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Les recours individuels devant la Cour constitutionnelle en droit constitutionnel autrichien

Gabriele KUCSKO-STADLMAYER - Professeur des Universités, Membre suppléant de la Cour constitutionnelle, Institut de droit constitutionnel et administratif - Université de Vienne

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 10 (Dossier : L'accès des personnes à la justice constitutionnelle) - mai 2001

Note du traducteur * : Les expressions « recours », « requête » et « demande » sont utilisées de manière synonyme et désignent, sans différenciation, l'acte par lequel le juge constitutionnel est saisi de la contestation d'une norme générale ou individuelle. Le terme allemand Bescheid est traduit par « acte administratif individuel » ou simplement « acte administratif » lorsque le caractère individuel de l'acte ressort clairement du contexte. La Bescheidbeschwerde_,_ _qui nomme l'acte par lequel un tel acte est contesté, est rendue par « recours contre les actes administratifs individuels » (ou simplement « contre les actes administratifs »), l'_Individualantrag qui nomme l'acte par lequel une personne (physique ou morale) conteste la constitutionnalité d'une loi ou d'un règlement est traduit par « requête individuelle ». L'un et l'autre relèvent évidemment de la catégorie générale des recours ou requêtes ou demandes.

Le terme Rechtswidrigkeit est généralement utilisé en allemand pour la désignation du fait qu'un acte (un comportement ou une norme) est contraire à une norme juridique. Cette expression est traditionnellement rendue en français par « illégalité ». Ce terme serait toutefois inapproprié en ce que le concept en question couvre justement, entre autres, les situations où c'est une loi qui est en contradiction avec les exigences de la Constitution. C'est la raison pour laquelle la traduction, malheureusement plus lourde, par « contrariété au droit » a été adoptée ici. L'inconvénient consiste alors en ce que « droit » évoque également les droits fondamentaux et en ce que c'est un phénomène juridique qui est contraire au droit. La contrariété au droit est donc ici la contrariété à une norme de degré supérieur.

L'expression zumutbarer Umweg est traduite par « détour exigible »et résume l'idée qu'une requête individuelle ne peut être introduite à moins que le requérant ait emprunté toutes les autres voies de recours à la fois juridiquement concevables et réalisables sans entraîner des conséquences inacceptables. Le problème consiste alors à déterminer cette limite entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est plus. L'expression française la plus proche serait sans doute « recours parallèle ».

La « loi constitutionnelle fédérale » désigne la plus importante des lois constitutionnelles fédérales, c'est elle qui contient les dispositions relatives à la justice constitutionnelle : elle est abrégée à l'instar de l'allemand B-VG par le sigle « LC-F ».

I. L'État du droit positif

A. Généralités

Le droit constitutionnel fédéral autrichien connaît l'accès des personnes à la Cour constitutionnelle sous deux formes : d'une part en tant que recours contre des actes administratifs individuels (Bescheidbeschwerde - selon l'article 144 LC-F, d'autre part comme « requête individuelle » (Individualantrag) contre des normes générales directement d'efficacité immédiate (art. 139 et 140 LC-F). Les conditions de recevabilité de ces deux formes de recours sont réglées de manière fort détaillée dans la loi constitutionnelle fédérale ainsi que dans la loi sur la Cour constitutionnelle qui la concrétise (cf. infra).

En principe, la Cour constitutionnelle est obligée de rendre une décision au fond pour tout recours recevable. Depuis 1981, elle est toutefois habilitée, dans un certain cadre, de refuser discrétionnairement le traitement de la demande, c'est-à-dire, en définitive, de « filtrer » selon la pertinence constitutionnelle (cf. infra B.7.)

Le système des règles constitutionnelles distingue clairement entre les deux espèces de recours mentionnées. Dans le premier cas, l'objet de la contestation est un acte administratif (Bescheid), c'est-à-dire une norme individuelle édictée par l'administration. Dans le deuxième cas, il s'agit d'un règlement (Verordnung), donc d'une norme générale édictée par l'administration, ou d'une loi et cela peut être une loi de rang constitutionnel(1) ou une loi ordinaire, fédérale ou fédérée (édictée par un Land). Les conditions de recevabilité diffèrent largement en fonction du type de recours. Surtout dans le deuxième cas, celui de la contestation de normes générales, elles sont étroites et soulignent ainsi le caractère subsidiaire de cette voie de droit. Sans aucun doute, les conditions actuelles de recevabilité fondent un système de protection juridique de l'individu, conforme aux exigences des normes constitutionnelles et fonctionnant fort bien en pratique. Elles seront maintenant présentées en détail.

B. La contestation des actes administratifs individuels

La contestation des actes administratifs individuels constitue la forme la plus importante et de loin la plus fréquente de la protection juridique de la personne devant la Cour constitutionnelle autrichienne. Un recours selon l'article 144 LC-F contre un acte administratif individuel peut être introduit par :

1) toute personne, qui

2) affirme être lésée

3) par un acte administratif individuel

4) émanant d'une autorité décidant en dernière instance

5.a) dans un droit constitutionnellement garanti ou

b) dans ses droits par l'application d'une norme générale contraire au droit (règlement illégal, loi inconstitutionnelle, traité international contraire au droit).

6) Le délai est de six semaines.

7) La Cour constitutionnelle peut refuser dans certains cas le traitement de la requête.

