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Le Tribunal constitutionnel portugais : le « contrôle concret » dans le cadre d'un système mixte de justice constitutionnelle

Vital MOREIRA - Professeur à la Faculté de Droit de l'Université de Coimbra, ancien Juge au Tribunal constitutionnel

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 10 (Dossier : Portugal) - mai 2001

1. L'origine du système mixte de justice constitutionnelle au Portugal

Le Portugal est l'un des pays pionniers et l'un des exemples les plus caractéristiques de la cohabitation entre le « système américain » et le « système autrichien » de justice constitutionnelle. En effet, le système de justice constitutionnelle portugais est une combinaison du système diffus et concret de judicial review et du système concentré et abstrait de Verfassungsgerichtsbarkeit.

Le système qui avait cours au Portugal avant la Constitution de 1976 était celui du contrôle judiciaire diffus, incident et concret, introduit par la Constitution de 1911 (la première constitution républicaine), puis repris par la Constitution de 1933 (celle de l'« Estado Novo »). Mais cette Constitution, dans la version résultant de sa dernière révision en 1971, soit pratiquement à la fin du régime autoritaire, commença à admettre la possibilité d'un contrôle abstrait concentré.

Ce système mixte fut conservé dans la structure constitutionnelle provisoire mise en place après la Révolution démocratique du 25 avril 1974, jusqu'à l'approbation de la future Constitution, le contrôle abstrait étant confié au Conseil de la Révolution qui était compétent pour déclarer avec force obligatoire générale l'inconstitutionnalité de toute norme.

Le texte originel de la Constitution de la République Portugaise (CRP) de 1976 maintint les caractéristiques essentielles du système mixte qui avait fait l'objet d'un essai pendant la période constitutionnelle transitoire, combinant le contrôle judiciaire diffus et le contrôle non judiciaire concentré abstrait. Mais il y introduisit certains éléments profondément innovateurs.

L'originalité résidait dans :

a) la création de deux nouveaux types de contrôle avec le contrôle des omissions inconstitutionnelles et le contrôle préventif des actes législatifs ou équivalents ;

b) la création d'un nouvel organe de contrôle - la Commission constitutionnelle - à la composition et aux fonctions hybrides (organe consultatif du Conseil de la Révolution pour le contrôle abstrait et organe de jugement concentré des recours en appréciation de constitutionnalité provenant des tribunaux);

c) le caractère non définitif des décisions des tribunaux qui prononcent une inconstitutionnalité, étant donné que de telles décisions étaient susceptibles d'un recours devant la Commission constitutionnelle, recours qui dans certains cas était rendu obligatoire pour le ministère public, notamment lorsqu'il s'agissait d'un jugement d'inconstitutionnalité relatif à une norme législative ou à un traité international.

On créa ainsi un système extrêmement complexe, qui combinait des éléments provenant de modèles différents, un mélange de contrôle politique et juridictionnel, de modèle diffus et concentré, de mise en cause directe et incidente, d'effets abstraits et concrets.

Avec la première révision constitutionnelle en 1982, la principale innovation fut la création du Tribunal constitutionnel, en remplacement du Conseil de la Révolution et de la Commission constitutionnelle.

Le Tribunal constitutionnel devint le principal organe de la justice constitutionnelle, compétent pour se prononcer définitivement sur des questions de constitutionnalité, tant par voie de recours contre les décisions d'autres tribunaux avec le contrôle concret de constitutionnalité (à l'occasion de questions soulevées à titre incident dans les faits soumis à jugement, quel que soit le sens de la décision), qu'à titre principal et avec force obligatoire générale (sur les questions lui étant directement présentées par certaines entités clairement identifiées dans la Constitution).

La première révision constitutionnelle a aussi étendu le modèle de contrôle de constitutionnalité à certains cas spéciaux d'illégalité renforcée, avec le contrôle des infractions aux statuts des régions autonomes par des textes régionaux ou des textes émanant d'organes de souveraineté, ou encore le contrôle des infractions aux « lois générales de la République » par des textes régionaux.

Les révisions constitutionnelles suivantes (1989, 1992, 1997) n'apportèrent guère de modification substantielle au système de justice constitutionnelle. Les principales innovations résidèrent dans l'élargissement des fonctions du Tribunal constitutionnel. Ainsi, le Tribunal devint par exemple compétent pour vérifier la conformité des actes législatifs « ordinaires » aux lois à valeur renforcée, parmi lesquelles les lois organiques, de même que pour vérifier la constitutionnalité et la légalité des référendums avant leur convocation.

Dans tous les cas, le système mixte portugais de justice constitutionnelle est aujourd'hui quasiment unanimement admis : il n'est pratiquement plus critiqué par personne, exceptées, parfois, certaines déclarations des juges des tribunaux de droit commun, surtout au niveau du Tribunal suprême de Justice, qui contestent le recours contre leurs décisions devant le Tribunal constitutionnel et proposent l'élimination de ce recours. Mais on ne voit pas comment cela serait possible sans abandonner la philosophie du contrôle concret, sans le remplacer par un système de renvoi préjudiciel devant le Tribunal constitutionnel, comme en Italie ou en Allemagne.

2. Le système de contrôle de la constitutionnalité, en général

I. Caractéristiques générales

Il existe quatre formes de contrôle de la constitutionnalité :

a) le contrôle préventif de l'inconstitutionnalité par action ;

b) le contrôle successif abstrait de l'inconstitutionnalité par action ;

c) le contrôle successif concret de l'inconstitutionnalité par action ;

d) le contrôle de l'inconstitutionnalité par omission.

Les organes du contrôle de constitutionnalité sont, d'un côté, le Tribunal constitutionnel et, de l'autre, l'ensemble des autres tribunaux. Le premier a une compétence exclusive en matière de contrôle préventif, de contrôle successif abstrait et de contrôle de l'inconstitutionnalité par omission. Il juge des recours contre les décisions des autres tribunaux en matière constitutionnelle. Les tribunaux de droit commun se prononcent sur les questions de constitutionnalité soulevées dans chaque cas sub judice, et leurs décisions sont toujours susceptibles de recours devant le Tribunal constitutionnel.

L'articulation des différentes formes de contrôle avec ses différents organes conduit au schéma suivant des types de contrôle (v. le tableau I).

1) Le contrôle préventif

Comme l'indique son nom, c'est le contrôle antérieur à l'introduction même des normes dans l'ordre juridique. Il a donc pour objet des normes imparfaites. C'est par nature un contrôle abstrait et, en cas de jugement d'inconstitutionnalité, les normes en cause n'entrent pas dans l'ordre juridique.

Le contrôle préventif a deux fonctions bien distinctes : d'un côté, il empêche l'entrée en vigueur de normes présupposément inconstitutionnelles, évitant ainsi qu'elles ne produisent effet ; d'un autre côté, il écarte ou diminue les réserves qui auraient été faites ou qui pourraient éventuellement être soulevées quant à la constitutionnalité du texte et qui pourraient affaiblir sa légitimité et, même, son efficacité.

Quant à la compétence pour requérir le contrôle, il faut distinguer trois situations :

a) le Président de la République peut demander le contrôle de tout texte législatif ou de toute convention internationale qui lui est soumis pour promulgation, signature ou ratification ;

b) le Premier ministre et un certain nombre de députés à l'Assemblée de la République peuvent demander le contrôle des « lois organiques » ;

Tableau I

Les types de contrôle de constitutionnalité (n'incluant pas le contrôle de « légalité renforcée »)

Contrôle préventifContrôle successif abstraitContrôle successif concretInconstitutionnalité par omission
Organe compétentTribunal constitutionnelTribunal constitutionnelTribunal de droit commun Tribunal constitutionnelTribunal constitutionnel
InitiativePrésident de la République, ministres de la République (RA)1 , Premier ministre 2, 1/5e des députés 2 Président de la République, Président de l'Assemblée de la République, Premier ministre, médiateur, procureur général de la République, 1/10e des députés, ministres de la République (RA), autorités régionales 3parties en cause, juge du fondPrésident de la République, médiateur, Présidents des Assemblées régionales 4
ObjetConventions internationales, lois et décrets-lois, décrets législatifs régionaux, décrets réglementaires régionaux Toute normeToute normeAbsence de mesures législatives pour appliquer la Constitution
Effets de l'inconstitutionnalitéVeto du Président de la République, refus de ratification des traités internationauxNullité de la norme avec force obligatoire générale Non-application de la norme au cas concret Simple déclaration d'existence de l'omission
  1. Pour les textes régionaux.
    2. Pour les lois organiques.
    3. Pour les normes de la République qui affectent les régions autonomes.
    4. Pour les omissions législatives concernant les régions autonomes.

c) les ministres de la République pour les régions autonomes peuvent demander le contrôle des textes régionaux qu'il leur échoit de signer.

