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Les principes constitutionnels et l'organisation juridictionnelle - L'exemple du Portugal

Jorge MENDES-CONSTANTE - Docteur en droit(1), Université d'Aix-Marseille III - Université de Lisbonne

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 14 (Dossier : La justice dans la constitution) - mai 2003

L'inscription de la justice au Portugal dans la Constitution démocratique du 2 avril 1976, après la longue parenthèse de dictature d'Antonio de Oliveira Salazar, illustre combien le droit de la justice a pu être perçu dans l'esprit des rédacteurs de la Constitution du Portugal, comme le fondement premier de la nouvelle société issue de la « Révolution des oeillets ». Au Portugal, l'État de Droit est désormais résolument nourri par l'idée de justice dont l'organisation constitutionnelle et le contrôle de l'activité est d'abord et avant tout finalisée dans une seule et unique direction : la garantie juridictionnelle des droits fondamentaux des justiciables.

Ainsi, le titre V de la Troisième partie de la Constitution, sous le sobre libellé « Tribunaux » consacre près d'une vingtaine d'articles (art. 202 à 220) à décrire les fondements constitutionnels de l'organisation juridictionnelle.

Cette consécration de la fonction juridictionnelle dans le corps même de la Constitution ne saurait être utilement comprise si elle était lue comme étant dissociée de la reconnaissance corrélative par la Constitution des droits fondamentaux du justiciable. Ainsi, la justice non seulement ressortit naturellement à la matière constitutionnelle en sa qualité de pouvoir public, mais elle s'accompagne de façon originale d'une fonction débitrice du juge à l'égard du justiciable. L'élévation constitutionnelle de la justice conduit dès lors à doter le justiciable de droits constitutionnels substantiels et non pas simplement procéduraux, figurant parfaitement les deux visages du Droit constitutionnel de la justice: l'un, classiquement juridictionnel, l'autre, nouvellement substantiel, tous deux indissociables, qu'il s'agisse des institutions (I) ou de l'activité juridictionnelle (II).

I. L'inscription constitutionnelle des institutions juridictionnelles

Ce n'est pas par la qualification constitutionnelle de « pouvoir » qu'on désigne et identifie la justice au Portugal mais par la « fonction juridictionnelle » confiée à des tribunaux.

A. Le statut constitutionnel des tribunaux

Sous le titre « Fonction juridictionnelle », l'article 202(2) détermine, dans son premier alinéa, le statut constitutionnel des tribunaux qui sont désignés de manière explicite comme des « organes de souveraineté »(3) dont les titulaires jouissent d'une réserve constitutionnelle de fonction juridictionnelle. La nature « souveraine » des tribunaux signifie qu'ils sont détenteurs de souveraineté à égalité statutaire constitutionnelle avec les autres organes de souveraineté que sont le président de la République et l'Assemblée de la République. En réaction à la pratique fasciste du régime antérieur, le constituant révolutionnaire n'a pas entendu consacrer au plus haut niveau normatif une clause abstraite, une simple déclaration d'intention, mais, au contraire, de manière détaillée, sous l'article 209 une liste des catégories de tribunaux (4) en reconnaissant la dualité juridictionnelle et en fixant la hiérarchie juridictionnelle, coiffée à son sommet par le Tribunal suprême de justice et par le Tribunal suprême administratif. Aux tribunaux, l'article 202 de la Constitution du Portugal assigne une mission générale: « administrer la justice au nom du peuple ». À l'instar de ce que l'on retrouve en Italie, il existe ainsi entre tous les organes juridictionnels une égalité, pouvoir diffus qui découle du fait qu'ils exercent tous une même fonction étatique d'organe de souveraineté (5).

