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Le réalisme du juge constitutionnel britannique

Charlotte GIRARD - Maître de conférences à l'Université de Rouen

Cahier du Conseil constitutionnel n° 22 (Dossier : Le réalisme en droit constitutionnel) - juin 2007

Un tel titre a de quoi surprendre par les incongruités qu'il convoque à première vue. Deux idées reçues surgissent ; l'une concerne l'existence même d'un juge constitutionnel et l'autre la pertinence d'un réalisme au Royaume-Uni. Elles sont liées et toutes deux inexactes. Il convient de les neutraliser successivement. Les arguments conduisent même à comprendre que le réalisme d'un juge constitutionnel britannique n'est pas seulement une possibilité qui s'offre à lui à l'occasion de son œuvre jurisprudentielle, mais une nécessité pratique conforme à son identité ancienne ainsi qu'à son évolution contemporaine.

1) Selon une première idée reçue, il n'y a pas de juge constitutionnel faute de constitution écrite. S'il faut reconnaître que la structure de l'organisation juridictionnelle anglaise a longtemps ignoré la présence d'un juge constitutionnel ainsi libellé, elle n'en rejette pas pour autant le principe. Il est en effet possible de considérer que la formation juridictionnelle de la Chambre des Lords(1) ajoutée à la commission juridictionnelle du Conseil privé(2) sont non seulement un juge suprême ; mais aussi un juge constitutionnel. C'est une juridiction suprême car c'est un juge de dernier mot. C'est un juge constitutionnel car ces deux formations, composées des mêmes juges, détiennent un pouvoir d'interprétation des lois par rapport à des principes constitutionnels, en particulier les principes constitutifs du common law, et un pouvoir de contrôle de la répartition des compétences entre les composantes du Royaume-Uni.

Mais il est superflu d'accumuler des explications qui eussent été indispensables avant la réforme constitutionnelle de 2005(3) . Depuis(4) , l'existence d'une Cour suprême est avérée, autre que celle qui existe en vertu d'une loi de 1981(5) . Par l'accord royal donné à cette réforme le 24 mars 2005, une habilitation juridique expresse a été conférée à une nouvelle juridiction indépendante de la Chambre des Lords et du ministre de la Justice. La Cour suprême du Royaume-Uni sera compétente pour statuer sur tous les recours contre les décisions des plus hautes juridictions d'Angleterre, du Pays de Galles, de l'Irlande du Nord et de l'Écosse (seulement en matière civile); ainsi que pour contrôler la bonne répartition des pouvoirs parmi les administrations déléguées et les assemblées législatives des États constitutifs du Royaume-Uni : les affaires dites de devolution(6) qui relèvent d'une sorte de compétence fédérale de la juridiction suprême de l'État. Cette juridiction suprême sera d'abord formée des douze actuels Law Lords, puis par des juges nommés, sans lien institutionnel avec la Chambre Haute. La Chambre des Lords abandonne du même coup son ancienne fonction juridictionnelle, concrétisant un peu plus le principe d'indépendance du pouvoir judiciaire.

2) Selon une seconde idée reçue, réalisme ne rime pas avec common law (celui du Royaume-Uni par opposition à celui des États-Unis). Cette idée reçue se fonde sur une vision du réalisme qui, sans être absurde, ne retient qu'une école de la théorie réaliste – le réalisme américain à l'exclusion du réalisme scandinave – et qui de surcroît en privilégie une formulation primitive. Le mouvement réaliste américain du début du xxe siècle s'est en effet constitué par opposition à la doctrine officielle du common law britannique de l'époque selon laquelle le juge ne créait pas de droit ab initio, mais se limitait à mettre en œuvre des règles préexistantes(7) . L'incompatibilité entre le mouvement théorique initié par des juges américains(8) et les principes du common law élaborés par les juges britanniques pouvait s'expliquer par un différend sans doute plus politique que théoriquement et juridiquement fondé : la volonté du juge américain de s'affranchir toujours plus de l'influence du droit britannique et d'affirmer de manière générale l'indépendance politique des États-Unis par rapport à la Couronne. Dans l'idée que le common law est contradictoire avec le réalisme américain, il faut plutôt voir une hostilité au « système de common law » en tant qu'il fonctionne comme le symbole de l'appartenance à une forme d'empire unifié par le droit : le Commonwealth(9) .

