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Le contrôle par le Conseil constitutionnel des sanctions administratives et pénales associées à la transparence de la vie publique

Didier REBUT - Professeur de droit Université Panthéon-Assas (Paris II)

Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel 2018, n° 59, p. 47

Après s’être longtemps limitée à la prévision d’incompatibilités caractérisant des conflits d’intérêts et à la définition de manquements à la probité constitutifs d’infractions pénales, la réglementation française de la vie publique a pris une nouvelle orientation avec les deux lois du 11 mars 1988 relatives à la « transparence financière de la vie politique »(1). Celles-ci ont entendu, comme en atteste leur intitulé, mettre en œuvre une approche en termes de transparence qui prévoit des déclarations de patrimoine et prévient les situations de conflits d’intérêts par l’extension des incompatibilités à des activités pouvant faire l’objet de suspicion. Elles ont aussi mis en place un mécanisme de contrôle dans ce domaine à travers la création d’une Commission dont c’était la mission. Ce système a été régulièrement amélioré, renforcé et complété par une suite de lois ayant toutes poursuivi le même objectif de transparence de la vie publique. Celles-ci, qui s’élèvent à une trentaine(2), ont fortement règlementé l’accès aux responsabilités publiques, les activités des élus et membres du gouvernement et autres responsables publiques, le financement de la vie politique et le lobbying. Elles ont défini, à ce titre, de nombreuses obligations et interdictions et organisé un contrôle effectif de leur respect. Ce contrôle a été principalement confié à une autorité administrative indépendante qui s’est substituée à la Commission pour la transparence financière de la vie publique(3). C’est la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) créée par la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique(4). La HATVP a été dotée d’importants pouvoirs pour remplir ses missions. Elle peut ainsi formuler des avis qui peuvent être publics, procéder à des vérifications et des auditions et délivrer des injonctions qui peuvent être publiques ou dont l’irrespect peut être assorti de sanctions pénales. La méconnaissance des interdictions et obligations prévues par la loi fait aussi l’objet de sanctions administratives et pénales afin d’en garantir l’efficacité. Ces sanctions ont été, à plusieurs reprises, soumises au contrôle du Conseil constitutionnel. Cela a été principalement le cas avec les lois n° 2013-906 et 2013-907 du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique et les lois n° 2017-1338 et n° 2017-1139 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie publique. Celles-ci ont fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité qui a donné lieu à quatre longues décisions du Conseil constitutionnel. D’autres décisions sont à prendre en compte qui ont aussi concerné les sanctions liées à la transparence de la vie publique. Il en ressort un régime propre de celle-ci qui réside dans leur double soumission aux principes généraux applicables aux sanctions administratives et pénales découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et au principe de la séparation des pouvoirs prévu par l’article 16 de cette même Déclaration.

I – Le contrôle du respect des principes généraux applicables aux sanctions administratives et pénales

La validité des sanctions applicables à la violation des interdictions et obligations liées à la transparence de la vie publique est d’abord liée à leur propre validité, c’est-à-dire à leur conformité aux principes constitutionnels. Cette question a été examinée, par exemple, par le Conseil constitutionnel dans sa décision 2013-675 DC du 9 octobre 2013 pour les déclarations d’intérêts et d’activités et les déclarations de situation patrimoniale des membres du Parlement. Il a ainsi estimé que cette obligation de déclaration a « pour objectif de renforcer les garanties de probité et d’intégrité de ces personnes, de prévention des conflits d’intérêts et de lutte contre ceux-ci (et) qu’elle est ainsi justifiée par un motif d’intérêt général »(5). Un motif comparable a été mis en avant par le Conseil dans sa décision 2017-752 DC du 8 septembre 2017 relative à l’interdiction pour les ministres de recruter un membre de leur famille proche comme collaborateur au sein de leur cabinet. Le Conseil constitutionnel a considéré que cette interdiction visait « à accroître la confiance des citoyens dans l’action publique en renforçant les garanties de probité des responsables publics et en limitant les situations de conflit d’intérêts et les risques de népotisme (ce qui est) un objectif d’intérêt général »(6). Il n’en découle pas cependant la validité de principe des interdictions et obligations prévues dans ce domaine par le législateur. Le Conseil constitutionnel a, par exemple, censuré l’obligation de déclaration des activités professionnelles exercées par leurs enfants et parents qui était imposée aux membres du Parlement par la loi organique du 9 octobre 2013. Il a considéré que cette obligation portait une atteinte au droit au respect de la vie privée qui ne pouvait pas être regardée comme proportionnée au but poursuivi(7). La censure d’une obligation ou d’une interdiction au motif de son caractère contraire à un principe constitutionnel se répercute, par hypothèse, sur sa sanction, laquelle disparaît avec elle.