B. La fonction juridictionnelle

L'objet même de la fonction juridictionnelle dévolue à la compétence d'un tribunal est définie matériellement au deuxième alinéa de l'article 202 de la Constitution : « Dans l'administration de la justice, il incombe aux tribunaux d'assurer la défense des droits et des intérêts légalement protégés des citoyens, de sanctionner la violation de la légalité démocratique et de résoudre les conflits d'intérêts public et privé ». Cette disposition sans précédent investit constitutionnellement les tribunaux du monopole de la fonction juridictionnelle. L'expresse réserve de fonction juridictionnelle des tribunaux signifie, comme en Espagne (mais aussi en France, ainsi que l'a démontré le professeur Renoux(6)) qu'a contrario est énoncée une interdiction constitutionnelle opposée aux autres organes de souveraineté d'exercer une telle fonction. L'élément matériel, c'est-à-dire la fonction juridictionnelle, est liée dans la Constitution à l'élément organique, les tribunaux (7).

Le monopole du juge (8), inscrit dans le corps de la Constitution, est en lui-même une garantie pour les droits des justiciables. La réserve constitutionnelle de juridiction est ainsi un espace, un domaine matériel dans lequel ne peuvent s'immiscer ni le législateur ni le pouvoir exécutif. Par suite, la réserve de fonction juridictionnelle est un concept plus achevé que celui d'une simple séparation des pouvoirs (9). En effet, elle exprime mieux l'idée que la fonction de dire le droit avec force de souveraineté, est un domaine réservé mais aussi assigné aux juges qui sont seuls dotés des garanties et caractères indispensables à l'accomplissement de cette fonction.

Autrement dit, droit mais aussi devoir de juger, conjuguant parfaitement l'aspect substantiel des droits fondamentaux du justiciable et l'aspect juridictionnel, la fonction juridictionnelle s'inscrit dans une perspective de contrôle ouvert à tous.

Le Tribunal constitutionnel a ainsi affirmé qu'en assurant à tous l'accès aux tribunaux pour la défense de ses droits, la Constitution consacre de facto comme garantie fondamentale au bénéfice du seul justiciable le droit de voir confier « la protection des droits individuels conférée aux organes de souveraineté auxquels revient d'administrer la justice au nom du peuple. La défense des droits et des intérêts légalement protégés des citoyens intègre expressément le contenu de la fonction juridictionnelle »(10).

Dès lors, chaque tribunal constitue un organe de souveraineté indépendant des autres organes de souveraineté, mais aussi des autres tribunaux, jouissant ainsi d'une réserve constitutionnelle non plus seulement de fonction mais aussi de compétences inscrite dans la Constitution.

La répartition des compétences entre les ordres de juridictions formant le pouvoir juridictionnel est en effet directement déterminée par la Constitution, ce qui éloigne du modèle français et témoigne du souci de précision dans l'énoncé des prescriptions constitutionnelles. Ces réserves de compétences contentieuses délimitent en fait une détermination matérielle de l'activité juridictionnelle dépendant du statut constitutionnel de l'organe qui l'exerce. En ce sens, la Constitution du Portugal reconnaît tout d'abord une réserve de compétence générale de contrôle de la validité des normes à l'égard de tous les tribunaux : « Les tribunaux ne peuvent appliquer aux faits occasionnant un jugement des normes qui enfreignent les dispositions de la Constitution ou les principes qui y sont consignés. » Au terme de l'article 204 de la Constitution tous les tribunaux sont ainsi des agents de la justice constitutionnelle (11).

La Constitution énumère ensuite en détail les compétences respectives des différentes catégories de tribunaux.

L'article 211 de la Constitution commence par énoncer les compétences des tribunaux judiciaires. Dans son alinéa premier, il est indiqué que « les tribunaux judiciaires sont les tribunaux de droit commun en matière civile et pénale. Ils statuent sur toutes les matières qui ne sont pas attribuées à des tribunaux appartenant à un autre ordre de juridiction ». Il s'agit ici certes d'une réserve de compétence absolue mais à la fois négative et subsidiaire. Il convient d'abord, de la combiner avec l'énoncé de l'article 212, alinéa trois qui affirme qu' « il appartient aux tribunaux administratifs et fiscaux de statuer sur les actions contentieuses et les recours juridictionnels afin de résoudre les litiges nés des relations juridiques de caractère administratif ou fiscal ». Cette dernière réserve de compétence contentieuse en faveur des tribunaux administratifs et fiscaux n'est en revanche que relative. En effet, le législateur peut attribuer compétence à titre exceptionnel aux tribunaux communs judiciaires pour apprécier la légalité des actes administratifs, mais sans toucher au « noyau dur » du domaine matériel de la justice administrative, ceci sous le contrôle du Tribunal constitutionnel (12). A contrario, tout ce qui n'est pas de la compétence contentieuse expresse des tribunaux administratifs et fiscaux, des tribunaux militaires et du tribunal des comptes est constitutionnellement attribué aux tribunaux judiciaires de droit commun. Mais cette stricte délimitation constitutionnelle doit être considérée au regard de deux autres réserves de compétences fixées par l'article 223 de la Constitution(13), notamment en ce qui intéresse le contentieux électoral qui en dernier ressort appartient au Tribunal constitutionnel, ainsi que le contentieux des partis politiques qui reste également réservé à la juridiction constitutionnelle. Enfin, on relèvera que ces réserves constitutionnelles de compétences contentieuses ne concernent pas que les tribunaux visés par le titre V de la Constitution, mais également les compétences du Tribunal constitutionnel, résultant d'un titre spécial dans la Constitution.

