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Le contrôle de constitutionnalité, l'expérience espagnole

Maria Emilia CASAS BAAMONDE - Présidente du Tribunal constitutionnel espagnol

Cahiers du Conseil constitutionnel, hors série - Colloque du Cinquantenaire, 3 novembre 2009

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel de France,
Messieurs les membres du Conseil constitutionnel de France,
Messieurs les Présidents des Cours constitutionnelles d'Allemagne et d'Italie,
Senior Law Lord de la Chambre des Lords,
Mesdames et Messieurs,

Je souhaiterais en premier lieu adresser mes félicitations et témoigner de ma reconnaissance au Conseil constitutionnel de France et à son Président, M. Debré. Félicitations d'une part, pour ce demi-siècle d'existence, reconnaissance d'autre part, pour l'organisation si réussie d'un colloque sur le Conseil et son histoire ainsi que sur le rôle général de la juridiction constitutionnelle en Europe, et pour son invitation à venir vous faire part, à l'occasion de celui-ci, de l'expérience espagnole.

Vous n'êtes pas sans savoir que l'Espagne va célébrer, dans quelques semaines, le 30e anniversaire de sa Constitution, constitution qui, pendant cette période, a consolidé ce pays comme un État social et démocratique, et par ailleurs constitutionnel, de Droit. Entendons bien ici non pas un État libéral de Droit, mais un État constitutionnel de droit, ce qui implique l'existence d'une constitution normative comme norme suprême qui s'impose à tous les pouvoirs publics et aux citoyens (article 9.1 de la Constitution espagnole).

L'une des nouveautés institutionnelles de la Constitution espagnole de 1978, c'est précisément la création d'un Tribunal constitutionnel en tant qu'organe juridictionnel, selon le modèle européen continental de juridiction constitutionnelle né des postulats de Kelsen. La régulation du Tribunal constitutionnel espagnol relève du titre IX de la Constitution, en tant qu'organe différencié et séparé du « pouvoir judiciaire », auquel la Constitution consacre le titre VI. La Constitution configure donc le Tribunal constitutionnel comme un organe juridictionnel exerçant sa « juridiction » (article 161.1 de la Constitution espagnole) pour défendre la Constitution contre les « lois et les dispositions normatives ayant force de loi » et les actes émanant des pouvoirs publics y compris le pouvoir judiciaire, et des citoyens, selon les termes que j'indiquerai dans la suite de cette communication. La loi organique régulant le Tribunal constitutionnel (LO 2/1979 du 3 octobre 1979) est venue compléter l'article 165 de la Constitution. Le modèle espagnol de juridiction constitutionnelle s'inspire des modèles autrichien, allemand et italien qui l'ont précédé dans le temps.

L'Espagne a déjà connu, pendant une période malheureusement brève et convulsive, un organe de contrôle de constitutionnalité, appelé Tribunal de garanties constitutionnelles, qui est à peine parvenu à fonctionner durant la IIe République et la Guerre civile espagnole.

Toutefois notre modèle, et je souhaiterais insister sur ce point, n'est en aucun cas une continuation d'une telle expérience, contestée aussi bien en raison de sa régulation que de son fonctionnement, mais une concrétisation, avec ses particularités et ses singularités, du modèle kelsénien avancé ou développé.

Il incombe au Tribunal constitutionnel, selon les termes de sa décision 76/1983 du 5 août 1983, de « veiller à la distinction permanente entre l'objectivation du pouvoir constituant et l'action des pouvoirs constitués, lesquels ne peuvent en aucun cas dépasser les limites et les compétences établies par le premier. »

Le Tribunal constitutionnel est un organe constitutionnel indépendant des autres organes constitutionnels, conformément à l'article 1er de la loi organique susmentionnée. Il est l'« interprète souverain de la Constitution », et il n'est soumis qu'à cette dernière et à ladite loi organique.

Il est donc nettement défini comme organe juridictionnel qui tranche les conflits dont il a la compétence suivant des critères juridiques et non pas des critères reposant sur l'opportunité politique.