Le champ du contrôle préventif est aussi plus restreint que celui du contrôle successif, étant donné qu'il ne s'applique qu'à des textes législatifs (de la République ou des régions autonomes) ou équivalents (conventions internationales et décrets régionaux de réglementation de lois de la République).

L'organe compétent est naturellement le Tribunal constitutionnel.

2) Le contrôle concentré abstrait

Pour ce qui a trait au contrôle successif, c'est-à-dire après publication des normes, il existe un contrôle abstrait et concentré, aussi appelé contrôle par « voie principale », par « voie d'action » ou par « voie directe ». Le contrôle concentré est indépendant du contrôle concret, mais il y a la possibilité du « passage » du contrôle concret au contrôle abstrait, afin d'obtenir la généralisation des décisions adoptées en contrôle concret (art. 281-3, CRP).

Le contrôle concentré est universel, étant donné qu'il couvre toutes les normes susceptibles de contrôle pour inconstitutionnalité, qu'il peut concerner toute norme du système juridique. La compétence du contrôle abstrait appartient exclusivement au Tribunal constitutionnel, à la demande de certains organes publics et à l'exclusion des citoyens ou des intéressés au contrôle de la norme.

3) Le contrôle concret diffus

La compétence pour juger des questions de constitutionnalité est reconnue à tous les tribunaux (art. 204 et 280-1, CRP), qui peuvent apprécier, à la demande des parties ou sur initiative du juge, l'éventuelle inconstitutionnalité des normes appliquées aux cas concrets soumis à leur jugement. Toutefois, il existe toujours la possibilité du recours devant le Tribunal constitutionnel - recours qui, dans certains cas, est obligatoire pour le ministère public -, ce Tribunal devant se prononcer définitivement sur la question. Mais la décision continue à valoir seulement pour le cas qui est à l'origine du recours.

Le contrôle judiciaire diffus concerne toutes les normes de l'ordonnancement juridique susceptibles de contrôle du point de vue de la constitutionnalité. Le régime du contrôle concret révèle clairement sa nature mixte : entre le système diffus, traditionnel au Portugal, et le système concentré, de type autrichien, introduit dans la Constitution de 1976. Le système de contrôle est un système original. À la différence des autres systèmes dotés d'un tribunal constitutionnel, les tribunaux de droit commun ont aussi un accès direct à la Constitution, disposant d'une compétence pleine pour juger et décider des questions soulevées ; mais, à la différence des systèmes de judicial review, les décisions des tribunaux du fond sont susceptibles de recours devant un tribunal constitutionnel spécifique, extérieur à la juridiction ordinaire.

4) Le contrôle de l'inconstitutionnalité par omission

En plus du contrôle de l'inconstitutionnalité par action, il existe le contrôle concentré des omissions législatives - contrôle de l'inconstitutionnalité par omission -, mais les décisions du Tribunal constitutionnel à propos de l'existence d'une inconstitutionnalité par omission ont pour seul effet pratique la certification de l'omission et la communication de la décision, pour information, à l'organe législatif compétent (art. 283, CRP).

La compétence pour requérir le contrôle est plutôt restreinte (Président de la République, Provedor de Justiça et Présidents des Assemblées régionales, pour ces derniers, dans le cas d'une remise en cause des droits constitutionnels des régions autonomes).

II. Les organes de contrôle

A. Un système intégralement juridictionnel

Historiquement, l'émergence du concept de contrôle de constitutionnalité a été marqué par deux éléments fondamentaux :

a) la possibilité de déclarer l'illégitimité d'une norme infra-constitutionnelle à cause de violation de la Constitution ;

b) la dévolution de cette compétence à des instances indépendantes de nature judiciaire, que ce soit aux tribunaux de droit commun (« système américain ») ou à un tribunal spécialisé, un tribunal constitutionnel (« système autrichien »).

En fait, le contrôle judiciaire de l'inconstitutionnalité des lois implique le dépassement de la conception de la souveraineté absolue du parlement et de la séparation des pouvoirs, qui pendant longtemps ont constitué un obstacle au contrôle de la constitutionnalité des lois par un organe extérieur indépendant, notamment par les tribunaux (et surtout par les tribunaux de droit commun).

Cela n'empêche évidemment pas que le respect de la Constitution continue à être une obligation parlementaire, notamment par rapport aux actes des organes soumis à son contrôle, à commencer par l'exécutif. D'ailleurs, la CRP attribue encore aujourd'hui à l'Assemblée de la République la compétence pour « surveiller le respect de la Constitution » (art. 162/a), mais elle ne peut déclarer une inconstitutionnalité puisqu'elle est limitée à des moyens de contrôle politique. Il en va de même avec le Président de la République qui est obligé, conformément à la formule constitutionnelle qui figure dans son serment d'investiture, « de défendre, respecter et faire respecter la CRP » (art. 127-3, CRP), devenant par là même, à l'intérieur du périmètre de ses pouvoirs, un « gardien de la Constitution ».

Mais on ne peut parler d'un véritable contrôle de la constitutionnalité que lorsqu'il émane d' organes juridictionnels. L'originalité du système portugais est, au lieu de choisir entre l'un des systèmes de contrôle juridictionnel ci-dessus mentionnés, de les conjuguer tous deux, pour bénéficier des avantages de l'un et de l'autre.

B. Le Tribunal constitutionnel

Le Tribunal constitutionnel, introduit par la révision constitutionnelle de 1982, est le développement logique de la Commission constitutionnelle prévue par le texte originel de 1976, Commission qui au-delà de son rôle consultatif en matière de contrôle abstrait de la constitutionnalité sur initiative du Comité Révolutionnaire, fonctionnait déjà comme une instance suprême de recours contre les décisions des tribunaux, sur des questions de constitutionnalité.

L'idée de concentrer en un unique tribunal la compétence pour connaître du contrôle de la constitutionnalité - pour laquelle au Portugal, depuis 1911, tous les tribunaux avaient compétence - est apparue en termes constitutionnels dans la révision de 1971 ; elle ne fut toutefois pas concrétisée. La Constitution de 1976, dans sa version primitive, en même temps qu'elle a maintenu la compétence des tribunaux pour le contrôle concret, a toutefois introduit un recours contre leurs décisions devant la Commission constitutionnelle (recours obligatoire dans certains cas).

Le Tribunal constitutionnel a reçu les fonctions d'organe suprême du contrôle de la constitutionnalité, en plus de nouvelles fonctions en matière de contrôle de certaines formes de légalité « renforcée », en matière de mandat du Président de la République, de contentieux électoral, de constitution des partis politiques, de contrôle préventif de la constitutionnalité et de la légalité des référendums, etc. (cf. art. 223, CRP).

La quatrième révision constitutionnelle (1997) confia au Tribunal constitutionnel deux nouvelles fonctions : d'une part, juger des recours relatifs à la perte du mandat des députés de même qu'aux élections de titulaires de charges publiques par l'Assemblée de la République ; d'autre part, juger des actions tendant à contester la légitimité des élections à l'intérieur des partis politiques et leurs délibérations respectives. Dans chacun des cas, le Tribunal constitutionnel connaît de la constitutionnalité et de la légalité (lato sensu) des actes en cause (art. 223-1/g et h, CRP).