Il reste que, d'un point de vue de théorie juridique, la conception que les juges suprêmes britanniques ont de leur œuvre est compatible avec les conclusions auxquelles conduisent les réalismes juridiques, y compris le réalisme américain tel qu'il a été développé au cours du siècle dernier(10) . Le common law au Royaume-Uni est une théorie du droit en même temps qu'une pratique du droit. C'est même assez exactement une théorie du raisonnement juridique. De ce point de vue, c'est une théorie réaliste parce qu'elle est appuyée sur le fait du raisonnement juridique analysé de manière systématique et effective. C'est-à-dire que l'analyse du raisonnement juridique des juges, comme celui des parties, produit un effet juridique : elle conduit à la solution du cas de manière explicite et argumentée. La pertinence du réalisme en droit anglais tient donc à ce que le common law apparaît éventuellement comme une « théorie de la pratique juridique » – singulièrement, de la pratique juridictionnelle(11) . Dans ces conditions, le réalisme de ces juges consiste pour eux à faire état des contraintes qui pèsent sur leur décision(12) . Ils rendent compte des raisons qui les ont amenés à décider dans tel ou tel sens. C'est ainsi qu'ils rendent la justice, une « justice pratique »(13). En outre, le common law convient à une théorie réaliste du point de vue plus méthodologique du traitement des faits de l'espèce à l'occasion du raisonnement juridique. En tant que méthode de raisonnement juridique, le common law autorise le passage d'un cas particulier à un autre cas particulier sans la médiation d'un principe général, mais seulement par le rapprochement des faits. Ce mécanisme de mise en rapport de faits correspond tout bonnement à de la casuistique, méthode par excellence du juge de common law. Méthode empirique s'il en est, le raisonnement juridique du juge de common law fait de lui un réaliste au sens où les faits sont la matière première de la décision(14).

La neutralisation préalable des deux idées reçues concernant le réalisme du juge constitutionnel britannique permet d'avancer une nouvelle proposition selon laquelle la création d'une Cour suprême du Royaume-Uni ouvre la voie d'un réalisme réformé. La réforme est bien le terme employé à propos des modifications constitutionnelles introduites au Royaume-Uni par l'acte de 2005. Il convient de respecter l'emploi de ce terme en ce qu'il indique une remise en forme des rapports entre les pouvoirs constitués. Cette remise en forme correspond à une tendance jurisprudentielle relativement récente si on la rapporte au temps long du common law. Elle consiste à affirmer l'indépendance du pouvoir judiciaire par rapport aux deux autres pouvoirs, législatif et exécutif. Elle s'est produite notamment par l'effet cumulé de l'accroissement de la tension entre les pouvoirs constitués et de l'incorporation de la Convention européenne des droits de l'homme par le Human Rights Act de 1998 (HRA).

Sans qualifier théoriquement son œuvre, le juge constitutionnel britannique, à l'occasion des opinions séparées de chacun des Lords, développe diverses théories jurisprudentielles ayant trait au contenu mais surtout au fonctionnement du common law. C'est par l'observation du common law tel qu'il est élaboré et pratiqué par les juges au cours de la jurisprudence que l'on distingue les éléments constitutifs du réalisme dont les juges britanniques font preuve au plus haut niveau de l'organisation juridictionnelle. On a vu que la casuistique était au cœur de la pratique jurisprudentielle de common law, ce qui fait du juge britannique, quel qu'il soit, un réaliste. Mais la seule méthode casuiste ne permet pas de rendre compte de la particularité du réalisme du juge constitutionnel britannique. Il faut la rechercher à partir des fonctions du common law relatives à la tâche constitutionnelle du juge britannique. La jurisprudence met en évidence deux fonctions du common law en la matière : le contrôle juridictionnel des actes législatifs (forme de contrôle de constitutionnalité des statutes(15) ) et réglementaires (contrôle juridictionnel de l'action administrative(16) ) d'une part (I); la régulation des pouvoirs constitués d'autre part (II).

I. Le réalisme du juge constitutionnel britannique et le contrôle juridictionnel des normes

L'affirmation selon laquelle la souveraineté du Parlement priverait les juges, y compris les Law Lords, d'un pouvoir d'appréciation des normes d'origines législative et réglementaire (le Gouvernement étant une émanation directe du Parlement souverain) ne tient pas au regard de la fonction que les juges s'assignent eux-mêmes lorsqu'ils mettent en œuvre le common law. S'il est vrai que le principe de la souveraineté du Parlement signifie que le Parlement est la source de droit la plus éminente et qu'un Parlement ne saurait lier son successeur, il reste que les juges demeurent les interprètes de ce principe qu'ils rangent parmi les principes fondamentaux du common law dont ils sont les auteurs. C'est donc de cette manière que le réalisme des juges va s'exprimer : à l'occasion de l'interprétation de ce principe suprême. Ici, le réalisme du juge constitutionnel britannique consiste en un pouvoir d'adaptation du principe constitutionnel de la souveraineté parlementaire.

L'adaptation ou interprétation du principe de la souveraineté parlementaire s'opère à l'occasion d'un contrôle de normes par le juge. En effet, le contrôle qui aboutit à écarter la norme issue de l'exercice du pouvoir législatif limite nécessairement la souveraineté du Parlement. Si la norme est un statute, c'est-à-dire un acte voté par le Parlement, la remise en cause est directe. Si la norme est un acte administratif, mais qu'elle est considérée comme le moyen d'exécuter la volonté du Parlement, sa contestation induit aussi une remise en cause de la souveraineté du Parlement.

