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Présentation de la Cour constitutionnelle italienne

Alessandro PIZZORUSSO - Professeur à l'Université de Pise

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 6 (Dossier : Italie) - janvier 1999

L'institution de la Cour : raisons et circonstances

Costantino Mortati a ainsi exposé, peu après l'entrée en vigueur de la Constitution de 1947 , les raisons qui ont conduit les constituants italiens à introduire le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois : « on voulait dresser des obstacles à la restauration de gouvernements tyranniques comme le gouvernement fasciste et il était nécessaire d'instituer un organe régulateur des conflits qui pouvaient naître de la nouvelle structure régionale de l'État ».

Or, si aujourd'hui, nous demandions à un constitutionnaliste italien quelle a été la principale fonction assurée par la Cour en plus de quarante ans d'activité, la réponse serait probablement très différente. Durant ces années, en effet, la Cour n'a pas eu souvent l'occasion de s'opposer au retour de régimes autoritaires et sa charge relative à la résolution des conflits entre État et régions, même si elle revêt une certaine importance, n'a jamais joué un rôle déterminant.

Et, de fait, si, durant ces quarante ans, le néo-fascisme a, parfois, fait parler de lui, les principales questions qu'il a suscitées n'ont presque jamais eu l'occasion d'être soumises à l'examen de la Cour. Les quelques décisions qu'elle a adoptées en cette matière ne se distinguent pas de l'ensemble de sa jurisprudence et personne n'en a attendu une contribution supérieure à celle qu'elles ont apportée.

Par ailleurs, le contentieux État-Régions a perdu une grande partie de sa valeur en raison de la constitution tardive des régions à statut ordinaire - intervenue seulement en 1970 - et, lorsqu'elle a été mise en oeuvre, en raison du caractère très limité de l'autonomie régionale. En effet, la compétence de la Cour pour décider des questions de constitutionnalité soulevées par un recours par voie principale et celle relative aux conflits d'attribution entre l'État et les régions, ont pris une nouvelle dimension jusqu'à donner parfois l'impression d'un alignement des fonctions de la Cour sur celles qui sont caractéristiques de la juridiction administrative.

On peut présumer, au contraire, qu'aujourd'hui un constitutionnaliste considérerait que la fonction principale de la Cour a consisté à valoriser fortement le rôle de la Constitution en tant que texte juridique déterminé par certaines modalités du contrôle de constitutionnalité des lois tel qu'il a été introduit en Italie. On observe la même évolution dans plusieurs pays européens, au cours du XXe siècle ; dans ces pays elle a conduit à abandonner progressivement les attitudes de défiance qui avaient empêché, précédemment, de suivre l'exemple offert par la jurisprudence américaine à partir de la décision Marbury v. Madison. Mais en Italie, certaines circonstances ont amplifié considérablement le phénomène.

La première de ces circonstances découle de la décision prise au printemps de l'année 1946 par les dirigeants des partis qui géraient la transition vers la démocratie, de renvoyer au premier Parlement qui serait élu sur la base de la nouvelle Constitution les réformes législatives nécessaires pour épurer l'ordonnancement juridique italien des dispositions fascistes. En même temps, la compétence de l'Assemblée constituante était limitée à la rédaction de la Constitution même et à quelques autres fonctions essentiellement non législatives.

Quelles que soient les finalités poursuivies par les dirigeants politiques italiens qui ont pris cette décision, il est certain que ses effets ont été très différents de ceux que l'on aurait pu prévoir lorsqu'elle a été prise et ce, en raison de toute une série d'événements. Le premier d'entre eux a été le déclenchement de la « guerre froide » au cours de l'année 1947 qui a rendu difficile entre les partis italiens la collaboration nécessaire à la constitution de l'État démocratique, alors qu'elle s'était vérifiée dans la période qui a suivi immédiatement la Libération et qu'elle s'était poursuivie durant les travaux de l'Assemblée constituante .

Pour ces raisons, lorsque la Constitution entre en vigueur le 1er janvier 1948, son application apparaît politiquement difficile d'autant que l'échec de la mise en oeuvre des principes constitutionnels devient un motif de polémique constante entre la majorité pro-américaine qui, dans cette situation nouvelle, hésite à renoncer à l'utilisation de la législation héritée de l'État autoritaire, et l'opposition pro-soviétique qui orchestre la revendication des libertés démocratiques.

De ce fait, l'institution même de la Cour constitutionnelle est retardée de huit années . Or, lorsqu'elle peut commencer à fonctionner, en 1956, la mise en oeuvre par voie parlementaire des réformes de la législation ordinaire a été renvoyée sine die (à l'exception de quelques cas presque exceptionnels) et la jurisprudence (particulièrement celle de la Cour de cassation) soutient que les normes à caractère « programmatique » - parmi lesquelles sont incluses aussi presque toutes celles relatives aux droits fondamentaux - ne donnent pas naissance à des situations juridiques subjectives pouvant être protégées au moyen du recours au juge, mais qu'elles comportent des obligations seulement pour le législateur (sans que ces obligations soient, au reste, sanctionnées juridiquement d'aucune manière).

Une telle situation va conférer à la première décision de la Cour constitutionnelle une importance tout à fait particulière. La Cour y affirme le caractère de norme juridique de toutes les dispositions constitutionnelles, y compris celles dites programmatiques, et, par conséquent, leur aptitude à déterminer au moins l'inconstitutionnalité éventuelle des normes législatives ordinaires qui leur seraient incompatibles.

On comprend mieux encore l'importance pratique de cette prise de position quand on la met en relation avec certaines des règles posées par la Constitution (et par la loi constitutionnelle n° 1 du 8 février 1948, adoptée elle aussi par l'Assemblée constituante). Il faut citer, plus particulièrement, la règle qui attribue aux décisions d'admission de la Cour l'effet direct et immédiat de faire cesser les effets produits par la loi ou par la partie de la loi déclarée inconstitutionnelle (art. 136 de la Constitution), de même la règle qui permet à tout juge devant appliquer une disposition ou une norme législative dans un procès en cours devant lui, de renvoyer à la Cour la décision préalable sur toute question de constitutionnalité qui lui paraît « non manifestement infondée » (art. 1er, loi constitutionnelle n° 1 de 1948) relative à cette disposition ou cette norme. Conformément à la première de ces règles, les décisions d'admission de la Cour peuvent, par elles-mêmes, produire des effets du même type que ceux généralement caractéristiques d'une loi d'abrogation ; selon la seconde, la décision du juge, relative aux questions de constitutionnalité des lois, peut déterminer une « question préjudicielle » au sein de toute procédure juridictionnelle, à tout état ou degré de celle-ci. Lorsque ces deux règles sont combinées avec le principe de juridicité des normes constitutionnelles, leur domaine d'application devient très large indépendamment de toute médiation politique ou politico-administrative. Mais aussi : lorsqu'on se trouve en présence d'une loi ordinaire manifestement contraire à la Constitution, la mise en oeuvre de cette dernière implique nécessairement le renvoi de la question à la Cour constitutionnelle ; lorsqu'il n'y a pas lieu de le faire, parce que la loi n'existe pas ou parce qu'elle est incertaine, la Constitution s'applique directement dans les procès ordinaires à l'égal de toute autre norme de droit positif .

Dans une première période, qui a suivi l'institution de la Cour constitutionnelle, l'applicabilité directe de la Constitution s'est vérifiée principalement pour éliminer les lois les plus caractéristiques de l'ordonnancement antérieur et qui étaient restées en vigueur en raison de la situation de blocage au sein du Parlement. Lorsque les questions de ce type commencèrent à s'épuiser, la pratique était instaurée de la transformation de toute question politique ou administrative en une question « justiciable » (ainsi qu'A. de Tocqueville l'avait observé aux États-Unis, plus d'un siècle auparavant). Dès lors, l'activité de la Cour est connue grâce aux publications juridiques et scientifiques ainsi que par la Gazzetta Ufficiale et par la presse non spécialisée. Une oeuvre importante de formation et de sensibilisation aux valeurs constitutionnelles est ainsi réalisée, grâce au dialogue qu'elle a été contrainte d'établir avec les juges a quibus, auprès des juges eux-mêmes, des avocats, des juristes en général comme des citoyens. Certes, une telle évolution trouve essentiellement son origine dans la décision prise par les constituants d'attribuer à la Constitution un caractère rigide et d'introduire un contrôle de la constitutionnalité des lois. Cependant, on comprend que ce sont les particularités du cas italien qui ont permis que de telles innovations produisent, dans ce pays, des effets plus importants sur la vie de la société civile que ce qu'il en a été dans la grande majorité des cas.