Ce contrôle de constitutionnalité ne s’exerce pas cependant sur les sanctions associées à la transparence de la vie publique puisqu’il porte sur les obligations et interdictions prévues par la loi dans ce domaine, lesquelles sont examinées indépendamment de la sanction dont elles font l’objet. Le contrôle direct de ces sanctions s’observe quand il s’applique à celles-ci en elles-mêmes. Il varie selon la nature de la sanction en cause. Il convient, sur ce point de distinguer entre les sanctions n’ayant pas le caractère d’une punition et celles ayant au contraire ce caractère. Car seules celles-ci sont soumises à l’article 8 de la Déclaration de 1788. Il s’ensuit que les sanctions n’ayant pas le caractère de punition font en l’objet d’un contrôle moindre, puisqu’il n’intègre pas les principes de la légalité des délits des peines et de la proportionnalité de l’individualisation des peines qui résultent de l’article 8 de la Déclaration de 1789(8). Or, ce sont ces principes que le Conseil constitutionnel a principalement sanctionnés dans son contrôle des sanctions administratives et pénales liées à la transparence de la vie publique. C’est donc par rapport à ces principes qu’il convient d’examiner le contrôle du Conseil constitutionnel sur ces sanctions.

A - Le contrôle du respect du principe de la légalité des délits et des peines

Le principe de la légalité des délits et des peines s’entend, d’une part, formellement au sens où il exprime une exigence de définition législative des délits et des peines. Cette exigence ne concerne que les sanctions pénales en application de l’article 34 de la Constitution. Elle ne s’applique donc pas aux sanctions administratives associées à la transparence de vie publique sans qu’il importe qu’elles aient le caractère d’une punition. Elle concerne en revanche les sanctions pénales attachées à la violation d’une interdiction ou obligation relevant de la transparence de la vie publique du seul fait qu’elles ont cette nature pénale. Le Conseil constitutionnel a ainsi censuré l’institution de délits réprimant la méconnaissance d’obligations dont le contenu n’était pas défini par la loi, mais par le bureau de chaque assemblée parlementaire(9). Il a considéré que ces délits méconnaissaient le principe de la légalité des délits et des peines. À l’inverse, le Conseil constitutionnel a rejeté le grief d’atteinte au principe de la légalité s’agissant de l’institution d’un délit réprimant la méconnaissance par une personne d’une injonction qui lui est adressée par une autorité administrative(10). Car cette injonction est bien définie par le législateur, l’autorité administrative ayant seulement le pouvoir de la mettre en œuvre.

Le principe de la légalité s’entend, d’autre part, substantiellement au sens où il exige une définition précise des infractions. L’exigence est fondée par le Conseil constitutionnel sur l’article 8 de la Déclaration de 1789. Elle ne s’applique pas seulement aux sanctions pénales pour concerner l’ensemble des sanctions ayant le caractère d’une punition(11). Concernant les sanctions associées à la transparence de la vie publique, cette exigence de précision s’applique aux interdictions et obligations sanctionnées comme à l’acte caractérisant leur violation. S’agissant des interdictions et obligations, le Conseil constitutionnel a ainsi censuré l’obligation faite aux membres du Parlement de renseigner dans la déclaration d’intérêts et d’activités leurs « autres liens susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts » au motif qu’elle méconnaissait le principe de la légalité puisqu’elle ne donnait pas d’indication « sur la nature de ces liens et les relations entretenues par le déclarant avec d’autres personnes qu’il conviendrait de mentionner »(12). En l’occurrence, cette obligation de déclaration a été déclarée inconstitutionnelle, puisque sa violation faisait l’objet d’une sanction, de sorte que sa prévision requérait une précision qu’elle n’avait pas. Concernant l’acte caractérisant la violation d’une obligation ou interdiction, le Conseil constitutionnel a examiné le délit punissant le fait d’omettre sciemment de déclarer une part substantielle de son patrimoine prévu par l’article 5-1 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 dans le cadre d’une QPC contestant que sa définition fût conforme au principe de la légalité des délits et des peines(13). Celle-ci faisait valoir que la notion de « part substantielle » du patrimoine ne répondait à aucune définition précise et ne permettait donc pas de déterminer l’élément constitutif de l’infraction. Le Conseil constitutionnel a rejeté cette argumentation au motif que ces dispositions réprimaient les seules omissions significatives au regard du montant omis ou de son importance dans le patrimoine considéré, de sorte que ces termes ne revêtent pas un caractère équivoque et sont suffisamment précis pour garantir contre le risque d’arbitraire(14).