Ad. 1) Un tel recours peut en principe être introduit par quiconque est susceptible d'être titulaire de droits subjectifs et dont il est par conséquent concevable qu'il puisse être lésé dans de tels droits. En général, le droit de saisine est par conséquent lié au statut de partie dans une procédure administrative précédant le requête devant la Cour constitutionnelle.

Ce droit est attribué à toute personne physique mais aussi à toute personne morale. Il peut toutefois résulter de la nature d'un droit qu'il n'est attribué qu'à des personnes physiques (par exemple, le droit au mariage, le droit à la liberté individuelle). L'affirmation de la violation d'un tel droit ne permet pas l'introduction d'un recours à une personne morale.

La question du droit des étrangers au recours dépend également du contenu du droit dont la violation est affirmée. Les droits fondamentaux de la Convention européenne des droits de l'homme s'appliquent à tous les hommes et par conséquent aux étrangers comme aux nationaux. Selon la jurisprudence récente, le droit à l'égalité, particulièrement important en pratique, protège également les étrangers, non toutefois comme droit à l'égalité avec les nationaux, mais sous la forme d'un « droit à l'égalité des étrangers entre eux ». Certains droits fondamentaux sont en revanche réservés par la Constitution aux citoyens (par exemple le droit à l'égal accès aux emplois publics, le droit au libre exercice d'une activité lucrative). S'il n'est pas bénéficiaire d'un droit fondamental, un étranger n'a pas non plus le droit d'en affirmer la violation devant la Cour constitutionnelle.

Ad. 2) Pour le droit d'introduire un recours, il suffit en général que la violation d'un droit par l'acte administratif individuel soit affirmée. Le constat que cette violation affirmée a véritablement eu lieu constitue l'objectif de la procédure constitutionnelle.

Selon la jurisprudence, la violation affirmée du droit en question doit par ailleurs être au moins possible, c'est-à-dire qu'elle ne doit être « inconcevable a priori ». Cela exclue de la recevabilité des recours contre des actes administratifs concernant des droits de tiers et n'exerçant que des effets indirects par rapport à la position du requérant. Cette limitation jurisprudentielle du droit de saisine vise à empêcher des abus et permet à la Cour constitutionnelle de liquider sans décision au fond des recours sans espoir.

Ad. 3) Par acte administratif individuel (Bescheid) la doctrine administrative autrichienne entend en général un acte administratif individuel formel, émanant d'une autorité agissant en qualité de puissance publique. Le concept d' « acte administratif individuel » est un concept central de l'ordre juridique autrichien. Son contenu peut être dégagé de la Constitution. Le système tout entier de protection juridique en droit administratif est lié à l'acte administratif individuel. En règle générale, il constitue donc également l'aboutissement juridique du contentieux administratif. Ni les actes de contrainte et d'impératifs immédiats émanant d'une autorité administrative (par exemple une arrestation ou la fouille d'une personne), ni les injonctions adressées à des organes administratifs subordonnés, ni des actes non normatifs comme des expertises, ni des informations ou des authentifications, ni des règlements en tant que normes générales ni enfin des actes de gestion privée de l'État ne sont des actes administratifs individuels.

Ad. 4) Une autre condition de l'introduction de cette demande est l'épuisement des voies de recours administratifs. Dans les procédures à plusieurs parties la jurisprudence suppose que les voies de recours doivent être épuisées par le requérant lui-même. La question de savoir combien d'instances sont prévues dans la procédure en question d'écoule des dispositions administratives pertinentes. En règle générale il y en a deux, au maximum il y en a trois.

Il convient ici de souligner une particularité du droit constitutionnel autrichien : la contestation de l'acte administratif individuel devant la Cour administrative n'est pas une condition du recours devant la Cour constitutionnelle.

Quelqu'un s'estime-t-il lésé dans ses droits par un acte pris en dernière instance par une autorité administrative, il pourra s'adresser simultanément à la Cour constitutionnelle et à la Cour administrative. L'objet du recours est alors le même acte administratif devant les deux Cours. La différence réside uniquement en ce qu'il est admis d'invoquer dans la demande : alors que la Cour constitutionnelle n'admet en principe que la violation de droits constitutionnellement garantis ou la contrariété par rapport au droit de normes générales (cf. 5a et 5b), le requérant devant la Cour administrative ne pourra invoquer que la seule violation de ses droits subjectifs garantis par la législation ordinaire. Afin d'éviter un dédoublement du contrôle des actes administratifs individuels, le droit positif prévoit pour les cas mentionnés une série d'instruments visant à coordonner le déroulement des deux procédures. La Cour constitutionnelle dispose ici d'une certaine « priorité » : ce n'est que s'il estime le recours infondé que la Cour administrative peut introduire sa procédure de contrôle. Aucune des Cours ne peut ainsi contrôler l'autre, de sorte qu'elles pourront être considérées comme des juridictions suprêmes « de rang égal ».

Ad. 5a) Le recours contre un acte administratif individuel peut être fondé sur la violation d'un droit constitutionnellement garanti. Ce sont les droits subjectifs ayant rang constitutionnel en droit interne (« droits fondamentaux ». Il peut s'agir de droits de liberté, mais aussi de droits politiques. Les « droits sociaux » (tel un droit au travail ou un droit à la sécurité sociale sont étrangers à l'ordre juridique autrichien. Certains droits fondamentaux, en particulier le principe de traitement égal, sont toutefois interprétés de manière très extensive devenant ainsi des réceptacles pour toute affirmation de faute importante d'actes administratifs. Le requérant doit pouvoir se prévaloir de l'un des droits mentionnés prévus par le système juridique autrichien.