Il faut, par ailleurs, observer qu'il en a été ainsi malgré l'absence de toute tradition allant en ce sens : en effet, même si on disposait en Italie d'études constitutionnelles qui, dans la lignée de la doctrine allemande, avaient souligné la possibilité de valoriser la qualité de norme juridique de la Constitution, la tradition qui s'était formée durant la période de mise en vigueur du Statut albertin restait dominante : le Statut avait toujours été considéré comme une constitution flexible et comme un document doté d'une valeur presque exclusivement politique. Au reste, même au cours des travaux de l'Assemblée constituante, n'ont pas manqué les prises de position qui étaient nettement hostiles à l'introduction de la justice constitutionnelle : soit des membres de la classe politique pré-fasciste (parmi lesquels Vittorio Emanuele Orlando, un des maîtres du droit public dont les recherches ont été principalement conduites au XIXe siècle), soit du leader communiste Palmiro Togliatti (qui décrit la Cour constitutionnelle comme une espèce de monstrum juridique et politique) .

Dès lors, pour toutes ces raisons, on peut soutenir, d'une part, que les fortunes de la Cour italienne ont été liées, à l'origine, à la situation de « démocratie bloquée » qui s'était déterminée en Italie avec la « guerre froide », qu'elles ont, d'autre part, permis à la Cour de suppléer une activité parlementaire incapable de réformer la législation ordinaire (et incapable souvent d'adopter les instruments législatifs nécessaires à la mise en oeuvre des programmes du gouvernement bien qu'approuvés par ces mêmes assemblées qui leur faisaient obstruction), et, enfin, que la fin de la « démocratie bloquée » a ouvert une nouvelle période, plus difficile, dans l'activité de la Cour.

L'analyse de cette thèse nécessiterait un large débat qu'il n'est pas possible d'ouvrir ici mais on peut, au moins, faire deux observations. Il faut noter, en premier lieu, que la fin officielle de la guerre froide internationale - que l'on situe habituellement à la chute du mur de Berlin - a été précédée en Italie d'une période assez longue durant laquelle la plus grande partie des conséquences de la guerre froide avait, désormais, disparu sur le plan interne. On était en présence d'une situation de collaboration entre les deux tendances opposées, ce qui a eu quelque effet sur l'activité même de la Cour, en en favorisant la collaboration avec le Parlement et les autres organes constitutionnels.

Cette situation a donné l'impression que le rôle de la Cour s'était élargi mais on pourrait probablement soutenir, au contraire, que la Cour a beaucoup mieux démontré sa force lorsqu'elle a réussi à s'imposer dans les conflits qui l'ont confrontée au Parlement et à la Cour de cassation, que lorsqu'elle a oeuvré comme un « médiateur » des conflits sociaux dans le cadre de la politique « consociative » des années soixante-dix et quatre-vingt. Cette coopération - se traduisant parfois par des arrêts qui tiraient les marrons du feu pour le Parlement ou pour le Gouvernement - a, probablement même été une cause (et un symptôme) de faiblesse. En ce sens, les décisions mettant en oeuvre le principe d'égalité en faveur des catégories sociales défavorisées ne peuvent être considérées qu'en partie comme un élément positif. Elles ont représenté pour les intéressés un peu plus que de la charité, mais elles ont servi de prétexte aux accusations adressées à la Cour d'ouvrir des gouffres dans le budget de l'État. Très discutées ont été aussi les décisions qui ont permis le développement des chaînes de télévision privées.

La seconde observation concerne la période qui a suivi la fin officielle de la guerre froide. Celle-ci, malgré les apparences, n'a pas du tout marqué, sur le plan interne, la fin du parlementarisme ou de la démocratie bloquée, mais elle a, cependant, enlevé à la Cour certaines positions dont elle bénéficiait auparavant. Dès lors, il lui est difficile d'opérer un choix net devant l'alternative d'un recours toujours plus large au self-restraint (en réalité parfois déjà largement pratiqué par le passé) et une attitude plus exposée aux risques de réactions excessives (même si elle a conduit la Cour au succès, durant la période antérieure). En effet, la seconde hypothèse supposerait l'existence entre les juges constitutionnels d'une communion de pensée, sur le plan culturel et politico-culturel, que l'on imagine difficilement dans une société aussi profondément divisée que l'est la société italienne actuelle.

D'autres observations seront développées en conclusion de cette étude mais il faut ajouter, dès à présent, qu'il existe une période intermédiaire entre « l'âge d'or » de la jurisprudence constitutionnelle italienne (qui correspond à la période essentiellement consacrée au contrôle des lois antérieures à la Constitution) et la période marquée par une plus grande implication politique observée par certains commentateurs dans la jurisprudence de ces dernières années (et qui se caractérise par l'importance croissante des jugements sur les conflits entre les pouvoirs ou sur l'admissibilité des demandes de référendum abrogatif) . Au cours de cette période intermédiaire, l'activité de la Cour s'est révélée moins efficace, soit en raison du développement d'orientations jurisprudentielles qui l'ont portée à déclarer irrecevables (ou de toute façon, à ne pas décider) un pourcentage très élevé de questions, soit en raison de l'allongement du temps nécessaire pour rendre les décisions . Cette période a été, néanmoins, suivie d'une réaction d'orgueil de la Cour qui, en l'espace de deux ans, autour de l'année 1988, a éliminé l'arriéré énorme qui s'était constitué et a retrouvé des temps de travail acceptables, montrant ainsi l'exemple (bien que, malheureusement, non suivi) aux autres juridictions italiennes qui ont les mêmes problèmes. Parallèlement, la jurisprudence relative à l'irrecevabilité des questions de constitutionnalité, a trouvé des solutions plus satisfaisantes, au moins sous l'angle pratique, ce qui a permis à la Cour de réaliser les conditions favorables pour travailler plus sereinement à un moment où les autres pouvoirs de l'État devaient faire face à beaucoup d'autres difficultés.

L'organisation de la Cour et le status des juges

La Cour constitutionnelle italienne comprend deux formations : l'une, compétente pour juger pénalement les infractions commises par le Président de la République, l'autre, compétente pour exercer toutes les autres attributions de la Cour. Dans sa formation ordinaire, la Cour siège avec la participation des quinze juges qui la composent, ou de toute façon avec au moins onze d'entre eux, en cas d'empêchement d'un ou de plusieurs juges ou de vacance d'un ou plusieurs sièges. Dans sa formation spéciale, aux quinze juges constitutionnels « ordinaires », s'ajoutent seize juges « associés » (et quatre suppléants), tirés au sort sur une liste de citoyens, éligibles aux fonctions de sénateur, que le Parlement dresse tous les neuf ans. Le nombre des membres composant le collège ne peut être inférieur à vingt et un ; onze d'entre eux au moins sont des juges associés, étant entendu que dans toutes les hypothèses, les juges associés doivent être en majorité. Même si la Cour travaille toujours en formation plénière, cela n'exclut pas, cependant, que des collèges composés spécialement puissent traiter en même temps, différentes affaires ; néanmoins, la relation établie entre la constitution d'un collège et la procédure concernée empêche l'admission ultérieure de nouveaux membres. D'autres collèges restreints exercent les fonctions administratives relatives à la gestion de l'institution.