B - Le contrôle du respect des principes de proportionnalité et d’individualisation des peines

Découlant de l’article 8 de la Déclaration de 1789 à l’instar de l’exigence de définition précise des infractions, les principes de proportionnalité et d’individualisation des peines ne sont pas propres aux sanctions pénales pour s’appliquer à l’ensemble des sanctions ayant le caractère d’une punition(15).

L’exigence de proportionnalité conduit à apprécier les sanctions applicables à la violation des interdictions et obligations associées à la transparence de la vie publique. Elle a notamment été prise en compte pour examiner la sanction d’inéligibilité qui est prévue pour certaines de ces violations. Le Conseil constitutionnel a ainsi considéré que l’institution d’une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité pour les personnes coupables de crimes et pour les personnes coupables des délits déterminés par l’article 131-26-2 était justifiée par le souci de renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants(16). Il a en ce sens relevé que les délits concernés étaient d’une particulière gravité ou révélaient des manquements à l’exigence de probité ou portaient atteinte à la confiance publique ou au bon fonctionnement du système électoral, ce qui justifiait qu’ils fissent l’objet de cette peine. Il a cependant exclu les délits de presse auxquels cette peine était applicable au motif qu’il en résultait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression(17). Le Conseil constitutionnel a, sur cette question, fait un arbitrage entre l’objectif de renforcement de l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et de renforcement de la confiance des électeurs dans leurs représentants qui justifient l’institution d’une peine obligatoire d’inéligibilité pour certaines infractions et la liberté d’expression dont il a estimé qu’elle « revêt une importance particulière dans le débat politique et dans les campagnes électorales »(18). Cet arbitrage l’a conduit à écarter cette peine pour les délits de presse pour lesquels elle avait été prévue. Le Conseil constitutionnel a pareillement pris en compte cette exigence de proportionnalité pour valider la sanction administrative d’inéligibilité que le Conseil constitutionnel peut prononcer à l’encontre d’un député ou d’un sénateur qui s’est abstenu de se mettre en conformité aux obligations de déclaration et paiement des impôts dont il est redevable(19). Il a considéré que cette sanction consistant à pouvoir déclarer le député ou le sénateur inéligible à toutes les élections pour une durée maximale de trois ans et démissionnaire d’office de son mandat n’était pas manifestement disproportionnée(20).

La même exigence de proportionnalité des peines a été la cause de l’absence d’application de l’interdiction ou de l’incapacité d’exercer une fonction publique en cas de prononcé d’une peine d’inéligibilité pour tous les délits pour lesquels cette peine est prévue. Le Conseil constitutionnel a en effet considéré que l’application de plein droit de cette interdiction et incapacité qui est prévue par l’article 131-26 du code pénal en cas de prononcé d’une peine d’inéligibilité méconnaîtrait le principe de proportionnalité des peines si elle était appliquée aux délits pour lesquels cette peine d’inéligibilité est prévue(21). Il s’ensuit que l’interdiction et l’incapacité d’exercer une fonction publique, qui est une sanction découlant par principe d’une peine d’inéligibilité, ne s’appliquent pas aux peines d’inéligibilité prononcées pour les délits pour lesquels la loi n° 2017-1139 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie publique a prévu l’application de cette peine.