A. Le contrôle juridictionnel d'un statute

C'est le cas le plus difficile puisqu'il relativise deux règles présentées traditionnellement comme absolues : un acte du Parlement ne peut être abrogé que par un acte du Parlement et la volonté d'un Parlement ne peut limiter la volonté d'un Parlement futur.

Prenons le cas où un juge écarte un acte du Parlement après qu'il a décidé qu'il était contraire à des principes non écrits de common law. C'est le cas ancien d'un célèbre arrêt Dr Bonham où le juge Coke a déclaré invalide un acte du Parlement qui allait à l'encontre du bien commun et de la raison(17). À partir de ce cas, s'est développée la possibilité pour le common law, autrement dit les juges, de produire les justifications pour qu'un acte du Parlement ne soit pas appliqué. Ces justifications sont de nature « principielle » : on y trouve notamment le « sens commun »(18) , la reasonableness(19) , la proportionnalité qui en dérive(20) , la natural justice(21) . Mais surtout, elles révèlent un caractère prééminent ; c'est-à-dire que la violation des principes qui les fondent consisterait en une violation de la constitution en tant que telle.

Dans le cas d'un conflit de statutes, l'arbitrage implique aussi un choix opéré par le juge à partir de l'identification d'un contenu constitutionnel du statute menacé d'abrogation implicite par le nouveau. En effet, en principe, puisqu'un Parlement ne peut lier ses successeurs, tout nouveau statute doit pouvoir automatiquement abroger ceux qui lui sont antérieurs en cas de conflit. Mais cette règle découlant du dogme de la souveraineté parlementaire a été adaptée par le juge lui-même. Il a reconnu qu'un statute portant des éléments constitutionnels tels que la structure des rapports entre les citoyens et l'État ou bien des droits fondamentaux constitutionnels ne pouvait être « implicitement abrogé »(22) . Dans ces conditions, le juge se donne le pouvoir de contrôler tous les actes auxquels il est reproché de remettre en cause l'un de ces deux éléments. Potentiellement, les requêtes qui parviennent aux Law Lords comportent souvent ce type de reproche ; si bien que la fonction des juges suprêmes est, dans la plupart des cas, de régler ce type de conflits. Leur tâche consiste donc majoritairement à établir une hiérarchie entre des normes : une nouvelle norme et tout un arsenal de normes antérieures dont le statut n'est pas nécessairement identifié et peut éventuellement se muer en une norme de contenu constitutionnel dont l'abrogation serait une violation de la constitution elle-même(23). Ils le font à partir de leur propre interprétation puisqu'en aucun cas il n'existe d'indication dans le texte lui-même de ce qu'il aurait une valeur constitutionnelle, donc supérieure à celle d'un statute ordinaire ; puisque tous les statutes sont des actes du Parlement(24).

B. Le contrôle juridictionnel de l'action administrative

Le pouvoir de contrôle normatif du juge britannique s'est aussi manifesté à propos des normes édictées par le pouvoir exécutif. Ce contrôle, restreint dans un premier temps, s'est élargi. Il a tout d'abord concerné les espèces les plus rares : celles dans lesquelles le juge ne pouvait que constater le caractère aberrant d'une décision administrative. Cette situation représentée par la jurisprudence Wednesbury(25) met en scène à nouveau la reasonableness qui devient le critère jurisprudentiel déterminant la limite d'un excès de pouvoir que le juge peut contrôler : la décision ne peut être attaquée que si elle est tellement déraisonnable qu'aucune personne publique raisonnable n'aurait pu la prendre. Les juges ne peuvent pas intervenir simplement parce qu'à leur avis, une autre façon de mettre en œuvre le pouvoir discrétionnaire aurait été plus raisonnable. Cela reviendrait à usurper les fonctions législative et exécutive, ce qui n'est évidemment pas prévu dans le rôle constitutionnel des juges. Pourtant, la notion de Wednesbury unreasonableness a été interprétée très extensivement. Les juges ont progressivement conçu un test en se posant systématiquement la question de savoir si l'exercice du pouvoir en question était raisonnable en l'espèce. Cette simple interrogation rend donc systématique l'intervention du juge. En effet, leur pouvoir de contrôle est à tout coup sollicité, puisqu'il s'agit d'un test de « raisonnabilité » a priori qui revient à poser la question suivante : l'action administrative (la norme) est-elle valide ? En vertu de cette formulation et grâce à certains principes éminents, parmi lesquels : la proportionnalité, le principe d'égalité, les droits fondamentaux et les attentes légitimes(26), les juges se sont frayés un chemin prétorien en matière constitutionnelle dans la mesure où la référence par rapport à laquelle ils contrôlent les normes, y compris administratives, est un ensemble de principes supérieurs forgés par le common law.