Les juges de la Cour sont choisis, pour cinq d'entre eux par le Président de la République, cinq par les deux chambres du Parlement réunies en séance commune et cinq par les « magistratures suprêmes judiciaire et administrative », c'est-à-dire, plus précisément, trois par un collège composé des magistrats qui exercent leurs fonctions près la Cour de cassation (y compris comme magistrats du Parquet), un par un collège formé des conseillers d'État et un, enfin, par un collège composé des conseillers à la Cour des comptes. Les désignations présidentielles constituent des « actes propres » du chef de l'État dont le contreseing contribue à leur perfection formelle mais n'implique aucunement une ingérence gouvernementale dans le choix de la personne . L'élection parlementaire a lieu au scrutin secret et à la majorité des deux tiers des membres des deux chambres réunies (puis, à partir du quatrième tour de scrutin, à la majorité des trois cinquièmes). L'élection par les collèges juridictionnels a lieu à la majorité absolue avec ballottage éventuel entre les deux candidats ayant obtenu le plus de voix (si un seul juge doit être élu, ou bien entre les quatre ou les six candidats ayant obtenu le plus de voix, dans tous les autres cas), et élection du candidat le plus âgé en cas d'égalité des voix.

Les déclarations de candidatures ne sont pas prévues, mais un droit de proposition en faveur des plus grands partis est généralement reconnu dans le cas de l'élection parlementaire, même si, cependant, la discipline de groupe s'est révélée souvent inopérante. Au sein des organes juridictionnels, en revanche, il y a toujours eu des candidatures internes au collège délibérant, et dénuées de tout caractère politique .

Le mandat des juges est de neuf ans, à partir de la date de prestation de serment, toute prorogatio étant exclue. A l'origine, la Constitution et la loi constitutionnelle n° 1 de 1953 établissaient un mandat de douze ans et le renouvellement partiel à la fin des douze premières années sans cependant prévoir aucune disposition dans l'hypothèse de remplacement en cours de mandat. Or, à la fin de cette première période, on recensait plusieurs cas de vacance et il était impensable de réduire la durée du mandat des remplaçants alors qu'ils avaient été nommés sans qu'une précision ait été donnée à cet égard. Pour ces raisons, on a adopté le système du remplacement de chaque juge à la fin de son mandat, par l'autorité de nomination. On observe, néanmoins, que le hasard des échéances de mandat a parfois conduit le titulaire du pouvoir de nomination à retarder certains remplacements (en violation donc du délai prescrit qui n'a pas un caractère impératif ) pour procéder à des nominations multiples, équilibrées selon une logique politique. Ces retards de nomination représentent, cependant, une menace potentielle pour l'indépendance de la Cour.

Les conditions pour être désigné sont les mêmes quelle que soit l'autorité de nomination. Ainsi, les juges de la Cour doivent être choisis parmi « les magistrats, même à la retraite, des juridictions supérieures judiciaires et administratives », ou les « professeurs de droit des Universités », ou les avocats « ayant au moins vingt ans d'exercice ». Il faut ajouter de nombreux cas d'incompatibilités des fonctions et l'interdiction « d'exercer une activité liée à une association ou à un parti politique ». En revanche, les juges constitutionnels jouissent de l'immunité pour les votes émis et les opinions exprimées dans l'exercice de leurs fonctions, de la garantie de l'irrecevabilité, sans autorisation de la Cour, de toute action pénale engagée contre eux durant leur mandat, de l'irrévocabilité sauf décision contraire de la Cour, de l'alignement de leur traitement sur celui du plus haut magistrat de l'ordre judiciaire, ainsi que d'autres prérogatives moins importantes.

La Cour jouit, en outre, de l'autonomie d'organisation interne, financière et réglementaire et du pouvoir de « s'auto-juger » (c'est-à-dire du pouvoir de juger les recours de son propre personnel pour des questions liées aux rapports de travail). Elle a, au reste, le pouvoir de juger de la régularité de l'élection de ses membres et jouit de la protection pénale contre les menaces physiques ou verbales dont elle serait l'objet (dans ce cas aussi la possibilité de déclencher des poursuites est subordonnée à l'autorisation de la Cour ).

Le Président de la Cour est élu pour trois ans par les juges de la Cour et, dans tous les cas, pour une durée qui ne peut excéder la fin de son mandat de juge. Dans les hypothèses d'élection avec mandat triennal effectif, il y a toujours eu réélection du Président pour la période du mandat qu'il lui restait à assurer en tant que juge. L'élection a lieu au scrutin secret et à la majorité absolue aux deux premiers tours ; en cas d'échec, il y a donc ballottage entre les deux candidats ayant obtenu le plus de voix ; en cas d'égalité des voix, est élu le plus ancien dans les fonctions de juge à la Cour et, en cas d'égalité d'ancienneté, est élu le candidat le plus âgé.

Le Président a voix prépondérante en cas d'égalité des voix ; il exerce les pouvoirs traditionnels d'un président de juridiction (désignation de rapporteurs, établissement du rôle des audiences et des chambres du conseil, direction des débats et diverses fonctions processuelles de même type), ainsi qu'un pouvoir de présentation de l'activité de la Cour au public (c'est-à-dire à la presse) et d'expression des opinions de la Cour, pouvoir aux frontières imprécises qui a pris, parfois, quelque importance.

Depuis 1987, les décisions portent seulement la signature du Président et du « rédacteur », qui est normalement le juge nommé rapporteur. C'est le seul indice officiel des opinions exprimées en chambre du conseil, dans la mesure où, lorsque le rapporteur s'est trouvé en minorité, un autre rédacteur a été nommé (et a apposé sa signature) ; il n'est, cependant, pas exclu que le rapporteur soit conduit à motiver l'opinion de la majorité, comme c'était le plus souvent le cas avant 1987, lorsque la substitution éventuelle du rédacteur ne ressortait pas du texte officiel. L'opportunité d'introduire les opinions dissidentes ou concurrentes a fait l'objet d'un long débat et en 1993 la Cour a consacré l'un de ses séminaires d'études à ce thème ; en 1997, une proposition de révision constitutionnelle tendant à admettre ces opinions faisait partie du projet de réforme de la seconde partie de la Constitution élaborée par la troisième Commission bicamérale pour les réformes institutionnelles qui a échoué.

La perspective d'une publication des opinions dissidentes ou concurrentes peut susciter quelque préoccupation compréhensible ; cependant, on doit reconnaître que l'approbation collégiale de la motivation, telle qu'elle est pratiquée à l'heure actuelle, conduit assez souvent à la formation de solutions de compromis qui ne favorisent pas la clarté et la cohérence de la jurisprudence de la Cour.

Les fonctions de la Cour

Les fonctions de la Cour constitutionnelle italienne sont les suivantes :

a) le contrôle « incident » de constitutionnalité des lois ;

b) le contrôle « principal » de constitutionnalité des lois ;

c) les conflits d'attributions entre l'État, les Régions et les Provinces de Trente et Bolzano ;

d) les conflits d'attributions entre les pouvoirs de l'État ;

e) le jugement sur l'admissibilité des demandes de référendum abrogatif ;

f) le procès pénal pour infractions commises par le Président de la République ;

g) le jugement des recours du personnel de la Cour relatifs à leur rapport de travail.

Parmi ces fonctions, les recours par voie principale contre les lois, les conflits d'attribution et les recours du personnel présentent la structure d'un « procès entre parties », dans lequel donc, l'une fait une demande et l'autre lui résiste, dans lequel aussi un désistement est possible qui, sous certaines conditions, peut conduire à l'extinction du procès ; leur structure est donc globalement semblable à celle du procès administratif.

Plus précisément, seuls les recours par voie principale et les conflits entre l'État et les Régions ont pour caractéristique d'avoir comme parties éventuelles, des personnes publiques déterminées (l'État, les vingt Régions et les deux Provinces de Trente et de Bolzano, ainsi que, dans le cadre des recours prévus à l'article 56 du Statut du Trentin-Haut-Adige, les trois groupes linguistiques de cette Région ). En revanche, les recours introduits par le personnel ne peuvent connaître comme requérants que les personnes physiques appartenant à ce personnel. Enfin, les conflits entre les pouvoirs de l'État se distinguent de toutes les autres compétences parce que le recours est adressé à la Cour qui décide de sa recevabilité, sans procédure contradictoire. Si le recours est jugé recevable, la Cour détermine les personnes auxquelles il doit être notifié (et, par conséquent, en substance qui doit prendre la qualité de parties).

