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Le financement des cultes dans la jurisprudence du Conseil d’État

Émilie BOKDAM-TOGNETTI - Maître des requêtes au Conseil d'État

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 53 (dossier : La Constitution et la laïcité) - octobre 2016

À la lecture du premier alinéa de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État, aux termes duquel : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte... », l'objet du présent article pourrait paraître présenter la monotonie de l'évidence ou, au contraire, relever de la provocation, s'agissant d'un sujet qui ne se pose pas ou ne devrait pas se poser.

Comment une jurisprudence administrative suffisamment complexe, riche et subtile pour mériter restitution aurait-elle en effet pu se développer sur le financement des cultes, sans se limiter à l'affirmation répétée de la règle d'abstention financière des personnes publiques et à la sanction de sa méconnaissance -- sauf à trahir la loi dont le juge doit être la bouche, voire méconnaître la Constitution du 4 octobre 1958 dont l'article 1er fait de la France une République laïque ?

À cet égard, tandis que certains exégètes ont salué en ces arrêts une interprétation libérale et pragmatique du principe de laïcité, inscrivant la loi du 9 décembre 1905 « dans le contexte d'un nouveau siècle » et participant de la « recherche d'un équilibre » (S. Hubac, AJDA 2014 p. 124), d'autres commentateurs n'ont pas hésité à qualifier les décisions rendues par le Conseil d'État, statuant au contentieux depuis 2011 sur les interventions financières des personnes publiques en lien avec les cultes comme une « laïcité effacée devant l'intérêt et l'ordre publics », « une laïcité latitudinaire à géométrie un peu trop variable » (M. Touzeil-Divina, Recueil Dalloz 2011 p. 2375), ou encore un « compromis avec l'essentiel » qui conduirait « *à d'inextricables impasses et à de fâcheuses déconvenues *» (F. Rome, Recueil Dalloz 2011 p. 2025).

Qu'ils s'inscrivent dans la louange ou dans l'opprobre, les critiques font toutefois souvent, selon les hypothèses, trop ou trop peu de cas tant de la portée de la loi du 9 décembre 1905 et du principe de non-subventionnement des cultes qu'elle pose que de la souplesse d'interprétation qui en serait donnée par la jurisprudence du Conseil d'État.

Le juge administratif s'est en effet toujours efforcé d'assurer pleinement le respect de l'interdiction de financement des cultes telle que posée par les articles 2 et 19 de la loi du 9 décembre 1905. En particulier, sa jurisprudence est marquée par une acception large de la notion de subvention aux cultes, recouvrant les concours tant directs qu'indirects.

Mais, d'une part, le juge ne peut ignorer que la loi du 9 décembre 1905 ne constitue pas un bloc monolithique et sans aspérité : l'interdiction de l'octroi de subventions aux cultes énoncée par l'alinéa premier de son article 2 n'est pas l'alpha et l'oméga de cette loi, laquelle place en exergue la liberté de conscience et la garantie par la puissance publique du libre exercice des cultes, et prévoit elle-même certaines dérogations à la prohibition des concours financiers en matière cultuelle.

D'autre part, la loi de séparation des Églises et de l'État, toute « Constitution religieuse de la France » qu'elle soit parfois appelée, n'est pas en surplomb de l'ensemble du droit applicable s'agissant du financement des cultes. Si l'abstention financière des pouvoirs publics à l'égard des cultes participe de la mise en œuvre des exigences qui s'attachent à la laïcité de la République, l'interdiction radicale de toute aide, directe ou indirecte, aux cultes ne s'est pas, à ce jour, vu expressément consacrer la force d'un principe constitutionnel. Aussi est-il possible, dans certaines hypothèses, d'y déroger par la loi, que le Conseil d'État est alors conduit à appliquer.

I - « Tu ne financeras pas les cultes » : le commandement d'abstention financière adressé aux personnes publiques par les Tables de la loi du 9 décembre 1905

La règle d'abstention financière des personnes publiques en matière cultuelle posée par la loi du 9 décembre 1905 découle du principe de neutralité de l'État et des collectivités territoriales à l'égard des cultes qu'elle énonce et met en œuvre. De cette « fiction d'ignorance légale », pour reprendre l'expression employée par Maurice Hauriou, résulte en effet l'interdiction de l'octroi de tout financement qui équivaudrait directement ou indirectement à reconnaître l'existence d'un culte.

Cette interdiction de principe du financement des cultes par les personnes publiques énoncée par la loi du 9 décembre 1905 comporte un double volet matériel et organique. D'une part, l'article 2 de cette loi dispose à son premier alinéa, ainsi qu'il a été rappelé en introduction de la présente contribution que : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er *janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'État, des départements et des communes toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes *». D'autre part, l'article 19 de la même loi prohibe le versement de subventions publiques, « *sous quelque forme que ce soit *», aux associations cultuelles formées en application de son titre IV, à l'exception de sommes allouées pour la réparation d'édifices affectés au culte public.

Encore faut-il d'abord, pour l'application de cette interdiction, savoir ce qu'il y a lieu d'entendre par « culte ».

A - La notion de culte dans la jurisprudence du Conseil d'État

La loi du 9 décembre 1905 ne comporte pas d'indication sur ce point(1). Aussi la définition de la notion de culte retenue par le Conseil d'État apparaît-elle purement prétorienne.

L'exercice d'un culte est ainsi défini par la jurisprudence, notamment par l'avis de l'Assemblée du contentieux du 24 octobre 1997, Association locale pour le culte des témoins de Jéhovah de Riom (n° 187122, Rec. p. 372), comme « la célébration de cérémonies organisées en vue de l'accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou de certaines pratiques ». Dans ses conclusions sur cet avis, le président Arrighi de Casanova soulignait que la reconnaissance de l'existence d'un culte suppose la réunion d'un élément subjectif, constitué par une croyance ou une foi en une divinité, et un élément objectif, qui matérialise le premier et consiste en l'existence d'une communauté se réunissant pour pratiquer cette croyance lors de cérémonies ; cet élément matériel permettrait de différencier la notion de culte, laquelle a un statut juridique, de celle de religion, qui en est dépourvue. Cette définition jurisprudentielle, qui évoque des « croyances religieuses » et des « pratiques » sans tenter d'en définir l'objet et le but, nous paraît plus objectivée -- et, par suite, de maniement plus aisé -- que celle proposée par L. Duguit, consistant en « l'accomplissement de certains rites, de certaines pratiques qui, aux yeux des croyants, les mettent en communication avec une puissance surnaturelle » (Traité de droit constitutionnel, 1925, p. 459).