Cette évolution a provoqué une controverse doctrinale importante. Si la plupart des commentateurs l'accueillent favorablement en raison de la flexibilité qui en découle, d'autres au contraire craignent que les juges n'aillent trop loin dans le domaine politique et que les fondements constitutionnels ne soient atteints. La « nouvelle doctrine publiciste », celle qui accompagne cette évolution jurisprudentielle, la décrit certes comme prenant acte des influences européennes, mais comme cherchant astucieusement à faire passer les modifications de l'ordre juridique et institutionnel pour des conséquences déjà prévues par le common law. Cette doctrine conteste notamment l'idée selon laquelle les juges seraient les fossoyeurs de la suprématie du Parlement parce qu'ils ne s'opposeraient pas à l'application en droit interne de normes étrangères. Au contraire, elle voit dans les juges les défenseurs de cette même souveraineté en ce qu'ils interprètent (construisent) la norme nouvelle en une norme de common law, qu'ils se réservent le droit d'appliquer(27) . Il existe, en outre, au sein de cette « nouvelle doctrine publiciste », un courant d'autant plus favorable à cet « activisme judiciaire »(28) que les normes qu'ils disent incluses dans le common law ont par ailleurs pour objet la défense de valeurs morales ou politiques cohérentes avec la culture britannique. Ils amplifient et magnifient en cela le rôle du juge interne qui devient le défenseur de valeurs communes fondamentales(29). De cette manière, cette doctrine, à la fois académique et pratique, cherche à amplifier la fonction judiciaire, au motif qu'elle est tout particulièrement compétente, en vertu de la tradition de common law, pour protéger les droits fondamentaux et plus généralement la démocratie parlementaire.

Bien sûr, ce pouvoir de contrôler les actes du Parlement ou du pouvoir exécutif est assorti de limitations que le juge se fixe lui-même : une auto-restriction(30) . C'est donc en termes de régulation des pouvoirs constitués qu'il faut comprendre l'étendue du pouvoir du juge constitutionnel britannique et en particulier son pouvoir de contrôler les normes.

II. Le réalisme du juge constitutionnel britannique par la régulation des pouvoirs constitués

Une telle extension du pouvoir de contrôle juridictionnel des normes s'est accompagnée de garde-fous fournis par les juges eux-mêmes. Les juges ont en effet avancé prudemment en raison du risque principal de leur entreprise – brandi d'ailleurs systématiquement par les opposants – : le déséquilibre des pouvoirs et l'atteinte au principe démocratique. C'est pourquoi la limite au pouvoir juridictionnel est contenue dans la notion de Rule of law conçue comme principe démocratique de répartition des pouvoirs(31) .

A. La régulation des pouvoirs constitués par l'autorestriction du juge

On peut voir, dans cette forme de prudence associée à l'accroissement d'un pouvoir de cette importance, le réalisme auquel les juges britanniques sont habitués. Elle n'est d'ailleurs pas sans rappeler la confiance à laquelle A. V. Dicey faisait allusion pour préférer un système inchangé de suprématie du Parlement à un système modifié intégrant notamment une nouvelle déclaration des droits voire une constitution intégralement codifiée : la spécificité de la « constitution » britannique parerait à tous les risques(32). Cette conception classique, aujourd'hui dépassée par les réformes récentes, fait néanmoins écho à une représentation très précise du rôle institutionnel du common law, pilier de l'État britannique(33). Elle explique d'ailleurs que les partisans d'une évolution de la constitution britannique, dont les juges eux-mêmes, aient privilégié le common law comme source des nouveaux pouvoirs liés à l'incorporation de nouvelles normes telles que les droits de la Convention européenne ou l'intégralité du droit communautaire. De cette manière, ils garantissaient contre les risques puisqu'en se prévalant du contenu du common law, ils ne faisaient qu'invoquer les fondements institutionnels du système juridique et politique. À l'origine de cette idée se trouve la fiction que Coke a largement contribué à imposer comme tradition ou culture juridique britannique : toutes les solutions préexistent. Dès lors, le common law transcende les pouvoirs institués dans la mesure où il découle de la matérialité d'une réalité objective, de choix imposés par le fait et le temps long(34) . Cette croyance partagée fait partie des justifications utilisées par les juges qui, on le rappelle, sont les découvreurs du common law. Ce faisant, les juges puisent dans la réalité qui se dit objective pour argumenter leurs décisions. C'est en ces termes que se décline le réalisme du juge britannique attelé à une tâche constitutionnelle.