Des droits fondamentaux justiciables peuvent être de source constitutionnelle interne mais également d'origine internationale pour autant qu'ils aient été mis en vigueur en droit interne en rang constitutionnel. Il s'agit en particulier des droits de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH. Les dispositions du droit communautaire ne constituent pas des « droits constitutionnellement garantis ». Leur violation ne peut en général être combattue que devant la Cour administrative.

Il n'est pas clair en droit positif constitutionnel autrichien si des droits garantis uniquement par des constitutions de Land peuvent être invoqués devant la Cour constitutionnelle. Cette question peut avoir une incidence pratique puisque certaines Constitutions de Land ont intégré des « droits fondamentaux ».

Si la violation d'un droit fondamental est affirmée dans un recours, la Cour constitutionnelle examine si une telle violation a effectivement eu lieu. Elle ne s'estime toutefois pas liée par les droits constitutionnellement garantis invoqués dans la requête mais fait porter son contrôle sur le fait que l'un quelconque de ces droits ait été lésé.

Ad. 5b) Le recours peut également contenir l'affirmation que le requérant a été lésé dans ses droits par l'application d'une norme générale contraire au droit. L'on autorise ainsi l'individu à attaquer un acte légal de l'administration pour autant que son fondement est lui-même une norme générale contraire au droit. Il peut s'agir d'une loi inconstitutionnelle, d'un règlement illégal ou d'un traité international contraire au droit. La norme en question doit avoir été le fondement de l'acte administratif contesté.

Que le requérant doive affirmer avoir été lésé « dans ses droits » ne signifie pas, selon la jurisprudence, que la norme générale constitue une violation de ses droits subjectifs. Il suffit au contraire d'invoquer la contrariété objective de la norme appliquée par rapport au droit. Il n'est pas non plus nécessaire que la contrariété ait un « effet » dans l'espèce considérée.

Si le recours affirme que l'acte administratif contesté lèse le requérant dans ses droits en raison de l'application d'une norme générale contraire au droit, la Cour constitutionnelle examine uniquement si la contrariété invoquée de la norme générale est effectivement donnée. Si elle est d'avis que c'est bien le cas et si la norme en question est, selon elle, préjudicielle, elle peut l'annuler à l'issue d'une procédure spécifique (art. 140 LC-F). En cas d'une telle annulation, la Cour constitutionnelle annule également l'acte administratif contesté dont cette norme constituait précisément le fondement.

Ad. 6) Le délai pour l'introduction du recours est de six semaines à compter de la notification de l'acte administratif en dernière instance (paragraphe 82 de la loi sur la Cour constitutionnelle. Un acte administratif n'est-il pas notifié, mais son contenu connu de la partie concernée, le délai ne commence pas à courir, alors que le recours peut quand même être introduit.

Ad. 7) Les points 1)-6) concernent les conditions de recevabilité d'un recours contre des actes administratifs individuels devant la Cour constitutionnelle. Elle est en principe obligée de se prononcer au fond sur tout recours recevable. L'accès relativement simple des particuliers et la jurisprudence extensive en matière de droits fondamentaux ont évidemment suscité une forte augmentation de ces contestations. C'est la raison pour laquelle une nouvelle disposition a donc été introduite en 1981 afin de permettre à la Cour constitutionnelle de refuser, à l'issue d'une procédure très simplifiée, le traitement d'un recours et de le transmettre à la Cour administrative (art. 144 LC-F).

Les cas où la Cour peut renoncer à l'examen approfondi d'un recours, sont les suivants :

1. Le recours n'a pas de « em>perspective suffisante de succès », c'est-à-dire qu'elle paraît infondée dès le premier regard. La Cour constitutionnelle doit alors tenir compte de sa propre jurisprudence afin de pouvoir donner un pronostic de la probabilité négative de la procédure d'examen.

2. L'on ne saurait attendre de la décision de la Cour constitutionnelle « em>la clarification d'une question constitutionnelle ». Il s'agit ici des cas où l'acte administratif contesté viole éventuellement des droits fondamentaux, mais où cette violation consiste seulement dans l'application grossièrement fautive de la loi simple. (Il convient ici d'ajouter que selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle un droit fondamental peut également être violé par un acte administratif lorsqu'une loi simple est appliquée de manière « arbitraire » ou « inconcevable », donc très grossièrement fautive. Une application inconcevable de la loi simple produit simultanément une « simple » contrariété au droit de l'acte administratif individuel pouvant également être attaquée devant la Cour administrative. Si la Cour constitutionnelle refuse l'examen de la requête pour cette raison, elle peut ainsi la transmettre à la Cour administrative sans qu'il en résulte un déficit dans la protection juridique du requérant.) Le refus n'est pas admis si, exceptionnellement, la Cour administrative n'est pas compétente en la matière de l'espèce.

C. La contestation de règlements et de lois

Après l'introduction de la justice constitutionnelle autrichienne par la LC-F en 1920, le recours contre un acte administratif individuel précédemment évoqué constituait pendant longtemps la seule possibilité de s'adresser directement à la Cour constitutionnelle afin de provoquer par cette voie l'éventuelle annulation d'une norme générale contraire au droit. L'on a cependant perçu ici une « lacune » dans la protection juridique dans les cas où des normes générales peuvent directement léser le citoyen dans ses droits sans l'intervention d'un acte individuel d'application.

