la loi organique qui, transposant cette directive, met en œuvre l'article 88-3 de la Constitution selon les « modalités prévues par le traité sur l'Union européenne », il suffirait que le Conseil de l'Union décide de modifier ladite directive pour que changent les normes de référence du contrôle de la constitutionnalité.

À tous ces égards, le contrôle de constitutionnalité médiatisé présente des caractéristiques qui lui sont propres et qui méritent de le distinguer d'un simple contrôle direct de la constitutionnalité. Par ailleurs, ce contrôle implique parfois que le Conseil constitutionnel opère un contrôle minimum de constitutionnalité.

2) L'exercice d'un contrôle minimum de constitutionnalité

L'utilisation contentieuse de l'article 88-1 de la Constitution est une manifestation parfaite de ce que le contrôle de constitutionnalité médiatisé peut être la source d'un contrôle minimum de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel est en mesure de censurer la violation d'une directive par la loi qui en assure la transposition puisque cette violation constitue une violation « médiate » de l'article 88-1. Toutefois, il opère préalablement une confrontation de la directive aux normes constitutionnelles afin de déterminer si la directive compromet « l'identité constitutionnelle de la France »(50). Autrement dit, le Conseil procède nécessairement à un contrôle de la constitutionnalité, bien que restreint, de la directive communautaire. Ce contrôle méconnaît le droit communautaire, les États membres ne pouvant s'abstenir de l'application de celui-ci pour des raisons tirées de leur droit interne(51) . Mais il est la conséquence de l'affirmation de la suprématie dans l'ordre interne de la Constitution et il se fait l'écho des positions adoptées par d'autres juridictions européennes(52) .

Par ailleurs, puisque le Conseil constitutionnel s'autorise à ne censurer que les dispositions législatives de transposition qui sont « manifestement » incompatibles avec la directive qu'elles ont pour objet de transposer, il est en mesure de censurer les erreurs grossières, flagrantes, commises par le législateur dans la transposition des directives communautaires, à condition bien sûr qu'il soit saisi du contrôle de la constitutionnalité de la loi de transposition.

La décision n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l'énergie, donne une illustration de l'exercice de ce contrôle de l'erreur manifeste dans la transposition d'une directive. Après avoir repris les considérants de la décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 relatifs à l'étendue du contrôle des lois de transposition, le Conseil constitutionnel constate que les dispositions de l'article 17 de la loi déférée, en imposant « aux opérateurs historiques du secteur de l'énergie, et à eux seuls, des obligations tarifaires permanentes, générales et étrangères à la poursuite d'objectifs de service public », méconnaissent « manifestement l'objectif d'ouverture des marchés concurrentiels de l'électricité et du gaz naturel fixé par les directives [···] que le titre premier de la loi a pour objet de transposer »(53) . Le Conseil avait pris soin de préciser au préalable que les directives concernées ont pour objectif la réalisation d'un marché concurrentiel dans le domaine de l'électricité et du gaz naturel impliquant que les États membres s'abstiennent de toute discrimination entre les entreprises de ce secteur ; les directives permettent aux États membres d'imposer des obligations aux entreprises dans l'intérêt économique général, notamment en matière tarifaire, mais alors ces obligations doivent se rattacher à un objectif de service public, être non discriminatoires et garantir un égal accès aux consommateurs nationaux. À la fois discriminatoires et insusceptibles d'être rattachées à un objectif de service public, les obligations tarifaires de l'article 17 de la loi de transposition sont jugées manifestement incompatibles avec l'objectif des directives communautaires.

Cette décision appelle plusieurs remarques.

En premier lieu, le Conseil constitutionnel opère dans cette décision un contrôle de conventionnalité minimum : en effet, le contrôle a priori de la compatibilité d'une loi avec une directive communautaire a la même nature que le contrôle effectué a posteriori par les juridictions ordinaires lorsqu'elles vérifient la compatibilité des lois aux directives communautaires pour trancher les litiges dont elles sont saisies. Ainsi, le contrôle de la loi de transposition par le Conseil constitutionnel est de même nature que celui effectué par les juridictions ordinaires, bien qu'il n'ait ni la même étendue, ni la même intensité dès lors qu'il est limité aux seules lois de transposition et aux seules erreurs manifestes de transposition. On ne peut donc nier que le Conseil apporte, une fois de plus une exception à sa jurisprudence Interruption volontaire de grossesse. Certes, le fondement en est différent : le principe de l'exclusion des conventions internationales – et par voie de conséquence du droit dérivé des organisations internationales dont la France est membre – est fondé sur une interprétation de l'article 55 de la Constitution, alors que le contrôle minimum de la transposition des directives est fondé sur le seul article 88-1 de la Constitution(54) . Néanmoins, il y a bien exercice d'un contrôle traditionnellement qualifié de contrôle de « conventionnalité ». Désormais, l'article 88-1 paraît devoir être lu comme étant une disposition constitutionnelle spéciale et, à ce titre, comme une disposition constitutionnelle dérogeant à une disposition constitutionnelle plus générale : l'article 55 de la Constitution. La seconde concerne l'ensemble des conventions internationales régulièrement ratifiées et approuvées, la première ne concerne que le droit de l'Union européenne et, encore pas en totalité puisque le Conseil constitutionnel paraît limiter son champ d'application aux directives communautaires.