Dans ces conditions, la régulation institutionnelle orchestrée dans la jurisprudence tient à nouveau à la fiabilité des juges eux-mêmes, autrement dit à leur aptitude à mesurer leurs décisions et à les inscrire dans le rapport institutionnel imposé par le principe de la souveraineté parlementaire. Le principe d'autorestriction s'analyse souvent en matière constitutionnelle comme un principe de déférence du pouvoir judiciaire à l'égard du pouvoir légiférant, c'est-à-dire le pouvoir de produire la législation primaire ou secondaire (les règlements). La théorie de la déférence consiste « à décrire la tension créée par la coexistence, dans [cette] constitution intermédiaire, de la souveraineté parlementaire et de droits fondamentaux ou constitutionnels [···], la revendication de tels droits et les exigences de la législation primaire, lorsqu'ils étaient tous deux en conflit réel ou apparent. »(35). Elle intervient souvent dans l'argumentation des juges comme le signe d'un statu quo méthodologique sur la manière de parvenir à la solution. La référence à la déférence se présente plus comme une formalité argumentative qui donne à voir le respect de la souveraineté parlementaire par le juge, alors que la décision consiste en une annulation ou une « désapplication » de la législation.

Cette façon d'entretenir le principe fondamental en la forme apparaît finalement comme la contrepartie du réalisme des juges en tant que méthode d'adaptation de ce principe fondamental. On voit donc se dessiner un réalisme à deux faces dont la première consiste à adapter un dogme fondateur et la seconde à maintenir l'intégrité formelle de ce dogme.

B. La régulation des pouvoirs constitués par l'établissement d'un rapport de forces entre eux

Le système juridique britannique s'est transformé de manière importante au cours des dix dernières années tout en conservant des tendances profondes qu'il n'a jamais été question de remettre en cause radicalement. Cette transformation doit beaucoup à la réaction à l'état de la société britannique antérieure à l'élection du Premier ministre Tony Blair en 1997. La question d'une déclaration des droits se posait dans un contexte où les violations de ces droits par le pouvoir exécutif étaient particulièrement aigues(36) . La réforme consistant à incorporer la Convention européenne des droits de l'homme par la voie d'un acte du Parlement, le HRA, est donc intervenue dans un contexte politique où les juges étaient concrètement devenus le dernier rempart de protection des droits et libertés(37) . Un rapport de forces particulièrement intense s'exprimait donc entre le pouvoir juridictionnel et le pouvoir légiférant.

Le HRA rejoue ce thème du rapport de forces entre les pouvoirs constitués tout en préservant le principe de la souveraineté parlementaire : aux juges l'éventuelle déclaration d'incompatibilité(38) de la loi projetée par le Gouvernement et au pouvoir exécutif le pouvoir de passer outre(39) . Il est donc manifeste que le HRA ne fait qu'entériner la réalité des relations entre les pouvoirs. Il prévoit qu'en cas d'incompatibilité manifeste de la législation, le juge peut faire une déclaration d'incompatibilité. Mais cette possibilité est limitée aux juridictions les plus élevées et ne fait qu'ouvrir une possibilité pour le ministre d'amender ou d'abroger la législation de manière à remédier à l'illégalité du texte(40). La faculté du ministre demeure toutefois discrétionnaire. De sorte que le pouvoir judiciaire ne maîtrise pas la légalité des textes britanniques, nonobstant leur mise en œuvre dans des cas de la jurisprudence.

La procédure prévue par le HRA se présente donc comme un échange entre les pouvoirs légiférant et juridictionnel, ce qui tend à accréditer l'idée d'un rapport de forces institutionnel dans lequel le premier cherche à faire passer des mesures sous forme de législation primaire ou secondaire et le second à détecter les illégalités de manière à rendre ces mesures conformes aux droits protégés par la Convention européenne des droits de l'homme et incorporés par le HRA. Il faut considérer que la mission des juges n'est pas de s'opposer par principe au pouvoir exécutif mais de préserver la cohérence de l'ordre juridique interne. Cette faculté d'opposition du juge est de toutes façons limitée par l'obligation d'interprétation conforme ; c'est-à-dire une obligation de « lire » et de « donner effet » à la législation d'une manière compatible avec l'intention du législateur qui a voté le HRA(41).

Plus qu'une progression du rapport de forces en faveur des juges, le HRA confirme le fait que les droits fondamentaux sont au cœur de cet enjeu de pouvoir sans déplacer l'équilibre des forces institutionnelles. On note en ce sens que les décisions rendues dans le cadre du HRA sont de plus en plus nombreuses et dénotent une audace de plus en plus manifeste de la part des juges vis-à-vis de la législation initiée par la majorité gouvernementale, mais aussi des projets de lois eux-mêmes lorsque les juges exercent leur pouvoir de contrôle a priori(42) . L'affaire Pinochet(43) annonçait que les juges sauraient se servir du HRA qui n'était pas encore entré en vigueur. Mais c'est surtout dans l'après-11 septembre que cette tendance s'est confirmée. Les mesures destinées à lutter contre le terrorisme ont déclenché des recours sur le fondement de la violation des droits incorporés par le HRA. L'exploitation des mécanismes ouverts par cet acte du Parlement a lieu de part et d'autre. Elle n'est en effet pas dénuée d'intérêt pour le pouvoir exécutif qui peut légalement imposer sa décision. Mais ce sont les juges qui en font l'usage le plus marquant puisqu'ils sont dans l'obligation de justifier leur décision dès lors qu'elle vise à « désappliquer » ou interpréter d'une manière « constructive » la législation en vigueur(44) , c'est-à-dire à tenir tête à la volonté maintenue du pouvoir exécutif.