Pour ce qui a trait au contrôle de la constitutionnalité, le Tribunal constitutionnel est l'organe compétent pour le contrôle préventif, pour le contrôle successif abstrait et pour le contrôle de l'inconstitutionnalité par omission, et il constitue l'instance de recours pour le contrôle concret.

Il faut souligner l'insistance de la Constitution à propos de la nature juridictionnelle du Tribunal constitutionnel, ce qui ne signifie pas que, même s'il est un tribunal au même titre que les autres, le Tribunal constitutionnel ne soit pas un tribunal différent des autres.

C. Les tribunaux de droit commun

Tous les autres tribunaux sont aussi des agents de la justice constitutionnelle. Ils peuvent (et ils doivent) apprécier et décider des questions de constitutionnalité qui se posent dans les cas soumis à leur jugement, et écarter les normes qu'ils considèrent inconstitutionnelles (art. 204 CRP).

Il s'agit de tirer toutes les conséquences du principe de la primauté de la norme constitutionnelle, principe qui conduit les tribunaux à préférer la norme de la loi fondamentale et à laisser inappliquées les normes infra-constitutionnelles incompatibles avec elle.

À la différence de ce qui se passe dans les systèmes de type « autrichien » - où, en règle générale, les tribunaux de droit commun ne disposent pas du pouvoir de refuser l'application de normes pour inconstitutionnalité et doivent renvoyer au Tribunal constitutionnel les questions de constitutionnalité soulevées -, mais en conformité avec le système de judicial review américain, les tribunaux portugais décident eux-mêmes de la constitutionnalité des normes qu'ils doivent appliquer, et écartent celles qu'ils considèrent inconstitutionnelles.

Toutefois, les décisions des tribunaux de droit commun à propos de questions de constitutionnalité peuvent toujours faire l'objet d'un recours devant le Tribunal constitutionnel. Et lorsqu'il s'agit du refus de l'application de certaines catégories de normes les plus importantes (notamment celles contenues dans les lois et conventions internationales), le recours devant le Tribunal constitutionnel est obligatoire, ce dernier ayant le dernier mot. En définitive, seul le Tribunal constitutionnel peut laisser inappliqués certains types de normes (notamment les lois) pour inconstitutionnalité.

III. L'objet du contrôle de constitutionnalité

A. Les actes normatifs

Selon la Constitution, la validité des lois et des autres actes de l'État et autres pouvoirs publics dépend de leur conformité à la Constitution (art. 3-3). Il arrive néanmoins que le contrôle de constitutionnalité soit quasi-exclusivement limité aux actes à caractère normatif, à l'exclusion des actes d'une autre nature (actes politiques, actes administratifs et actes judiciaires).

Il est possible de se demander si seules les normes à contenu général et abstrait peuvent faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité. Or, étant donné que la Constitution n'offre aucune base à une définition matérielle de la loi - comme acte législatif général et abstrait -, il n'y a aucun fondement raisonnable pour restreindre le contrôle de constitutionnalité aux lois à contenu matériellement normatif. Un tel raisonnement est corroboré par la jurisprudence constante du Tribunal constitutionnel.

En contrepartie, toutes les normes sont concernées, quelle que soit leur nature, leur source, leur forme ou leur hiérarchie, pour autant qu'elles soient de nature juridique et appartiennent à l'ordre juridique portugais. En droit constitutionnel portugais, les « actes normatifs dits primaires » (loi, traités internationaux) ne sont pas les seuls objets de contrôle, les « actes normatifs secondaires ou tertiaires » (règlements de l'administration, règlements des assemblées, statuts et règlements de la fonction publique, normes publiques des organisations privées chargées de missions publiques, etc.) le sont aussi.

B. Le contrôle de certains actes non normatifs

Comme il a été dit plus haut, tous les actes du pouvoir politique ne sont pas soumis au contrôle de leur conformité à la Constitution.

Sont exclus du système de contrôle de constitutionnalité les actes administratifs proprement dits - qui, néanmoins, s'ils sont inconstitutionnels, peuvent faire l'objet d'un recours pour illégalité selon les termes généraux de la justice administrative - et les actes dits politiques ou de gouvernement (par exemple, la démission du gouvernement ou la dissolution de l'Assemblée de la République par le Président de la République), qui ne sauraient, par ailleurs, être l'objet d'aucun contrôle de légitimité, mais seulement d'un contrôle politique du Parlement et de l'opinion publique.

S'agissant de ces actes politiques ou de gouvernement, il faut toutefois noter que la déclaration d'état de siège et de l'état d'urgence, étant donné qu'elle revêt une nature normative, peut faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité, dans des termes généraux. Il en va de même des actes de convocation de référendums ou de consultations populaires locales, qui sont expressément soumis au contrôle préventif obligatoire de constitutionnalité et de légalité (art. 115-8, CRP).

Depuis la révision constitutionnelle de 1997, sont également sujettes à contrôle de constitutionnalité (et de légalité) les décisions parlementaires relatives à la perte de mandat des députés, ainsi que les élections réalisées au Parlement.

C. Les actes exclus du contrôle de constitutionnalité

Sous réserve des exceptions signalées ci-dessus, sont exclus du contrôle de constitutionnalité tous les autres actes publics ne contenant pas de norme juridique, indépendamment de leur nature, qu'il s'agisse d'actes constitutionnels ou d'actes administratifs (qui relèvent du contentieux administratif). Il en va de même des affaires juridico-privées et des autres actes pris par des personnes privées (à l'exception des normes émises dans l'exercice de pouvoirs publics délégués, comme c'est le cas pour les concessionnaires de service public ou les fédérations sportives).

Les décisions judiciaires, en elles-mêmes, ne sont pas non plus susceptibles d'un contrôle de constitutionnalité. Il est possible de contester une décision judiciaire devant le Tribunal constitutionnel, lorsqu'elle applique une norme dont l'inconstitutionnalité a été soulevée lors du procès ou lorsqu'elle n'applique pas une norme pour motif d'inconstitutionnalité. Mais il n'est pas possible de déférer devant le Tribunal constitutionnel une décision judiciaire en ce qu'elle-même violerait la Constitution pour quelque motif que ce soit. Telle est l'orientation jurisprudentielle, continuellement affirmée depuis le début.

D. Le contrôle des omissions inconstitutionnelles

Le principe de constitutionnalité ne s'applique pas seulement aux actions de l'État ; il embrasse également ses omissions ou inactions. La Constitution est aussi un ensemble de normes positives qui exigent de l'État et de ses organes une activité, une action. Le non-accomplissement de ces normes, par inertie de l'État, c'est-à-dire par absence totale de mesures (législatives ou autres) ou par son insuffisance, déficience, ou inadéquation, est également constitutif d'une infraction à la Constitution : l'inconstitutionnalité par omission.

Néanmoins, le mécanisme constitutionnel du contrôle de l'inconstitutionnalité par omission (art. 283, CRP) est loin d'être efficace, du fait de l'existence de limitations constitutionnelles et d'autres découlant de la nature particulière de l'inconstitutionnalité par omission. Le Tribunal constitutionnel ne peut être appelé à vérifier que l'omission de mesures législatives, et doit se limiter à vérifier et déclarer que l'omission existe, ne pouvant ni se prononcer sur le mode de suppression du défaut, ni se substituer aux organes législatifs compétents.

IV. Nature et effets du jugement d'inconstitutionnalité

La nature et les effets du jugement d'inconstitutionnalité sont divers, en accord avec les différents types d'inconstitutionnalité et en fonction des différentes formes de contrôle. Il est important d'analyser les différents cas.