C'est là l'objet de la deuxième remarque qu'appelle la jurisprudence constitutionnelle relative au contrôle des lois de transposition. Qu'est-ce qui, dans la rédaction de l'article 88-1, justifie, d'une part que le contrôle minimum exercé par le Conseil soit limité au contrôle des lois de transposition et, d'autre part, que ce contrôle soit réservé au respect des directives communautaires ? L'article 88-1 pose le principe de la participation de la France aux Communautés et à l'Union européennes, « constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences ». La référence aux traités que contient cet article suppose une adhésion à l'ordre juridique de l'Union européenne dans son ensemble(55) et donc à toutes les sources de ce droit(56). À cet égard, ni la limitation aux seules directives communautaires, ni la limitation aux seules lois de transposition ne paraissent justifiées. En effet, cette double restriction du contrôle minimum opéré sur le fondement de l'article 88-1 suppose que le législateur peut adopter des lois manifestement incompatibles avec les traités instituant l'ordre juridique européen, comme avec les règlements communautaires, alors qu'elles peuvent être censurées si elles sont manifestement incompatibles avec des directives. Le Conseil constitutionnel instaure par là une différence de traitement entre les sources du droit de l'Union peu compatible avec le principe de primauté qui découle pourtant de l'article 88-1 de la Constitution en vertu de sa propre jurisprudence(57). Par ailleurs, le législateur peut transposer correctement une directive – ou au moins la transposer sans erreur manifeste – puis, quelques mois plus tard, adopter une autre disposition législative qui, non contenue dans une loi de transposition, est manifestement incompatible avec la directive préalablement transposée. La loi postérieure abrogera la loi antérieure et introduira dans l'ordre juridique interne une incompatibilité manifeste entre une loi et une directive. Certes, les juridictions ordinaires sont en mesure d'écarter l'application de la loi contraire à la directive, mais encore faut-il qu'elles soient saisies. Cette situation est loin d'être une hypothèse d'école et la question des dates d'ouverture de la chasse aux oiseaux migrateurs illustre parfaitement la volonté du législateur de faire obstacle à une directive communautaire préalablement transposée(58) .

En troisième lieu et pour répondre aux objections précédemment exprimées, il est permis de s'interroger sur l'effet de contagion que pourrait avoir l'apparition d'un contrôle minimum de constitutionnalité sur le fondement de l'article 88-1. En effet, il résulte de la décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l'Europe, que le principe de primauté du droit de l'Union a acquis une valeur constitutionnelle(59) . C'est dire que le pouvoir constituant a consenti à la primauté du droit de l'Union européenne sur le droit interne. Dès lors, sur ce fondement, le Conseil constitutionnel est en mesure de censurer toute loi incompatible, ou manifestement incompatible, avec le droit de l'Union européenne car la violation de ce droit constitue en soi une violation d'un principe de valeur constitutionnelle, à moins que la règle du droit européen en cause méconnaisse une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France. Par ailleurs, mais cette fois sur le fondement de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946, la règle pacta sunt servanda a acquis une valeur constitutionnelle(60) . Or cette règle impose l'exécution de bonne foi des engagements internationaux ; la violation de cette règle est donc révélée par une méconnaissance, de mauvaise foi, des engagements internationaux de la France. Par son objet même, le principe pacta sunt servanda, principe intégré aux normes constitutionnelles, concerne l'autorité et l'exécution des conventions internationales ; ainsi, sur son fondement, le Conseil constitutionnel pourrait exercer un contrôle minimum de conventionnalité consistant à sanctionner les violations les plus manifestes des conventions internationales auxquelles la France est partie : il censurerait alors la « mauvaise foi » du législateur adoptant une loi nettement et délibérément contraire aux traités ou accords en vigueur dans l'ordre interne. Limité aux violations manifestes, le contrôle minimum de conventionnalité, qu'il soit fondé sur l'article 88-1 de la Constitution dont découle le principe de primauté du droit de l'Union ou sur l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 dont découle le principe de l'exécution de bonne foi des conventions internationales, dérogerait, à titre exceptionnel, à la jurisprudence Interruption volontaire de grossesse afin de vider en amont l'ordre juridique interne des « inconventionnalités » les plus graves et les plus manifestes. Un tel contrôle permettrait alors d'éviter certains contentieux inutiles devant les juridictions ordinaires.