Très tôt, des théoriciens éminents du droit anglais ont prédit que, sous l'influence du droit communautaire et du droit européen des droits de l'homme, les Lords anglais acquerraient un pouvoir de contrôle constitutionnel de la législation directement issue du Parlement (primary legislation) dont ils pourraient faire usage « plus librement »(45) . Il apparaît en effet que l'incorporation de la Convention européenne des droits de l'homme dans le droit interne et la jurisprudence qui s'est développée ont contribué à une sorte d'acclimatation du système juridique britannique tout en conservant à celui-ci ses caractéristiques. On constate en particulier que le rapport de forces entre les pouvoirs constitués n'a pas été anéanti par cette nouveauté. À l'inverse, il a été entretenu dans un but global d'équilibre.

D'une manière générale, la réfutation des deux idées reçues de départ a conduit à reconnaître que loin d'abolir des siècles de common law déjà fondateurs d'un réalisme des juges, la nouvelle Cour suprême pourrait bien renforcer cette tendance en facilitant peut-être une argumentation parfois complexe, qui dénotait une marge de manœuvre des juges suprêmes nécessairement contrainte par l'organisation institutionnelle antérieure. Autrement dit, on peut former l'hypothèse selon laquelle l'indépendance du pouvoir judiciaire renforcée par la réforme constitutionnelle aura un effet libérateur sur l'argumentation du juge constitutionnel britannique et donc sur le réalisme dont il pourra faire preuve dans son travail d'interprétation.