Le Tribunal constitutionnel, en tant que sommet du système constitutionnel et de l'État de Droit, selon l'expression utilisée par le Roi d'Espagne lors de la cérémonie de constitution du Tribunal le 12 juillet 1980, est « le sommet irremplaçable de notre État de Droit ». La Constitution lui a attribué un ensemble de fonctions que je vais vous exposer schématiquement ici pour me concentrer ensuite sur le contrôle de constitutionnalité de la loi. En vertu de l'article 161.1 de la Constitution, le Tribunal constitutionnel espagnol connaît :

- du recours d'inconstitutionnalité contre les lois et les dispositions normatives ayant force de loi ;

- du recours en protection, pour violation par les pouvoirs publics, des droits fondamentaux et des libertés publiques visées à l'article 53.2 de la Constitution espagnole ;

- des conflits de compétence entre l'État espagnol et les Communautés autonomes ou de celles-ci entre elles ;

- des autres matières qui lui sont attribuées par la Constitution ou par les lois organiques : parmi les attributions de la Constitution, citons notamment les questions d'inconstitutionnalité, la contestation par le gouvernement des dispositions ou décisions prises par les organes des Communautés autonomes entraînant une suspension de la disposition ou décision attaquée, ainsi que le contrôle a priori de la constitutionnalité des traités internationaux (articles 161.2, 163 et 95.2 de la Constitution) et parmi les attributions de la loi organique 2/1979 (modifiée à ce titre par la loi organique 7/1999 du 21 avril 1999), le contrôle a posteriori des traités internationaux, les conflits entre organes constitutionnels de l'État, la question intitulée « autoquestion d'inconstitutionnalité » et les conflits en défense de l'autonomie locale.

La Constitution a ordonné, dans son article 164, la publication au Journal officiel espagnol, de toutes les décisions rendues par le Tribunal constitutionnel et pas uniquement des décisions en déclaration d'inconstitutionnalité de lois ou de normes ayant force de loi, lesquelles ont par ailleurs plein effet pour tous, et ce pour mettre en évidence l'importance de la doctrine d'interprétation de la Constitution contenue dans toutes les décisions du Tribunal constitutionnel.

Avant d'analyser concrètement le contrôle de constitutionnalité de la loi dans le modèle constitutionnel espagnol, sur lequel je vais revenir plus en détail, il convient de dresser un bilan général de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel dans les domaines où elle a été la plus déterminante, c'est-à-dire les domaines afférents d'une part, à la définition du contenu essentiel des droits fondamentaux et des libertés publiques des personnes et à leur protection et d'autre part, à la détermination de la structure territoriale décentralisée de l'État, c'est-à-dire la construction de ce que l'on est venu appeler en Espagne l'« État des Autonomies ».

Dans le domaine des conflits territoriaux, en ce qui concerne l'institutionnalisation et le développement de l'État des autonomies, c'est un lieu commun de reconnaître le rôle essentiel joué par le Tribunal constitutionnel dans l'interprétation du titre VIII de la Constitution espagnole, des Statuts d'autonomie des Communautés autonomes et autres lois promulguées pour délimiter les compétences de l'État et des Communautés autonomes ou pour réglementer ou harmoniser l'exercice des compétences de ces Communautés autonomes. Nous pouvons donc mettre en doute qu'à l'heure actuelle et précisément à cause de la jurisprudence créée par le Tribunal constitutionnel depuis ses débuts, l'on puisse encore parler de déconstitutionnalisation de la forme territoriale de l'État, comme l'a souvent fait par le passé une certaine doctrine scientifique. Cela étant, tous les pouvoirs publics sont assujettis à cette constitution territoriale interprétée par la jurisprudence du Tribunal constitutionnel.

La contribution du Tribunal constitutionnel à la définition constitutionnelle de l'État a été décisive notamment en raison du caractère de la régulation constitutionnelle relevant du titre VIII, particulièrement souple eu égard à l'organisation de la répartition de compétences et de matières entre l'État et les Communautés autonomes, lesquelles ont assumé des compétences « s'inscrivant dans le cadre défini dans la Constitution » par le biais de leurs Statuts d'autonomie respectifs (article 147.2.d) de la Constitution espagnole). Ainsi, le Tribunal constitutionnel s'est vu obligé de jouer un rôle d'interprétation, supérieur pour certains à celui joué par d'autres cours constitutionnelles dans des systèmes également fondés sur la décentralisation politique territoriale, via la délimitation et précision des domaines de compétence de l'État et des Communautés autonomes, des matières auxquelles ont trait ces compétences respectives, ainsi que des techniques d'organisation des relations entre les différents niveaux de notre État « composé ».