L'on tint compte de ce défaut du système de protection juridique par une révision constitutionnelle de 1975. De manière subsidiaire, donc sous des conditions très restrictives, un particulier peut désormais se défendre contre une norme générale même en l'absence d'un acte défavorable d'application. Le recours ainsi créé porte la dénomination de « requête individuelle » (Individualantrag). Il peut servir à contester d'une part des règlements, d'autre part des lois (simples ou même constitutionnelles) (art. 139 et 140, premier alinéa LC-F.

Les conditions de recevabilité ne sont que brièvement esquissées dans la loi constitutionnelle fédérale et elles ont été fortement différenciées par la jurisprudence aux cours des dernières années. Il s'ensuit que se trouve fondé à introduire une telle requête :

1) quiconque affirme être lésé immédiatement dans ses droits (« affection actuelle » dans une position juridique par une norme générale ;

2) et pour qui cette norme générale est devenue effective sans que soit rendue une décision juridictionnelle ou pris un acte administratif individuel (subsidiarité de la requête individuelle.

Ad. 1) La première condition d'une requête individuelle est l'affirmation d'une atteinte dans le domaine d'un droit. Selon la jurisprudence il convient d'entendre par-là non seulement la violation d'un droit subjectif, mais aussi la contrariété objective d'une norme générale par rapport au droit. Une simple lésion d'intérêts économiques ou autrement factuels ou enfin un « effet de réflexe » de la norme générale ne suffit pas. (Ainsi par exemple un plan d'occupation des sols ne peut être contesté que par le propriétaire concerné, non par le voisin de ce dernier. La violation du droit doit affecter le requérant lui-même et non seulement des tiers. La contestation ne peut en outre porter sur un règlement ou une loi dans son intégralité, mais doit se limiter aux dispositions provoquant l'intervention dans le droit en question.

L'affectation de la position juridique doit par ailleurs être actuelle et non seulement potentielle, c'est-à-dire que la norme doit être effective, au moment même « de l'introduction de la demande » et non pas, éventuellement, à une date ultérieure, par exemple dans quelques années. (Ainsi la contestation de dispositions législatives concernant le nom marital commun ne peut, selon la jurisprudence, être introduite qu'à partir du moment où l'intention de conclure un mariage peut être prouvée.

Ad. 2) Selon la jurisprudence, la deuxième condition d'une requête individuelle consiste en ce que le requérant ne dispose d'aucune voie de recours administrative ou juridictionnelle en vue de se défendre contre la violation d'un droit, provoquée par la contrariété - affirmée - au droit de la norme générale. Il convient de remarquer à ce propos que les effets juridiques d'une norme générale (loi ou règlement ne se produisent normalement non pas avec son entrée en vigueur en tant que telle, mais seulement par l'édiction d'un acte administratif ou d'une décision juridictionnelle qui l'individualise. C'est un tel acte individuel que le particulier doit d'abord attendre afin de pouvoir le contester ensuite par les voies de recours. C'est ainsi qu'il lui est en principe toujours possible de porter, de manière médiate par l'intervention d'une autorité administrative (art. 144 LC-F) ou d'une juridiction - devant la Cour constitutionnelle une éventuelle contrariété au droit de la norme générale appliquée (cf. supra 1.B.5.b.). Ce n'est que dans les cas où la norme générale produit en tant que telle des effets juridiques pour le destinataire qu'une requête individuelle devant la Cour constitutionnelle est envisageable. Cette condition exprime le caractère subsidiaire de la requête individuelle.

En pratique, ce critère de recevabilité revêt une grande importance. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle, cherchant dès le départ à prévenir tout abus de la requête individuelle aux fins d'actio popularis, est extrêmement restrictive. Il est particulièrement remarquable que l'individu doit ainsi épuiser tout « détour exigible » (zumutbarer Umweg) au moyen duquel il peut porter la contrariété au droit de la norme générale, médiatisée par un acte administratif individuel ou une décision juridictionnelle, devant la Cour constitutionnelle (« exigibilité du détour ». Les chances de succès d'un tel moyen juridique sont en principe indifférentes (VfSlg. 8009/1977 ; 13.754/1994 ; 15030/1997.

Par ailleurs la jurisprudence est très casuistique et l'on ne peut en dégager que peu de conclusions de portée générale : il n'est pas considéré comme exigible qu'il faille commettre une action pénalement répréhensible afin de provoquer une sanction administrative ou juridictionnelle (VfSlg. 13.822/1994. La violation d'une interdiction sanctionnée par le droit civil (par exemple l'interdiction de la concurrence déloyale n'est pas non plus qualifiée d'exigible (VfSlg. 12.379/1990), ni encore l'introduction d'une demande onéreuse de permis de construire dans le seul but de contester la contrariété au droit d'un plan d'occupation des sols (VfSlg. 9361/1982. Est en revanche « exigible » une demande de dérogation, même si elle n'a aucune chance de succès (VfSlg. 8009/1977 ; 13.618/1993, des demandes simples devant les autorités compétences en matière de constructions (VfSlg. 13.766/1994 ; 15.004/1997 ; 15.145/1998, ainsi que les demandes d'actes administratifs déclaratifs prévus par la loi (VfSlg. 9048/1981).

En raison des limitations relativement étroites, les requêtes individuelles ne sont en définitive que rarement considérées comme recevables par la Cour constitutionnelle. Elles sont rejetées dans l'immense majorité des cas.