Le contrôle incident est, au contraire, construit dans la perspective de la résolution d'une question préjudicielle liée à un autre procès en cours devant un autre juge (ou devant la Cour elle-même ) ; dans tous les cas, la décision de la Cour, si elle admet le bien-fondé de la question, produit des effets même à l'extérieur du procès au cours duquel elle a été soulevée. Dès lors, le cours du procès constitutionnel incident ne peut être lié aux aléas du procès au fond (dit « procès a quo ») ; il doit se poursuivre même si des faits se produisent qui impliquent la suspension, l'interruption ou l'extinction du procès au fond (art. 22, des normes complémentaires relatives aux procès constitutionnels) . Par conséquent, bien que les droits en cause dans le procès constitutionnel incident soient essentiellement ceux qui sont en cause dans le procès a quo, en raison de la portée erga omnes de la décision éventuelle d'admission, le procès constitutionnel prend les caractères propres d'un procès « de droit objectif », même lorsque dans le procès a quo, on discute de droits subjectifs, comme c'est le cas, par exemple, si un tel procès est un procès civil.

D'une manière encore plus nette, le jugement sur l'admissibilité des demandes de référendum abrogatif peut être qualifié de procès « de droit objectif ». Ce jugement donne lieu, en effet, à une décision préalable à une procédure qui n'est certainement pas de nature juridictionnelle et dont il constitue une étape obligatoire qui est déclenchée d'office.

Enfin, le procès pour les infractions commises par le Président de la République est organisé comme un procès pénal ; une personne ad hoc, dénommée « commissaire d'accusation », y assume les fonctions dévolues normalement au ministère public, tandis que l'initiative de l'accusation est de la compétence des deux chambres du Parlement réunies en séance commune (selon la tradition anglo-saxonne de l'impeachment) .

Le contrôle « incident » de constitutionnalité des lois

Le contrôle incident de constitutionnalité des lois est la plus importante de ces compétences, y compris d'un point de vue quantitatif : il absorbe, en effet, normalement au moins les trois quarts du travail de la Cour.

Une série de problèmes, abordés de front par une jurisprudence désormais très abondante, concernent l'existence des conditions qui doivent être satisfaites pour que le juge a quo puisse renvoyer à la Cour une question de constitutionnalité. L'absence de ces conditions empêche le renvoi de la question à la Cour ou bien provoque une décision d'irrecevabilité de cette dernière.

Certaines de ces conditions résultent explicitement de l'article 1er de la loi constitutionnelle n° 1 de 1948 et de l'article 23 de la loi (ordinaire) n° 87 du 11 mars 1953, tandis que d'autres ont été dégagées par la jurisprudence de la Cour par le biais d'une appréciation d'ordre systématique.

La première condition, dans un ordre logique, découle de la qualité de « juge » du sujet qui rend l'ordonnance de renvoi et du fait que celle-ci est rendue « au cours » d'un procès. Cette condition n'est pas remplie lorsque l'ordonnance provient, par exemple, d'un fonctionnaire (à moins qu'il n'agisse en qualité de « juge spécial ») ou d'un organe judiciaire s'il agit dans l'exercice de fonctions administratives. L'appréciation de cette condition a donné lieu à une jurisprudence très dense.

La seconde condition découle, elle, de la qualité de la norme contestée, qui doit être une loi ou un acte ayant force de loi, émanant de l'État, des Régions ou des Provinces de Trente et de Bolzano. A cet égard, on a surtout discuté longuement sur le point de savoir si l'objet de la contestation pouvait être des « dispositions », c'est-à-dire des textes législatifs (ou des parties de ceux-ci) ou bien également des « normes » tirées, par voie d'interprétation, d'un ou plusieurs textes. Comme il n'existe pas, pour les décisions de la Cour constitutionnelle, de règle semblable, par exemple, à celle qui, pour le référendum abrogatif, prescrit qu'il doit avoir pour objet une loi ou des articles, des alinéas ou des mots déterminés d'un texte législatif (article 27 de la loi n° 352 du 25 mai 1970), on admet que la question soulevée (et l'éventuelle décision de la Cour qui la tranche) puisse avoir pour objet également une norme fondée sur l'interprétation d'un ou plusieurs textes législatifs. Par voie de conséquence, les ordonnances de renvoi (et les arrêts de la Cour) contiennent souvent des formules au moyen desquelles on ne se limite pas à indiquer l'objet lui-même par référence à une loi, un article, un alinéa, etc. En effet, on utilise également une expression linguistique autonome par rapport au texte de la loi qui permet d'indiquer une norme qui peut être tirée d'un ou plusieurs textes par un raisonnement plus ou moins complexe. En tout état de cause, une référence à un texte législatif est exigée et son absence dans l'ordonnance de renvoi a parfois donné lieu à des décisions d'irrecevabilité.

Il faut noter que l'opération interprétative utilisée dans ces hypothèses par le juge a quo (ou par la Cour) peut consister soit à opposer une lecture interprétative du texte à une autre (questions ou arrêts "  interprétatifs « au sens strict, dans lesquels le dispositif renvoie parfois aux motifs), soit à retrancher une partie du contenu normatif d'un texte pour le séparer de l'autre partie non entachée de vices d'inconstitutionnalité  » dans la partie où il prévoit que... "), soit à déterminer une omission du texte législatif (« dans la partie où il ne prévoit pas que... »), soit à déterminer la cause de l'inconstitutionnalité du texte dans la présence d'un énoncé au lieu d'un autre qui le rendrait compatible avec la Constitution (« dans la partie où il prévoit que... au lieu de.. »). Puisque, dans les deux dernières hypothèses, l'éventuel arrêt d'admission de la Cour a pour effet d'ajouter un contenu normatif au texte en vigueur ou bien de modifier ce contenu normatif (les arrêts dits « manipulatifs » que l'on peut distinguer en arrêts « additifs » et « substitutifs »), même en exécution d'une obligation découlant d'une norme constitutionnelle, doctrine et jurisprudence s'accordent pour reconnaître la recevabilité des questions ainsi posées à la seule condition que la solution à adopter pour éliminer le vice de constitutionnalité soit la seule possible . Par conséquent, les questions qui demandent une intervention de ce type sont déclarées irrecevables lorsque, pour éliminer le vice d'inconstitutionnalité, il est nécessaire de choisir entre plusieurs solutions possibles. Un tel choix ne peut, en effet, qu'appartenir au législateur.

En plus de ce type de problèmes, qui ont beaucoup occupé doctrine et jurisprudence, la détermination de l'objet possible des questions de constitutionnalité suppose également l'interprétation de la formule « loi ou acte ayant force de loi » qui est utilisée par l'article 134 de la Constitution. Le système des sources du droit actuellement en vigueur en Italie présente de nombreux types de sources, dont l'équivalence à la loi pourrait être soutenue ou exclue sur le fondement d'une argumentation plus ou moins complexe . Ne pouvant, dans le cadre de cette étude, rendre compte, pas même à grands traits, de cette problématique, nous nous bornerons à signaler que la Cour a reconnu la recevabilité des questions ayant pour objet les décrets-lois et les décrets législatifs , les lois régionales et les lois des Provinces de Trente et de Bolzano ainsi que les lois constitutionnelles (à condition que ces dernières soient contestées uniquement sous l'angle de la violation des « principes suprêmes » de la Constitution ). En revanche, la Haute instance a refusé la recevabilité des questions portant sur les règlements parlementaires, les règlements de la Cour elle-même (bien qu'on situe, en principe, les uns et les autres parmi les sources « primaires », c'est-à-dire dotées d'une force égale à celle de la loi), les règlements de l'Exécutif (dotés, au contraire, de la force propre aux sources « secondaires ») et les actes normatifs communautaires (considérés comme étant étrangers à l'ordonnancement de l'État italien, même s'ils s'appliquent avec effet direct en Italie) . On considère que les traités internationaux peuvent faire l'objet d'un contrôle dans la mesure où ils ont été transformés en normes de droit interne . En principe, les lois antérieures à la Constitution peuvent également être soumises au contrôle de constitutionnalité.