II. L'encadrement constitutionnel des activités juridictionnelles

Le juge qui exerce une mission dévolue par la Constitution à la compétence d'un tribunal, bénéficie de garanties constitutionnelles spécifiques nécessaires au parfait accomplissement de la fonction juridictionnelle.

A. L'indépendance des tribunaux

L'article 203 de la Constitution pose pour principe que « les tribunaux sont indépendants et ne sont soumis qu'à la loi » entendue ici comme synonyme de droit et incluant donc la Constitution.

Il importe tout particulièrement de souligner que la valeur constitutionnelle du principe d'indépendance étendue à tous les tribunaux constitue, aux termes de l'article 288 alinéa (m.), une limite matérielle au pouvoir de révision de la Constitution du Portugal. Ainsi, sous le libellé « Limites matérielles de la révision », l'article 288 précise que « les lois de révisions constitutionnelles doivent respecter [...] l'indépendance des tribunaux ».

En tant que principe fondamental du nouvel État de droit faisant partie du contenu structurel de la Constitution démocratique_, l'indépendance des tribunaux_ telle qu'elle est définie par la Constitution établit ainsi au Portugal une norme non directement révisable dotée d'une valeur constitutionnelle supérieure, de telle manière qu'il existe au Portugal, comme il a été suggéré par certains auteurs en France, une échelle de degré dans l'exercice du pouvoir constituant.

Tout pouvoir constituant dérivé se voit dès lors obligé de respecter l'indépendance des tribunaux. Cependant, cette obligation ne vaut que dans la mesure où s'exerce un pouvoir constituant dérivé et non pas un pouvoir constituant originaire. Il faut par conséquent obligatoirement donner naissance à une nouvelle Constitution pour que le principe matériel de l'indépendance des tribunaux puisse, le cas échéant, être remis en cause(14).

Pourtant, en réalité, l'indépendance des tribunaux procède de l'indépendance des juges qui les composent et demeure orientée vers la finalité de protection des droits fondamentaux du justiciable. En ce sens, le juge constitutionnel portugais précise que « l'indépendance et l'impartialité des juridictions exigent des garanties organiques, statutaires et processuelles », car « l'indépendance du jugement découle de la propre essence de la fonction juridictionnelle »(15).

Le Tribunal constitutionnel confère ainsi au justiciable le droit à « un juge indépendant et impartial, un juge qui, en disant le droit de l'espèce, se maintienne étranger et au-dessus des influences extérieures, n'obéissant à rien d'autre qu'à la loi et à ce qui lui est dicté par sa conscience »(16). Le Tribunal constitutionnel de Lisbonne affirme ensuite que l'indépendance et l'impartialité sont « conjointement » des « conditions indispensables d'une authentique décision judiciaire »(17). C'est d'ailleurs pourquoi « l'indépendance du juge est avant tout un devoir [..] [et] une responsabilité » de l'État(18).