D. La contestation de décisions juridictionnelles

La contestation d'une décision juridictionnelle devant la Cour constitutionnelle n'est pas possible en droit autrichien. Cela résulte de l'idée que la protection juridique est déjà suffisamment assurée dans ce domaine par les garanties juridictionnelles des organes de contrôle. Les décisions juridictionnelles ne sont contestables que dans le cadre de la justice ordinaire par la voie des recours devant les instances supérieures, la Cour suprême décidant en dernier ressort. Comme les jugements de cette dernière ne peuvent être attaqués devant la Cour constitutionnelle, elle est en ce sens son égal.

Qu'il soit juste remarqué en marge que les parties du procès devant le juge ordinaire sont libres de présenter leurs réserves concernant la constitutionnalité de la loi appliquée (ou la légalité du règlement appliqué. Si le juge les partage, il est obligé de demander l'examen de la norme en question par la Cour constitutionnelle (art. 140 LC-F), mais les parties ne disposent pas d'un droit subjectif quant à une telle demande. Le particulier n'a donc pas reçu, là non plus, de possibilité d'accéder directement à la Cour constitutionnelle.

II. L'état de la doctrine

De nombreux détails des dispositions du droit positif concernant le droit des particuliers d'introduire un recours devant la Cour constitutionnelle constituent régulièrement l'objet de la discussion scientifique. En raison de leur importance pratique, deux ensembles de problèmes ont été au centre du débat au cours de ces dernières années : il s'agit d'une part de la possibilité ouverte à la Cour, de « refuser » de manière discrétionnaire des recours recevables contre des actes administratifs (cf. supra I.B.7.), d'autre part de la subsidiarité de la recevabilité des requêtes individuelles (cf. supra I.C.).

1) L'habilitation accordée à la Cour constitutionnelle de refuser des recours recevables à l'issue d'une procédure simplifiée (art. 144, al. 2 LC-F), ouvre à celle-ci depuis 1981 une large marge de manoeuvre, nullement délimitée avec exactitude, de « filtrer » des recours selon leur importance. Ce n'est nullement l'interprétation de ces dispositions positives qui est aujourd'hui en cause (2), mais l'utilité en termes de politique juridique de cet instrument : alors que la Cour constitutionnelle le considère comme un auxiliaire devenu indispensable pour la maîtrise de sa situation de permanente surcharge, certains auteurs de doctrine critiquent en tant qu'attribution excessive et incontrôlable le fait que la Cour puisse traiter des recours selon son seul « bon plaisir ». La controverse concerne tout particulièrement la question de savoir comment la Cour doit justifier ses refus : consistant en quelques brèves phrases, les « formules » stéréotypées utilisées en pratique sont rarement susceptibles de satisfaire le besoin d'information des parties (3). L'on invoque certes comme justification que la forme simplifiée du refus de traitement d'un recours garantit le fonctionnement et l'efficacité de la justice constitutionnelle en tant que telle (4). Par ailleurs la doctrine se consacre à des questions de détails, concernant principalement la garantie d'une protection juridique sans lacunes pour les recours refusés et transférés à la Cour administrative.

2) La doctrine a également fait porter des éclairages critiques sur la jurisprudence restrictive de la Cour constitutionnelle concernant la subsidiarité de la requête individuelle. Le critère de « l'exigibilité du détour » que la Cour a développé et différencié dans sa jurisprudence des dernières années n'est pas exactement préfiguré par le texte constitutionnel : ce dernier se contente de dire que la norme générale doit être « devenue effective » sans l'édiction d'un acte individuel ; une telle « efficacité directe » se produit sans doute dans bien des cas où la Cour constitutionnelle exige d'abord le détour par une procédure administrative ou juridictionnelle : ainsi par exemple lorsqu'elle prescrit l'introduction (parfaitement vaine) d'une demande dérogatoire, alors qu'une interdiction législative s'applique directement. L'attention exclusive que portent les décisions à l'examen du critère de l' « exigibilité » d'un détour renforce en outre largement l'aspect casuistique de la jurisprudence, dont d'aucuns diront qu'elle « exagère » l'idée-même de la subsidiarité de la requête individuelle (5).

Une récente décision, reconnaissant l'admissibilité d'une requête individuelle dirigée contre un délai de recours, en matière de procédure pénale, considéré comme excessivement bref par le requérant, a connu un fort écho doctrinal (6). La particularité de l'espèce ne résidait pas seulement en ce que l'on autorisait la contestation d'une norme de la procédure judiciaire (qui n'est pas elle-même soumise au contrôle de la Cour constitutionnelle, mais aussi dans l'interprétation si peu sévère du critère de l' « affectation actuelle » (cf. supra I.C.1) : La Cour constitutionnelle considérait en effet la légitimation pour l'introduction d'une requête comme donnée dès avant la notification du jugement par écrit, de sorte que le délai en question n'avait pas encore commencé à courir. Cette démarche se situe à l'opposé de beaucoup d'autres décisions. Ainsi, la contestation de normes générales n'a pas été admise jusqu'ici pendant une période de vacatio legis (VfSlg 13.870/1994, 13.886/1994). Cette décision s'inspirait assurément de considérations propres à l'espèce : il s'agissait, quant à la procédure pénale en question, d'une affaire extrêmement volumineuse et compliquée avec des minutes de 16000 pages et un jugement attendu de plus d'un millier. Le délai de recours contesté de quatre semaines pouvait en ce cas paraître injuste. La doctrine a pourtant réagi de manière fort critique et y a perçu un exemple de la pratique jurisprudentielle inhomogène et prisonnière de considérations propres aux espèces respectives (7).