1) L'inconstitutionnalité par action et par omission

Il existe une grande différence de nature entre le contrôle des actions et celui des omissions inconstitutionnelles. La déclaration d'inconstitutionnalité par omission a un effet simplement « déclaratif » et non « condamnatoire », puisque le Tribunal constitutionnel se limite à vérifier le non respect de la Constitution par défaut d'adoption de mesures législatives nécessaires et à le porter à la connaissance des organes législatifs compétents (art. 283, CRP). Le contrôle de l'inconstitutionnalité par action élimine l'inconstitutionnalité (ou, tout du moins, ses effets). Il rétablit la légalité constitutionnelle, alors qu'il n'en va pas de même avec le contrôle des omissions inconstitutionnelles, étant donné que le Tribunal constitutionnel ne peut créer les normes qui font défaut.

2) Le contrôle préventif et successif

Avec le contrôle préventif, les normes en cause n'existent pas encore en tant que telles, et l'appréciation du Tribunal constitutionnel s'insère dans leur processus de formation. Sa fonction est d'empêcher la promulgation et la publication de textes comportant des normes inconstitutionnelles. Au contraire, le contrôle successif a pour objet des normes qui appartiennent déjà à l'ordre juridique et sa fonction est de les éliminer, ou, pour le moins, d'en écarter l'application.

Alors qu'avec le contrôle préventif, l'efficacité du jugement d'inconstitutionnalité dépend de l'intervention de tiers (le veto du Président de la République ou du ministre de la République), avec le contrôle successif le Tribunal constitutionnel est lui-même compétent pour déclarer l'inconstitutionnalité avec force obligatoire générale ou pour, conjointement avec les autres tribunaux, juger les normes inconstitutionnelles et en écarter l'application.

Il faut noter que dans le cas du contrôle préventif, la Constitution admet que l'Assemblée de la République puisse outrepasser le veto d'inconstitutionnalité du Président de la République, moyennant un vote à la majorité des 2/3, permettant ainsi au Président de la République de promulguer le texte inconstitutionnel s'il le désire (art. 279-2, CRP), ce qui constitue toutefois une solution incongrue et anormale.

3) Le contrôle abstrait et concret

La nature et les effets du contrôle concret sont profondément différents de ceux du contrôle abstrait : avec le contrôle concret, les tribunaux se limitent à « écarter » dans le cas qui leur est soumis les normes qu'ils considèrent inconstitutionnelles, sans que la décision ait une quelconque influence sur la validité abstraite de la norme, qui demeure en vigueur et qui peut éventuellement être appliquée dans un autre procès si le tribunal compétent l'estime nécessaire. À l'inverse, la déclaration d'inconstitutionnalité abstraite prononcée par le Tribunal constitutionnel a des effets généraux, avec pour conséquence l'invalidation de cette norme et l'impossibilité pour celle-ci de continuer à être appliquée par quelque tribunal ou autorité que ce soit.

Avec le contrôle concret, la question de constitutionnalité est une question incidente, « greffée » sur la question principale de nature civile, criminelle ou administrative. Même lorsqu'elle est détachée pour faire l'objet du recours en appréciation de constitutionnalité par le Tribunal constitutionnel, elle ne devient pas autonome et reste délimitée par le cas concret dans lequel elle est apparue. Ses effets sont limités au cas concret.

V. Le contrôle de certaines formes d'illégalité

Les fonctions du Tribunal constitutionnel n'ont pas seulement trait au contrôle de la constitutionnalité des normes juridiques.

Il faut aussi y ajouter le contrôle de certaines formes de légalité de normes déterminées, à savoir :

a) les normes régionales qui enfreignent les limites légales de l'autonomie régionale (énoncées par les statuts régionaux ou par les lois générales de la République), de même que les normes de l'État qui enfreignent les garanties légales de l'autonomie régionale (énoncées par les statuts régionaux) ;

b) les normes de quelque loi que ce soit lorsqu'elles enfreignent les lois à valeur renforcée (art. 280-2 et 281-1/b, c, et d, CRP).

La particularité de ce dispositif est le recours par la Constitution au système du contrôle de constitutionnalité pour contrôler certaines formes qualifiées d'illégalité, autrement dit pour garantir le respect de certaines lois infra-constitutionnelles, elles-mêmes soumises au contrôle de la constitutionnalité. Il est important de comprendre les raisons de ce parallélisme.

Pour ce qui est des normes régionales qui violent les statuts ou les lois générales de la République, et des textes de la République qui violent les statuts régionaux, il s'agit d'illégalités d'une particulière importance constitutionnelle. En effet, elles ont trait au statut des régions autonomes qui détiennent elles aussi un pouvoir législatif, à côté de celui de l'État. Il s'agit, en fin de compte, d'une part, de garantir l'autonomie régionale contre les incursions de l'État, et d'autre part, de garantir l'unité normative de l'État contre les abus des régions autonomes. Ce sont donc des conflits organiques entre l'État et des instances infra-étatiques dotées d'autonomie politique, qui, à la ressemblance des conflits de type fédéral, constituent l'objet de la compétence de la Cour constitutionnelle dans plusieurs pays.

En ce qui concerne l'autre modalité - celle des lois qui violent des lois à valeur renforcée -, ce qui est en cause est la garantie des lois auxquelles la Constitution même attribue une valeur paramétrique par rapport à d'autres lois, qui doivent donc prévaloir sur elles, ou qui, parce qu'elles sont des lois politiquement « très sensibles », subissent des processus d'élaboration et d'approbation plus exigeants et qui, en tant que telles, ne peuvent être contrariées par des lois « ordinaires ». Il s'agit de lois qui ont en général un rôle spécial dans la régulation du processus politique, et qui pour certaines d'entre elles, même si elles n'ont pas de valeur formellement constitutionnelle, régulent des sujets matériellement constitutionnels.

3. Le système de contrôle concret de la constitutionnalité et le recours en appréciation de constitutionnalité, en particulier

I. Les principes du contrôle concret de la constitutionnalité

Le contrôle concret est celui qui a lieu lors du jugement d'une quelconque cause judiciaire, lorsque le problème de la constitutionnalité de la norme appliquée à cette cause est soulevé, quelle que soit la nature de celle-ci (cause civile, pénale, professionnelle, commerciale, etc.).

La norme constitutionnelle clé est l'article 204 de la CRP, selon lequel « les tribunaux ne peuvent appliquer aux faits occasionnant un jugement des normes qui enfreignent les dispositions de la Constitution ou les principes qui y sont consignés ».

La question de la constitutionnalité peut être soulevée discrétionnairement par le juge ou par l'une quelconque des parties, devant toute instance judiciaire, à un quelconque moment du procès, et au regard d'une quelconque norme, depuis une loi de l'Assemblée de la République, jusqu'au règlement d'une collectivité locale, en passant par un décret législatif régional.

Une fois soulevée la question de la constitutionnalité, le juge doit d'abord se prononcer sur son intérêt pour la résolution de la cause puis sur sa constitutionnalité. S'il statue dans le sens de l'inconstitutionnalité, il ne peut appliquer la norme à la cause soumise à son jugement. La décision d'inconstitutionnalité produit des effets limités à la cause en instance et ne lie ni ce tribunal, ni les autres quant aux espèces ultérieures.

Le contrôle concret de la constitutionnalité se base au Portugal, comme nous l'avons vu, sur un schéma original de « répartition des compétences » entre le Tribunal constitutionnel et les autres tribunaux. Les tribunaux (tous les tribunaux) peuvent se refuser à appliquer des normes en se fondant sur leur inconstitutionnalité. Ils ne peuvent ni s'abstenir de décider de la question de constitutionnalité, ni la renvoyer directement devant le Tribunal constitutionnel.

Il existe toujours une possibilité de recours devant le Tribunal constitutionnel contre les décisions des tribunaux, le Tribunal constitutionnel étant, selon l'article 221 de la CRP, « le tribunal spécifiquement compétent pour administrer la justice dans les matières de nature juridico-constitutionnelle ». Mais si le recours est toujours possible, il n'est obligatoire que dans certains cas.