En ce qui concerne les droits fondamentaux et les libertés publiques des personnes, il faut souligner que la jurisprudence du Tribunal (fondée non seulement sur l'exercice de sa juridiction de protection, mais aussi sur le contrôle de la loi, la plupart du temps à partir des questions d'inconstitutionnalité pour lesquelles il est saisi par les juridictions judiciaires) affiche très nettement un engagement formel pris par ce Tribunal en défense des droits fondamentaux, dont la garantie occupe une position primordiale dans l'État social et démocratique de Droit. Dans la Constitution espagnole, le système de droits fondamentaux visé au Titre I, Chapitre II, repose sur « la dignité de la personne » et « le développement libre de la personnalité », qui sont à leur tour « fondement de l'ordre politique et de la paix sociale » (article 10.1). C'est ce qu'a indiqué dès ses débuts le Tribunal constitutionnel lorsqu'il affirmait le « double caractère des droits fondamentaux ». Dans sa décision 25/1981 du 14 juillet 1981, le Tribunal constitutionnel disposait ce qui suit :

« En premier lieu, les droits fondamentaux sont les droits subjectifs, droits des individus non seulement en tant que droits des citoyens au sens strict, mais également dans la mesure où ils garantissent un status juridique ou la liberté d'un domaine de l'existence. Ils sont par ailleurs des éléments essentiels d'un ordonnancement objectif de la communauté nationale, dans la mesure où celle-ci se présente comme le cadre d'une cohabitation humaine juste et pacifique, concrétisée··· dans··· l'État social et démocratique de Droit, d'après la formule consacrée dans notre Constitution » (article 1.1).

C'est pourquoi, pour la plupart des citoyens espagnols, il ne saurait être question de droits fondamentaux sans faire allusion au Tribunal constitutionnel. Sa doctrine est sans aucun doute à la base, aussi bien d'une appréciation positive que les citoyens font de cette institution, que, de surcroît, d'une demande accrue et permanente de justice constitutionnelle reçue par ce tribunal.

L'alinéa 2 de l'article 10 de la Constitution espagnole établit le lien entre notre système de droits fondamentaux et de libertés et la Déclaration universelle des droits de l'homme et les conventions et traités internationaux relatifs à ces mêmes droits ratifiés par l'Espagne, instruments internationaux qui ont, par ailleurs, directement inspiré la Constitution. Le constituant exprime ainsi la volonté de la nation espagnole de se joindre à l'ordre international de valeurs que les droits fondamentaux, leur protection et leur défense représentent.

Sans conférer un statut constitutionnel aux droits et libertés proclamés dans les textes internationaux, avec les conséquences que cela implique pour le système de justice constitutionnel (à savoir le fait que leur violation présumée ne peut être le fondement isolé d'une quelconque prétention par devant la juridiction constitutionnelle espagnole, qu'elle soit en inconstitutionnalité ou en protection), le précepte constitutionnel rend obligatoire l'interprétation des préceptes de la Constitution relatifs aux droits fondamentaux en vertu des textes internationaux. En conséquence, comme l'indique le Tribunal constitutionnel, le contenu des droits proclamés au niveau international devient « d'une certaine manière » le contenu constitutionnellement déclaré des droits et libertés du Chapitre II. Outre la superposition substantielle des ordres de reconnaissance des droits, ordre international et ordre constitutionnel, il convient de souligner l'influence certaine des traités et des accords internationaux, ainsi que de l'interprétation effectuée par leurs propres organes de garantie, dans la détermination du sens des droits fondamentaux et des libertés constitutionnelles par le Tribunal constitutionnel. D'aucuns savent que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a exercé une influence de premier ordre sur la jurisprudence du Tribunal constitutionnel au point de motiver dans certains cas la modification de son interprétation constitutionnelle de départ (dans la définition des droits à un procès avec toutes les garanties, notamment la garantie de l'immédiateté dans le procès pénal et sans retards indus, du secret des communications ou de la liberté d'expression visés aux articles 24.2, 18.3 et 20.1.a de la Constitution pour citer des exemples significatifs), sans évoquer pour l'instant le problème des effets « obligatoires » et « contraignants » des arrêts de la Cour européenne déclarant la violation d'un droit reconnu par la Convention européenne des droits de l'homme dans l'ordre interne (Décisions 245/1991 du 16 décembre 1991, 240/2005 du 10 octobre 2005, 313/2005 du 12 décembre 2005 et 197/2006 du 3 juillet 2006). La jurisprudence constitutionnelle a également suivi les critères du Comité des droits de l'homme des Nations Unies (eu égard au droit à la révision judiciaire d'une condamnation pénale ou « droit à la double instance pénale »).