III. L'état de la pratique

Des deux voies d'accès des individus à la Cour constitutionnelle (recours contre les actes administratifs individuels, requête individuelle aux fins de contrôle de normes générales, l'importance primordiale revient en pratique au recours contre les actes administratifs. Selon le rapport d'activité de la Cour constitutionnelle relatif à l'année 1999, 2373 décisions de la Cour sur 2760, toutes affaires confondues, concernaient des recours selon l'article 144 LC-F, alors que seules 141 portaient sur des requêtes individuelles (60 ayant des règlements et 81 des lois pour objet.

1) En ce qui concerne les recours contre les actes administratifs, il convient de souligner que parmi les 2373 cas, 418 ont fait l'objet d'une décision au fond (avec 351 annulations et 67 rejets, 1317 cas se sont vus opposer un « refus » (cf. supra I.B.7). Il apparaît ainsi qu'une très grande importance revient à cet instrument dans la pratique jurisprudentielle de la Cour qui ne pourrait autrement, dans sa structure personnelle actuelle, maîtriser le fardeau induit par l'arrivée de nouveaux recours.

C'est la compétence de la Cour en matière de recours contre les actes administratifs qui a causé une forte augmentation de la charge de la Cour pendant les dernières décennies. Dans son rapport d'activité pour l'année 1999, la Cour parle d'une « charge extrême ». Par ailleurs, il s'agit matériellement de questions juridiques de complexité et de difficulté croissante : ainsi par exemple dans le domaine de l'interaction entre le droit national et le droit communautaire, particulièrement dans le secteur des télécommunications et des marchés publics. Cependant, le législateur attribue de plus en plus souvent, justement en ce domaine, la compétence de décider en dernier ressort à des autorités collégiales indépendantes, non soumises au contrôle de la Cour administrative. La Cour constitutionnelle est alors l'unique organe de contrôle concernant les décisions de ces autorités. Il n'en résulte pas seulement une forte charge de travail en matière de traitement de recours pour la Cour constitutionnelle, mais également un problème concernant l'État de droit, que le juge a déjà évoqué à plusieurs reprises dans sa jurisprudence. Une forte augmentation du nombre des dossiers résulte toutefois également des mouvements migratoires des dernières années et du nombre croissant de recours introduits en matière de droit des étrangers.

Une autre raison de la charge de travail dû au nombre des recours provient du développement dynamique des droits et libertés fondamentaux en Autriche. La Convention européenne des droits de l'homme a valeur constitutionnelle en Autriche depuis 1964. La Cour constitutionnelle se voit depuis lors obligée d'appliquer dans une large mesure la jurisprudence souvent créatrice de la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg (par exemple en ce qui concerne l'article 6 CEDH. Cette vision de la CEDH par les organes de Strasbourg a entraîné, au cours des deux dernières décennies, l'émergence d'une autre conception des droits fondamentaux au sein de la Cour constitutionnelle elle-même, plaçant, plus que par le passé, l'accent sur l'effectivité factuelle de ces garanties et traçant de manière bien plus étroite les limites constitutionnelles de l'action du législateur. Le contrôle des normes devenu ainsi beaucoup plus dense, les chances de succès pour l'introduction de requêtes individuelles a également augmenté et la Cour est plus souvent invoquée qu'auparavant.

Il convient en outre de considérer la forte charge de travail de la Cour constitutionnelle et la difficulté de sa résorption en rapport avec la composition personnelle de la Cour. Elle compte un président, un vice-président, douze membres et six membres suppléants. En principe, la Cour doit décider en assemblée plénière comprenant quatorze personnes (le président, le vice-président, douze membres ou membres suppléants). Il n'existe donc pas de chambres comme dans la Cour constitutionnelle fédérale allemande. L'introduction de telles chambres a été vigoureusement refusée au motif qu'elle mettrait en danger l'homogénéité de la jurisprudence. Il convient également de noter que la qualité de membre de la Cour constitutionnelle autrichienne peut être assumée en tant qu'activité secondaire par les membres de toutes les professions juridiques (professeurs des Universités, juges, avocats, etc.). Ce principe de l' « activité secondaire » contribue au renforcement des difficultés en matière de maîtrise de la charge de travail, mais il présente l'avantage de lier la justice constitutionnelle tant à la pratique qu'à la doctrine et il n'a jusqu'ici jamais été remis en cause lors de l'évocation de projets de réforme. La comparaison internationale montre cependant qu'une telle construction est relativement inhabituelle.

2) En ce qui concerne les requêtes individuelles visant le contrôle de normes il convient de souligner que l'immense majorité (135) parmi les 141 cas a été liquidée par une décision d'irrecevabilité (77 lois, 58 règlements. Une décision quant au fond n'est intervenue que pour six dossiers : quatre ont été rejetés, deux seulement ont été couronnés de succès par l'annulation de la norme en question (une loi, un règlement). Considérant ces chiffres, l'on se rend compte que les conditions de recevabilité pour ce type de recours sont extrêmement étroites et que l'on ne saurait en aucun cas y voir une cause pour la forte charge de travail de la Cour constitutionnelle.