Le contrôle de la Cour se présente comme un contrôle de « légitimité constitutionnelle » (article 134 de la Constitution), ce qui exclut que puissent être examinés des vices d'opportunité. Les vices de légitimité qui peuvent être dénoncés incluent tant les vices de légitimité « formelle » que les vices de légitimité « substantielle ». Toutefois, s'agissant des vices inhérents à la procédure législative, on ne peut faire état devant la Cour constitutionnelle que des violations qui impliquent le non-respect de normes constitutionnelles (et non pas également des violations des règlements parlementaires). Ainsi, le traditionnel principe de l'incontestabilité des interna corporis, dont on avait pu saluer, avec faveur, le déclin comme conséquence probable d'un arrêt désormais ancien de la Cour , a, au contraire, substantiellement survécu à l'avènement d'une constitution rigide et d'un contrôle de constitutionnalité. Il s'est même trouvé renforcé par une décision de la Cour qui a reconnu l'incontestabilité des règlements parlementaires .

Si les motifs d'irrecevabilité jusqu'ici recensés ont donné lieu à des problèmes qui se confondent parfois avec ceux qui doivent être tranchés par la résolution des questions soumises à la Cour, deux autres conditions concernent, elles, plus spécifiquement le juge a quo : elles tiennent au caractère pertinent de la question (sa " rilevanza ") et à son caractère non manifestement infondé (sa " non manifesta infondatezza ").

La condition tenant au caractère non manifestement infondé de la question n'exige pas d'explications particulières. Elle implique l'exercice, par le juge a quo, d'une fonction de filtre destinée à empêcher que parviennent à la Cour des questions manifestement dépourvues de motifs sérieux à leur soutien. En pratique, l'usage que les juges ont fait de ce pouvoir de sélection n'a pas du tout été homogène et constant. On a pu souvent relever des abus aussi bien dans un sens que dans l'autre. Dans l'ensemble, toutefois, on peut dire que, grâce à l'attribution du pouvoir de soulever des questions à tous les juges, ordinaires et spéciaux, de premier ou de second degré, ce filtrage n'a jamais empêché les questions importantes d'être soumises à l'examen de la Cour, si cela était techniquement possible. L'expérience de ces dernières décennies a montré, au contraire, qu'il existe des « zones d'ombre » qui peuvent difficilement (ou tardivement) être touchées par le contrôle incident. Il en est ainsi lorsqu'il est question de normes applicables même si elles ont cessé d'être en vigueur (comme les lois pénales plus douces ) ou lorsque le contrôle est effectué trop tard (comme cela se produit, parfois, pour les lois électorales).

En revanche, les problèmes que soulève la reconnaissance du caractère pertinent de la question de constitutionnalité sont beaucoup plus complexes, même sur un plan purement théorique. En effet, pour reconnaître que cette condition est bien satisfaite, il faut vérifier au préalable, même si on peut toujours le démontrer rationnellement, que le cas d'espèce qui fait l'objet du procès en cours devant le juge a quo, devra bien être résolu par application de la loi dont on met en doute la constitutionnalité. Nous nous trouvons, par conséquent, devant un cas de « préjudicialité », qui découle du principe général qui impose au juge de contrôler la validité des normes dont il doit faire application. Dans le cas présent, toutefois, le juge ne peut pas effectuer lui-même directement ce contrôle, mais doit en investir la Cour et se conformer à la décision que cette dernière sera amenée à rendre.

Il faut noter, en particulier, que l'on considère comme pertinente pour être appliquée dans un procès donné non seulement la norme substantielle sur laquelle on fonde la demande judiciaire civile ou la norme pénale dont le ministère public requiert l'application, mais également toute autre norme qui, d'une manière ou d'une autre, peut exercer une incidence, du point de vue de l'an et du quomodo, aussi bien sur ce qui est décidé dans l'arrêt qui met un terme au procès, que sur toute mesure d'instruction ou toute ordonnance, qui doit être prise dans le cours du procès.

Il faut particulièrement relever la correspondance qui existe entre le rapport de pertinence (" rilevanza ") existant entre la question de constitutionnalité et la matière du litige à trancher dans un procès donné et le champ des effets attachés à l'éventuelle décision d'admission de la question. Comme il va sans dire, en effet, la question revêt un caractère pertinent si l'éventuel arrêt d'admission auquel elle peut donner lieu est en mesure de produire des effets dans le procès en cours. Ainsi, l'arrêt d'admission produira des effets dans un procès donné si la question correspondante a revêtu (ou aura revêtu) un caractère pertinent par rapport à ce procès. Mais le fait que le jugement du juge a quo soit un jugement à venir complique considérablement les choses, spécialement dans les cas où l'on doit tenir compte de problèmes liés aux effets des normes dans le temps, de problèmes liés à l'élimination de violations de normes, etc.

S'agissant toujours de cette condition de recevabilité, on a, en particulier, longtemps discuté sur le point de savoir si la Cour constitutionnelle ne pouvait pas contrôler l'appréciation portée par le juge a quo sur le caractère pertinent de la question de constitutionnalité. Une partie de la doctrine a fait observer avec insistance qu'une décision de la Cour constitutionnelle qui affirmerait qu'une question de constitutionnalité ne revêt plus un caractère pertinent parce que la disposition ou la norme qui en constitue l'objet n'est pas applicable dans le procès a quo, peut se prononcer sur le fond du procès lui-même et révéler ainsi une substitution illégitime de la Cour au juge a quo .

En effet, il n'y a aucune anomalie si, par effet de la déclaration d'inconstitutionnalité de la loi sur laquelle porte la question du demandeur ou l'exception de l'intimé qui peut la paralyser, obtient gain de cause la partie qui, sur le fondement de la loi en vigueur au moment de l'introduction de la demande, n'aurait pas eu le droit de son côté. La déclaration d'inconstitutionnalité a, en effet, pour effet de changer la loi, même par rapport aux faits établis dans le procès a quo. En revanche, il y a une substitution illégitime de la Cour au juge a quo si la décision à laquelle celui-ci serait parvenu est renversée par le fait que la Cour, sans traiter de la question de constitutionnalité, affirme que la loi en vigueur n'est pas applicable aux faits de la cause. Il est clair, en effet, que l'appréciation des faits appartient au juge de la cause, et non à la Cour.

Or, aucune norme n'impose au juge de se prononcer, de manière définitive, sur l'applicabilité de la norme avant de soulever la question de sa constitutionnalité. Au contraire, s'il agissait ainsi (ce qui serait, en pratique, très compliqué, car tous les types de procès ne permettent pas de prendre des décisions partielles de ce genre), on pourrait lui objecter que la question de constitutionnalité ne revêt pas un caractère pertinent, puisque la décision par rapport à laquelle elle était préjudicielle a désormais été prise.

Dans une première phase de sa jurisprudence, la Cour avait estimé qu'elle ne pouvait pas contrôler les appréciations du juge a quo sur le caractère pertinent de la question. Mais, par la suite, elle a changé d'avis, bien qu'elle ait adopté des solutions qui oscillaient entre des cas de réexamen complet de l'appréciation du caractère pertinent de la question de constitutionnalité pour s'assurer de la recevabilité de cette dernière, des cas où elle affirme que la question est irrecevable si l'ordonnance ne motive pas (ou ne motive pas « de manière suffisante ») l'existence du caractère pertinent de la question et des cas où elle exclut tout réexamen. Si l'on se réfère aux cas de déclaration d'irrecevabilité pour absence de la condition tenant au caractère pertinent de la question, on a pu également se demander ce que doit faire le juge a quo qui, contrairement à la Cour, persiste à considérer que la norme suspectée d'inconstitutionnalité est applicable aux faits de la cause. Il ne semble pas que l'on ait trouvé une réponse convaincante.