D'une manière générale, la jurisprudence du Tribunal constitutionnel est à ce sujet tout à fait révélatrice du lien sans cesse plus étroit qui se noue entre garantie juridictionnelle et droits des justiciables: « dans un État de droit, la solution juridique des conflits doit toujours se faire dans le respect des règles d'indépendance et d'impartialité, c'est une exigence du droit d'accès aux tribunaux que la Constitution consacre »(19). Confirmant ce lien, le Tribunal constitutionnel ajoute que « la garantie d'un jugement indépendant et impartial est aussi une dimension - et une dimension importante - du principe des droits de la défense »(20).

Pourtant, et de manière paradoxale, cette garantie des juges n'est constitutionnellement protégée que vis-à-vis de la « magistrature des tribunaux judiciaires »(21). Or l'indépendance des juges judiciaires repose elle-même sur trois garanties constitutionnelles réunies au sein de l'article 216 de la Constitution intitulé « Garanties et incompatibilités »(22) : garanties d'inamovibilité, d'irresponsabilité et d'incompatibilité. Cette disposition est toutefois destinée à assurer l'indépendance personnelle de tous les membres des organes de souveraineté statuant au titre de la fonction juridictionnelle, et donc de tous les tribunaux et pas seulement de ceux appartenant à l'ordre judiciaire.

De ce point de vue, contrairement à la Constitution française, la Constitution du Portugal ne fonde aucun principe d'unité de la magistrature, mais au contraire une répartition en deux corps distincts et séparés: les juges des tribunaux judiciaires et les magistrats des tribunaux administratifs et fiscaux. Ce statut dissocié se retrouve tout aussi bien dans la diversité des institutions de protection de l'indépendance que sont les Conseils supérieurs des magistrats.

B. Les trois institutions de protection

Après diverses expériences insatisfaisantes, et après avoir été modifiée à trois reprises lors de quatre révisions constitutionnelles successives depuis 1976(23), la Constitution portugaise pour garantir l'indépendance des titulaires de la fonction juridictionnelle, institue au contraire plusieurs Conseils supérieurs des magistrats.

Il existe ainsi au Portugal un Conseil pour chaque magistrature : le Conseil supérieur de la magistrature pour les juges des tribunaux judiciaires, le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et fiscaux pour les magistrats de l'ordre administratif et le Conseil supérieur du ministère public.

Ces trois conseils supérieurs sont des organes constitutionnels, intégralement indépendants, placés hors de toute tutelle du pouvoir exécutif ou législatif(24). Ce sont des autorités publiques constitutionnelles indépendantes qui créent un lien, un pont (25), entre le peuple qui élit au suffrage universel le président de la République et les membres de l'Assemblée (unique) de la République (tous deux organes de nomination aux Conseils) et les magistrats qui exercent souverainement le pouvoir juridictionnel. On observera qu'au Portugal, le ministre de la justice non seulement ne siège pas dans les Conseils supérieurs mais également n'est pas titulaire du droit de désigner directement ou indirectement un quelconque membre de l'un de ces trois Conseils supérieurs de la magistrature, parce qu'il n'a pas précisément de légitimité démocratique issue du suffrage universel direct.

Dès 1982, ces trois Conseils supérieurs de la magistrature occupent une place centrale et décisive au sein du pouvoir juridictionnel. Certes, tous sont dotés d'une composition mixte. Mais dans un premier temps, celle-ci est interprétée comme impliquant la présence d'une majorité de juges et d'une minorité de membres laïques, non juges, élus par des organes issus du suffrage universel. Dès cette époque, le président de la République ni ne préside, ni ne siège au sein de l'un de ces Conseils supérieurs de la magistrature. Seule trace de l'ancien système de nomination, le président de la République procède à la désignation d'une minorité de membres. En 1989, dans un second temps, le Conseil supérieur de la magistrature judiciaire du Portugal est l'objet d'une importante réforme avec l'introduction d'un nombre de membres laïques plus élevé que celui des juges. Renforçant aux yeux de certains la légitimité de l'institution, ces membres laïques sont alors désignés par des organes de souveraineté directement élus au suffrage universel.