IV. L'état des projets de réformes en cours

1) Un problème particulier résulte du fait que dans le domaine du recours contre les actes administratifs un grand nombre de demandes identiques et visiblement inspirées d'un « recours-type » sont introduites devant la Cour. Dans une situation particulière, en 1996, l'on s'est vu confronté à une série de plus de onze mille recours. Ils arrivent soit simultanément ou dans l'espace de quelques jours et semaines, de sorte que leur seul enregistrement exige une forte activité administrative. Le chef de contestation concerne en ces cas généralement une inégalité des dispositions législatives appliquées, le plus souvent en droit fiscal.

De telles procédures de masse sont très difficilement gérables sur le plan administratif et peuvent, comme dans le cas mentionné, provoquer la paralysie pure et simple de la Cour. Naturellement, de tels cas obtiennent un fort écho dans les médias et la présomption d'un abus du droit de recourir paraît alors difficilement contestable.

La Cour constitutionnelle a déjà plusieurs fois proposé des réformes visant à maîtriser de telles évolutions hautement problématiques au regard du principe de l'État de droit. Ainsi, il a été proposé d'introduire pour des cas similaires une technique procédurale qui permettrait d'étendre l'effet normatif de façon générale pour des cas de même nature. Aucune formulation appropriée d'une telle disposition n'a toutefois jusqu'ici recueilli d'adhésion définitive.

2) Souvent, c'est le principe même du rapport entre les trois juridictions suprêmes (Cour constitutionnelle, Cour administrative, Cour suprême qui sert de point de départ à des considérations de réforme de la justice constitutionnelle autrichienne. Ces trois Cours sont actuellement placées sur un pied d'égalité (cf. aussi supra I.B.4.. Elles sont titulaires d'attributions différentes en matière de contrôle d'actes individuels d'application : la Cour suprême contrôle les décisions des juridictions ordinaires ; la Cour administrative contrôle les actes administratifs individuels des autorités administratives à l'aune de la loi simple ; la Cour constitutionnelle les examine à l'aune du droit constitutionnel. Dans son domaine de compétence, les décisions de chacune de ces juridictions suprêmes sont définitives ; les jugements de la Cour administrative et de la Cour suprême ne peuvent être contestés, même devant la Cour constitutionnelle. Un avantage de ce système plutôt inhabituel au regard de la comparaison internationale consiste en ce que l'existence de trois juridictions suprêmes constitue un facteur de la séparation des pouvoirs et qu'ainsi la Cour constitutionnelle ne se trouve pas dotée de pouvoirs exorbitants en tant qu' « instance de super-révision ». Ce système se trouve toutefois confronté à certaines critiques :

En premier lieu, les jugements de la Cour suprême en matière civile et pénale ne sont pas contestables même dans les cas où une partie s'estime lésée dans ses droits fondamentaux. Cela est tout particulièrement insatisfaisant lorsque les juridictions ordinaires sont obligées de procéder à d'importantes pondérations concernant les droits fondamentaux : ainsi par exemple dans les affaires de presses dont la fréquence et l'aspérité a beaucoup augmenté en raison des tensions dans la politique intérieure des dernières années ; ou encore en ce qui concerne l'admissibilité d'une privation provisoire de liberté dans le cadre d'une procédure pénale. L'on réfléchit ici à la possibilité d'admettre au moins dans certains cas un recours devant la Cour constitutionnelle ou bien d'ancrer une protection spécifique des droits fondamentaux auprès de la Cour suprême, comme c'est déjà le cas, actuellement, pour les violations du droit fondamental de liberté individuelle.

Un autre problème, encore plus important, concerne la délimitation des compétences entre la Cour constitutionnelle et la Cour administrative. Ce n'est qu'une apparence de clarté de distribution des attributions si le même objet de contestation (l'acte administratif individuel peut être attaqué devant les deux cours (Cour constitutionnelle : violation de droits constitutionnellement garantis ; Cour administrative : droits subjectifs simples. Le contenu des droits fondamentaux s'est en effet tellement densifié en raison de la jurisprudence des dernières décennies (cf. supra III.1 que toute affirmation d'une violation de droits subjectifs protégés par la simple loi peut en même temps être considérée comme une violation de droits fondamentaux (cf. supra I.B.7. C'est ainsi que selon la jurisprudence tout défaut de procédure en contentieux administratif est constitutif d' « arbitraire » de la part de l'autorité administrative et, par conséquent, d'une violation du droit fondamental à l'égalité de traitement ; la non prise en considération des arguments des parties peut être interprétée comme une violation du principe du « procès équitable », presque chaque contrariété au droit matériellement importante peut être qualifiée d'intervention « disproportionnée » et par conséquent de violation d'un droit fondamental. Il en résulte régulièrement que le même acte administratif se trouve contesté tant devant la Cour constitutionnelle que devant la Cour administrative à partir de recours rédigés en des termes à peine différents. La compétence parallèle des deux Cours, ainsi constituée, n'est guère structurée si ce n'est que c'est d'abord la Cour constitutionnelle qui examine la violation de droits fondamentaux et que c'est uniquement au cas où elle rejette cette conclusion que la Cour administrative est fondée à se prononcer sur la violation de droits protégés par la loi simple. La Cour constitutionnelle juge dès lors « en amont » de la Cour administrative dont la décision devient enfin définitive et inattaquable (cf. égal. supra I.B.4).