Cette approche jurisprudentielle de la notion de culte s'est construite à l'occasion notamment de litiges portant sur l'application de dispositions relatives aux associations cultuelles au sens du titre IV de la loi du 9 décembre 1905, lesquelles doivent, en vertu de cette loi, avoir « *exclusivement pour objet l'exercice d'un culte *», et qui ont conduit le Conseil d'État à expliciter la notion d'activités en relation avec l'exercice du culte mais surtout à dessiner, en creux, ce qui n'en relève pas.

Ainsi, il résulte de l'avis de l'Assemblée du contentieux du 24 octobre 1997, déjà mentionné, que les associations revendiquant le statut d'association cultuelle ne peuvent mener que des activités telles que l'acquisition, la location, la construction, l'aménagement et l'entretien des édifices servant au culte, ainsi que l'entretien et la formation des ministres et autres personnes concourant à l'exercice du culte, la poursuite d'activités autres étant de nature, « sauf si ces activités se rattachent directement à l'exercice du culte et présentent un caractère strictement accessoire », à exclure du bénéfice du statut d'association cultuelle. À titre d'illustrations, ne peut recevoir cette qualification une association qui n'a pas exclusivement pour objet l'exercice d'un culte, dès lors qu'elle a également pour but de « promouvoir la vie spirituelle, éducative, sociale et culturelle de la communauté arménienne » (CE, 29 octobre 1990, Association cultuelle de l'église apostolique arménienne de Paris, Rec. p. 297) ou qu'elle se livre à la fois à l'exercice d'un culte et à l'édition et à la diffusion de publications doctrinales (CE, 21 janvier 1983, Association Fraternité des serviteurs du Monde nouveau, n° 32350, Rec. p. 18).

De même, la jurisprudence du Conseil d'État a défini la notion de locaux « affectés à l'exercice d'un culte », au sens des dispositions de l'article 1382 du code général des impôts, comme des locaux « utilisés pour la célébration de cérémonies organisées en vue de l'accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou de certaines pratiques » (CE, 4 février 2008, Associationde l'Église Néo-Apostolique de France, n° 293016, T. p. 693). Aussi, ne peuvent être considérés comme des locaux affectés à l'exercice d'un culte ni comme des dépendances immédiates de ces locaux nécessaires à cet exercice, des locaux d'un immeuble utilisés par une association pour le catéchisme, l'école du dimanche et la répétition de chorales pour les offices du culte (CE, 4 février 2008, Association de l'Église Néo-Apostolique de France, préc.), ni les édifices servant au logement des ministres du culte (CE, 2 février 1910, Association cultuelle dite Église réformée évangélique d'Albias, Rec. p. 91). En revanche, peuvent être regardés comme constitutifs de l'exercice d'un culte « des enseignements et des débats sur des thèmes bibliques ainsi que des cérémonies qui revêtent un caractère religieux » (CE, Section, 13 janvier 1993, Ministre du budget c/ Congrégation chrétienne des témoins de Jéhovah du Puy, n° 115474, Rec. p. 10).

Si, dans la plupart des hypothèses, l'identification du caractère cultuel ou non cultuel d'une activité, aux fins d'apprécier la licéité de l'octroi d'un financement public, ne pose guère de difficulté, il arrive toutefois que le départ entre activités cultuelles et non cultuelles, lorsqu'elles s'accompagnent de l'expression de sentiments religieux, soulève de délicates questions de frontières.

En particulier, dans sa décision du 4 mai 2012, Fédération de la libre-pensée et de l'action sociale du Rhône (n° 336462, Rec. p. 185), dans laquelle étaient en cause les 19es rencontres internationales pour la paix organisées par l'association Communauté Sant' Egidio France, le Conseil d'État a précisé que, si une association dont l'une des activités consiste en l'organisation de prières collectives de ses membres, ouvertes ou non au public, doit être regardée, même si elle n'est pas une « association cultuelle » au sens du titre IV de la loi du 9 décembre 1905, comme ayant, dans cette mesure, une activité cultuelle, tel n'est pas le cas, en revanche, d'une association dont des membres, à l'occasion d'activités associatives sans lien avec le culte, décident de se réunir, entre eux, pour prier. Il en a déduit que les seules circonstances qu'une association se réclame d'une confession particulière ou que certains de ses membres se réunissent, entre eux, en marge d'activités organisées par elle, pour prier, ne suffisent pas à établir que cette association a des activités cultuelles.

Enfin, la seule circonstance qu'une manifestation participant de l'exercice d'un culte revête un caractère traditionnel, soit ancrée dans la culture locale et attire de nombreux touristes ne saurait suffire à faire disparaître son aspect religieux, à gommer sa dimension cultuelle et à rendre conforme à l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 l'octroi d'une aide financière publique pour son organisation, ainsi que l'a jugé le Conseil d'État à l'occasion de litiges portant sur l'octroi de subventions par diverses collectivités territoriales aux associations organisatrices des ostensions septennales limousines (CE, 15 février 2013, Association Grande confrérie de Saint Martial et autres, n° 347049, Rec. p. 10).

B - L'appréciation de la notion d'aide directe ou indirecte à un culte : un travail de précision

Si l'application de l'interdiction organique, énoncée à l'article 19 de la loi du 9 décembre 1905, de financement des associations cultuelles par les personnes publiques ne pose guère de difficulté compte tenu de son caractère absolu, une fois la question de la qualification d'association cultuelle tranchée, celle de l'interdiction matérielle des subventions aux cultes posée par l'article 2 de la loi s'est révélée plus délicate.

Certes, s'agissant des aides financières directes, ouvertement attribuées aux cultes et aux ministres du culte sans tentative de les déguiser, la mise en œuvre de la règle de prohibition figurant à l'article 2 ne recèle pas de complexité particulière, l'existence d'un avantage financier à un culte étant alors évidente. Ces hypothèses se sont essentiellement rencontrées en jurisprudence dans les premières années suivant la loi de séparation.