B. Les conséquences pour le juge ordinaire de la constitutionnalité indirecte

L'enrichissement des normes de référence du contrôle de constitutionnalité sur le fondement des dispositions constitutionnelles de renvoi est de nature à multiplier les immixtions du juge de la légalité sur le terrain de la constitutionnalité. À cet égard, il se fait juge constitutionnel implicite en opérant un contrôle de la constitutionnalité indirecte. Ce contrôle doit s'entendre comme un contrôle qui n'a pas pour objet premier de sanctionner la violation de la Constitution, mais qui a pour effet, en quelque sorte par ricochet, d'assurer le respect de dispositions constitutionnelles. Il apparaît tant à l'égard des lois qu'à l'égard des conventions internationales et il est, dans ces deux hypothèses, fondé sur des dispositions constitutionnelles renvoyant à des normes extérieures à la Constitution.

1) L'apparition d'un contrôle de la constitutionnalité indirecte des lois

Par l'effet des renvois, dans la Constitution, à des normes issues du droit international et du droit communautaire, le juge ordinaire se fait juge indirect et implicite de la constitutionnalité des lois. Traditionnellement, il se refuse à vérifier la conformité des lois à la Constitution, ce que confirme la jurisprudence récente(61) . Pourtant, dans la mesure où la conformité à certaines « modalités » prévues par le traité sur l'Union européenne, énoncées notamment dans une directive communautaire, est devenue une exigence constitutionnelle tirée de l'article 88-3 de la Constitution, le contrôle par le juge ordinaire du respect de ces modalités par un contrôle dit de « conventionnalité » constitue aussi un contrôle de constitutionnalité. Par ailleurs, et de manière plus générale, chaque fois que le juge ordinaire écartera une loi de transposition incompatible avec la directive communautaire qu'elle transpose, il opérera un contrôle de constitutionnalité puisque l'obligation de transposer les directives résulte de l'article 88-1 de la Constitution. Plus encore, si cet article suppose la primauté du droit de l'Union européenne en droit interne, toute sanction par le juge ordinaire d'une violation de ce droit est, indirectement et implicitement, la sanction de la violation dprincipe qui a acquis une valeur constitutionnelle(62) . Il faut d'ailleurs remarquer que le Conseil d'État fait désormais une place à l'article 88-1 dans sa jurisprudence : si, jusqu'à une période récente, l'examen du respect du droit communautaire par les lois n'était fondé que sur l'article 55 de la Constitution, l'article 88-1 a d'abord fait son apparition dans les visas des arrêts de la haute juridiction administrative(63) ; puis il est devenu un fondement à part entière du contrôle de légalité. Dans son arrêt d'Assemblée du 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine, le Conseil d'État, à l'instar du Conseil constitutionnel, considère que « l'obligation de transposition des directives » découle de l'article 88-1 de la Constitution. Ainsi la haute juridiction administrative reconnaît la spécificité du droit de l'Union européenne sur le fondement de la Constitution.

Il convient de préciser sur ce point que le contrôle du Conseil constitutionnel tendant à censurer en amont les lois de transposition manifestement incompatibles avec les directives qu'elles ont pour objet de transposer ne s'oppose pas au contrôle de conventionnalité classique exercé a posteriori par les juridictions ordinaires. D'une part, le Conseil constitutionnel ne donne pas de la sorte un brevet de conformité des lois de transposition aux directives communautaires puisqu'il se contente d'exercer un contrôle restreint(64) ; et si ce contrôle venait à s'étendre à l'ensemble des sources du droit de l'Union, son contrôle ne constituerait pas un brevet de conventionnalité des lois examinées. D'autant plus que, d'autre part, le contrôle abstrait effectué par le Conseil constitutionnel peut parfaitement se combiner avec un contrôle concret réalisé au stade de l'application de la loi.
La suprématie des règles constitutionnelles reconnaissant l'autorité des normes européennes invite les juridictions ordinaires à maintenir leur contrôle du respect de ces normes.

2) La suprématie de la Constitution face à la constitutionnalisation de normes visées par la Constitution française

Le contentieux électoral néo-calédonien a été l'occasion, pour les deux hautes juridictions ordinaires, d'affirmer la suprématie de la Constitution dans l'ordre juridique interne. Dans les arrêts M. Sarran et Mlle Fraisse, le Conseil d'État et la Cour de cassation se déclarent incompétents pour écarter une disposition, à laquelle est attribuée une valeur constitutionnelle, au profit de l'application des engagements internationaux invoqués par les requérants. Dans l'arrêt M. Sarran, c'est l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988 qui est constitutionnalisé ; dans l'arrêt Mlle Fraisse, ce sont les dispositions de la loi organique du 19 mars 1999 reprenant les orientations de l'accord de Nouméa qui se voient attribuer une valeur constitutionnelle. Ainsi, bien que les juridictions ordinaires acceptent de contrôler la constitutionnalité des lois, sur le fondement de l'article 55, leur compétence s'arrête lorsque des dispositions d'origine législative se voient reconnaître une valeur constitutionnelle.