Sans doute ce système a-t-il aussi des avantages : à partir de la contestation souvent routinière devant la Cour constitutionnelle, celle-ci se voit souvent offerte la possibilité d'articuler ses doutes concernant les normes générales servant de fondement à l'acte administratif et de procéder d'office à leur contrôle incident (cf. supra I.B.5.b). Cette voie lui permet également de contraindre les autorités administratives à adopter des interprétations des normes du droit « conformes à la Constitution ». Deux effets non voulus résultent cependant de cette structure des compétences : d'une part, une très haute charge de recours devant la Cour constitutionnelle, d'autre part, le fait que la priorité de la Cour constitutionnelle en matière d'interprétation de la loi simple soit souvent ressentie très négativement par la Cour administrative. Cela pose également des problèmes en ce qui concerne le caractère réciproquement définitif des décisions.

L'on mène donc depuis plusieurs décennies, avec une intensité certes fluctuante, une discussion sur une réforme du rapport entre les deux Cours de droit public. L'on se pose surtout la question de savoir si la Cour constitutionnelle ne devrait intervenir qu'en tant qu'organe de contrôle de la Cour administrative lors de l'examen des actes administratifs. Une distribution nouvelle et idéale des compétences laisserait alors le « dernier mot » à la Cour administrative pour les questions d'interprétation de la loi simple, en garantissant en revanche à la Cour constitutionnelle l'interprétation définitive du droit constitutionnel. Hier comme aujourd'hui, une série de propositions a été avancée en ce domaine (8). Des solutions visant à introduire un recours contre les actes juridictionnels devant la Cour constitutionnelle qui deviendrait ainsi une instance de « super-révision » par rapport à Cour administrative ne devraient toutefois pas avoir de chance de réalisation dans un proche avenir.

V. Évaluation en termes de politique constitutionnelle

Les critiques soulevées en doctrine (cf. supra II et IV) ne changent rien au fait que les fondements normatifs de la justice constitutionnelle autrichienne sont largement reconnus par la science juridique, mais aussi par toutes les forces politiques. Le droit au recours des individus est un élément essentiel de cette institution constitutionnelle. Il garantit une protection exemplaire et efficace des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Grâce à lui, l'institution de la justice constitutionnelle a réussi à donner aux citoyens le sentiment que leurs droits pouvaient être réalisés.

Les discussions relatives à d'éventuelles réformes ont par conséquent toujours été menées à partir de la prémisse que l'accès des personnes à la Cour constitutionnelle ne devait pas se détériorer et qu'en dépit de toutes les modifications de structure il fallait conserver la protection juridique individuelle. La forte augmentation des dossiers de recours contre les actes administratifs - avec plus de deux mille nouveaux cas par an - a certes conduit à une très importante charge de travail. Une durée de procédure n'excédant pas un an en moyenne donne cependant le sentiment au citoyen de pouvoir enclencher un véritable contrôle du pouvoir, tant exécutif que législatif. La justice constitutionnelle autrichienne, existant depuis 1920 et remontant, en son essence, au Tribunal d'Empire de la Monarchie, doit donc être considérée comme l'un des plus importants piliers de l'État de droit et de la démocratie.

(1) Note du traducteur : les dispositions articulant les principes fondamentaux du droit constitutionnel autrichien, modifiables uniquement par révision parlementaire et référendaire, sont exclues de toute contestation (sauf en ce qui concerne la procédure), mais il se pourrait qu'une loi constitutionnelle soit contraire à une telle disposition concernant les principes fondamentaux.
(2) Cf. à ce propos Ulrike Davy, « Die Ablehnungstatbestände des Art 144 Abs 2 B-VG », in : Zeitschrift für Verwaltung 1985, p. 245.
(3) Cf. par exemple les remarques critiques de Robert Walter, Heinz Mayer, Grundriss des österreichischen Bundesverfassungsrechts (9e éd.), Vienne 2000, paragraphe 1217 ; Heinz Mayer, B-VG. Kurzkommentar (2e éd.), Vienne 1997, p. 413 ; Weber, « Fragen zum verfassungsgerichtlichen Beschwerderecht », in : Anwaltsblatt 1991, p. 353 ; Peter Pernthaler, « Neue Probleme des Rechtsschutzes in der österreichischen Verwaltung », in : Juristische Blätter 1988, 354 ; vgl auch bereits Bernard, " Verfassungsgericht-
shofoder Verwaltungsgerichtshofbeschwerde ? ", in : Zeitschrift für Verwaltung 1981, p. 8.
(4) Heller, « Rechtsschutz und Ablehnung von Beschwerden an den VfGH », in : ?österreichische Juristenzeitung 1987, p. 577.
(5) Robert Walter, Heinz Mayer, Grundriss des österreichischen Bundesverfassungsrechts, paragraphe 1118 ; cf. également Walter Barfuss, « Die Individualanfechtung von Gesetzen und Verordnungen beim Verfassungsgerichtshof », in : ?österreichische Juristenzeitung 1984, p. 533.
(6) VfGH 16.3.2000, G 151/99.
(7) Cf. Peter Lewisch, Kienast, « Verteidigungsrechte und Nichtigkeitsbeschwerdefrist : Zur Aufhebung der 4-Wochen-Frist des § 285 Abs 1 StPO durch den VfGH », in : Anwaltsblatt 2001, p. 12.
(8) Cf. surtout Clemens Jabloner, « Strukturfragen der Gerichtsbarkeit des öffentlichen Rechts », in : österreichische Juristenzeitung 1998, p. 161 ; Korinek_, « _ Für eine umfassende Reform der Gerichtsbarkeit des öffentlichen Rechts », Festschrift Friedrich Koja, Vienne 1998, p. 289.