Ont ainsi été jugées illégales la délibération d'un conseil municipal ayant inscrit au budget de la commune un crédit en faveur du desservant à titre d'abonnement au casuel, les rétributions exigées des fidèles à ce titre ne pouvant être mises à la charge de la commune (CE, 20 juillet 1906, Commune de Glainans, Rec. p. 652), la délibération décidant l'acquisition d'objets exclusivement destinés à la célébration du culte tels que des linges et ornements d'église (CE, 11 juillet 1913, Commune de Dury, Rec. p. 830), ou encore la délibération d'un conseil municipal accordant une aide annuelle à un élève pour la durée de ses études au grand séminaire d'Anger (CE, 13 mars 1953, Ville de Saumur, Rec. p. 130). Ont également été jugées illégales des délibérations par lesquelles des conseils municipaux avaient décidé la concession au ministre du culte de la jouissance du presbytère appartenant à la commune à titre gratuit (CE, 15 janvier 1909, Commune de Gaudonville, Rec. p. 34 ; CE, 12 mars 1909, Commune de Charmauvilliers, Rec. p. 275), ou pour un loyer notablement inférieur à la valeur locative normale (CE, 16 décembre 1910, Commune de Callian, Rec. p. 976 ; CE, 2 août 1912, Commune de Saint-Thibault, Rec. p. 921 ; CE, 15 décembre 1912, Commune de Fleury-les-Lavoncourt, Rec. p. 1059), sauf dans l'hypothèse où le conseil municipal n'a pas eu, en abaissant le montant du loyer du presbytère, « d'autre but que d'assurer la location d'un immeuble qui risquait autrement de rester inoccupé » (CE, 18 mars 1921, Commune de Mont-L'Evêque, Rec. p. 317). Par ailleurs, l'obligation, imposée à une commune par un testateur comme condition de la libéralité faite à celle-ci, d'employer le revenu des immeubles légués pour payer une rente au curé, a été logiquement regardée par le Conseil d'État comme une charge cultuelle, dont l'exécution est interdite à la commune en application de l'article 3 de la loi du 13 août 1908 (CE, 7 juin 1912, Commune de Magny, Rec. p. 642).

Dans le cas d'aides ou de salaires maladroitement déguisés par des personnes publiques ayant tenté plus ou moins habilement de dissimuler l'aide délibérément accordée à un culte, la solution donnée au litige ne pouvait davantage prêter à hésitation.

À titre d'illustrations, le Conseil d'État a jugé illégales la délibération nommant le desservant gardien de l'église, lui attribuant la jouissance gratuite du presbytère et lui allouant une indemnité annuelle, bien que le conseil municipal n'ait visé dans sa délibération que la qualité d'électeur de ce desservant (CE, 22 avril 1910, Commune de Labastide-Saint-Pierre, Rec. p. 329), la décision par laquelle le maire a nommé le curé gardien de l'église paroissiale, avec un traitement annuel sur le budget communal, en dehors de toute circonstance pouvant justifier une rémunération à raison d'un service spécial (CE, 26 juin 1914, Préfet des Hautes-Pyrénées, Rec. p. 774), ou encore la délibération par laquelle une commune a inscrit à son budget un crédit pour le gardiennage et l'entretien des objets mobiliers garnissant les édifices cultuels, dès lors que cette délibération n'a pas eu pour objet de rémunérer des services effectivement rendus, mais seulement de maintenir par une voie détournée la rétribution précédemment allouée aux prêtres de la commune (CE, 16 mai 1919, Commune de Montjoie, Rec. p. 429).

Les personnes publiques ne sauraient davantage, sans méconnaître les dispositions de la loi du 9 décembre 1905, créer elles-mêmes de nouveaux édifices cultuels.

Il en résulte qu'une collectivité territoriale ne saurait décider qu'un local dont elle est propriétaire sera laissé de façon exclusive et pérenne à la disposition d'une association pour l'exercice d'un culte et constituera ainsi un édifice cultuel (CE, Assemblée, 19 juillet 2011, Commune de Montpellier, n° 313518, Rec. p. 398), et que si les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 n'interdisent pas à une collectivité territoriale de financer la construction d'un édifice dont il est prévu d'affecter une partie à l'exercice du culte, c'est à la condition que ce financement n'excède pas le montant des crédits nécessaires aux travaux afférents à la seule partie à vocation non cultuelle de l'édifice (CE, 3 octobre 2011, Communauté d'agglomération de Saint-Étienne métropole, n° 326460, T. p. 795-810-920, s'agissant de l'église de Firminy-Vert dessinée par Le Corbusier).

Plus délicats sont apparus les cas, rencontrés par la jurisprudence récente, de financement par les personnes publiques de l'acquisition d'objets ou de la construction d'équipements à vocation « mixte », à la fois cultuelle et non cultuelle, susceptibles à ce dernier titre d'être utilisés par les fidèles d'une religion pour l'exercice de leur culte.

Fallait-il, du seul fait de la possible utilisation mixte de l'objet ou de l'équipement en cause, considérer que la loi de séparation faisait obstacle à toute intervention d'une personne publique dans son acquisition ou sa réalisation, quelle que soit par ailleurs l'utilité publique susceptible d'en être retirée ? Fallait-il estimer que, alors même que les modalités financières d'usage d'un équipement pour le culte auraient été fixées de manière à exclure toute libéralité au profit de ce culte, la seule intervention « en amont » de la personne publique, en ce qu'elle permet l'existence d'un tel équipement et participe de sa réalisation effective, serait constitutive d'une aide matérielle indirecte à un culte, prohibée par l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 ?

Par plusieurs décisions d'Assemblée du 19 juillet 2011, le Conseil d'État a apporté une réponse négative à ces questions. Sans remettre aucunement en cause le principe d'interdiction faite aux personnes publiques par la loi d'apporter une aide à l'exercice du culte, il s'est attaché à apprécier de manière aussi fine et ciselée que possible la notion d'aide indirecte à un culte.

Ainsi, saisie d'un litige portant sur la légalité de délibérations d'un conseil municipal décidant l'acquisition et l'installation d'un orgue dans l'église appartenant à une commune, l'Assemblée du contentieux, dans une décision Commune de Trélazé (19 juillet 2011, n° 308544, Rec. p. 370), a jugé que les dispositions de la loi du 9 décembre 1905, combinées à celles de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes qui garantissent, même en l'absence d'associations cultuelles, un droit de jouissance exclusive, libre et gratuite des édifices cultuels appartenant à des collectivités publiques au profit des fidèles et des ministres du culte, ne font pas obstacle à ce qu'une commune qui a acquis, afin de développer l'enseignement artistique et d'organiser des manifestations culturelles dans un but d'intérêt public communal, un tel instrument de musique, convienne avec l'affectataire ou, s'il n'est pas la commune, le propriétaire de l'édifice cultuel que cet orgue y sera installé et utilisé par elle dans le cadre de sa politique culturelle et éducative.

Afin que les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 ne soient pas méconnues, il convient toutefois, dans un tel cas, que des engagements soient pris par l'affectataire ou le propriétaire, par exemple par le biais d'une convention, afin de garantir une utilisation de l'orgue par la commune conforme à ses besoins. La convention peut également stipuler que le bien sera utilisé pour le culte. Toutefois, si elle prévoit une telle faculté d'utilisation de l'orgue à des fins cultuelles, elle doit alors préciser les conditions, notamment financières, d'une participation des fidèles qui tienne compte des charges d'entretien de l'instrument et soit d'un montant qui exclue toute libéralité, afin notamment d'éviter que la commune ne prenne en charge les frais d'entretien occasionnés par l'usage du bien à l'occasion de l'exercice du culte, mais aussi de respecter les règles de la domanialité.