À la différence de ce qui se produit dans d'autres systèmes dotés d'un tribunal constitutionnel, au Portugal les tribunaux de droit commun ont eux aussi directement accès à la Constitution, et disposent d'une compétence pleine pour juger et décider des questions soulevées ; mais, à la différence des systèmes de judicial review, les décisions des tribunaux de la cause sont susceptibles de recours devant un tribunal constitutionnel spécifique, extérieur à la juridiction ordinaire. Le système conjugue ainsi la décentralisation, propre aux systèmes diffus, et la concentration au sommet, propre aux systèmes dotés d'un tribunal constitutionnel.

II. Le recours en appréciation de constitutionnalité

A. Les fondements du recours

Le recours devant le Tribunal constitutionnel se caractérise par les traits suivants :

- il est toujours possible, mais est seulement obligatoire dans certains cas ;

- il ne peut exister que si et dans la mesure où une décision judiciaire a été prononcée sur une question de constitutionnalité relative à une certaine norme, puisqu'il n'est pas possible de soumettre au Tribunal une question de constitutionnalité non décidée au fond (expressément ou implicitement) par le tribunal contesté ;

- il est indépendant de la catégorie de norme dont la constitutionnalité est controversée, qu'il s'agisse de lois du Parlement ou de normes réglementaires de quelque type que ce soit ;

- il dépend toujours de la cause principale et ne peut être soumis que lorsque la question de constitutionnalité est déterminante pour la décision de la cause ;

- il ne concerne que la question de constitutionnalité (c'est-à-dire la question de savoir si une certaine norme est ou non conforme à la Constitution), et non la question de fond de la cause principale ;

- les effets de la décision du recours en appréciation de constitutionnalité se limitent au cas concret.

Aux termes de la CRP et de la loi relative au Tribunal constitutionnel (LTC), le recours devant le Tribunal constitutionnel peut s'appliquer aux décisions des tribunaux suivantes :

- celles qui refusent l'application de toute norme sur le fondement d'une inconstitutionnalité (art. 280-1/a, CRP) - recours de type I ;

- celles qui appliquent une norme dont l'inconstitutionnalité a été soulevée pendant le procès (art. 280-1/b, CRP) - recours de type II ;

- celles qui appliquent une norme précédemment jugée inconstitutionnelle par le Tribunal constitutionnel (art. 280-5, CRP) - recours de type III.

Les recours de type I et III visent la décision de tout tribunal, quelle que soit l'instance dont relève la décision. Les recours de type II concernent seulement les décisions judiciaires insusceptibles de recours ordinaire dans l'ordre juridictionnel qui les a rendues (art. 70-2, LTC). En effet, si un tribunal applique une certaine norme, en dépit du prononcé de son inconstitutionnalité, le recours contre cette décision n'est ouvert devant le Tribunal constitutionnel qu'après épuisement des autres voies de recours. Par exemple, lorsque la question de constitutionnalité est soulevée en première instance dans une cause civile et qu'elle est susceptible de recours devant le Tribunal suprême de justice, le recours devant le Tribunal constitutionnel ne peut intervenir qu'à l'encontre de la décision du Tribunal suprême.

En sus des recours en appréciation de constitutionnalité, la Constitution et la LTC prévoient également le recours devant le Tribunal constitutionnel contre des décisions judiciaires relatives à l'infraction à des lois à valeur renforcée. Les recours en appréciation de légalité contre les décisions de tribunaux de droit commun sont les suivants :

- ceux résultant du refus d'application d'une norme relevant d'un acte législatif, sur la base de son illégalité au regard d'une loi à valeur renforcée (art. 280-2/a, CRP) ;

- ceux résultant du refus d'application d'une norme relevant d'un texte régional, sur la base de son illégalité au regard du statut de la région autonome ou de la « loi générale de la République » (art. 280-2/b, CRP) ;

- ceux résultant du refus d'application d'une norme relevant d'un texte émanant d'un organe de souveraineté, sur la base de son illégalité au regard du statut de la région autonome (art. 280-2/c, CRP) ;

- ceux résultant de l'application d'une norme dont l'illégalité a été soulevée pendant le procès sur la base de l'un quelconque des fondements énoncés aux alinéas précédents (art. 280-2/d, CRP) ;

- ceux résultant du refus d'application d'une norme relevant d'un acte législatif, sur la base de sa contrariété à une convention internationale, ou résultant de son application non conforme à ce qui a été antérieurement décidé par le Tribunal constitutionnel (art. 70-1/i, LTC).

B. Légitimité et intérêt procédural

Aux termes de l'article 72 de la LTC, peuvent présenter un recours devant le Tribunal constitutionnel, contre les décisions de constitutionnalité prises par les tribunaux de droit commun :

a) Le ministère public ;

b) Les personnes qui, conformément à la loi régissant la procédure dans le cadre de laquelle la décision a été prononcée, peuvent légitimement introduire un recours contre elle.

La légitimité du ministère public vise la défense objective de l'ordre constitutionnel (Jorge Miranda). La légitimité des parties - personnes privées ou publiques, nationales ou étrangères - vise la défense de leurs propres intérêts en tant que parties et est appréciée au regard de la loi régissant le « procès-prétexte » (civil, professionnel, criminel, etc.) dont est issu le recours de constitutionnalité.

Quant à leur régime, les recours du ministère public se présentent sous deux formes :

- le recours obligatoire, en cas de recours de type I, lorsque l'inapplication d'une norme législative (ou para-législative) ou figurant dans une convention est en cause, et de type III (application d'une norme précédemment jugée inconstitutionnelle par le Tribunal constitutionnel) ;

- le recours facultatif, pour les recours de type II et ceux de type I qui se réfèrent à des normes infra-législatives ou infra-conventionnelles.

Cependant, en cas de recours normalement obligatoire, le ministère public peut s'abstenir de présenter un recours contre des décisions conformes à l'orientation qui se trouve déjà établie, concernant la question en cause, par la jurisprudence du Tribunal constitutionnel (art. 72-4, LTC). Un tel recours serait en effet inutile.

La légitimité des parties obéit quant à elle aux règles et aux principes du « procès-support » à l'origine de la question de constitutionnalité, comme nous l'avons vu.

Il existe une condition additionnelle de légitimité pour le recours de type II. Il ne peut être présenté que par la partie qui a soulevé la question de constitutionnalité devant le tribunal qui a prononcé la décision contestée (art. 72-2, LTC). En d'autres termes, il est nécessaire de soulever la question de constitutionnalité ou de légalité, selon la procédure adéquate, devant le tribunal « a quo ».

Soulever la question de constitutionnalité « pendant le procès » implique de le faire avant le rendu de la « décision finale » par le tribunal contesté, c'est-à-dire alors que la cause est encore « pendante », de telle sorte que la question puisse encore être prise en compte par le tribunal. La question de constitutionnalité est une question incidente, organiquement liée au « fait soumis à jugement » (art. 204, CRP).

Néanmoins, des situations exceptionnelles peuvent dispenser le requérant de la charge du soulèvement préalable de la question de constitutionnalité, notamment lorsqu'il n'a pas disposé d'opportunité procédurale pour soulever ladite question avant que ne fût rendue la décision contestée, par exemple quand l'intéressé n'a pas eu la possibilité se soulever la question parce qu'aucune opportunité pour intervenir avant la décision ne lui aurait été laissée (cf. arrêts nos 136/85 et 47/90, entre autres).

Il ne suffit pas que le requérant ait la légitimité. Il est également nécessaire que le recours présente un intérêt pour la décision de la cause-support. Comme l'a indiqué le Tribunal, « le jugement de la question de constitutionnalité a toujours une fonction instrumentale. Il ne se justifie donc que s'il présente une utilité pour la décision de la question de fond » (arrêt n° 86/90). Cette exigence découle directement de la nature du contrôle concret, intrinsèquement lié à une certaine cause, dont la résolution nécessite celle préalable de la question de constitutionnalité. Par conséquent, celle-ci n'existe que dans la mesure où elle est déterminante pour la décision de la cause. Il n'existe pas de recours si la question de constitutionnalité, en dépit d'avoir été abordée dans la décision contestée, se rapporte finalement à une norme dépourvue d'intérêt pour la résolution de la cause principale.