Dans un troisième et dernier temps, une nouvelle évolution constitutionnelle confère au président de la République une totale liberté de nomination, alors qu'auparavant il devait obligatoirement nommer des juges de carrière. Ainsi, en trois vagues successives le Portugal est parvenu à une composition mixte et équilibrée du Conseil supérieur de la magistrature judiciaire composé du président de la Cour de cassation (président de droit), de deux membres nommés par le président de la République (sans contreseing), de sept membres élus par l'Assemblée nationale (à la majorité des deux tiers, ce qui nécessite un véritable consensus politique), enfin, de sept juges élus par leurs pairs (à la représentation proportionnelle). Il suffit par conséquent que l'un des deux membres nommés par le président de la République n'ait pas la qualité de juge, pour que le Conseil supérieur de la magistrature soit nécessairement composé d'une minorité de juges.

Au Portugal, l'équilibre interne du Conseil supérieur de la magistrature dépend ainsi du seul bon vouloir du président de la République.

Pourtant, selon la Constitution, le Conseil supérieur de la magistrature détient deux attributions fondamentales dans un État de Droit : d'une part, la nomination, l'installation, le transfert et la promotion des juges, c'est-à-dire l'entière gestion des carrières judiciaires, d'autre part, l'intégralité de l'action disciplinaire, répondant au principe de la responsabilité disciplinaire rappelé par le statut des magistrats, qui concède au total une large autonomie à la procédure disciplinaire par rapport au droit de la fonction publique, la faute disciplinaire étant directement définie par le même statut au seul regard des devoirs professionnels et de la dignité de la fonction.

Ainsi, au Portugal la justice est donc loin d'être reléguée à un concept hybride et juridiquement monstrueux. La justice y occupe au contraire un rang privilégié conduisant sans difficulté majeure à ce que les décisions de justice « s'imposent à tous les organismes publics et privés et prévalent sur celles de toute autorité » (art. 205), au respect de leur obligatoire motivation et de la publicité des audiences (art. 206). Davantage encore, l'avocat est associé à la notion constitutionnelle de justice : la mission du Barreau est présentée par la Constitution du Portugal comme un « élément fondamental de l'administration de la justice » (art. 208).

Mais on retiendra surtout que la fonction juridictionnelle a ouvertement une finalité substantielle qui est celle de protéger les droits du justiciable. En ce sens, au Portugal, le droit constitutionnel juridictionnel n'étudie pas les institutions pour elles-mêmes, de façon statique visant uniquement à affermir le statut des juges. Cette finalité oblige à comprendre le droit de la justice comme un droit au service du justiciable, que la Constitution doit organiser, et non pas comme un droit au service du juge, dont se méfient d'ailleurs le pouvoir exécutif, le législateur et le constituant lui-même. Précisant ce lien entre les garanties juridictionnelles des organes de souveraineté que sont les tribunaux et le droit substantiel du justiciable, le Tribunal constitutionnel estime en ce sens que l'accès aux tribunaux pour le respect d'un droit correspond à un « droit à la »justice", par le biais d'organes juridictionnels, ou, ce qui est la même chose, d'organes indépendants et impartiaux [...] et dont les titulaires jouissent de prérogatives d'inamovibilité et d'irresponsabilité pour pouvoir rendre leurs décisions »(26). C'est ainsi vers le respect des droits fondamentaux que sont durablement tournés les principes constitutionnels de l'organisation juridictionnelle.