Se prononçant le même jour sur la légalité de délibérations du conseil communautaire d'une communauté urbaine ayant décidé l'aménagement de locaux désaffectés en vue d'obtenir un agrément sanitaire pour un abattoir local temporaire d'ovins, destiné à fonctionner essentiellement pendant les trois jours de la fête musulmane de l'Aïd-el-Kébir, et ayant fixé le montant des crédits affectés à ces travaux, l'Assemblée du contentieux a jugé que les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 ne font pas obstacle, par principe, à ce qu'une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités décide -- pour autant que cela relève de son champ de compétences -- d'aménager un équipement pour permettre l'exercice de pratiques à caractère rituel relevant du libre exercice des cultes ou d'autoriser à cette fin l'utilisation d'un équipement public existant. L'Assemblée a précisé qu'une telle décision ne saurait toutefois être légale que pour autant que des exigences de deux ordres soient satisfaites. La première renvoie au principe même d'une telle intervention de la collectivité territoriale, laquelle doit être justifiée par un intérêt public local, pouvant tenir notamment à la nécessité que les cultes soient exercés dans des conditions conformes aux impératifs de l'ordre public, en particulier de la salubrité publique et de la santé publique. Les autres exigences sont relatives aux modalités d'utilisation de l'équipement et portent sur les conditions, en particulier tarifaires, dans lesquelles le droit d'utilisation de ce bien est concédé pour l'exercice de pratiques se rattachant à un culte : d'une part, ces conditions doivent respecter le principe de neutralité à l'égard des cultes et le principe d'égalité ; d'autre part, les tarifs pratiqués doivent exclure toute libéralité. Aussi, le droit d'utiliser l'équipement pour procéder à des abattages rituels ne saurait, sans méconnaître la loi du 9 décembre 1905, être accordé gratuitement (CE, Assemblée, 19 juillet 2011, Communauté urbaine du Mans -- Le Mans Métropole, n° 309161, Rec. p. 393).

Enfin, le contentieux relatif à la délibération par laquelle le conseil municipal de Lyon a attribué à la Fondation Fourvière, établissement reconnu d'utilité publique qui détient et gère la basilique éponyme, une subvention pour contribuer à la réalisation d'un ascenseur destiné à faciliter l'accès des personnes à mobilité réduite à cette basilique, a offert à l'Assemblée l'occasion de juger que la loi du 9 décembre 1905 ne s'oppose pas à ce qu'une collectivité territoriale finance des travaux qui ne sont pas des travaux d'entretien ou de conservation d'un édifice cultuel, soit en les prenant elle-même en tout ou partie en charge en qualité de propriétaire de l'édifice, soit en accordant une subvention lorsque l'édifice n'est pas sa propriété, en vue de la réalisation d'un équipement ou d'un aménagement en rapport avec cet édifice, à condition que trois exigences soient satisfaites (CE, Assemblée, 19 juillet 2011, Fédération de la libre-pensée et de l'action sociale du Rhône et Picquier, n° 308817, p. 392). En premier lieu, cet équipement ou aménagement doit présenter un intérêt public local. Ce dernier peut être lié, par exemple, à l'importance de l'édifice cultuel en cause pour le rayonnement culturel ou le développement touristique et économique du territoire de la collectivité. En deuxième lieu, l'équipement lui-même ne doit pas être destiné à l'exercice du culte. En dernier lieu, lorsque la participation de la collectivité territoriale au projet prend la forme d'une subvention pour le financement des travaux, le fléchage exclusif des sommes à ce projet ainsi que leur non-versement à une association cultuelle doivent être garantis. Dès lors que ces conditions sont remplies, le Conseil d'État a jugé que la circonstance qu'un tel équipement ou aménagement soit, par ailleurs, susceptible de bénéficier aux personnes qui pratiquent le culte, ne saurait affecter la légalité de la décision de la collectivité territoriale.

Par cette décision, le Conseil d'État a donc refusé, dans une telle configuration, d'entrer dans un débat sur le quantum de la subvention, qui aurait conduit à limiter la possibilité de prise en charge financière du projet par la commune dans la seule proportion de l'utilisation attendue de la part des personnes visitant la basilique dans un but purement touristique, et à exiger du propriétaire de l'édifice une participation financière en rapport avec l'utilité de l'équipement pour les pèlerins. Une telle absence de contrôle du quantum, si elle peut sembler à première vue contrintuitive au regard de l'interdiction de financement des cultes posée par la loi du 9 décembre 1905, se révèle en seconde analyse conforme tant à cette loi qu'à l'approche jurisprudentielle classique de l'intérêt local.

D'une part, en effet, deux des conditions posées par la décision du 19 juillet 2011, Fédération de la libre-pensée et d'action sociale du Rhône, tiennent précisément au fait que l'équipement en lui-même ne doit pas être destiné à l'exercice du culte et à la garantie que la subvention versée soit affectée exclusivement au projet et ne soit pas versée à une association cultuelle, de sorte que le risque d'une aide directe à un culte est prévenu. D'autre part, la jurisprudence traditionnelle du Conseil d'État en matière de légalité des interventions des collectivités territoriales ne procède pas à un contrôle du montant des subventions accordées à un projet par rapport au « degré » d'intérêt public local s'y rattachant, par comparaison avec l'intérêt privé qu'il présente par ailleurs pour certaines personnes, mais se borne à vérifier que l'objet de la subvention présente un intérêt public local pour en déduire la légalité de celle-ci. Le montant de l'aide apparaît ainsi comme une pure question d'opportunité, non comme une question de légalité qu'il appartiendrait au juge de contrôler. Ce raisonnement s'explique par la logique qui sous-tend la recherche de l'existence, par le juge, d'un intérêt public local lorsqu'il apprécie la légalité d'une subvention, c'est-à-dire la vérification que la subvention entre dans le champ de la compétence de la collectivité. Il tient aussi aux conséquences qu'emporte la reconnaissance de l'intérêt public local d'une action, à savoir, en principe, le fait que sa réalisation par la collectivité ou avec l'aide de celle-ci est entièrement justifiée : peu importent dès lors les retombées positives, à titre indirect et accessoire, pour l'exercice d'un culte. Au demeurant, exiger que la collectivité ne finance l'équipement qu'à hauteur de l'utilisation attendue par les personnes autres que les fidèles aurait pu revenir, dans certaines hypothèses dans lesquelles le propriétaire de l'édifice ou le desservant, si l'édifice appartient à la commune, ne dispose pas des financements nécessaires, à faire obstacle à la réalisation d'un projet présentant un intérêt public local.