(1) The Appellate Committee of the House of Lords.
(2) The Judicial Committee of the Privy Council.
(3) Constitutional Reform Act, 2005.
(4) Il faudra tout de même attendre l'entrée en vigueur de la partie 3 de cet acte du Parlement. Pour l'heure, la seule date connue concernant la nouvelle Cour suprême est celle prévue pour l'achèvement des travaux des nouveaux locaux à l'emplacement de Middlesex Guildhall, dans Parliament Square à Westminster, en oct. 2009.
(5) Supreme Court Act 1981 par lequel les High Court, Court of Appeal et Crown Court forment la Supreme Court qui est une formation solennelle mais en aucun cas une Cour suprême au sens d'une juridiction de dernier recours spécialisée dans les recours où une question de constitutionnalité est posée.
(6) Jusqu'à l'entrée en fonction de la Cour suprême, ces questions demeurent de la compétence de la commission juridictionnelle du Conseil privé.
(7) Grzegorczyk (Christophe), Michaut (Françoise) et Troper (Michel), Le positivisme juridique, Paris, LGDJ, coll. « La pensée juridique moderne », 1992, p. 53.
(8) Le juge Holmes est la figure marquante de ce courant de pensée. Cf. Holmes (Oliver Wendell), Collected Legal Papers, New York, 1920, Peter Smith Pub., 1952.
(9) Bullier (Antoine J.), La Common Law, Paris, Dalloz, « coll. Connaissance du droit », 2002.
(10) Pound (Roscoe), Social Control Through Law, New-Haven, Yale University Press, 1942.
(11) McCormick (Neil), Legal Reasoning and Legal Theory, Oxford, Oxford University Press, 1978.
(12) Troper (Michel), « Une théorie réaliste de l'interprétation », in Théories réalistes du droit (textes réunis par Olivier Jouanjan), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2000, p. 60. V. également, Champeil-Desplats (Véronique), Grzegorczyk (Christophe) et Troper (Michel), Théorie des contraintes juridiques, Paris, LGDJ, coll. « La pensée juridique moderne », 2004, pour comprendre que les contraintes pesant sur la décision juridictionnelle sont des éléments de fait, d'où il ressort qu'un raisonnement juridique fondé sur l'énoncé de ces contraintes est de type réaliste.
(13) Lord Goff in White v. Jones [1995] 1 All ER 690 pp. 703 et 707. Pierre Legrand interprète cette appétence pratique comme une résistance à toute tentative de rationalisation et de systématisation, de toute manière étrangère à l'identité de common law, cf. Legrand (Pierre), Le droit comparé, Paris, PUF, 1999, p. 75 s.
(14) « Quand un juge de common law annonce que sa tâche le convie à “peindre un tableau à partir d'une accumulation de détails” (cf. Lord Mummery in Hall v. Lorimer [1992] 1 WLR 939 (QB) p. 944), il se proclame [...] comme créateur dans la mesure où il fait les faits, c'est-à-dire qu'il monte lui-même la trame factuelle d'une affaire en insistant sur certains éléments et en en écartant d'autres », Legrand (Pierre), op. cit., p. 82.
(15) Constitutional review.
(16) Judicial review of administrative action.
(17) « Il appert dans nos livres que, dans nombre de cas, le common law contrôlera les actes du Parlement et parfois les annulera complètement : car lorsqu'un acte du Parlement est contraire au commun bien et à la commune raison ou est répugnant ou impossible à exécuter, le common law le contrôle et considère qu'un tel acte est nul », Dr Bonham (1611) 8 Co. Rep. 107a, 114a CP.
(18) La référence au sens commun intervient très souvent pour décider qu'en définitive un texte, même législatif, ne peut s'appliquer en l'espèce au risque de contrarier la logique, le bon sens et d'une manière générale la raison. Pour un exemple bien connu : « Pour ces raisons, je suis d'avis que l'implication proposée doit être rejetée non seulement comme contraire aux principes et au droit, mais également comme contraire au sens commun. » Lord Goff in R v. Bow Street Stipendiary Magistrate and Others, ex parte Pinochet Ugarte [1998] 3 WLR 1456 (HL).
(19) Que l'on peut difficilement traduire par la raison mais qui s'en approche.
(20) AG v. Guardian Newspapers Ltd (No. 2) [1990] 1 AC 109 puis Derbyshire County Council v. Times Newspapers Ltd [1993] 1 All ER 1011.
(21) Ensemble de principes procéduraux rattachables au standard aujourd'hui connu sous le nom du procès équitable ou fair trial, cf. Megarry (M. C.), in McInnes v. Onslow-Fane [1978] 1 WLR 1520.
(22) La compétence constitutionnelle des Lords juges s'explique par la reconnaissance par les juges eux-mêmes qu'une hiérarchie des normes existe entre des actes du Parlement (statutes) ordinaires et des actes du Parlement (statutes) constitutionnels. La hiérarchie entre ces deux types de textes a pour effet d'empêcher qu'un statute à contenu constitutionnel soit abrogé automatiquement par un statute ordinaire postérieur. Le contenu constitutionnel d'un statute a été défini par Lord Laws dans un important arrêt Thoburn v. Sunderland City Council [2002] EWHC 195. Selon lui, un statute constitutionnel « régit la relation juridique entre le citoyen et l'État d'une manière générale et prépondérante » ou alors « élargit ou réduit le champ de ce que nous considérons aujourd'hui comme des droits fondamentaux constitutionnels ». Des exemples de tels statutes sont la Magna Carta 1215, le Bill of Rights 1689, l'Act of Union, les Reform Acts concernant le système électoral, le Human Rights Act 1998, le Scotland Act 1998 et le Government of Wales Act 1998. À partir du moment où la supériorité de certains actes (des principes, des « conventions » et des textes de valeur constitutionnelle) est reconnue, le pouvoir de contrôler la conformité d'actes qui leur sont inférieurs est également reconnu : il s'agit en l'occurrence d'un pouvoir de contrôle de constitutionnalité qui revient nécessairement aux juges dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours.