Si le juge a quo reconnaît toutes les conditions pour soulever la question, il prend, à la demande d'une partie ou même d'office, une mesure - appelée « ordonnance de renvoi » - par laquelle il suspend le procès en cours devant lui et investit la Cour de la question . L'ordonnance, dûment motivée, est lue au cours des débats, ou bien est notifiée aux parties, au ministère public (lorsque son intervention est obligatoire) ainsi qu'au Président du Conseil des ministres, si elle concerne une loi nationale, ou au Président de l'Exécutif régional ou provincial, si elle concerne une loi respectivement régionale ou provinciale. L'ordonnance est également communiquée aux Présidents des deux Chambres du Parlement national ou, respectivement, au Président du Conseil régional ou provincial intéressé. Le Président de la Cour la fera, ensuite, publier à la Gazzetta ufficiale ainsi que, le cas échéant, au Bolletino ufficiale de la Région intéressée.

La procédure se poursuit, alors, par l'éventuelle constitution dans le procès constitutionnel des parties au procès a quo, y compris le ministère public , et par l'intervention du Président du Conseil des ministres, ou du Président de l'Exécutif régional ou provincial, au cas où ils l'estimeraient opportun . Il est également procédé à la désignation du juge constitutionnel rapporteur et à la fixation de l'audience, qui est, en principe, publique. Si aucune partie ne se constitue (le Président du Conseil des ministres et le Président de l'Exécutif régional ou provincial ne pouvant pas être considérés, à cette fin, comme partie ), ou si le rapporteur et le président reconnaissent le caractère manifestement infondé de la question de constitutionnalité, la Cour peut, au contraire, être convoquée en chambre du conseil. Pendant longtemps, la Cour n'a ouvert le contradictoire qu'aux sujets indiqués plus haut. Toutefois, au cours de ces dernières années, la Cour a montré, au contraire, une certaine disponibilité pour admettre également l'intervention d'autres sujets qui auraient un intérêt spécifique, lié au prononcé de l'ordonnance de renvoi .

Au cours de l'audience, le rapporteur présente son rapport sur la question. Puis, les parties (si elles se sont constituées et si elles sont présentes) discutent. Enfin, la Cour se retire en chambre du conseil pour délibérer.

Les décisions de la Cour prennent la forme de l'arrêt ou celle de l'ordonnance. On distingue les décisions d'admission, de rejet et d'irrecevabilité, mais aussi les décisions de restitution des actes au juge a quo, de manifesta infondatezza et d'irrecevabilité manifeste.

La distinction des cas où est adopté l'un ou l'autre type de décision ne suit pas des règles précises. En pratique, il n'a pas non plus été observé de critères absolument rigoureux. Toutefois, on peut dire, au moins, que les décisions d'admission, qui sont les seules à produire des effets erga omnes, prennent toujours la forme de l'arrêt. En revanche, le choix des autres types de décisions dépend de la procédure suivie (audience/arrêt ; chambre du conseil/ordonnance) ou du contenu de la décision (décision statuant au fond/arrêt ; décision ne statuant pas au fond ou décision de manifesta infondatezza/ordonnance). Naturellement, une même décision peut contenir plusieurs dispositifs de types différents, puisqu'elle peut trancher plusieurs questions distinctes qui ont été posées dans une même ordonnance de renvoi ou dans plusieurs ordonnances de renvoi que la Cour a jointes.

La typologie des décisions de la Cour n'a pas cessé de s'enrichir de nouveaux modèles, non seulement du point de vue des formules utilisées, mais également du point de vue des contenus décisoires. S'agissant des décisions d'admission, s'est posé, dès le départ, le problème de sauver la partie des textes législatifs qui n'étaient pas totalement affectés par les vices d'inconstitutionnalité reconnus. Cela a conduit la Cour à préférer des décisions « interprétatives de rejet » à des décisions d'admission qui auraient également fait tomber des interprétations non contraires à la Constitution . Cette ligne de conduite n'a, cependant, pas suscité de la part des juges ordinaires (et en particulier de la part de la Cour de cassation) la coopération attendue. Cela a alors poussé la Cour constitutionnelle à adopter des décisions « interprétatives d'admission » (ou, selon une autre terminologie, d'« admission partielle »), qui limitaient les conséquences de l'inconstitutionnalité à l'interprétation incompatible avec les normes constitutionnelles (ou bien à la partie du texte qui justifiait cette interprétation). Toutefois, même cette solution ne s'est pas révélée beaucoup plus efficace que la précédente. En effet, la Cour de cassation conservait, en tout état de cause, le dernier mot dans l'interprétation du droit vivant, même si celui-ci était modifié par l'effet de l'arrêt de la Cour constitutionnelle. Consciente de cette difficulté, la Cour constitutionnelle a alors été conduite à perfectionner ses techniques, d'une part en mettant au point des dispositifs d'admission qui modifiaient plus explicitement le droit vivant (comme avec les « arrêts manipulatifs » mentionnés plus haut) et, d'autre part, en admettant, de manière plus réaliste, comme objet de son propre contrôle le « droit vivant », c'est-à-dire le droit tel qu'il résulte des interprétations de la Cour de cassation . Parmi les prolongements de cette évolution, il faut signaler également l'utilisation de décisions d'admission avec effets limités dans le temps et de décisions « additives de principe », qui permettent d'insérer dans l'ordonnancement juridique, non pas une réglementation complète permettant de résoudre les cas concrets, mais un principe directeur, dont la mise en oeuvre doit revenir au législateur lui-même.

En ce qui concerne les décisions d'admission, il a fallu d'abord éclairer la portée de l'article 136 de la Constitution. Il a ainsi été admis que cette disposition constitutionnelle implique que la disposition ou la norme déclarée inconstitutionnelle cesse de produire effet à partir du jour suivant la publication de la décision, même à l'égard des situations en cours pourvu que celles-ci ne soient pas déjà accomplies (en raison d'une décision passée en force de chose jugée, d'une déchéance ou de tout autre fait qui enlève tout caractère pertinent à une éventuelle question de constitutionnalité qui aurait été posée ou qui serait posée à l'avenir à propos de la disposition ou de la norme déclarée inconstitutionnelle dans un procès ayant à statuer sur ces situations) . Cela étant précisé, les problèmes se sont surtout posés à propos des déclarations d'inconstitutionnalité qui contiennent les limites particulières que l'on a mentionnées plus haut.

En revanche, s'agissant des décisions de rejet (et de manifesta infondatezza), il est désormais tout à fait admis qu'elles produisent des effets contraignants seulement dans le cadre du procès a quo et dans les limites de la question soulevée. On doit considérer cette solution comme applicable également aux décisions d'irrecevabilité (ou, en tout état de cause, aux décisions fondées sur des motifs de caractère processuel), lorsque la cause de l'irrecevabilité ne peut pas être levée.

Le contrôle « principal » de constitutionnalité des lois

Les procès de constitutionnalité par voie principale présentent des caractéristiques fort différentes selon qu'il s'agit de contestations de lois régionales ou provinciales par l'État ou bien de contestations de lois de l'État (ou d'une autre Région ou Province ) par les Régions ou les Provinces de Trente et de Bolzano ou de lois régionales du Trentin-Haut-Adige ou de la Province de Bolzano par un groupe linguistique .

Dans le premier cas, le contrôle revêt un caractère préventif et est normalement précédé d'un « renvoi » par le Gouvernement national de la loi devant le Conseil régional pour réexamen. Le renvoi a un effet suspensif sur la procédure législative. Cette dernière ne peut se poursuivre que si le Conseil régional adopte à nouveau la loi dans les mêmes termes à la majorité absolue et si le Gouvernement ne conteste pas la loi devant la Cour pour les motifs qu'il a fait valoir dans le renvoi, ou bien si la Cour repousse le recours introduit ou si le procès s'éteint . L'identification des cas où l'on peut considérer que la loi qui a été à nouveau adoptée est « nouvelle », a donné lieu à de longs débats.

Dans le second cas, en revanche, le recours doit être introduit dans un délai qui commence à courir à partir de la publication de la loi. Partant, il s'opère, en principe, postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi. Les effets des décisions d'admission sont, ainsi, analogues à ceux des décisions rendues dans le cadre du procès incident de constitutionnalité.