Enfin et surtout, en admettant dans cette décision la légalité sous certaines conditions de l'octroi de subventions à des associations ayant des activités cultuelles sans être régies par le titre IV de la loi du 9 décembre 1905, l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État s'est implicitement engagée dans la voie de l'abandon, en ce qu'elle avait de plus sévère et maximaliste, de la jurisprudence Commune de Saint-Louis c/ Association Siva Soupramanien de Saint-Louis (CE, Section, 9 octobre 1992, n° 94455, Rec. p. 358), abandon expressément consacré par les décisions ultérieures Fédération de la libre-pensée et d'action sociale du Rhône du 4 mai 2012 (n° 336462, Rec*.* p. 185, relative à l'octroi d'une subvention à l'association Communauté Sant'Egidio France), Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) du 26 novembre 2012 (n° 344379, Rec. p. 390, s'agissant de l'octroi à une communauté de moines d'une subvention en vue de l'acquisition d'une chaudière à bois) et Communauté des bénédictins de l'abbaye Saint Joseph de Clairval du même jour (n° 344284, T. p. 612-739-872).

Le Conseil d'État avait en effet jugé en 1992, suivant ainsi son commissaire du gouvernement, M. Frédéric Scanvic, qui faisait valoir que seule comptait la « structure d'accueil » de la subvention et que le fait d'aider les activités non cultuelles d'une structure mixte revenait à permettre à celle-ci de dégager des ressources pour ses activités cultuelles, que des collectivités publiques ne pouvaient, sans méconnaître le principe d'interdiction des aides indirectes aux cultes posé par la loi du 9 décembre 1905, légalement accorder des subventions à une association ayant des activités cultuelles, alors même que celle-ci aurait également des activités sociales ou culturelles et ne constituerait pas, de ce fait, une association cultuelle. En refusant d'adopter une solution plus « ciselée » consistant à reconnaître la légalité de certaines subventions fléchées vers des objets non cultuels, la décision Commune de Saint-Louis avait ainsi semblé privilégier une approche relative aux effets indirects de la subvention conduisant en réalité à transposer aux associations ayant des activités cultuelles et culturelles, sur le terrain de l'interdiction matérielle des aides aux cultes posée par l'article 2 de la loi, l'interdiction organique de tout financement public des associations cultuelles énoncée à l'article 19.

La jurisprudence du Conseil d'État privilégie désormais une approche plus fine de l'objet et des conditions d'utilisation garanties de la subvention : si l'octroi de subventions publiques globales et non fléchées à une association ayant des activités cultuelles ne saurait être admis au regard de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905, ces dernières dispositions n'interdisent pas l'octroi par une personne publique d'une subvention à une telle association à la stricte condition que cette subvention soit destinée au financement d'une manifestation, d'un projet ou d'une activité qui ne présentent pas un caractère cultuel et ne sont pas destinés au culte, que l'objet de la subvention rattache son octroi aux compétences de la personne publique en cause, et que l'affectation exclusive de la subvention à ce projet, activité ou manifestation non cultuels soit garantie. Certes, alors même que ces exigences sont satisfaites, l'octroi d'une aide financière à une association ayant des activités cultuelles pour un projet non cultuel peut paraître, en ce qu'elle lui permet de couvrir certaines dépenses, lui offrir la faculté de dégager au profit de ses activités cultuelles des ressources supplémentaires à ce qu'elle aurait pu lui consacrer sans cette intervention publique. Mais un tel effet financier apparaît bien trop indirect pour conduire à regarder la subvention comme une aide au culte prohibée.

En résumé, la portée conférée par le Conseil d'État au principe d'abstention financière des personnes publiques en matière cultuelle tel qu'il résulte de la loi du 9 décembre 1905 peut être synthétisée comme suit :

-- les personnes publiques ne peuvent accorder aucune subvention aux associations cultuelles, à l'exception des concours pour des travaux de réparation d'édifices cultuels ;

-- elles ne peuvent salarier aucun culte ;

-- plus généralement, il leur est interdit d'apporter une aide directe ou indirecte à l'exercice d'un culte ou à une manifestation qui participe de l'exercice d'un culte ;

-- elles ne peuvent accorder une subvention à une association qui, sans constituer une association cultuelle au sens du titre IV de la loi, a des activités cultuelles, que pour un objet ne se rattachant pas aux activités cultuelles de cette association et à la condition que l'affectation exclusive à cet objet soit garantie et, ainsi, que cette subvention ne puisse être utilisée pour financer les activités cultuelles de l'association.

Si ce dernier volet de la jurisprudence à l'égard des associations ayant des activités cultuelles a pu, alors même que le Conseil d'État a assorti cette faculté d'octroi de concours financiers de divers verrous et garde-fous, être critiqué par quelques commentateurs comme excessivement « libéral », il nous paraît toutefois conforme à l'esprit des auteurs de la loi du 9 décembre 1905. En effet, le premier principe posé par cette loi n'est pas celui de l'interdiction des subventions aux cultes, mais celui de libre exercice du culte, ainsi que la garantie par la République de ce libre exercice. Le placement de ce principe de liberté au premier article de la loi n'est pas anodin. Ainsi que le soulignait A. Briand dans son rapport devant l'Assemblée nationale : «* Le juge saura, grâce à l'article placé en vedette de la réforme, dans quel esprit tous les autres ont été conçus et adoptés. Toutes les fois que l'intérêt de l'ordre public ne pourra être légitimement invoqué dans le silence des textes ou le doute sur leur exacte application, c'est la solution libérale qui sera la plus conforme à la pensée du législateur *».

II - Le principe d'abstention financière posé au premier alinéa de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 n'est pas l'alpha et l'oméga : les limites matérielles et territoriales à l'interdiction de financement des cultes

Le principe d'abstention financière des personnes publiques à l'égard des cultes n'est pas l'unique prescription figurant dans les Tables de la loi du 9 décembre 1905 -- et celles-ci n'épuisent en outre pas les règles régissant les interventions des personnes publiques en matière de financement des cultes. Dès lors, la jurisprudence du Conseil d'État illustre également certaines situations dans lesquelles les personnes publiques peuvent légalement apporter des financements à des cultes.

En effet, si la Constitution du 4 octobre 1958 énonce solennellement à son article 1er que la France est une République laïque, le principe constitutionnel de laïcité n'a jusqu'à présent pas été explicité comme impliquant nécessairement, et en toute hypothèse, l'interdiction absolue de toute forme d'aide, directe comme indirecte, aux cultes.