La notion d'intérêt à présenter un recours est liée à l'idée d'utilité de la décision de constitutionnalité pour la décision de la question principale (à la charge du tribunal a quo). Ainsi, le Tribunal ne doit connaître d'un recours de constitutionnalité que lorsque la question de constitutionnalité peut avoir une incidence utile sur le jugement dont ressort le recours.

Dès lors, le recours en appréciation de constitutionnalité n'a plus de raison d'être si la cause dont il ressort s'éteint, pour quelque raison que ce soit (par exemple, l'extinction d'un procès pénal pour cause d'amnistie).

Dans tous les cas, il appartient au Tribunal constitutionnel de décider si la question de constitutionnalité présente ou non un intérêt pour la décision de la cause dont elle ressort.

C. L'objet du recours

Le contrôle de constitutionnalité est un contrôle des normes, et non un contentieux des actes ou de décisions. En cas de recours en appréciation de constitutionnalité, ce n'est pas l'examen de la constitutionnalité de la décision du juge a quo relative à la question de fond qui est en cause, mais seulement l'appréciation de la conformité de sa décision par rapport à la constitutionnalité ou non d'une certaine norme infra-constitutionnelle qui présente un intérêt pour le jugement du cas sub judice.

Quelques parties seulement d'un même précepte normatif peuvent faire l'objet d'un contrôle lorsque ce précepte contient plus d'une norme, ou même lorsqu'il ne contient qu'une norme, si seule est en cause une partie de la norme. Les décisions d'inconstitutionnalité partielle, dans lesquelles le Tribunal décide qu'une certaine norme est inconstitutionnelle « em>dans la branche relative à... » ou « em>dans la mesure où... », sont fréquentes, tant dans le contrôle concret que dans le contrôle abstrait.

En contrepartie, le Tribunal est limité par les normes qui constituent l'objet du recours. Aux termes de l'article 79-C de la LTC, « le Tribunal peut seulement juger inconstitutionnelle ou illégale la norme que la décision contestée aura, selon les cas, appliquée ou refusé d'appliquer ». Néanmoins, le jugement d'inconstitutionnalité ou d'illégalité peut se fonder sur « la violation de normes ou de principes constitutionnels ou légaux différents de ceux dont la violation a été invoquée » (art. 79-C, LTC, in fine). Le Tribunal est donc limité par les normes qui constituent l'objet du recours, mais n'est pas lié par la qualification du vice ou par les fondements invoqués par la décision contestée (dans le cas de l'article 70-1/a, LTC) ou par les parties (dans le cas de l'article 70-1/b, LTC).

D. Les conditions des différents types de recours

Les conditions de présentation du recours de type I (refus d'application de normes pour motif d'inconstitutionnalité) sont :

- qu'il y ait eu un refus effectif d'application, expresse ou implicite, de normes juridiques dans une décision judiciaire ;

- que ce refus d'application ait eu pour fondement un jugement exprès ou implicite d'inconstitutionnalité ;

- que le requérant indique le type légal du recours et la norme dont il prétend l'appréciation de l'inconstitutionnalité par le Tribunal (art. 75-A-1, LTC).

Le recours auquel se réfère l'alinéa b) de l'article 281 de la CRP - recours de type II - a pour objet les décisions judiciaires qui appliquent des normes tenues pour inconstitutionnelles par les parties.

Les conditions de ce recours sont :

- que la décision contestée ait effectivement appliqué expressément ou implicitement la norme ou les normes tenues pour inconstitutionnelles ;

- que ce soit le requérant qui ait soulevé la question de constitutionnalité ;

- que la question de constitutionnalité ait été soulevée « pendant le procès » ;

- que soit constaté l'épuisement des voies de recours ordinaires (art. 70-2, LTC) ;

- que le recours soit viable, c'est-à-dire qu'il ne puisse être apprécié comme étant manifestement non fondé (art. 76-2, LTC) ;

– que le requérant indique le type légal du recours présenté, la norme dont il demande au Tribunal d'apprécier l'inconstitutionnalité (art. 75-A-1, LTC), la norme ou le principe constitutionnel qu'il considère violé, et qu'il présente la pièce procédurale dans laquelle il a soulevé la question d'inconstitutionnalité (art. 75-A-2, LTC).

Pour ce qui a trait à l'épuisement des voies de recours ordinaires, l'objectif est que le Tribunal constitutionnel ne soit appelé qu'à apprécier des décisions finales dans l'ordre judiciaire auquel appartient le tribunal qui les a prises, afin d'éviter le soulèvement gratuit de questions d'inconstitutionnalité et son intervention inutile.

Enfin, le recours de type III (recours contre des décisions qui appliquent une norme antérieurement jugée inconstitutionnelle par le Tribunal constitutionnel) doit satisfaire à ce :

- que le tribunal ait effectivement appliqué, expressément ou implicitement, une certaine norme ;

- que cette norme ait été antérieurement jugée inconstitutionnelle par le Tribunal constitutionnel ;

- que le requérant précise le type légal de recours présenté, ainsi que la norme dont il demande au Tribunal l'appréciation de l'inconstitutionnalité (LTC, art. 75-A-1) et l'arrêt du Tribunal constitutionnel dans lequel la norme ait été considérée inconstitutionnelle (LTC, art. 75-A-3).

E. Le jugement des recours par le Tribunal constitutionnel

En règle générale, le jugement des recours en contrôle concret se fait en chambre et non en assemblée plénière du Tribunal constitutionnel (art. 70-1, LTC).

Aux termes de la Constitution (art. 224-2), la loi peut déterminer que le Tribunal constitutionnel se réunisse en chambres, excepté pour le contrôle abstrait de la constitutionnalité et de la légalité. Il existe actuellement trois chambres.

Cependant, le Président du Tribunal peut, avec l'accord du Tribunal, décider que le jugement sera rendu en assemblée plénière, lorsqu'il l'estimera nécessaire pour éviter des divergences de jurisprudence ou lorsque la nature même de la question le justifiera.

En cas de divergence d'orientation entre les chambres sur une même question de constitutionnalité, le recours devant l'assemblée plénière reste ouvert (art. 224-3, CRP et art. 79-D, LTC). Ce recours est obligatoire pour le ministère public quand il intervient dans le procès comme demandeur ou défendeur.

F. Les effets des décisions rendues sur les recours

Dans le recours de constitutionnalité, le Tribunal peut confirmer la décision contestée (s'il en accepte le raisonnement quant à la question de constitutionnalité) ou, alors, dans l'hypothèse inverse, révoquer ladite décision (LTC, art. 80). Dans ce dernier cas, la compétence du Tribunal se limite à la cassation, obligeant ainsi le tribunal contesté à réformer sa décision quant à la question de fond en tenant compte de la décision relative à la question de constitutionnalité.

Les décisions du Tribunal constitutionnel ont, en l'espèce, l'autorité de la chose jugée relativement à la question de l'inconstitutionnalité ou de l'illégalité soulevée (art. 80-1, LTC).

Quoiqu'il en soit, dans le contrôle concret de l'inconstitutionnalité, les décisions du Tribunal constitutionnel n'ont un effet obligatoire que relativement à l'espèce qui a donné lieu au recours en appréciation de constitutionnalité (efficacité inter partes), et sont dépourvues d'efficacité erga omnes sur la validité de la norme. Les décisions d'inconstitutionnalité n'affectent ni l'application de la norme en question, ni la possibilité qu'elle puisse être considérée conforme à la Constitution et appliquée par un autre tribunal (ou par le Tribunal constitutionnel lui-même), dans une autre espèce.