Dans les deux espèces, la suprématie reconnue aux dispositions constitutionnelles implique que le juge ordinaire écarte l'application de conventions internationales. Certes, cette inapplicabilité n'est pas le produit d'une confrontation entre les conventions internationales invoquées et les dispositions constitutionnelles : à cet égard, le juge ordinaire n'opère pas un contrôle de la constitutionnalité des normes internationales par voie d'exception. Toutefois, on ne peut nier que l'affirmation de la suprématie de la Constitution a des effets identiques. De même que le contrôle de conventionnalité des lois conduit le juge à écarter pour l'espèce l'application des lois contraires aux conventions internationales régulièrement ratifiées et approuvées, l'affirmation de la suprématie constitutionnelle conduit, elle aussi, à la non-application de conventions internationales en vigueur dans l'ordre interne. Sous cet angle, et bien que les juridictions n'aient pas examiné la conformité des conventions aux dispositions constitutionnelles, la simple affirmation de la suprématie desdites dispositions fait du juge ordinaire un gardien de la Constitution ou un juge constitutionnel implicite. D'ailleurs, l'interprétation des stipulations conventionnelles à la lumière de dispositions constitutionnelles est également un élément de ce « contrôle implicite » de la constitutionnalité : par l'interprétation, le juge retire aux conventions internationales leur « venin » de sorte que les normes de valeur constitutionnelle soient respectées(65) .

Mais alors quel est l'impact de la constitutionnalisation du principe pacta sunt servanda et du principe de primauté du droit de l'Union européenne sur la non-application par les juridictions nationales de conventions internationales en raison de la suprématie reconnue aux dispositions constitutionnelles ? Paradoxalement, l'affirmation de la suprématie constitutionnelle est susceptible de méconnaître des normes de valeur constitutionnelle : dans une certaine mesure, la non-application d'un engagement international, sur le fondement de la suprématie de la Constitution, entre en conflit avec les normes constitutionnelles que sont le principe pacta sunt servanda et le principe de primauté du droit de l'Union.

Ce paradoxe ne peut être résolu qu'en considération des deux acceptions de la notion de « primauté ». Selon la première, il y a primauté d'une norme sur une autre dans la hiérarchie des normes, ou « primauté normative », si la première détermine les conditions d'édiction ainsi que de validité de la seconde(66) . Le second sens de la primauté correspond à une règle de prévalence d'une norme sur une autre en cas de conflit ; il ne s'agit pas alors d'un principe qui gouverne l'édiction des normes inférieures, mais d'un principe qui permet uniquement de trancher un conflit de normes. C'est ainsi que la Cour de justice des Communautés européennes entend la primauté du droit de l'Union européenne sur les règles nationales contraires : le juge national doit faire prévaloir la norme communautaire sur la norme nationale. Or, la Constitution bénéficie de la primauté normative sur l'ensemble des normes applicables dans l'ordre juridique interne puisqu'elle détermine les conditions d'édiction et de validité des règles applicables en droit interne. À cet égard, la primauté du droit international et du droit communautaire procède de la Constitution et c'est bien ainsi que le Conseil constitutionnel, comme les juridictions ordinaires, interprètent les dispositions constitutionnelles. Mais cette primauté normative, ou suprématie de la Constitution, peut se concilier avec la primauté des normes issues du droit international et du droit communautaire impliquant que ces normes prévalent sur ldes normes internes, quelles qu'elles soient, en cas de contrariété. En effet, la Constitution, norme suprême et souveraine dans l'ordre interne, peut faire le choix, par une sorte d'autolimitation, de la primauté du droit international et du droit communautaire. N'est-ce pas là le sens de l'article 88-1 de la Constitution qui consacre l'adhésion de la France aux Communautés et à l'Union européennes ? N'est-ce pas là le sens de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 qui affirme que la République française se conforme aux règles du droit public international ? En d'autres termes, le pouvoir constituant peut souverainement reconnaître la prévalence des normes internationales et communautaires sans que cette reconnaissance soit de nature à mettre en cause sa souveraineté. Mais, souverain, le pouvoir constituant est également en mesure de limiter la primauté du droit international et communautaire par une disposition constitutionnelle expresse propre à préserver l'identité constitutionnelle de la France.