Ainsi, dans sa décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013, Association pour la promotion et l'expansion de la laïcité, le Conseil constitutionnel, après avoir consacré que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit, a jugé « qu'il en résulte la neutralité de l'État ; qu'il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu'il implique que celle-ci ne salarie aucun culte ». Certes, l'énumération ainsi donnée par cette décision des exigences qu'implique le respect du principe de laïcité n'est pas exhaustive, ainsi qu'en témoigne l'adverbe « notamment », et l'aide dont la conformité à la Constitution était critiquée en l'espèce prenait la forme, non de simples concours financiers, mais de la prise en charge des traitements des pasteurs des églises consistoriales d'Alsace-Moselle résultant de la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes, de sorte qu'il n'était pas absolument nécessaire pour le Conseil constitutionnel de se prononcer sur l'octroi de subventions. L'on ne peut toutefois qu'être frappé par le fait que, de la « trilogie » -- à défaut de trinité -- de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 aux termes duquel la République « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », le Conseil constitutionnel n'a expressément repris dans cette décision que l'absence de reconnaissance des cultes et de rétribution de leurs ministres par la puissance publique, sans faire mention d'une règle plus large et générale de non-subventionnement.

Cette omission ne nous semble pas anodine. Elle nous paraît au contraire confirmer et conforter l'interprétation que le Conseil d'État avait donnée de la portée, en matière financière, du principe constitutionnel de laïcité dans sa décision Ministre de l'Outre-mer c/ Gouvernement de la Polynésie française du 16 mars 2005 (n° 265560, Rec. p. 108). Dans cette affaire, il a ainsi jugé que le principe constitutionnel de laïcité, s'il implique la neutralité de l'État et des collectivités territoriales de la République et un traitement égal des différents cultes, n'interdit pas, par lui-même, l'octroi dans l'intérêt général ou dans celui des territoires dont ces collectivités ont la charge et dans le respect des conditions définies par la loi, de certaines subventions à des activités ou des équipements dépendant des cultes.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a jugé que le principe de laïcité ne fait pas obstacle à la possibilité pour le législateur de prévoir, sous réserve de fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels, la participation des collectivités publiques au financement des établissements d'enseignement privé sous contrat d'association (Cons. const., décision n° 2009-591 DC du 22 octobre 2009, Loi tendant à garantir la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat d'association).

A - Les limites à l'interdiction de tout financement public des cultes résultant du champ territorial d'application de la loi du 9 décembre 1905

La loi du 9 décembre 1905 n'ayant pas été rendue applicable sur l'ensemble du territoire français, et le principe constitutionnel de laïcité ne s'étant pas, jusqu'à présent du moins, vu reconnaître comme portée nécessaire l'interdiction de l'octroi de toute subvention en lien avec les cultes, la jurisprudence du Conseil d'État a été déjà admis la légalité de certains concours financiers en matière cultuelle en raison du caractère géographiquement borné de l'interdiction de financement posée par l'article 2 de cette loi.

Ainsi, dans sa décision Ministre de l'Outre-mer c/ Gouvernement de la Polynésie française du 16 mars 2005 déjà mentionnée, après avoir constaté, d'une part, que le principe constitutionnel de laïcité n'interdit pas, par lui-même, l'octroi dans l'intérêt général de certaines subventions à des activités ou des équipements dépendant des cultes, et d'autre part, que la loi du 9 décembre 1905 n'a pas été rendue applicable en Polynésie française, le Conseil d'État a jugé qu'une cour n'avait pas commis d'erreur de droit en estimant que l'octroi, par la collectivité de Polynésie française, d'une subvention à l'église évangélique ne méconnaissait pas le principe de laïcité et correspondait à un objectif d'intérêt général, dès lors que cette subvention avait pour objet la reconstruction d'un presbytère après le passage d'un cyclone, que ce bâtiment jouait un rôle dans de nombreuses activités socio-éducatives, notamment dans certaines îles éloignées, et que lors du passage des cyclones, le presbytère était ouvert à tous et accueillait les sinistrés.

Par ailleurs, dans une décision Beherec du 9 octobre 1981 (n° 18649, Rec. p. 358), le Conseil d'État a constaté que si la loi du 9 décembre a été, par le décret du 6 février 1911, étendue à la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion, cette loi n'a jamais fait l'objet d'une semblable extension en Guyane avant l'assimilation par la loi du 19 mars 1946 de ce territoire aux départements métropolitains, et qu'aucun décret n'a introduit la loi du 9 décembre 1905 en Guyane postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 19 mars 1946. Il en a déduit que le statut des Églises y demeurait régi par les dispositions de l'ordonnance royale du 12 novembre 1828 relative au « gouvernement de la Guyane française », en application de laquelle les membres du clergé catholique de Guyane sont rétribués par le département, sur le budget départemental.

Enfin, il serait impossible de ne pas mentionner ici le cas des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, dans lesquels le régime concordataire, qui avait été abrogé pour tous les départements français par l'article 44 de la loi du 9 décembre 1905, était alors demeuré en vigueur et où cette législation est restée provisoirement applicable, tant après 1918 qu'après l'ordonnance du 15 septembre 1944 rétablissant la légalité républicaine. Saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l'article VII des articles organiques des cultes protestants de la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes, aux termes duquel : « Il sera pourvu au traitement des pasteurs des églises consistoriales », le Conseil d'État a transmis cette question au Conseil constitutionnel (CE, 19 décembre 2012, Association pour la promotion et l'expansion de la laïcité (APPEL), nos 360724 et 360725, aux Tables). Statuant sur cette QPC, le Conseil constitutionnel a jugé que, si le principe constitutionnel de laïcité implique que l'État et les collectivités territoriales ne salarient aucun culte, il résultait des travaux préparatoires des textes constitutionnels que la Constitution du 4 octobre 1958 n'avait pas entendu remettre en cause les dispositions législatives ou règlementaires particulières applicables dans plusieurs parties du territoire de la République lors de son entrée en vigueur et relatives à l'organisation de certains cultes et, notamment, à la rémunération de ministres du culte.