L'article 10.2 a également fait entrer, dans l'interprétation de la Constitution, le droit communautaire et la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (laquelle a fait des droits fondamentaux reconnus dans les traditions constitutionnelles communes des États membres et dans la Convention européenne des droits de l'homme des principes généraux du droit communautaire), même si d'une part, les traités constitutifs de la Communauté européenne et de l'Union européenne n'incorporent pas encore une déclaration de droits fondamentaux et, d'autre part, les normes du droit dit « dérivé » ne sont pas des traités ou des conventions internationales. Le traité de Lisbonne inclura cette déclaration lorsqu'il reconnaîtra la même valeur des traités à la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne de Nice de 2000, adaptée à Strasbourg en 2007. La superposition de notre Constitution et du domaine des droits reconnus dans la Constitution européenne non nata, ou pour être plus précis, dans le traité peu réussi instituant une Constitution pour l'Europe, a été reconnue par le Tribunal constitutionnel dans sa Déclaration 1/2004 du 13 décembre 2004. Celui-ci y opposait précisément la garantie des droits fondamentaux reconnus dans notre Constitution comme l'une des limites de la cession à une organisation internationale comme l'Union européenne de l'exercice de compétences dérivant de la Constitution à travers son article 93 et de l'intégration subséquente de l'ordonnancement communautaire dans le nôtre. La marque de l'efficacité interprétative du droit et la jurisprudence communautaires est également visible dans la jurisprudence constitutionnelle (dans la définition du droit à l'interdiction de discriminations de l'article 14 de la Constitution, notamment pour des discriminations de genre liées au sexe féminin, pour recourir à un exemple bien connu).

Il faut ajouter que par le biais du recours en protection des droits fondamentaux et des libertés publiques, le Tribunal a constitutionnalisé, outre la vie publique, la vie privée. Ainsi, il a étendu la défense et la protection des droits fondamentaux aux relations entre particuliers à travers la décision interposée d'un pouvoir public, normalement le pouvoir judiciaire (c'est habituellement le cas dans les conflits sur la libre expression et l'information et l'honneur, de même que dans le domaine des relations du travail).

Il est donc de justice de souligner la valeur considérable de l'œuvre du Tribunal constitutionnel, réalisée avec une intensité constante depuis ses débuts. Celle-ci met en évidence la très grande capacité d'interprétation de la Constitution vis-à-vis de problématiques récentes (telles que celles apparues suite aux incidences des nouvelles technologies ou à l'irruption massive de l'immigration, pour faire ainsi allusion à deux phénomènes importants actuellement).

Venons-en à présent au contrôle de constitutionnalité de la loi. Par le biais des recours en inconstitutionnalité contre certaines lois, des questions et « autoquestions » d'inconstitutionnalité, du contrôle a priori des traités internationaux et, le cas échéant, des conflits de défense de l'autonomie locale, le Tribunal constitutionnel détient ce que l'on connaît comme le « monopole de rejet des normes ayant force de loi » dans la mesure où c'est le seul pouvoir autorisé à déclarer une loi inconstitutionnelle et à l'exclure de l'ordonnancement juridique. Selon les termes de l'article 27.1 de la loi organique régulant le Tribunal constitutionnel, par le biais des procédures de déclaration d'inconstitutionnalité, « le Tribunal constitutionnel garantit la primauté de la Constitution et prononce la conformité ou non-conformité à la Constitution des lois, dispositions ou décisions contestées ».

En Espagne, sont susceptibles d'être déclarés inconstitutionnels les lois organiques (y compris les Statuts d'autonomie), les lois ordinaires, dispositions normatives et décisions de l'Etat ayant force de loi, les décrets-lois (rendus provisoirement par le gouvernement en cas de besoin extraordinaire et urgent), les décrets législatifs (dans le cadre d'une délégation législative, ceux-ci contenant la législation déléguée par le Parlement), les traités internationaux, les règlements des chambres parlementaires et les normes équivalentes des Communautés autonomes.