(1) L'expression « bloc de constitutionnalité » apparaît dans le commentaire de la décision n° 69-37 DC du 21 novembre 1969, Résolution modifiant et complétant le règlement de l'Assemblée nationale, par C. Emeri et J.-L. Seurin (RD publ., 1970, spéc. p. 678).
(2) Le doyen Vedel a proposé une double définition du bloc de constitutionnalité correspondant, dans un sens étroit, aux dispositions de valeur constitutionnelle et, dans un sens large, à « toutes les normes de valeur supérieure à la loi et dont le Conseil constitutionnel est chargé d'assurer le respect » (in « La place de la Déclaration de 1789 dans le “bloc de constitutionnalité” », La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence, Paris, PUF, coll. « Recherches politiques », 1989, p. 35). Toutefois, le théoricien du bloc de constitutionnalité qu'est le doyen Favoreu définit la notion comme comprenant l'« ensemble des principes et des règles de valeur constitutionnelle dont le respect s'impose au pouvoir législatif comme au pouvoir exécutif » (in « Bloc de constitutionnalité », Dictionnaire constitutionnel, sous la dir. Duhamel (O.) et Mény (Y.), Paris, PUF, 1992, p. 87).
(3) Déc. n° 92-308 DC du 9 avr. 1992, Traité sur l'Union européenne (dite Maastricht I), Rec. p. 55 et déc. n° 98-408 DC du 22 janv. 1999, Traité portant statut de la Cour pénale internationale, Rec. p. 29.
(4) Déc. n° 92-308 DC du 9 avr. 1992, précitée ; déc. n° 97-394 DC du 31 déc. 1997, Traité d'Amsterdam, Rec. p. 320 ; déc. n° 98-408 DC du 22 janv. 1999 précitée.
(5) Pactet (P.), « La désacralisation progressive de la Constitution de 1958 », in Mélanges P. Avril, La République, Paris, Montchrestien, 2001, p. 389.
(6) Rec. p. 251.
(7) Rec. p. 19.
(8) Déc. n° 98-400 DC, précitée.
(9) Déc. n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique, Rec. p. 101.
(10) Déc. du 27 juill. 2006, JORF du 3 août 2006, p. 11541.
(11) À moins, pour les traités internationaux, que leur modification soit elle-même contraire aux dispositions constitutionnelles ou aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale : cf. déc. n° 97-394 DC du 31 déc. 1997, Traité d'Amsterdam, Rec. p. 320.
(12) Déc. n° 92-308 DC du 9 avr. 1992, dite Maastricht I, précitée.
(13) Saisi de la question de la violation par la loi d'une « règle du droit public international », tantôt le Conseil constitutionnel apportait une réponse ambiguë et source d'interprétations doctrinales divergentes (cf. déc. n° 75-59 DC du 30 déc. 1975, Loi relative aux conséquences de l'autodétermination des îles des Comores, Rec. p. 26 et déc. n° 81-132 DC et n° 82-139 DC des 16 janv. et 11 févr. 1982, dites Lois de nationalisation, Rec. p. 18 et p. 31), tantôt il se contentait d'éluder la question (cf. déc. n° 85-196 DC du 8 août 1985, Évolution de la Nouvelle-Calédonie, Rec. p. 63).
(14) Moderne (F.), « Y a-t-il des sources complémentaires de la Constitution dans la jurisprudence constitutionnelle française ? », Les petites affiches, 7 oct. 1992, n° 121, p. 7, spéc. p. 12.
(15) Rec. p. 29.
(16) CIJ, avis consultatif du 26 avr. 1988, Applicabilité de l'obligation de l'arbitrage, Rec. CIJ, 1988, p. 12, spéc. p. 34, § 57.
(17) CIJ, arrêt du 30 juin 1995, Timor oriental (Portugal c/ Australie), Rec. CIJ, 1995, p. 102, § 29.
(18) Combacau (J.) et Sur (S.), Droit international public, Paris, 7e éd., Montchrestien, 2006, p. 109.
(19) Déc. n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique, Rec. p. 101.
(20) Déc. n° 2004-505 DC du 19 nov. 2004, Traité établissant une Constitution pour l'Europe, Rec. p. 173.
(21) Cons. 7.22. Déc. n° 2006-540 DC du 27 juill. 2006, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, JORF du 3 août 2006, p. 1154, cons. 19.
(22) Déc. n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique, cons. 7.
(23) Déc. n° 2004-498 DC du 29 juill. 2004, Loi relative à la bioéthique, Rec. p. 122, cons. 6 : la reconnaissance de la liberté de communication dans l'ordre juridique communautaire en tant que principe général de ce droit sur le fondement de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales suppose que les dispositions de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne constituent pas des dispositions faisant obstacle à l'exigence constitutionnelle de transposition des directives communautaires.
(24) Sur ce point, cf. infra.
(25) Déc. n° 99-410 DC du 15 mars 1999, Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, Rec. p. 51 : « il résulte [···] des dispositions de l'article 77 de la Constitution que le contrôle du Conseil constitutionnel sur la loi organique doit s'exercer non seulement au regard de la Constitution, mais également au regard des orientations définies par l'accord de Nouméa, lequel déroge à un certain nombre de règles et de principes de valeur constitutionnelle ».