En se fondant ainsi sur cette intention du Constituant de 1958, plutôt que sur le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de dispositions particulières applicables dans les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, dégagé dans sa décision n° 2011-157 QPC du 5 août 2011, Société Somodia, le Conseil constitutionnel a adopté un raisonnement transposable au cas guyanais. Le Conseil d'État a tiré les conséquences de la réponse ainsi apportée sur le régime alsacien-mosellan en rejetant les demandes de l'association APPEL tendant à l'annulation des décisions de refus du président de la République et du Premier ministre d'abroger respectivement d'une part, les dispositions réglementaires de la loi du 18 germinal an X et le décret n° 2001-31 du 10 janvier 2001 relatif au régime des cultes catholique, protestants et israélite dans les départements du Bas-Rhin, du Haut Rhin et de la Moselle et d'autre part, le décret n° 2007-1341 du 11 septembre 2007 modifiant la loi locale du 15 novembre 1909 relative aux traitements et pensions des ministres des cultes rétribués par l'État et leurs veuves et orphelins et le décret n° 2007-1445 du 8 octobre 2007 relatif à la fixation du classement indiciaire des personnels des cultes d'Alsace et de Moselle.

En revanche, la circonstance que le projet pour lequel une subvention est accordée s'inscrive dans le cadre d'une action de coopération décentralisée réalisée en dehors de France ne saurait conduire à regarder la collectivité territoriale décidant l'octroi de cette subvention comme déliée entièrement des obligations et interdictions énoncées par la loi du 9 décembre 1905 et à regarder celle-ci comme inapplicable géographiquement. Les dispositions de l'article 2 de cette loi ne font toutefois pas obstacle à ce que soit menée une action de coopération visant à la restauration d'un monument cultuel s'inscrivant dans le patrimoine culturel du bassin méditerranéen tel que la basilique Saint-Augustin d'Hippone d'Annaba (Algérie), qui ne peut être regardée comme ayant pour objet de salarier ou de subventionner un culte (CE, 17 février 2016, Région Rhône-Alpes, nos 368342, 368343, 368344 et 368352, à publier au Recueil).

B - Les limites tenant au champ matériel de la loi du 9 décembre 1905 et de la règle d'abstention financière posée au premier alinéa de son article 2

1 - Les dérogations prévues au sein même de la loi du 9 décembre 1905

La loi de séparation des Églises et de l'État comporte elle-même certaines dérogations au principe de non-subventionnement, à ses articles 2, 13 et 19.

Ces dérogations concernent, d'une part, certaines dépenses en matière d'édifices cultuels. Sont ainsi autorisées les dépenses de conservation et d'entretien des édifices cultuels dont les collectivités publiques sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation des Églises et de l'État. En outre, ne sont pas considérées comme des subventions prohibées les sommes allouées aux associations cultuelles pour la réparation des édifices affectés au culte public, qu'ils soient ou non classés monuments historiques.

À titre d'illustration, une commune peut, au besoin, entreprendre la restauration, voire la reconstruction d'un édifice cultuel dont elle est propriétaire, pourvu que les dépenses à sa charge n'excèdent pas les frais nécessités par le mauvais état de l'édifice (CE, Section, 21 juillet 1939, Sieurs Bordier et autres, Rec. p. 500). Les dépenses de chauffage sont également considérées comme contribuant à la conservation de l'édifice (CE, 7 mars 1947, Lapeyre, Rec. p. 104). En revanche, ces dérogations au principe d'interdiction des subventions aux cultes ne couvrent pas les dépenses d'embellissement, de mise en valeur ou d'amélioration des édifices cultuels non classés dont les collectivités ont la charge (CE, 11 juillet 1913, Commune de Dury, préc.).

Par ailleurs, le fait même de prévoir, à l'article 13 de la loi, que seront laissés « gratuitement » à la disposition des associations cultuelles -- ou, à défaut, des fidèles -- les édifices servant à l'exercice public du culte, ainsi que les objets mobiliers les garnissant, dont les collectivités publiques sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation, constitue indirectement une aide non seulement autorisée, mais contrainte aux cultes intéressés.

La loi prévoit, d'autre part, des dérogations à l'interdiction de toute aide aux cultes dans le cas particulier de publics captifs dont l'autorité publique a la charge et pour lesquels le principe de séparation doit être combiné avec ceux de liberté de conscience et de libre exercice du culte. Le second alinéa de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 dispose ainsi que pourront être inscrites aux budgets de l'État et des collectivités territoriales « les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ».

La jurisprudence a notamment déduit de ces dispositions, combinées avec celles de l'article 1er de la loi, une obligation pour les établissements hospitaliers -- sous réserve des exigences de l'ordre public et du service public -- « non seulement de ne pas mettre obstacle à l'exercice de leur culte par les malades ou les vieillards pensionnaires desdits établissements, mais encore de prendre les mesures indispensables pour permettre à ceux-ci de vaquer, dans l'enceinte même de ces établissements, aux pratiques de leur culte, lorsqu'en raison de leur état de santé ou des prescriptions des règlements en vigueur ils sont hors d'état de sortir » (CE, Section, 28 janvier 1955, Sieurs Aubrun et Villechenoux, Rec. p. 50), et une obligation pour le ministre chargé de l'Éducation nationale « *de créer un service d'aumônerie dans les établissements d'enseignement où il est établi que cette institution est nécessaire au libre exercice de leur culte par les élèves *» (CE, Section, 28 janvier 1955, Association professionnelle des aumôniers de l'enseignement public, Rec. p. 51).

Ainsi, dans une espèce où le ministre de l'Éducation nationale avait inclus dans le programme de construction d'un établissement du second degré l'édification d'un pavillon cultuel affecté à la célébration des cultes catholique, protestant et israélite et accepté l'offre de concours par laquelle une association de parents d'élèves s'engageait à supporter les frais de constructions de ce « pavillon cultuel », le Conseil d'État a estimé que, eu égard à la présence d'un internat dans ce lycée, les charges consécutives à la cession de la jouissance des locaux qui incomberaient à l'État n'excèdaient pas celles qu'autorise l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 (CE, Section, 7 mars 1969, Ville de Lille, Rec. p. 141). En effet, il résulte de la combinaison des articles 1er et 2 de la loi du 9 décembre 1905 que l'administration est en droit de prendre toutes mesures utiles pour assurer le libre exercice des cultes au sein d'un établissement scolaire du second degré dès lors que ni la liberté de conscience ni l'intérêt de l'ordre public n'y font obstacle et que les dépenses mises à la charge de la collectivité publique n'excèdent pas celles prévues à l'article 2 de cette loi (même affaire).

2 - Les dérogations prévues par d'autres lois : l'exemple des baux emphytéotiques administratifs

La règle d'interdiction de toute aide indirecte aux cultes posée par l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 étant législative, d'autres lois postérieures y ont parfois dérogé.