Exclusion est faite des normes du droit communautaire, quelle qu'en soit la nature, y compris celles d'application directe qui priment sur la législation interne. C'est ce qui ressort de la décision du Tribunal constitutionnel STC 64/1991 du 22 mars 1991 :

« (...) il ne revient pas au Tribunal constitutionnel de contrôler la conformité de l'activité des pouvoirs publics nationaux au droit communautaire européen. Ce contrôle est dévolu aux juridictions ordinaires, dans la mesure où elles appliquent l'ordonnancement communautaire, et le cas échéant, à la Cour de justice des Communautés européennes par le biais du recours en manquement (article 170 TCEE). La mission de garantir une stricte application du droit communautaire européen par les pouvoirs publics nationaux constitue donc une question à caractère infra constitutionnel, par conséquent exclue, aussi bien de la procédure de protection de certains droits fondamentaux que des autres procédures constitutionnelles. »

La Déclaration du Tribunal constitutionnel sur la constitutionnalité du traité établissant une Constitution pour l'Europe (DTC 1/2004, du 13 décembre) bâtit une théorie des contre-limites (controlimiti), à l'instar d'autres tribunaux constitutionnels européens :

« Dans le cas difficilement concevable où dans le cadre de la dynamique ultérieure du Droit de l'Union européenne, ce Droit s'avérerait inconciliable avec la Constitution espagnole, sans que les procédures ordinaires que celle-ci prévoit ne parent aux éventuels excès du Droit européen vis-à-vis de la Constitution elle-même, la conservation de la souveraineté du peuple espagnol et de la suprématie de la Constitution dont celui-ci s'est doté pourrait finalement amener ce Tribunal à aborder les problèmes ainsi suscités, réputés inexistants depuis la perspective actuelle, par le biais des procédures constitutionnelles pertinentes, et ce en dehors du fait que la sauvegarde de la souveraineté susvisée soit en fin de compte assurée par l'article I-60 du Traité, véritable contrepoint de son article I-6, et qui permet de définir dans sa vraie dimension la primauté proclamée dans ce dernier, incapable de se superposer à l'exercice d'une renonciation, réservée à la volonté souveraine, suprême, des États membres. »

En tant qu'interprète suprême de la Constitution, même si ce n'est pas l'unique, il incombe au Tribunal, selon les termes de sa décision STC 74/1984 du 27 juin 1984, d'être « l'interprète et le gardien de la Constitution, mais pas du reste de l'ordonnancement juridique ».

Toutefois cette séparation traditionnelle entre « constitutionnalité » et « simple légalité » a été nuancée par la jurisprudence constitutionnelle, concrètement dans la décision du Tribunal constitutionnel STC 50/1980 du 5 avril 1980, qui établit :

« La distinction entre la juridiction constitutionnelle et la juridiction ordinaire ne saurait être établie, comme c'est parfois le cas, en associant la première au « plan de la constitutionnalité » et la seconde à celui de la « simple légalité », car l'unité de l'ordonnancement et la suprématie de la Constitution ne sauraient tolérer que ces deux plans soient considérés comme des univers distincts et sans possibilité d'interaction. En effet, la juridiction ordinaire ne peut pas, dans son interprétation et application de la loi, bouder l'existence de la Constitution. La juridiction constitutionnelle quant à elle ne peut pas faire abstraction de l'analyse critique de l'application que la juridiction ordinaire fait de la loi, alors qu'une telle analyse est nécessaire pour déterminer si l'un des droits fondamentaux ou libertés publiques dont la sauvegarde lui est confiée a été violé. »

En tout état de cause, le contrôle de constitutionnalité exercé par le Tribunal constitutionnel ne se borne pas exclusivement au texte constitutionnel, mais il englobe également ce qui est appelé « bloc de constitutionnalité », lequel comprend, suivant la LOTC (article 28), l'ensemble des lois de répartition de compétences entre l'État et les Communautés autonomes et la clause de réserve de loi organique.

Cela implique pour le Tribunal constitutionnel d'être aussi le garant du respect des Statuts d'autonomie, en tant que lois organiques, par les lois des Communautés autonomes et de l'État.