(1) « Les droits fondamentaux du justiciable », Étude de droit constitutionnel et européen en France et au Portugal, thèse dactyl., 2002.
(2) Art. 202 de la Constitution : « 1) les tribunaux sont les organes de souveraineté compétents pour administrer la justice au nom du peuple ; 2) dans l'administration de la justice, il incombe aux tribunaux d'assurer la défense des droits et des intérêts légalement protégés des citoyens, de sanctionner la violation de la légalité démocratique et de résoudre les conflits d'intérêts public et privé ; 3) dans l'exercice de leurs fonctions, les tribunaux ont droit à l'assistance des autres autorités ; 4) la loi pourra institutionnaliser des instruments et des formes de règlement non-juridictionnel des conflits. »
(3) L'art. 110, al. 1 de la Constitution du 2 avr. 1976 précise : « Les organes de souveraineté sont le président de la République, l'assemblée de la République et les tribunaux. »
(4) Art. 209 de la Constitution : « 1. Hormis le Tribunal constitutionnel, il existe les catégories suivantes de tribunaux : a) le Tribunal suprême de justice et les tribunaux judiciaires de première instance et de seconde instance ; b) le Tribunal suprême administratif et les autres tribunaux administratifs et fiscaux, c) le tribunal des comptes. 2. Il peut exister des tribunaux maritimes, des juridictions arbitrales et des juridictions de paix. 3. La loi détermine les cas et les formes dans lesquels les tribunaux prévus aux paragraphes précédents peuvent se constituer, séparément ou conjointement, en tribunaux de conflits. 4. Sans préjudice des dispositions relatives aux tribunaux militaires, l'existence de tribunaux exclusivement compétents pour le jugement de certaines catégories de crimes est interdite ». Depuis la révision constitutionnelle de 1989, le Tribunal constitutionnel est prévu dans un titre à part, le titre VI de la Constitution (art. 221 à 224). Notons également que l'article 207 de la Constitution dans son alinéa 2 admet que « La loi pourra prévoir l'intervention de juges non-professionnels pour le jugement des questions de travail, d'infractions contre la santé publique, des petits délits, pour l'exécution des peines, ou dans d'autres cas justifiant une évaluation particulière des valeurs sociales atteintes. »
(5) Miranda (J.), « Tribunais, juìzes e constituição », Revista da Ordem dos Advogados, 1999, Ano 59, p. 11.
(6) La Cour de cassation et la séparation des pouvoirs, in Actes du Colloque « La Cour de cassation et la Constitution de la République », dir. L. Favoreu et Th.-S. Renoux, La Documentation française, 1995.
(7) Miranda (J.), « Tribunais, juìzes e constituição », Revista da Ordem dos Advogados, 1999, Ano 59, p. 11.
(8) Gomes Canotilho (J. J.) et Moreira (V.), Constituição da Repùblica Portuguesa anotada, 3e éd., Coimbra, 1993, p. 792.
(9) V. en ce sens, Miranda (J.), « O regime dos direitos, liberdades e garantias », Estudos sobre a constituição, 3e vol., Lisboa, 1979, p. 60.
(10) T. const., Acòrdão n.°358/86, 16 dezembro 1986, 8e vol., 1986, p. 602.
(11) Moreira (V.), « Le Tribunal constitutionnel portugais : le »contrôle concret« dans le cadre d'un système mixte de justice constitutionnelle », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 10, 2001, p. 25.
(12) Le Tribunal constitutionnel a eu l'occasion d'affirmer que dans la mesure où la Constitution « exige une protection judiciaire sans lacunes, dans le cas où il n'y a pas de dispositions expresses sur le sujet, il doit être entendu que sont compétents les tribunaux judiciaires » : T. const., Acòrdão n° 280/89, 9 março 1989, 13e vol., t. II, 1989, p. 848.
(13) L'article 223 de la Constitution sous le libellé « Compétence », dispose : « [...] 2. Il appartient également au Tribunal constitutionnel [...] c) de juger en dernière instance la régularité et la validité des actes de la procédure électorale, conformément à la loi ; [...] e) de vérifier la légalité de la constitution des partis politiques et de leurs coalitions ainsi que d'apprécier la légalité de leur appellation, sigle et symbole, et d'ordonner leur extinction, conformément à la Constitution et à la loi ».
(14) Miranda (J.), Tribunais, juìzes e constituição, préc., p. 13.
(15) T. const., Acòrdão n° 52/92, 5 fevereiro 1992, 21e vol., 1992, p. 61-62.
(16) T. const., Acòrdão n° 193/96, 20 novembro 1996, 35e vol., 1996, p. 535.
(17) T. const., Acòrdão n° 124/90, 19 abril 1990, 15e vol., 1990, p. 417.
(18) Loc. cit., pp. 418-419.