Le paysage social, religieux et urbain de la France a, en effet, connu de profondes évolutions depuis 1905 et est aujourd'hui très différent de ce qu'il était lors de l'adoption de la loi de séparation des Églises et de l'État. D'une part, à côté des quatre anciens cultes « reconnus » que sont le catholicisme, les protestantismes réformé et luthérien et le judaïsme, de nouvelles religions ont fait leur apparition en France et s'y sont développées. Or, ces « nouveaux » cultes, qui n'étaient pas représentés en 1905, ne bénéficient pas de celles des dispositions de la loi du 9 décembre 1905 permettant aux « anciens » cultes d'être pratiqués gratuitement dans des édifices qui appartiennent à des personnes publiques et autorisant ces personnes publiques à prendre à leur charge les frais d'entretien, de conservation et de réparation de ces édifices. Il leur faut donc construire de nouveaux lieux de culte, notamment dans les centres des agglomérations, ce qui exige des dépenses très importantes que les fidèles et leurs associations n'ont pas toujours les moyens d'exposer. D'autre part, des nouveaux centres urbains et de nouvelles agglomérations ont vu le jour ou ont gagné en ampleur, dans lesquels il ne préexistait pas d'édifices cultuels, y compris pour les quatre cultes anciennement reconnus.

Alors que la loi du 9 décembre 1905 avait été conçue pour régler et gérer les problèmes posés par le « stock » des édifices affectés au culte des anciennes Églises reconnues par l'État, les évolutions connues par la population et le territoire français ont ainsi fait naître des problèmes de « flux », auxquels cette loi n'apporte pas toujours de réponse adéquate ou durablement acceptable, notamment au regard des principes tant d'égalité que de libre exercice des cultes. Aussi le législateur est-il intervenu pour permettre certaines interventions des collectivités territoriales au soutien de la construction de nouveaux édifices cultuels.

En autorisant, par l'article 11 de la loi n° 61-825 du 19 juillet 1961 de finances rectificative pour 1961 (dont le premier alinéa est désormais codifié aux articles L. 2252-4 et L. 3231-5 du code général des collectivités territoriales), les communes et les départements à garantir les emprunts contractés par des groupements locaux ou par des associations cultuelles pour financer la construction, dans les agglomérations en voie de développement, d'édifices répondant à des besoins collectifs de caractère religieux, le législateur avait déjà dérogé au principe d'interdiction des aides aux cultes prévu par la loi du 9 décembre 1905. Lors des débats à l'Assemblée nationale ayant précédé l'adoption de la loi du 19 juillet 1961, les défenseurs de cet article faisaient notamment valoir qu'« *il ne saurait y avoir libre exercice du culte si les fidèles n'ont pas la possibilité de pratiquer la religion de leur choix par suite de la pénurie d'édifices eu égard à leur nombre *».

Surtout, l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales a ouvert aux collectivités territoriales la faculté d'autoriser un organisme qui entend construire un édifice du culte ouvert au public à occuper, pour une longue durée, une dépendance de leur domaine privé ou de leur domaine public, dans le cadre d'un bail emphytéotique, dénommé bail emphytéotique administratif et soumis aux conditions particulières posées par l'article L. 1311-3 du même code.

Dans sa décision Mme Vayssière du 19 juillet 2011 (n° 320796, Rec. p. 395), l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État a jugé, d'une part, qu'avant même la précision expresse apportée sur ce point par l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006, ces dispositions autorisaient l'usage du bail emphytéotique administratif pour la construction par une association d'un édifice cultuel.

Elle a jugé, d'autre part, tout en rappelant que ces dispositions ne sauraient être mises en œuvre que « dans le respect du principe de neutralité à l'égard des cultes et du principe d'égalité », que le mécanisme ainsi prévu par la loi dérogeait aux dispositions de la loi du 9 décembre 1905, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de tenter de concilier la fixation du montant de la redevance de ces baux particuliers avec la règle d'interdiction de toute aide à un culte posée par l'article 2 de cette loi.

En effet, la loi du 9 décembre 1905 repose sur l'équilibre suivant : les collectivités publiques peuvent financer les dépenses d'entretien, de conservation ou de réparation des édifices (par définition déjà construits) qui servaient en 1905 à l'exercice public du culte et dont elles sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation des Églises et de l'État, ou accorder des subventions aux associations cultuelles pour des travaux de réparation ; en dehors de ces hypothèses, elles ne peuvent apporter aucune aide à l'exercice du culte et, en particulier, ne sont autorisées à apporter aucune contribution, directe ou indirecte, à la construction de nouveaux édifices cultuels.

À l'inverse, dans le système du bail emphytéotique, les collectivités territoriales autorisent un organisme, qui entend réaliser la construction d'un édifice du culte ouvert au public, à occuper, pour une longue durée, une dépendance de leur domaine privé ou de leur domaine public, dans le cadre d'un contrat dont la nature même exclut que soit mis à la charge de l'emphytéote le versement d'une redevance qui dépasse un montant modique (et qui pourrait même ne donner lieu au paiement d'aucune redevance).

Cette autorisation durable d'occupation de terrains pour une redevance symbolique ou modique constitue nécessairement, du point de vue de l'organisme cultuel, et quelle que soit l'amélioration du fonds dont bénéficie in fine la collectivité territoriale, une aide certaine. Elle permet en effet à cet organisme de bénéficier -- souvent en centre-ville -- de terrains pour la construction de l'édifice cultuel, en versant une somme très inférieure à celle qui serait résulté pour lui de la location de ces biens au prix du marché ou de leur achat. En concluant des baux emphytéotiques avec des organismes qui entendent créer des édifices du culte, les collectivités territoriales contribuent ainsi indirectement, quel que soit l'avantage qu'elles-mêmes tirent d'un tel montage, à la création d'édifices cultuels, qui deviendront leur propriété à l'expiration du bail (rejoignant ainsi le « stock » des édifices antérieurs à 1905 dont elles sont déjà propriétaires), sans qu'elles n'en supportent les charges de construction, d'entretien, de réparation ou de conservation.

La logique du bail emphytéotique étant ainsi radicalement différente de celle qui sous-tend la loi du 9 décembre 1905, le Conseil d'État a logiquement jugé que le législateur avait entendu, en autorisant son usage pour l'édification de bâtiments destinés à l'exercice du culte, déroger à la loi de séparation des Églises et de l'État.

En matière de financement indirect des cultes, le législateur choisit ainsi parfois de cultiver la différence.

(1) L'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s'il s'attache à définir le contenu de la liberté religieuse, ne définit pas davantage le « culte ». Tout au plus peut-on relever qu'en stipulant que le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion « implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites », cet article peut sembler distinguer « le culte » non seulement de l'enseignement, mais aussi des pratiques religieuses et de l'accomplissement des rites.