Ainsi, la décision du Tribunal constitutionnel (STC 179/1989 du 2 novembre 1989) établit : « (...) la violation des dispositions du Statut par une autre norme autonomique impliquerait, d'après l'article 28.2 de la LOTC, l'inconstitutionnalité de cette dernière. »

Les traités internationaux souscrits par l'Espagne constituent de nouveau un cas particulier. S'ils portent sur les droits fondamentaux et les libertés publiques reconnus par la Constitution, celle-ci leur reconnaît l'efficacité d'interprétation qualitative des préceptes constitutionnels (article 10.2 de la Constitution) mais en aucun cas un caractère constitutionnel.

Un aspect déterminant des modèles différents de contrôle de constitutionnalité, c'est le moment auquel ce contrôle est exercé. On distingue traditionnellement des modèles de contrôle a priori et des modèles de contrôle a posteriori, critère qui permet aussi de différencier les modèles auxquels correspondent le Conseil constitutionnel français et les tribunaux ou cours constitutionnelles.

Dans le modèle espagnol, le contrôle de constitutionnalité porte sur les lois approuvées par le Parlement, sanctionnées et promulguées par le Roi et publiées, par conséquent, a posteriori. De cette manière, l'article 31 de la loi organique régulant le Tribunal constitutionnel détermine que le recours en inconstitutionnalité peut être formulé « à compter de la publication officielle » de la loi, disposition normative ou décision ayant force de loi qui en constitue l'objet. Cependant, la rédaction initiale de la LOTC (2/1979) prévoyait également le recours préalable d'inconstitutionnalité contre des projets de statuts d'autonomie et de lois organiques dans leur version définitive, dont la formation avait pour effet immédiat une suspension automatique de ces projets tant que le contrôle de constitutionnalité n'était pas réalisé. Le recours préalable a été aboli par la réforme de la loi organique susmentionnée opérée par la LO 4/1985. L'exposition des motifs de cette réforme argumentait que le recours préalable était « un facteur de distorsion de la pureté de la relation des pouvoirs constitutionnels de l'État, ayant des conséquences inopinées et métaconstitutionnelles pour la dernière phase de la procédure de formation de la loi. L'État conformé dans la Constitution est fondé sur un équilibre de pouvoirs (...) et la conformation du recours préalable d'inconstitutionnalité peut représenter une grave fissure de ce système de relations ainsi équilibré. »

Pour bien comprendre cette réforme de la loi, il conviendrait d'ajouter que la pratique parlementaire avait mis en évidence en quelques trois ans seulement que l'opposition politique, habilitée pour former un recours en inconstitutionnalité avec « seulement » 50 députés ou sénateurs, aurait pu abuser du recours préalable, qui serait ainsi devenu un vrai cas d'obstruction parlementaire exercé par la minorité parlementaire à l'encontre de la majorité parlementaire.

Le Tribunal constitutionnel a eu à se prononcer sur cette même réforme de la loi le régulant dans sa décision STC 66/1985 du 23 mai 1985, qu'il a déclarée conforme à la Constitution, en affirmant :

« Il est évident que les actes ou les normes émanant de pouvoirs légitimes bénéficient d'une présomption de légitimité qui, même si elle peut être remise en question par ceux qui estiment leurs droits enfreints par les actes ou les normes en question, oblige à considérer le caractère exceptionnel de la possibilité d'en suspendre l'effet ou le caractère exécutoire. Cette présomption est par ailleurs d'autant plus ferme que le lien de l'organe avec la volonté populaire est direct. C'est pourquoi elle parvient à son plus haut degré chez le législateur, qui a précisément cette qualité, étant donné qu'il est le représentant de cette volonté. Dans la mesure où le législateur est lié par la Constitution, la constatation que la loi a violé celle-ci détruit la présomption et ôte toute valeur à la loi, mais tant que cette constatation n'est pas intervenue, toute suspension de l'efficacité de la loi, en tant que contraire à une telle présomption, doit être réputée exceptionnelle. »

Quant au contrôle préalable des traités internationaux, seul mécanisme de contrôle préalable existant actuellement en Espagne, sa justification réside dans le souhait de rendre compatibles la suprématie de la Constitution et la responsabilité internationale de l'État pour éviter ainsi une déclaration d'inconstitutionnalité d'un traité international déjà incorporé à l'ordonnancement juridique interne.

Ce mécanisme de contrôle de constitutionnalité préalable a été utilisé à deux reprises : en 1992 dans le cadre de la ratification par l'Espagne du Traité de l'Union européenne (Déclaration 1/1992), et en 2004 dans le cadre de la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe (Déclaration 1/2004).