(23) « Ce développement du common law concernant les droits constitutionnels, et je dirais les statutes constitutionnels, est grandement bénéfique. Cela nous donne tous les avantages d'une constitution écrite dans laquelle les droits fondamentaux sont respectés tout particulièrement. Mais cela préserve la souveraineté de la législature et la flexibilité de notre constitution non codifiée. Il est reconnu que le lien entre suprématie législative et droits fondamentaux n'est ni fixe ni fragile ; bien au contraire les juges (en interprétant les statutes, et maintenant, en appliquant le Human Rights Act) feront preuve de plus ou moins de déférence à l'égard de la législature, ou d'autres responsables de décisions publiques, selon le sujet en question », Lord Laws, in Thoburn v. Sunderland City Council, précité.
(24) De ce point de vue, la réforme constitutionnelle intitulée Constitutional Reform Act 2005 comporte une indication de contenu constitutionnel mais pas d'une valeur supérieure à celle d'un acte adopté en la même forme, sans contenu constitutionnel a priori. Le cas échéant, le juge devra déterminer cette valeur. Elle n'existe sans doute pas a priori.
(25) Associated Provincial Pictures Ltd v. Wednesbury Corporation [1947] 2 All ER 680. Cette situation concerne « une décision qui est tellement aberrante quant à la logique ou quant aux standards moraux [ou principes moraux généralement admis], qu'aucune personne censée qui aurait eu à décider ne serait arrivée à une telle décision », Lord Diplock.
(26) Legitimate expectations.
(27) On trouve principalement parmi ces auteurs : Jowell (Jeffrey) et Oliver (Dawn) (dir.), The Changing Constitution, Oxford, 4e éd., Oxford University Press, 2000 ; Craig (Paul P.), Administrative Law, London, 5e éd., Sweet & Maxwell, 2003 ; Laws (John), « The Constitution : Morals and Rights », Public Law, 1996, p. 622.
(28) Picard (Étienne), « Les droits de l'homme et l'“activisme judiciaire” », Pouvoirs, n° 93, Le Royaume-Uni de Tony Blair, 2000, p. 113.
(29) Allan (Trevor R. S.), Law, Liberty and Justice. The Legal Foundations of British Constitution, Oxford, Clarendon Press, 1993 ; Feldman (David), « Public Law Values in the House of Lords », LQR, 1990, p. 246 ; Oliver (Dawn), « Common Values in Public and Private Law and the Public/Private Divide », Public Law, 1997, p. 630 ; Laws (John), « The Constitution : Morals and Rights », Public Law, 1996, p. 622 ; du même auteur, « Beyond Rights », OJLS, vol. 23 (2), 2003, p. 265.
(30) Self-restraint.
(31) C'est ce qui ressort d'une analyse historique de la répartition du pouvoir entre un gouvernement qui gouverne et des juges qui le contrôlent, Jaffe (Louis L.) et Henderson (Edith G.), « Judicial Review and the Rule of Law : Historical Origins », LQR, vol. 72, 1956, p. 345.
(32) Ce concept de constitution équilibrée, développé par Albert Venn Dicey qui s'appuie sur celui de démocratie unitaire (unitary democracy), signifie que « tous les pouvoirs publics [sont] et [doivent] transiter par le Parlement, corps détenteur d'un large monopole législatif », cf. Craig (Paul. P.), Administrative Law, London, 3e éd., Sweet & Maxwell, 1994, p. 4-7.
(33) « les règles ou [···] points fondamentaux de la common law [···] en vérité sont les piliers et les soutiens de l'édifice de l'État », COKE, Institutes, 2, cité par Gough (John W.), L'idée de loi fondamentale dans l'histoire constitutionnelle anglaise, 1955, trad. C. Grillou, PUF, coll. « Léviathan », 1992., p. 50 ; « [Le common law] n'est rien d'autre que la coutume commune du royaume, [···] et cette loi coutumière est la plus parfaite, la plus excellente, et sans comparaison la meilleure pour fonder et préserver un État. », Davies (Sir John), First Report of Cases and Matters in Ley, préface et dédicace, 1628, cité par Gough, ibid.
(34) « Le common law d'Angleterre [···] n'est que commune raison ou commun usage [···] », Blackstone in Evans v. Harrison (1767), cité par Postema (Gerald), Bentham and the Common Law Tradition, Oxford, Oxford University Press, 1989, n. 17 : « Contre l'idéologie envahissante de l'absolutisme politique et du rationalisme, la théorie du common law a réaffirmé l'idée médiévale que le droit n'est produit ni par le roi, le Parlement ou les juges, mais est plutôt l'expression d'une réalité plus profonde qui est simplement découverte et publiquement déclarée par eux », Hayek, The Constitution of Liberty, cité par Postema (Gerald), op. cit., p. 4.
(35) Lord Laws in International Transport Roth GmbH and others v. Secretary of State for the Home Department [2002] EWCA Civ 158, spéc. § 82-87. V. aussi Crow (Jonathan) et Jowell (Jeffrey) sur le thème « Deference and Proportionality », conférences données à la Human Rights Lawyers Association, le 3 nov. 2003 : en ligne à l'adresse suivante : http://www. hrla.co.uk ; V. aussi Jowel (Jeffrey), « Judicial Deference : Servility, Civility or Institutional Capacity ? », Public Law, 2003, p. 592.
(36) Ewing (Keith D.) et Gearty (Conor), Freedom under Thatcher : Civil Liberties in Modern Britain, Oxford, 2nd éd., Clarendon Press, 1990.
(37) Stevens (Robert), The English Judges. Their Role in the Changing Constitution, London, Hart Pub., 2002, p. 112-116.
(38) Declaration of incompatibility.
(39) Derogation order.
(40) Section 10, § 2 et 3.
(41) Section 3.
(42) Section 19.
(43) In Re Pinochet [1999] 93 AJIL 690 ; R v. Bow Street Magistrates, ex parte Pinochet (nos 1 & 3), [2000] 1 AC 147.
(44) A. and Others v. Secretary of State for the Home Department [2004] UKHL 56 et A. and Others v Secretary of State for the Home Department [2005] UKHL 71.
(45) Cross (Rupert) et Harris (J.W.), éd., Oxford, Clarendon Press, 1991, p. 227.