Le problème qui se pose à ce propos est celui de savoir quels sont les moyens dont dispose le Tribunal pour garantir l'application de ses décisions par les tribunaux lorsqu'il leur demande de réformer leurs propres décisions. Ainsi, un nouveau recours devant le Tribunal est-il possible si ce dernier révoque la décision contestée et ordonne sa reformulation en harmonie avec sa position sur la question de constitutionnalité, et si, malgré cela, le tribunal contesté réitère sa décision antérieure sans respecter la décision du Tribunal constitutionnel ? Le problème revêt un intérêt pratique crucial. En effet, en dépit du respect général des décisions du Tribunal constitutionnel par les autres tribunaux, il ne faut pas négliger les risques de conflits entre eux.

Même si les décisions prises sur la base de recours en appréciation de constitutionnalité n'ont pas d'effets directs en dehors du cas qu'elles tranchent, il existe toujours deux effets indirects.

En premier lieu, si le Tribunal a considéré inconstitutionnelle une norme, et si postérieurement un autre tribunal applique cette norme, le recours contre cette décision devant le TC est suffisamment fondé et est d'ailleurs obligatoire pour le ministère public (art. 280-5, CRP). Les tribunaux de droit commun ne sont pas liés par la décision du Tribunal constitutionnel en contrôle concret (excepté, naturellement, le tribunal du fond dans l'appréciation de l'espèce), mais leurs décisions contraires seront nécessairement soumises à la censure du TC.

En second lieu, chaque fois que la même norme aura été jugée inconstitutionnelle dans trois cas concrets, le Tribunal constitutionnel peut, sur l'initiative de l'un quelconque de ses juges ou du ministère public, procéder à un contrôle abstrait successif de la constitutionnalité, en vue d'une déclaration d'inconstitutionnalité erga omnes (art. 82, LTC).

En effet, aux termes de l'article 281-3 de la CRP, le Tribunal constitutionnel peut apprécier et déclarer, avec force obligatoire générale, l'inconstitutionnalité de toute norme, dès lors qu'il l'aura jugée inconstitutionnelle dans trois cas concrets. L'expression « peut » démontre bien que le jugement de généralisation de l'inconstitutionnalité ne se produit pas automatiquement, et exige toujours une réappréciation in abstracto de la question.

G. Le « filtrage » des recours en appréciation de constitutionnalité

Comme il en va des recours en appréciation de constitutionnalité du type du « recours d'amparo » ou de la « Verfassungsbeschwerde » dans les pays où ils existent, le recours en appréciation de constitutionnalité portugais peut lui aussi donner lieu à des abus, notamment comme manoeuvre dilatoire.

Quoi qu'il en soit, c'est au contrôle concret que le Tribunal consacre son activité la plus importante : entre 1993 et 1996, 96 % des décisions rendues en matière normative ont fait jouer le contrôle concret de constitutionnalité. Dans le champ du contrôle concret, les recours facultatifs contre des décisions appliquant des normes tenues pour inconstitutionnelles (recours de type II) ont dépassé les recours obligatoires du ministère public contre des décisions refusant l'application de normes sur la base d'une inconstitutionnalité (recours de type I).

Cela dénote une tendance vers une utilisation plus fréquente du recours facultatif en appréciation de constitutionnalité. Le pourcentage de succès des recours des particuliers est, cependant, plutôt limité puisqu'il était de l'ordre de 17,4 % en 1995 et 10,4 % en 1996, ce qui contraste avec le succès des recours du ministère public (41 % en 1995, 82 % en 1996).

L'usage abusif du recours en appréciation de constitutionnalité provoque naturellement un « engorgement » du Tribunal et engendre des délais dans l'examen des affaires. C'est pour ce motif que la LTC prévoit divers mécanismes de « filtrage » et de « flexibilisation » des capacités du Tribunal à connaître des différents recours en appréciation de constitutionnalité :

- la possibilité pour le ministère public de s'abstenir de présenter un recours contre des décisions conformes à l'orientation déjà établie, relativement à la question en cause, par une jurisprudence uniforme du Tribunal constitutionnel (art. 72-4, LTC) ;

- la nécessité pour le requérant de préciser explicitement le type de recours, et en cas de recours de type II, de préciser également la norme constitutionnelle supposément violée, ainsi que la pièce procédurale dans laquelle il a soulevé la question de l'inconstitutionnalité (art 75-A-2, LTC) ;

- la possibilité du rejet liminaire des recours de type II, dès leur introduction devant le tribunal contesté, quand ils sont « manifestement non fondés » (art. 76-2, LTC) ;

- la possibilité d'une « décision succincte » du rapporteur (s'agissant là de la grande innovation de la révision de la LTC en 1998), s'il considère qu'il ne peut connaître de l'objet du recours ou que la question à juger est simple, notamment lorsqu'elle a déjà fait l'objet d'une décision du Tribunal ou parce qu'elle est manifestement non fondée ; cette « décision succincte » peut consister en un simple renvoi à la précédente jurisprudence du Tribunal (art. 78-A-1, LTC) ;

- l'élargissement des pouvoirs du rapporteur pour éviter l'intervention collégiale, aux termes de l'article 78-B de la LTC ;

- la distribution de l'affaire, après examen, à chacun des juges de la chambre, accompagnée du mémorandum ou du projet d'arrêt que le rapporteur aura élaboré (79-B-1, LTC) ;

- la condamnation aux dépens de la partie déchue, dans les recours de type II, et la possibilité de condamnation de toute partie de mauvaise foi (art. 84, LTC) ;

- le division du Tribunal en trois chambres non spécialisées, au lieu des deux initialement existantes (art. 41, LTC).

Il existe d'ores et déjà des indices du succès de certains des mécanismes introduits par la loi n° 13-A/98, surtout des « décisions succinctes » du rapporteur. Un nombre considérable de recours fait l'objet de décisions de ce type.

En plus de ces mécanismes généraux, il y a également ceux spécifiquement destinés à traiter des « procès-masse », c'est-à-dire d'un grand nombre de procès relatifs à la même question de constitutionnalité. Il faut ici relever trois mécanismes :

(i) après le jugement de l'un des cas, les arrêts subséquents se limitent à renvoyer à la motivation du premier, qui fonctionne ainsi comme un « modèle » ;

(ii) le Président du Tribunal peut faire intervenir l'assemblée plénière, et la décision qui y est prise vaut précédent, étant ensuite adoptée par les juges qui sont intervenus dans la discussion, même s'ils ont manifesté leur désaccord quant à la motivation ou quant au sens de la décision ;

(iii) chaque fois que la même norme aura été jugée inconstitutionnelle dans trois cas concrets, le Tribunal constitutionnel peut, sur l'initiative de l'un quelconque de ses juges ou du Ministère public, déclencher la procédure de déclaration d'inconstitutionnalité avec force obligatoire générale (art. 82, LTC), déclaration qui sera appliquée, si l'opportunité s'en présente, à toutes les affaires qui arriveraient devant le Tribunal.

H. L'interprétation des normes contrôlées

Le contrôle de constitutionnalité est toujours (excepté celui de l'inconstitutionnalité par omission) une appréciation de l'incompatibilité entre une norme ou un principe constitutionnel et une norme infra-constitutionnelle. Or, cela implique nécessairement un travail d'interprétation, non seulement de la Constitution, mais aussi de la norme infra-constitutionnelle en cause. De plus, il peut arriver qu'une norme infra-constitutionnelle ait plus d'un sens, et que l'un d'eux viole la Constitution.

En matière de contrôle abstrait, pour lequel c'est le Tribunal constitutionnel qui confronte les deux normes, sans avoir à apprécier aucune décision antérieure d'un autre tribunal, rien n'empêche (et tout requiert) que la norme soit seulement déclarée inconstitutionnelle si aucune de ses interprétations possibles ne permet d'éviter ce résultat (interprétation conforme à la Constitution). Il faut toutefois que l'interprétation tenue pour conforme à la Constitution soit effectivement incluse dans la norme et qu'il ne soit pas nécessaire de « forcer » celle-ci à admettre une telle interprétation.