La procédure se déroule selon les mêmes règles que celles que nous avons examinées pour les procès par voie incidente. Toutefois, il est des différences qui tiennent au fait que le procès par voie principale se caractérise comme un procès entre parties. Ainsi, dès lors qu'il est accepté par toutes les parties, le désistement éteint le procès .

Les conflits d'attributions entre l'État, les Régions et les Provinces de Trente et de Bolzano

La procédure des conflits entre l'État, les Régions et les Provinces de Trente et de Bolzano se rapproche beaucoup de celle des recours intentés par voie principale contre les lois. Comme les recours qui les introduisent ont pour objet des actes non législatifs , les deux compétences semblent pratiquement destinées à se compléter.

Il s'agit, en outre, de la seule compétence de la Cour où celle-ci se voit expressément conférer le pouvoir de prononcer la suspension de l'acte contesté, comme cela se produit dans le procès administratif.

Les problèmes les plus importants sont nés, cependant, de l'absence de tout critère permettant de distinguer cette compétence de la Cour constitutionnelle de la compétence générale des juges judiciaires et administratifs. Cette situation a induit des incertitudes non seulement sur la possibilité d'intenter l'un ou l'autre type de recours, mais également sur les effets des décisions rendues par la Cour ou par les juges judiciaires ou administratifs. La thèse jurisprudentielle de la prépondérance de la juridiction de la Cour constitutionnelle pourrait trouver un fondement dans le caractère spécial qui lui est reconnu par rapport aux autres. Toutefois, elle se heurte à l'atteinte portée au principe du contradictoire qui découle de l'exclusion de toute intervention devant la Cour de personnes qui ne seraient pas spécialement habilitées à agir (même s'il s'agit de personnes qui auraient un intérêt légitime à agir devant le juge ordinaire ou administratif).

La jurisprudence constitutionnelle a tendu à admettre que le recours pour conflit d'attributions permettait non seulement de faire droit à une vindicatio potestatis, c'est-à-dire à une demande de reconnaissance de l'attribution au requérant de la compétence exercée dans l'acte contesté, mais également de faire cesser un simple trouble dans l'exercice d'une compétence manifestement attribuée à l'auteur de l'acte lui-même. Cela a rendu possibles, entre autres, des recours régionaux et provinciaux contre des actes juridictionnels, bien que les régions et les provinces n'aient aucune compétence juridictionnelle. Et, comme la représentation de l'État dans ces procès est confiée généralement au Président du Conseil, on aboutit à cette absurdité que le pouvoir judiciaire (qui, dans ce cas, est la véritable partie) est représenté au procès par un membre du pouvoir exécutif (dont les intérêts sont certainement plus proches de ceux des régions et des provinces, avec lesquelles ce pouvoir partage l'exercice de la fonction administrative).

Les conflits d'attributions entre les pouvoirs de l'État

Les conflits entre les pouvoirs constituent une catégorie dont la détermination est presque entièrement remise à la sagesse de la Cour, comme le démontre la particularité déjà évoquée de cette procédure_._ En effet, le recours est adressé à la Cour qui détermine, inaudita altera parte, s'il est recevable et à qui il doit être notifié. Certains des pères de la Constitution pensaient qu'une telle compétence de la Cour ne connaîtrait pas facilement d'applications concrètes ; ils doutaient de l'acceptation des organes politiques à soumettre leurs différends à un juge, aussi particulier soit-il, comme cela est le cas de la Cour constitutionnelle. Pourtant, et plus particulièrement ces derniers temps, les questions de ce type n'ont pas manqué. Parmi elles, on peut rappeler le conflit né de l'adoption d'une motion de défiance parlementaire à l'égard d'un seul ministre , celui relatif aux rapports entre le Conseil supérieur de la Magistrature et le ministre de la Justice concernant certains services judiciaires , ceux, encore, relatifs aux rapports entre les promoteurs de référendum et certains organes de l'État .

Le problème le plus délicat qui s'est posé à la Cour, même si ce n'est pas de manière systématique, est certainement celui relatif à ce que l'on doit entendre par « pouvoir de l'État ». Evoquer la distinction classique de Montesquieu ne pouvait suffire et c'est à partir de contributions importantes de la doctrine que la Cour est parvenue à certaines conclusions aujourd'hui bien établies. En ce sens, il faut noter plus particulièrement, qu'ont été reconnus pouvoirs de l'État des sujets qui n'appartiennent pas à l'organisation étatique mais qui exercent des fonctions étatiques (les promoteurs de référendum par exemple) ; de même, le pouvoir judiciaire a été qualifié de pouvoir « diffus » dont chaque juge (ou ministère public) est titulaire en liaison avec les affaires attribuées à sa compétence (et dans les limites de celle-ci) ; enfin, a été établie une distinction des hypothèses dans lesquelles la dévolution du pouvoir exécutif revient à un seul ministre ou au Président du Conseil ou au Gouvernement dans son ensemble.

La possibilité de recourir à cette procédure à l'égard des lois a été l'objet de débats particuliers. La Cour a répondu par la négative, même si, dans un cas précis, elle a pourtant admis un recours contre un décret-loi, en justifiant l'exception par la particularité du cas.

Plus récemment, les questions les plus délicates qui se sont posées à la Cour concernent la délimitation des immunités parlementaires que les membres du Parlement cherchent à étendre jusqu'à recouvrir tout aspect de leur activité. La jurisprudence est abondante en la matière, mais on a l'impression que des développements ultérieurs sont à venir, dans un sens ou dans un autre, et cela aussi n'est évidemment pas une situation facile pour la Cour.

Les problèmes à caractère processuel auquel l'exercice de cette compétence a donné lieu, sont semblables, à l'exception des particularités déjà évoquées, à ceux relatifs aux conflits entre collectivités.

Le jugement sur l'admissibilité des demandes de référendum abrogatif

De toutes les compétences de la Cour, la compétence de jugement sur l'admissibilité des demandes de référendum abrogatif est sans aucun doute celle qui a provoqué le plus de difficultés soit en raison du caractère confus des normes constitutionnelles et ordinaires qui réglementent cette institution , soit en raison de l'usage démagogique qui, assez souvent, en a été fait par les forces politiques. Il suffit, pour s'en rendre compte, de rappeler que la réglementation en vigueur en Italie permet à dix promoteurs qui sont en mesure de recueillir 500 000 signatures (égales donc à moins d'un centième de la population totale) d'imposer un ou plusieurs thèmes de leur choix comme argument principal sur lequel, pendant des mois, des débats vont se développer dans les mass-media et l'arène politique, avant que les électeurs soient appelés à voter sur des questions souvent illisibles (et, par conséquent, facilement exploitables pour des campagnes retentissantes destinées à influencer l'opinion publique).

Lorsque les promoteurs du référendum ont réussi à recueillir les signatures, la procédure référendaire ne peut être arrêtée sauf si le Parlement adopte une loi qui permette d'atteindre les buts des propositions présentées ou bien si la Cour constitutionnelle, sur le fondement d'une appréciation de pure légalité et non d'opportunité politique, juge la demande inadmissible. La procédure peut aussi être suspendue si les chambres sont dissoutes mais, dans ce cas, elle reprend son cours après un certain délai. En dehors de ces hypothèses, la procédure ne peut, en aucun cas, être stoppée, pas même avec l'accord des promoteurs du référendum.

Ce cadre normatif de l'institution référendaire a fait porter à la Cour constitutionnelle de très lourdes responsabilités, dans la mesure où le pouvoir de contrôle qui lui revient est la seule possibilité de limitation des abus éventuels . Les tentatives allant dans cette direction n'ont eu, du reste, que des résultats modestes et n'ont même pas réussi à sauver la Cour des injures et des manifestations populaires.