(19) T. const., Acòrdão n° 935/96, 10 julho 1996, 34e vol., 1996, p. 347, spéc. p. 356.
(20) Ibid.
(21) « 1. Les juges des tribunaux judiciaires forment un corps unique et sont soumis à un seul et même statut. 2. La loi détermine les conditions requises et les règles de recrutement des juges des tribunaux judiciaires de première instance. 3. Les juges des tribunaux judiciaires de seconde instance sont recrutés dans le corps des juges des tribunaux de première instance, en privilégiant le critère du mérite, par concours sur examen du curriculum vitae. 4. L'accès au Tribunal suprême de justice a lieu par concours sur examen du curriculum vitae, ouvert aux Magistrats du siège et du ministère public et aux autres juristes de mérite, dans les conditions que la loi déterminera ».
(22) « 1. Les juges sont inamovibles. Ils ne pourront être mutés, suspendus, mis à la retraite ou démis de leurs fonctions en dehors des cas prévus par la loi. 2. Les juges ne peuvent être tenus pour responsables de leurs décisions, sauf exceptions consignées dans la loi. 3. Les juges en exercice ne peuvent exercer aucune autre fonction, publique ou privée, hormis les fonctions d'enseignement ou de recherche scientifique de nature juridique et non rémunérées, conformément à la loi. 4. Les juges en exercice ne peuvent être nommés pour participer à des commissions de service étrangères à l'activité des tribunaux sans autorisation du conseil supérieur compétent. 5. La loi peut établir d'autres cas d'incompatibilité avec l'exercice de la fonction de juge ». L'article 217 de la Constitution vient poser les règles concernant les « Nomination, affectation, mutation et avancement des juges » en estimant que « 1. La nomination, l'affectation, la mutation et l'avancement des juges des tribunaux judiciaires ainsi que l'exercice de l'action disciplinaire à leur encontre appartiennent au Conseil supérieur de la magistrature, conformément à la loi. 2. La nomination, l'affectation, la mutation et l'avancement des juges des tribunaux administratifs et fiscaux ainsi que l'exercice de l'action disciplinaire à leur encontre appartiennent à leurs conseils supérieurs, conformément à la loi... ».
(23) Loi constitutionnelle n° 1/82 du 30 sept. 1982, loi constitutionnelle n° 1/89 du 8 juill. 1989, loi constitutionnelle n° 1/97 du 3 sept. 1997.
(24) Bien que les trois Conseils soient constitutionnellement mentionnés, un seul véritablement, celui de l'ordre judiciaire voit son statut inscrit dans la Constitution. L'article 218 de la loi fondamentale lui est entièrement consacré : « 1. Le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le président du tribunal suprême de justice. Sa composition est la suivante : a) deux membres désignés par le président de la République ; b) sept membres élus par l'assemblée de la République ; c) sept juges élus par leurs pairs, selon le principe de la représentation proportionnelle. 2. Les règles sur les garanties des juges sont applicables à tous les membres du Conseil supérieur de la magistrature... ». Pour le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et fiscaux un simple renvoi est fait à l'alinéa 2 de l'article 217 de la Constitution qui vient poser les règles concernant la « Nomination, affectation, mutation et avancement des juges » en estimant que « 1. La nomination, l'affectation, la mutation et l'avancement des juges des tribunaux judiciaires ainsi que l'exercice de l'action disciplinaire à leur encontre appartiennent au Conseil supérieur de la magistrature, conformément à la loi. 2. La nomination, l'affectation, la mutation et l'avancement des juges des tribunaux administratifs et fiscaux ainsi que l'exercice de l'action disciplinaire à leur encontre appartiennent à leurs conseils supérieurs, conformément à la loi... ». Le Conseil supérieur du ministère public connaît un semblable renvoi à l'article 220 qui précise dans son deuxième alinéa « La Procuradia-Geral da Républica est présidée par le procureur général de la République et comprend le Conseil supérieur du ministère public... ».
(25) Selon l'expression du professeur Miranda, v. en ce sens pour une étude complète : Miranda (J.), « Le Conseil supérieur de la magistrature - Rapport Portugais », in Renoux (Th.-S.) (sous la dir.), Les Conseils supérieurs de la magistrature en Europe, La Documentation française, Perspectives sur la justice, Paris, 2000, pp. 257-269 ; ainsi que les actes de la table ronde dans le même ouvrage, spéc. pp. 73 et s.
(26) T. const., Acòrdão n° 934/96, 10 julho 1996, 34e vol., 1996, pp. 335-336.