Les choses sont plus complexes lorsqu'il s'agit de contrôle concret. En premier lieu, il est évident que chacun des tribunaux de droit commun doit effectuer, si nécessaire, une interprétation conforme à la Constitution. Ensuite, le Tribunal constitutionnel n'apprécie pas la question de constitutionnalité in abstracto, mais par voie de recours, dans le cadre de la décision contestée, c'est-à-dire pour confirmer ou révoquer cette décision quant à la solution donnée à la question de constitutionnalité. La difficulté est donc de savoir si le Tribunal constitutionnel peut faire une interprétation différente de la norme en question, révoquant par là même la décision qui a jugé inconstitutionnelle une certaine norme et lui imposant l'application de cette norme selon le sens déterminé par lui. Inversement, il est également possible de se demander, dans les mêmes termes, si le Tribunal constitutionnel peut juger inconstitutionnelle une norme lorsqu'il considère non viable l'interprétation conforme à la Constitution retenue par le tribunal contesté.

La solution du problème dépend donc de la nature de la norme en cause dans le recours en appréciation de constitutionnalité : s'agit-il d'une norme dans l'abstrait ou d'une norme dotée du sens concret que le tribunal contesté lui a attribué ? Par ailleurs, tout dépend de savoir si le Tribunal constitutionnel peut, non seulement révoquer les décisions des autres tribunaux en matière d'inconstitutionnalité, mais aussi leur imposer sa propre interprétation des normes en cause.

La LTC est explicite sur cette question : elle stipule que « dans le cas où la norme que la décision contestée a appliquée ou a refusé d'appliquer, est déclarée constitutionnelle ou légale en se fondant sur une interprétation déterminée de la même norme, celle-ci doit être appliquée dans le procès avec la même interprétation » (art. 80-3). Cela signifie que le Tribunal constitutionnel peut adopter une interprétation de la norme dans un sens différent de celui du tribunal contesté, arrivant donc à une conclusion différente quant à la constitutionnalité de cette norme. Le tribunal contesté est obligé de suivre cette interprétation dans l'affaire en cause.

Cependant, la réponse la plus conforme au sens du recours en appréciation de constitutionnalité et à l'autonomie des tribunaux de droit commun pour l'application du droit ordinaire devrait en principe être négative, le Tribunal constitutionnel ne devant pas s'éloigner, si ce n'est exceptionnellement, de l'interprétation que le tribunal contesté a faite de la norme contrôlée (cf. arrêts nos 340/87 et 398/89).

III. Recours en appréciation de constitutionnalité et « Verfassungsbeschwerde »

Le recours en appréciation de constitutionnalité portugais ne peut se confondre ni avec le « recours d'amparo » espagnol, ni avec le Verfassungsbeschwerde allemand, qui sont des instruments de garantie spécifique des droits fondamentaux et qui permettent aux intéressés s'estimant lésés par une quelconque décision des pouvoirs publics, y compris des tribunaux, de recourir au Tribunal constitutionnel. Ce n'est pas la question de la constitutionnalité de normes de droit commun qui est directement en cause, comme dans le cas portugais, mais celle de la constitutionnalité de la décision administrative ou judiciaire en elle-même.

Dans le cas portugais, seules les décisions judiciaires peuvent faire l'objet d'un recours devant le Tribunal constitutionnel, et seulement dans la mesure où elles ont pris position sur une question de constitutionnalité des normes applicables à la cause (de nature civile, criminelle, professionnelle, etc.) qui leur a été soumise pour jugement.

La Constitution présuppose clairement trois choses :

a) que toute décision judiciaire consiste en l'application de normes et que seules ces dernières peuvent être ou non inconstitutionnelles ;

b) que, de ce fait, une décision judiciaire ne peut normalement enfreindre la Constitution que si elle applique une norme inconstitutionnelle ou si elle n'applique pas une norme considérée comme telle alors qu'elle ne l'est pas ;

c) que les voies de recours ordinaires, à l'intérieur de chaque ordre de juridiction (tribunaux ordinaires, tribunaux administratifs), sont suffisantes pour corriger d'éventuels actes judiciaires en eux-mêmes inconstitutionnels.

En fait, il est possible que se présente la situation où une décision judiciaire viole directement la Constitution - par exemple, l'application d'une peine plus lourde que celle prévue par la loi en vigueur pour un crime - les moyens de recours ordinaires propres à l'espèce pouvant alors ne pas suffire (si toutefois la décision contestée admet encore un recours). C'est pour cela que surgissent de temps en temps des propositions d'introduction dans la Constitution du recours en appréciation de constitutionnalité directement contre des décisions inconstitutionnelles des organes du pouvoir, y compris des tribunaux. Cela est encore arrivé lors de la dernière révision constitutionnelle en 1997, mais sans succès.

Cependant, il est évident que le recours en matière de contrôle concret portugais remplit certaines fonctions du « recours d'amparo » ou d'autres mécanismes similaires. En premier lieu, toute décision d'un organe du pouvoir non judiciaire peut être contestée devant un tribunal et peut justement l'être pour inconstitutionnalité, ce qui ouvre par là même la possibilité d'un recours ultérieur devant le Tribunal constitutionnel. Ensuite, chaque fois que les tribunaux adoptent des décisions éventuellement non conformes à la Constitution, il est possible de les attaquer devant le Tribunal constitutionnel sur la base de l'application d'une norme en elle-même inconstitutionnelle ou inconstitutionnelle de par l'interprétation qu'en a fait la décision.

Il faut aussi souligner que la jurisprudence du Tribunal constitutionnel permet, encore que de façon marginale et modérée, d'atteindre certains des effets du « recours d'amparo », notamment quand elle admet la contestabilité des normes assorties d'une interprétation déterminée - l'interprétation accueillie par la décision contestée. En fait, comme le Tribunal a été amené à le décider dans une abondante et constante jurisprudence, la question de constitutionnalité peut aussi bien concerner une norme (ou une partie de la norme) que l'interprétation ou le sens qui lui a été donné en l'espèce par la décision contestée, ou même une norme « construite » par le juge contesté à partir de l'interprétation ou de l'intégration de différentes normes textuelles (dès lors qu'elles sont dûment identifiées).

Dans ces cas, un « quasi-recours d'amparo » est à l'oeuvre, étant donné que le Tribunal constitutionnel contrôle non pas la constitutionnalité de la norme comme produit de la législation, mais l'interprétation/application que le tribunal contesté en a fait.

Il est aisé de constater qu'il n'est pas toujours facile de distinguer entre, d'une part, les situations où une question d'inconstitutionnalité normative est soulevée relativement à une certaine interprétation et, d'autre part, les situations où est déjà engagé le contrôle de la décision judiciaire en elle-même (c'est-à-dire où un véritable « em>amparo constitutionnel » est mis en oeuvre). Encore récemment, le Tribunal constitutionnel a été confronté à ce problème, à propos d'une interprétation d'une norme du Code Pénal, et n'est pas parvenu à déterminer - parce qu'il ne l'a pas jugé nécessaire - si l'objet du recours était effectivement cette norme du Code Pénal ou une norme construite par le juge pour combler une lacune par analogie, aux termes de l'article 10-1 et 2, du Code civil.

Bibliographie sommaire sur le Tribunal constitutionnel Portugais

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et le recours en appréciation de constitutionnalité)

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* La version française de la loi relative au Tribunal constitutionnel portugais est disponible en ligne sur le site Internet du Tribunal (http://www.tribunalconstitucional.pt). Depuis l'arrêt 1/98, le texte intégral des arrêts du Tribunal constitutionnel est également consultable, en portugais, à cette adresse. Enfin, la version française de la Constitution portugaise est proposée à l'adresse http://www.parlamento.pt.