Dans l'exercice de sa compétence, la Cour vérifie que la question posée aux électeurs ne concerne pas les « lois fiscales et budgétaires, d'amnistie et de remise de peine, d'autorisation de ratifier des traités internationaux », qui sont exclues du champ du référendum par l'article 75, alinéa 2, de la Constitution. Dans toute une série de décisions, la Cour a interprété cette disposition en retenant que son contrôle s'étend jusqu'à vérifier que la question posée n'est pas incompatible avec les caractéristiques de la notion même de référendum abrogatif contenue dans la Constitution et qu'elle permet aux électeurs de voter en toute conscience.

La procédure établie pour l'exercice de cette compétence de la Cour ne prévoit pas une audience mais une simple réunion en chambre du conseil ; le Comité promoteur du référendum et le Gouvernement peuvent produire des mémoires comme ils peuvent aussi faire présenter oralement par un défenseur leurs propres conclusions en chambre du conseil. L'intervention de toute autre personne est interdite.

Le procès pénal pour infractions commises par le Président de la République

La Constitution avait établi que la Cour constitutionnelle était compétente pour juger des crimes de « haute trahison » et « d'attentat à la Constitution » du Président de la République , ainsi que des infractions commises par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions, après, dans les deux cas, mise en accusation par les deux chambres du Parlement réunies en séance commune (art. 90 et 96). Le seul procès pénal constitutionnel de l'histoire de l'Italie s'est déroulé à l'égard de deux ministres et de certains de leurs complices, à l'occasion du « scandale Lockeed » . La loi constitutionnelle n° 1 du 16 janvier 1989, a modifié cette disposition, en restituant au juge judiciaire sa compétence pour juger les ministres . La compétence de la Cour se limite donc, désormais, aux infractions commises par le Président de la République.

Il s'agit d'une compétence juridictionnelle pénale qui, par certains de ses aspects, se différencie d'une compétence normale de ce type. Les facteurs de différenciation tiennent principalement, outre à la structure du juge (c'est-à-dire la Cour, dans sa composition « complétée »), à l'accusation formulée à la suite d'un débat parlementaire et d'une délibération, adoptée à la majorité absolue, des deux chambres du Parlement réunies en séance commune, et à l'exercice des fonctions de ministère public devant la Cour par un ou plusieurs « commissaires d'accusation », élus à cette fin par les deux chambres du Parlement réunies en séance commune.

Le procès se déroule selon les règles établies par le code de procédure pénale.

Le jugement des recours du personnel relatifs aux rapports de travail

Cette compétence de la Cour se substitue, en ce qui concerne son personnel, à celle du juge judiciaire ou administratif auquel il revient de statuer sur ce type de recours en application des règles générales posées par l'article 68 du décret législatif n° 29 du 3 février 1993 (substitué par l'article 29 du décret législatif n° 80 du 31 mars 1998). Une telle compétence constitue une garantie d'indépendance de la Cour, analogue à celle reconnue au Parlement. Il n'y a pas lieu de s'attarder ici sur les nombreuses anomalies propres à cette règle qui n'a connu que de rares applications lesquelles n'ont d'ailleurs pas donné lieu à d'importants débats.

Les problèmes actuels de la Cour constitutionnelle

La Cour constitutionnelle semblait être une des rares institutions qui n'avait pas besoin d'être reformée, sauf - tout au plus - sur quelques détails, jusqu'au débat récent relatif aux « réformes institutionnelles » qui sont en cours, en Italie, depuis environ trente ans et qui n'ont presque jamais donné jusqu'à présent de résultat pratique (malgré la dramatisation toujours plus grande dont elles sont l'objet). La Cour bénéficiait, en dehors de données objectives, de l'appréciation globalement très positive que son oeuvre avait reçue.

Contre toute attente, cependant, le projet de réforme de la seconde partie de la Constitution, élaboré par la Commission bicamérale qui a été instituée par la loi constitutionnelle n° 1 du 24 janvier 1997, proposait de très nombreuses modifications relatives à l'organisation de la Cour constitutionnelle et à ses compétences (mais le projet apparaît - au moins pour le moment - abandonné non pas en raison d'un blocage au Parlement mais à cause des oppositions nées entre les forces politiques qui le soutenaient).

Il est vrai que la plus grande partie de ces modifications constituait un élargissement des compétences de la Cour . Fruit de la confiance dont jouit la Cour, la reconnaissance d'un plus grand domaine d'intervention pouvait être considérée utile au fonctionnement des institutions. Cependant, comme l'a affirmé le Président de la Cour lui-même , il ne fait aucun doute que le projet de réforme, s'il avait été adopté, aurait fini par étouffer la Cour sous une masse de compétences à laquelle elle n'aurait pu faire face et qui aurait fini par la dénaturer.

Pour comprendre quel effet pratique auraient eu ces propositions, il suffit de rappeler que la Commission bicamérale avait proposé aussi d'augmenter à vingt, le nombre des membres de la Cour : cinq d'entre eux auraient été nommés par un collège formé des représentants des Communes, des Provinces et des Régions (se présentant ainsi comme les garants du nouveau régime d'autonomies adopté par le projet). Dans ce contexte, l'introduction même des opinions dissidentes qui était aussi proposée, on l'a vu, tendait à prendre une portée bien différente de celle qui est généralement la sienne, en favorisant au sein de la Cour, la formation de coalitions semblables à celles qui caractérisent les assemblées parlementaires.

L'échec de la proposition de la Commission bicamérale, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec ses propositions relatives à la justice constitutionnelle, a éloigné, au moins pour un temps, ce type de dangers, mais cela ne signifie pas que l'horizon de la Cour est dégagé de tout nuage.

L'imminence de la décision relative à l'admissibilité de la énième demande de référendum abrogatif en matière électorale (qui devrait, selon ses promoteurs, donner une poussée décisive à la transformation de la forme de gouvernement que beaucoup espèrent sans que jamais personne ne parvienne à la réaliser) a provoqué une série de déclarations menaçantes de la part des partisans du référendum. Ils estiment que si la Cour devait le déclarer inadmissible, elle rendrait un jugement politique (et je crois que tout le monde peut percevoir le ton méprisant de cette affirmation). Il est évident qu'une campagne aussi retentissante place la Cour dans une situation difficile et lui ôte toute sérénité de jugement : tout laisse à penser, en effet, que si la Cour devait déclarer le référendum inadmissible, au minimum des manifestations populaires suivraient ces menaces ; mais si, au contraire, elle le déclarait admissible en donnant satisfaction à ces excès, beaucoup pourraient penser qu'elle l'a fait pour se tirer d'embarras. Lorsque ces lignes seront lues, l'issue de l'affaire sera connue ; mais au moment où nous écrivons, on ne peut pas ne pas être préoccupé en exprimant l'espoir que la Cour puisse dépasser cette situation sans dommages excessifs.

On a connu un exemple de dégradation de situation à l'occasion d'un arrêt par lequel la Cour a déclaré partiellement inconstitutionnelle une loi du Parlement qui donnait un coup de frein substantiel aux procès engagés contre les hommes politiques et les dirigeants d'entreprises accusés de corruption . Cette loi modifiait un article du code de procédure pénale qui avait été déjà l'objet d'un arrêt de la Cour. Dans ce cas aussi, il y a eu des réactions très violentes contre l'arrêt de la Cour. Elles se sont traduites, entre autres, par une grève des avocats pénalistes et par le dépôt d'un projet de loi constitutionnelle tendant à empêcher la Cour de rendre des arrêts modificatifs du texte contesté. Bien que le Président de la République soit intervenu en défense de la Cour (mais seulement contre les avocats), le débat politico-journalistique est dominé par l'évocation des initiatives prises dans les années trente par le Président Roosevelt to curb the Court.

Si les intervenants à ce débat connaissaient les commentaires auxquels ont donné lieu les décisions du Conseil constitutionnel sur les lois de nationalisation en 1982 (et surtout l'attente de ces décisions), ils pourraient peut-être en tirer quelque élément de réflexion pour inspirer leur comportement. Pourtant, on aurait pu penser que quarante années d'expérience de justice constitutionnelle en Italie auraient favorisé la maturation de la conscience civile de ce pays au point de pouvoir juger dépassés des arguments aussi surannés.