L’exigence d’individualisation des peines requiert que les sanctions ayant le caractère d’une punition fassent l’objet d’un prononcé qui soit personnalisé par rapport à celui auquel elle est infligée. L’exigence a principalement pour conséquence d’interdire les peines automatiques. C’est ce que le Conseil constitutionnel a relevé pour la peine obligatoire d’inéligibilité prévue pour les crimes et des délits déterminés. Il a constaté que cette peine « doit être prononcée expressément par le juge, à qui il revient d’en moduler la durée » et que « le juge peut, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur, décider de ne pas prononcer cette peine complémentaire »(22). C’est ce même motif qui a conduit le Conseil à valider sa faculté de prononcer la démission d’office et l’inéligibilité pour une durée maximale de trois ans d’un membre du Parlement en cas de manquement à ses obligations fiscales. Le Conseil a relevé qu’il a la faculté de prononcer cette sanction en fonction de la gravité du manquement et qu’il lui appartient de tenir compte des circonstances de l’espèce dans le prononcé de cette inéligibilité, de sorte qu’elle ne méconnaît pas le principe d’individualisation des peines(23). Cette solution avait été rendue à l’identique pour la peine d’inéligibilité susceptible d’être prononcée à l’encontre d’un candidat à l’élection des conseillers régionaux n’ayant pas déposé son compte de campagne dans les conditions légales ou dont les comptes de campagne ont été rejetés. Le Conseil a en effet constaté que le juge peut tenir compte des circonstances de chaque espèce dans le prononcé de cette peine de sorte qu’elle ne méconnaît pas le principe d’individualisation des peines(24).

II – Le contrôle spécifique du respect du principe de la séparation des pouvoirs

La prévision de sanctions administratives et pénales liées à la transparence de la vie publique pose un problème spécifique de respect du principe de la séparation des pouvoirs quand elles portent sur des interdictions et obligations appliquées à des membres du gouvernement ou à des parlementaires. La question a été posée de la possibilité de prévoir des interdictions pénalement sanctionnées d’employer certaines personnes de la part des membres du gouvernement. Car cette interdiction les limite dans le choix de leurs collaborateurs. Le Conseil constitutionnel a néanmoins considéré que ces interdictions ne méconnaissaient pas le principe de la séparation des pouvoirs dès lors qu’elles ne portaient que « sur un nombre limité de personnes »(25). Aussi a-t-il conclu qu’elles ne privaient pas le ministre de son autonomie dans le choix de ses collaborateurs.

Une autre question a concerné l’octroi d’un pouvoir de sanction à la HATVP. Celui-ci conduit en effet une autorité administrative à s’immiscer dans les activités parlementaires ou gouvernementales. Le Conseil constitutionnel a certes estimé que le principe de séparation des pouvoirs ne s’opposait pas à la possibilité que la HATVP puisse exercer des sanctions dans ses missions(26). C’est ainsi qu’il admit que la HATVP puisse assortir la publication d’une déclaration de situation patrimoniale d’un député ou d’un sénateur d’une appréciation quant à son exhaustivité, son exactitude et sa sincérité ou puisse faire injonction à un député ou un sénateur de compléter sa déclaration patrimoniale ou de fournir des explications(27). Il a pareillement considéré que le principe de la séparation des pouvoirs ne faisait pas obstacle à ce qu’une autorité administrative indépendante se prononce sur les situations des collaborateurs du président de l’Assemblée nationale et du président du Sénat pouvant constituer un conflit d’intérêts et porte à la connaissance de ces présidents les éventuels manquements(28).