(26) Cf. déc. n° 99-410 DC précitée : en jugeant que le contrôle de la constitutionnalité de la loi organique doit s'exercer « non seulement au regard de la Constitution, mais également au regard des orientations de l'accord de Nouméa », le Conseil constitutionnel paraît signifier que lesdites orientations ne font pas partie intégrante de la Constitution.
(27) Cour de cassation, AP, 2 juin 2000, Mlle Fraisse, Bull. Ass. plén., n° 4, p. 7.
(28) Déc. n° 2004-500 DC du 29 juill. 2004, Loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales, Rec. p. 116.
(29) CE, Ass., 30 oct. 1998, Leb. p. 369.
(30) En ce sens, Pactet (P.), « La loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 sur la Nouvelle-Calédonie », in Mélanges Patrice Gélard, Droit constitutionnel, Paris, Montchrestien, 1999, p. 199, spéc. p. 202 ; Gohin (O.), « L'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie », AJDA, 1999, p. 500, spéc. p. 503 et « La Constitution française contre les droits de l'homme : le précédent de la restriction du suffrage en Nouvelle-Calédonie », in Mélanges en l'honneur de Pierre Pactet, L'esprit des institutions, l'équilibre des pouvoirs, Paris, Dalloz, 2003, p. 187 ; Faberon (J.-Y.), « Nouvelle-Calédonie et Constitution : la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 », RD publ., 1999, p. 113, spéc. p. 123.
(31) Déc. n° 2004-490 DC et n° 2004-491 DC du 12 févr. 2004, respectivement Loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française et Loi complétant le statut de la Polynésie française, Rec p. 41 et p. 60.
(32) Déc. n° 99-410 DC du 15 mars 1999, Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, Rec. p. 51. Dans le 4e considérant de la décision, le Conseil constitutionnel précise qu'il procède « à l'examen de l'ensemble des dispositions de la loi organique, alors même que certaines d'entre elles ont une rédaction ou un contenu identique à ceux de dispositions [···] figurant dans la loi référendaire n° 88-1028 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998, adoptée par le peuple français à la suite d'un référendum ». Il contrôle donc la constitutionnalité de dispositions dont certaines ont une rédaction ou un contenu identique aux dispositions de l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988, article qui, d'après l'arrêt M. Sarran du Conseil d'État, a une valeur constitutionnelle. Par ailleurs, dans cette même décision, le Conseil constitutionnel ne s'oppose pas à l'entrée en vigueur de l'article 233 de la loi organique dont l'objet est d'abroger l'article 2 de la loi référendaire du 9 novembre 1988 visé par l'article 76 de la Constitution.
(33) Cette jurisprudence ancienne apparaît dès 1959 dans la déc. n° 59-2 DC du 17 juin 1959, Règlement de l'Assemblée nationale, Rec. p. 58.
(34) Sur ce point, cf. notamment, Car (J.-C.), Les lois organiques de l'article 46 de la Constitution du 4 octobre 1958, Paris, Economica, PUAM, coll. « Droit public positif », 1999, p. 488 et s.
(35) Le Conseil constitutionnel procède alors au déclassement des dispositions qui, contenues dans une loi organique, relèvent de la compétence du législateur ordinaire ; de telles dispositions peuvent ensuite être modifiées ou abrogées par une loi ordinaire.
(36) Déc. n° 2005-519 DC du 29 juill. 2005, Loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, Rec. p. 129, cons. 16. Dès lors, il faut admettre que « la loi ordinaire n'est pas à la loi organique ce que le décret d'application est à la loi en général » [Fraisse (R.), « Six ans de lois organiques devant le Conseil constitutionnel (2001-2006). Bilan et perspectives », Les petites affiches, 29 nov. 2006, n° 238, p. 8].
(37) Déc. n° 60-8 DC du 11 août 1960, dite Redevance Radio-Télévision, Rec. p. 25.
(38) En ce sens, cf. par ex., déc. n° 2002-461 DC du 29 août 2002, Loi d'orientation et de programmation pour la justice, Rec. p. 204, cons. 91 et s.: l'article 1er de la loi est déclaré inconstitutionnel en ce que, destinée à organiser l'information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques dans le domaine de la justice, une telle disposition était réservée aux lois de finances.
(39) Art. 34 et 47 de la Constitution.