Ce contrôle préalable n'exclut pas évidemment la possibilité d'un contrôle a posteriori d'un traité international, soit par le biais d'un recours ou d'une question d'inconstitutionnalité, visés expressément à l'article 27.2 c) de la Loi organique régulant le Tribunal constitutionnel. Or, il s'agit d'une question controversée du débat académique et politique, notamment pour ce qui a trait aux effets d'une déclaration d'inconstitutionnalité appliquée à un traité international, dont la résolution a été constatée dans la décision 38/2007 du 15 février 2007 (sur la situation des professeurs d'éducation religieuse dans le système éducatif espagnol, compte tenu de l'accord conclu en 1979 entre l'Espagne et le Saint-Siège). Le Tribunal constitutionnel affirmait alors que :

« (...) l'éventuelle déclaration d'inconstitutionnalité d'un traité présuppose, évidemment, l'examen matériel de son énoncé à la lumière des dispositions constitutionnelles, mais pas nécessairement que les effets d'invalidation associés à un jugement négatif entraînent immédiatement la nullité du traité lui-même (article 96.1 de la Constitution espagnole) ». Il n'est pas nécessaire que cette dernière considération fasse pour l'instant l'objet de développements supplémentaires (···) Il ne conviendra d'en préciser les conséquences que dans l'éventualité où cette déclaration se produirait, et ce dans la mesure où ces conséquences ne pourraient pas, pour quelque motif que ce soit, être strictement celles qui découlent en principe des termes de notre loi organique ».

Les effets et la portée d'une éventuelle déclaration d'inconstitutionnalité des préceptes de l'Accord avec le Saint-Siège remis en question n'ont pas fait l'objet d'un approfondissement de la part du Tribunal constitutionnel, car cette déclaration n'est jamais intervenue. En effet, ledit Accord n'était pas applicable pour résoudre la question litigieuse à l'origine de la question d'inconstitutionnalité formulée par un Tribunal de Justice au Tribunal constitutionnel.

Tant le forum académique que le forum politique, quoique timidement pour ce dernier, ont estimé convenable de récupérer le recours préalable d'inconstitutionnalité pour les lois organiques dont la procédure d'adoption exige une procédure renforcée telle que le référendum. Il pourrait être ainsi évité au Tribunal constitutionnel d'avoir à se prononcer a posteriori sur ce type de lois ayant une légitimité renforcée, pour ainsi contourner certaines tensions politiques, mais en aucun cas juridiques, étant donné que les compétences et l'autorité du Tribunal constitutionnel ne sont pas remises en question. Ce serait le cas pour les réformes des Statuts d'autonomie.

Comme je l'ai préalablement indiqué, le Tribunal constitutionnel n'est pas le seul interprète de la Constitution, bien qu'il en soit l'interprète suprême. Les juges et tribunaux du pouvoir judiciaire sont tenus d'interpréter et d'appliquer la Constitution, conformément à l'article 5 de la loi organique espagnole régulant le pouvoir judiciaire (L.O.P.J) en ces termes :

« La Constitution est la norme suprême de l'ordonnancement juridique, laquelle est contraignante pour tous les juges et tribunaux, qui devront interpréter et appliquer les lois et règlements suivant les préceptes et principes constitutionnels, conformément à l'interprétation de ces derniers résultant des décisions rendues par le Tribunal constitutionnel dans tous types d'instances ».

En fait, le contrôle de constitutionnalité des normes infra-légales est opéré par les juges et tribunaux ordinaires, tel que le prévoit l'article 6 de la LOPJ susmentionnée : « Les juges et tribunaux ne font pas application des règlements ou de toutes autres dispositions contraires à la Constitution (...) »

Une telle collaboration du pouvoir judiciaire concernant le contrôle de constitutionnalité est complétée par la question d'inconstitutionnalité, définie à l'article 163 de la Constitution : « Lorsqu'un organe judiciaire considère au cours d'une procédure qu'une disposition ayant force de loi, s'appliquant en la matière et dont la validité détermine le jugement, pourrait être contraire à la Constitution, il doit saisir le Tribunal constitutionnel (...) »

Dans le modèle espagnol, le pouvoir judiciaire et le Tribunal constitutionnel se partagent donc le contrôle de constitutionnalité, même si seul le Tribunal constitutionnel détient le « monopole du rejet » de la loi et l'autorité suprême pour interpréter la Constitution et la constitutionnalité de la loi.