C’est en fait le pouvoir d’injonction de la HATVP qui a posé des difficultés au regard du principe de la séparation des pouvoirs. Celui-ci est en effet en mesure d’interférer avec l’activité gouvernementale ou parlementaire en fonction des sanctions dont il est assorti. Le Conseil constitutionnel a refusé, par exemple, que la méconnaissance d’une injonction de la HATVP aux députés et sénateurs puisse être pénalement sanctionnée quand elle vise leurs déclarations d’intérêts et d’activités(29). Il a en effet estimé que cette injonction était contraire au principe de la séparation des pouvoirs parce qu’elle interférait avec l’exercice du mandat parlementaire. Dans le même sens, le Conseil constitutionnel a considéré que les membres du gouvernement ne peuvent pas faire l’objet d’une injonction pénalement sanctionnée de mettre fin à une situation de conflit d’intérêts découlant de l’existence d’un lien familial avec un membre de leur cabinet(30). La censure constitutionnelle a été fondée sur les articles 8 et 20 de la Constitution selon lesquels le président de la République nomme les membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions et le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Le Conseil constitutionnel a considéré qu’il en découlait que la possibilité pour la HATVP d’adresser une injonction pénalement sanctionnée à un membre du Gouvernement la faisait s’immiscer dans l’activité gouvernementale, puisqu’elle contraignait le membre du Gouvernement destinataire de son injonction à démissionner ou à mettre fin à l’emploi de leur collaborateur pour mettre fin à la situation en cause. Il a aussi censuré cette injonction parce qu’elle pouvait déboucher sur une cessation de ses fonctions par un membre du Gouvernement alors que cette prérogative appartient au seul chef de l’État. La même solution de censure a été appliquée à une injonction pénalement sanctionnée susceptible d’être adressée aux maires d’une commune de Nouvelle-Calédonie ou de Polynésie française et à un président d’un groupement de communes de ces collectivités. Le Conseil constitutionnel a en effet estimé que cette injonction méconnaissait l’article 72, alinéa 3, de la Constitution selon lequel les collectivités territoriales s’administrent librement par des conseils élus(31). Une injonction qui n’est pénalement sanctionnée peut également être contraire au principe de la séparation des pouvoirs si elle requiert la cessation d’une situation concernant l’activité parlementaire. C’est ainsi que le Conseil constitutionnel a refusé que la HATVP puisse adresser une injonction aux collaborateurs du président de l’Assemblée nationale et du président du Sénat de mettre fin à une situation de conflit d’intérêts au motif qu’ils relèvent de la seule autorité de ces deux présidents(32). Aussi a-t-il considéré que cette injonction était contraire au principe de la séparation des pouvoirs.

En revanche, une injonction dont l’irrespect n’est pas en lui-même sanctionné est compatible avec la séparation de pouvoirs. C’est ainsi que le Conseil a validé l’injonction que la HATVP peut adresser aux députés et sénateurs afin qu’ils complètent leur déclaration ou apportent les explications nécessaires(33). Cette validité s’explique précisément par l’absence de sanction attachée à l’irrespect de cette injonction. La HATVP peut certes saisir le parquet des manquements constatés. Mais cette saisine ne donne pas lieu à une sanction en elle-même du pouvoir d’injonction de la HATVP, puisque les poursuites susceptibles d’en résulter portent sur les manquements commis par les députés et sénateurs dans leur déclaration et non pas sur l’irrespect de l’injonction dont ils ont été destinataires.

La nature d’autorité administrative de la HATVP en limite donc le pouvoir de sanction à l’égard des membres du gouvernement et des parlementaires puisqu’elle interdit que ce pouvoir puisse interférer dans l’exercice des activités gouvernementales et parlementaires. Celui-ci se réduit donc à pouvoir rendre publique son appréciation sur une déclaration ou à délivrer une injonction qui n’est pas sanctionnée en elle-même. Le Conseil constitutionnel a en ce sens validé ces sanctions en ayant relevé qu’elles ne constituaient pas des sanctions ayant le caractère d’une punition(34). Cela pourrait être la condition de validité du pouvoir de sanction de la HATVP, lequel tiendrait à ce qu’il n’ait pas le caractère d’une punition, ce qui garantirait qu’il n’interfère pas dans l’exercice de l’activité gouvernementale ou parlementaire. Un pouvoir d’injonction a d’ailleurs été validé pour le bureau ou l’organe chargé de la déontologie parlementaire de chaque assemblée relativement à l’obligation des députés et sénateurs de leur déclarer les membres de leur famille qu’ils emploient. Le Conseil constitutionnel a relevé que le statut et les règles de fonctionnement de cet organe sont déterminés par chaque assemblée, de sorte que son pouvoir d’adresser des injonctions aux députés et sénateurs afin qu’ils mettent fin à un manquement aux règles de déontologie n’est pas contraire au principe de séparation de pouvoirs(35). Il a aussi relevé que ce pouvoir d’injonction n’est pas pénalement réprimé, ce qui donne à penser que sa pénalisation aurait pu conduire à le censurer parce qu’il en aurait résulté une immixtion excessive dans l’activité parlementaire. Car ce bureau ou cet organe a une nature administrative. Son pouvoir d’adresser des injonctions aux parlementaires est lié à la détermination de son statut et de son fonctionnement par chaque assemblée. Mais il convient sans doute que ce pouvoir ne puisse pas par lui-même être la source d’une sanction pénale à l’encontre des parlementaires.