(40) Le dernier alinéa de l'article 34 et le premier alinéa de l'article 47-1 de la Constitution relatifs aux lois de financement de la sécurité sociale sont rédigés dans les mêmes termes que ceux relatifs aux lois de finances. Pour une illustration, cf. déc. n° 2006-544 DC du 14 déc. 2006, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, JORF du 22 déc. 2006, p. 19356, cons. 9 à 11 et cons. 27.
(41) Déc. n° 2000-1 LP du 27 janv. 2000, Loi du pays de Nouvelle-Calédonie relative à l'institution d'une taxe générale sur les services, Rec. p. 53.
(42) À cet égard, les lois organiques ne figurent pas parmi les normes de référence du contrôle de constitutionnalité des engagements internationaux exercé par le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 54 de la Constitution (cf. déc. n° 93-318 DC et n° 93-319 DC du 30 juin 1993, Rec. p. 153 et p. 155). Par ailleurs, il semble que les lois organiques peuvent faire l'objet d'un contrôle de conventionnalité exercé, sur le fondement de l'article 55 de la Constitution, par les juridictions ordinaires (en ce sens, cf. les conclusions non publiées du Premier avocat général près la Cour de Cassation, Louis Joinet, sur l'arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 2 juin 2000, Mlle Fraisse : « les lois organiques étant par nature infraconstitutionnelles, elles peuvent être soumises au contrôle de conventionnalité » et le raisonnement suivi par la Cour de cassation dans l'arrêt Mlle Fraisse confirme l'idée que le caractère organique d'une loi n'est pas un obstacle au contrôle de sa « conventionnalité »)
(43) Vedel (G.), « La place de la Déclaration dans le “bloc de constitutionnalité” », in La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence, Paris, PUF, Recherches politiques, 1989, p. 35, spéc. p. 49 et 50.
(44) Ibid.
(45) Déc. n° 98-400 DC du 20 mai 1998, Loi organique relative à l'exercice par les citoyens de l'Union européenne résidant en France, autres que les ressortissants français, du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales, Rec. p. 251.
(46) Déc. n° 99-410 DC du 15 mars 1999, précitée.
(47) Déc. n° 98-400 DC du 20 mai 1998, précitée : alors qu'il a constaté que la loi organique est conforme à l'article 88-3 s'agissant de la prohibition faite aux conseillers municipaux qui n'ont pas la nationalité française d'être élus maire ou adjoint, le Conseil ajoute que cette prohibition revêt un caractère « approprié, nécessaire et proportionné à l'objectif visé » au sens de l'article 5, § 3 de la directive du 19 décembre 1994 adoptée par le Conseil de l'Union européenne et qu'ainsi la disposition législative est également conforme aux prescriptions communautaires.
(48) Par ex., à propos de contrôle de constitutionnalité faisant intervenir l'accord de Nouméa, cf. déc. n° 99-410 DC du 15 mars 1999, cons. nos 17, 34, 52, 53, 54.
(49) A contrario, déc. n° 93-324 DC du 3 août 1993, Loi relative au statut de la Banque de France et à l'activité et au contrôle des établissements de crédit, Rec. p. 208.
(50) Déc. n° 2006-540 DC du 27 juill. 2006, Loi relative au droit d'auteur, JORF du 3 août 2006, p. 11541.
(51) En ce sens, cf. la jurisprudence constante depuis CJCE, 17 déc. 1970, Internationale Handelsgesellschaft, aff. 11/70, Rec. CJCE p. 1125.
(52) Comme les juridictions allemande et italienne, le Conseil constitutionnel ne renonce pas totalement à sa compétence pour contrôler la constitutionnalité des lois de transposition ; l'exercice de cette compétence est seulement limité à la préservation de l'identité constitutionnelle. La Cour de Karlsruhe lie l'exercice de sa compétence à l'équivalence de la protection des droits fondamentaux dans l'ordre juridique communautaire (Cour constitutionnelle fédérale d'Allemagne, jugement du 22 oct. 1986, 73 BVerfGE p. 339, affaire dite Solange II) et la Cour constitutionnelle italienne considère qu'elle est en mesure de vérifier « par le contrôle de constitutionnalité de la loi d'exécution si une disposition du traité [...] n'est pas contraire aux principes fondamentaux » de l'ordre juridique italien « ou ne porte pas atteinte aux droits inaliénables de la personne humaine » (arrêt n° 232 du 13 avr. 1989, Société Fragd, spéc. § 31, RUDH, 1989, p. 258 et s.).
(53) Cons. 9.
(54) Dans sa déc. n° 98-400 DC du 20 mai 1998 précitée, le Conseil avait déjà dérogé à sa jurisprudence IVG sur le fondement spécifique de l'article 88-3 de la Constitution, mais il exerce dans cette décision un contrôle entier – un contrôle normal pour reprendre la terminologie du contentieux administratif – de la conformité de la loi à la directive qu'elle transpose.
(55) Déjà, dans son rapport sur le projet de révision constitutionnelle présenté au Sénat, Jacques Larché admettait que la référence aux traités tempère la libre adhésion des États prônée par l'article qui deviendra l'article 88-1 du fait « des contraintes imposées par l'“ordre juridique spécifique” mis en place par ces traités » (rapport J. Larché, JORF, Sénat, Impressions, 1991-1992, n° 375, spéc. p. 71).
(56) En 1998, Schoettl (J.-E.) écrivait que « le constituant a consenti en 1992 par l'article 88-1 de la Constitution » à « l'acquis communautaire » (AJDA, 1998, spéc. p. 488).
(57) Déc. n° 2004-5050 DC du 19 nov. 2004, Traité établissant une Constitution pour l'Europe, précitée.
(58) Loi n° 98-549 du 3 juillet 1998 relative aux dates d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse aux oiseaux migrateurs (JORF du 4 juill. 1998, p. 10208). Cette loi fixe elle-même les périodes de chasse en fonction des espèces plutôt que de laisser aux autorités administratives le soin de les fixer par départements ; le législateur espérait ainsi que les recours dirigés contre les décisions administratives se contentant de reproduire le contenu de la loi seraient jugés irrecevables car dirigés contre des actes dépourvus de caractère décisoire. Pourtant, le Conseil d'État a jugé recevable le recours dirigé contre la décision de refus du ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement de faire droit à une demande des associations écologistes tendant à ce qu'il fixe lui-même une date d'ouverture anticipée de la chasse dans certains départements. Et le Conseil d'État a jugé que les dispositions de la loi de 1998 « sont, dans leur quasi-totalité, incompatibles avec les objectifs de préservation des espèces » fixés par la directive du 2 avril 1979 : CE, Sect., 3 déc. 1999, Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire et Rassemblement des opposants de la chasse, Leb. p. 379, concl. Lamy.
(59) Cf. supra.
(60) Cf. supra.
(61) CE, 5 janv. 2005, Mlle Deprez et M. Baillard, RFD adm., 2005, p. 67.
(62) Ces remarques invitent à revenir sur une question plus ancienne : le contrôle de conventionnalité dans son ensemble, en tant qu'il est fondé sur l'article 55 de la Constitution, a pour objet de censurer l'inconstitutionnalité indirecte d'une loi qui méconnaît une convention internationale régulièrement entrée dans l'ordre juridique interne [Genevois (B.), « Le Conseil d'État n'est pas le censeur de la loi au regard de la Constitution », RFD adm., 2000, p. 715]. Mais s'il permet de censurer une inconstitutionnalité indirecte, c'est que, indirectement, en contrôlant la compatibilité des lois aux conventions internationales visées à l'article 55 de la Constitution, il s'assure du respect d'une disposition constitutionnelle posant la règle selon laquelle les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont dès leur publication une autorité supérieure à celle des lois.
(63) Notamment cf. CE, Sect., 27 oct. 2006, Société Techna SA et autres.
(64) En ce sens, la décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, comme la décision n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, ne sauraient constituer un amoindrissement de l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel énoncée à l'article 62 de la Constitution. Le Conseil juge dans ces décisions que, alors qu'il lui revient de déclarer non conforme à l'article 88-1 de la Constitution une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu'elle transpose, « en tout état de cause, il revient aux autorités juridictionnelles nationales, le cas échéant, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes à titre préjudiciel ». Mais, cette affirmation n'affecte pas l'autorité d'une décision par laquelle le Conseil considère que la loi n'est pas manifestement contraire à la directive : elle précise qu'il revient aux juridictions nationales d'exercer un contrôle entier de la transposition afin de détecter les incompatibilités qui n'ont pu apparaître à l'occasion d'un contrôle minimum de l'erreur manifeste ; et pour révéler ces incompatibilités non manifestes, les juridictions ordinaires vont pouvoir en quelque sorte se faire aider par la Cour de justice procédant à l'interprétation de la directive.
(65) Pour une interprétation d'une stipulation conventionnelle à la lumière d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, cf. CE, Ass., 3 juill. 1996, Moussa Koné, Leb. p. 255.
(66) Sabète (W.), « Primauté et hiérarchie : deux concepts dépassés des rapports entre le droit constitutionnel et le droit communautaire », sous la dir. d'Hélène Gaudin, Paris, Economica, PUAM, 2001, p. 141, spéc. p. 143.