(1) Loi organique n° 88-226  ; la loi n° 88-227.
(2) Rapport Sénat, 2016-2017, n° 607 par. P. Bas, p. 14.
(3) Cette dénomination de la Commission chargée de recevoir les déclarations des membres du gouvernement, des élus et d’autres responsables publiques est due à la loi n° 95-126 du 8 février 1995 (art. 3).
(4) JO du 12 oct. 2013, p. 16829, texte n° 2.
(5) Cons. const., 2013-675 DC, 9 oct. 2013, cons. 28. V. aussi, pour les déclarations imposées à d’autres responsables publiques, Cons. const., 2013-676 DC, cons. 14.
(6) Cons. const., 2017-752 DC, 8 sept. 2017, cons. 35.
(7) Cons. const., 2013-675 DC, 9 oct. 2013, cons. 29.
(8) V. par exemple, Cons. const., 2011-117 QPC, 8 avr. 2011, cons. 10.
(9) Cons. const. n° 2016-741 DC, 8 déc. 2016, cons. 36.
(10) Cons. const., 2013-676 DC, 9 oct. 2013, cons. 57.
(11) Cons. const., 2017-753 DC, 8 sept. 2017, cons. 17.
(12) Cons. const., 2013-675 DC, 9 oct. 2013, cons. 28.
(13) Cons. const., 2017-639 QPC, 23 juin 2017.
(14) Cons. const., 2017-639 QPC, 23 juin 2017, cons. 6.
(15) Cons. const., 2017-753 DC, 8 sept. 2017, cons. 17.
(16) Cons. const., 2017-752 DC, 8 sept. 2017, cons. 8.
(17) Cons. const., 2017-752 DC, 8 sept. 2017, cons. 13.
(18) Cons. const., 2017-752 DC, 8 sept. 2017, cons. 13.
(19) Cons. const., 2017-753 DC, 8 sept. 2017, cons. 15.
(20) Cons. const., 2017-753 DC, 8 sept. 2017, cons. 18.
(21) Cons. const., 2017-752 DC, 8 sept. 2017, cons. 11.
(22) Cons. const., 2017-752 DC, 8 sept. 2017, cons. 9.
(23) Cons. const., 2017-753 DC, 8 sept. 2017, cons. 18.
(24) Cons. const., 2011-117 QPC, 8 avr. 2011, cons. 11.
(25) Cons. const., 2017-752 DC, 8 sept. 2017, cons. 30.
(26) Cons. const., 2013-675 DC, 9 oct. 2013, cons. 38.
(27) Cons. const., 2013-675 DC, 9 oct. 2013, cons. 40.
(28) Cons. const., 2013-676 DC, 9 oct. 2013, cons. 45.
(29) Cons. const., 2013-675 DC, 9 oct. 2013, cons. 39.
(30) Cons. const., 2017-752 DC, 8 sept. 2017, cons. 32.
(31) Cons. const., 2017-752 DC, 8 sept. 2017, cons. 44.
(32) Cons. const., 2013-676 DC, 9 oct. 2013, cons. 45.
(33) Cons. const., 2013-675 DC, 9 oct. 2013, cons. 38.
(34) Cons. const., 2013-675 DC, 9 oct. 2013, cons. 40.
(35) Cons. const., 2017-752 DC, 8 sept. 2017, cons. 40.