Le contrôle de constitutionnalité se décline traditionnellement en deux alternatives : la constitutionnalité ou l'inconstitutionnalité de la loi, avec la nullité subséquence de la norme attaquée, appréciée ex tunc. Néanmoins, la LOTC prévoit dans son article 40 que cette déclaration d'inconstitutionnalité ne permet pas de réviser des instances closes par un jugement ou un arrêt revêtant l'autorité de la force de chose jugée, pour lesquelles la norme inconstitutionnelle a été appliquée, sauf si cette application a entraîné une sanction pénale ou administrative qui ne serait pas intervenue ou serait réduite suite à la nullité de la norme appliquée.

La jurisprudence du Tribunal constitutionnel a évolué, s'orientant vers des solutions plus souples, telles que la déclaration d'inconstitutionnalité avec nullité différée ou la déclaration d'inconstitutionnalité sans nullité, déclaration s'accompagnant le cas échéant du mandat au législateur en vue de l'approbation de la nouvelle réglementation (« dans un délai raisonnable », « dans les meilleurs délais ») conforme à la Constitution qui doit remplacer la réglementation déclarée inconstitutionnelle. Ainsi, pour prévenir les effets d'une absence de protection de l'environnement, la décision du Tribunal constitutionnel STC 195/1998 du 1er octobre 1998, énonçait que :

« la déclaration d'inconstitutionnalité de la loi (···) ne doit pas s'accompagner de la déclaration immédiate de nullité, dont les effets sont différés au moment où la Communauté autonome adoptera la disposition pertinente dans laquelle les Marais de Santoña seront déclarés site naturel protégé selon l'une des catégories prévues par la loi. »

La décision du Tribunal constitutionnel STC 235/1999 du 16 décembre 1999 a mis en évidence une solution différente dans une affaire où l'inconstitutionnalité provenait également de la violation par la loi de l'État (en l'occurrence une loi visant à adapter la législation espagnole sur les institutions de crédit à une Directive communautaire) des compétences de la Communauté autonome de Catalogne :

« La déclaration d'inconstitutionnalité du précepte mis en cause et la réitération, déjà établie, d'une intervention législative nécessaire sont suffisantes. En vertu du principe de loyauté constitutionnelle, il n'est pas convenable de procéder immédiatement à l'assainissement de la situation inconstitutionnelle, ce Tribunal considérant que le moment n'est pas venu de formuler un prononcé de nullité dont l'efficacité serait différée à terme. »

De manière générale, le Tribunal constitutionnel a considéré que le lien entre inconstitutionnalité et nullité n'est pas nécessaire dans les cas d'inconstitutionnalité par omission, c'est-à-dire quand « le motif de l'inconstitutionnalité du précepte réside, non pas dans une détermination textuelle de celui-ci, mais dans son omission », le législateur étant chargé d'établir la nouvelle réglementation dans le cadre de sa liberté de configuration normative découlant de sa position constitutionnelle, et en dernière instance, de sa liberté démocratique spécifique (Décisions 45/1989 du 20 février 1989, 222/1992 du 11 décembre 1992, 96/1996 du 30 mai 1996, 235/1999 du 20 décembre 1999, 138/2005 du 26 mai 2005 et 236/2007 du 7 novembre 2007).

Je souhaiterais également faire mention d'un type de décisions très communes dans les procédures de contrôle de constitutionnalité en Europe mais aussi en Espagne, à savoir les décisions interprétatives.

Le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité d'une loi, en d'autres termes l'interprétation de la constitutionnalité d'une loi, a été présidé dans le modèle espagnol par le principe de conservation de l'œuvre du législateur (technique d'interprétation de conformité à la Constitution), pourvu que, et cela semble logique, une telle conservation reste possible sans avoir à dénaturer le sens droit des préceptes mis en cause, et en raison du respect de la fonction constitutionnelle du législateur démocratique et de sa liberté de configuration politique élargie dans les marges des déterminations de la Constitution. Le principe d'interprétation conforme à la Constitution est commun à la plupart des cours constitutionnelles. En Espagne, l'un des premiers prononcés du Tribunal constitutionnel, la décision STC 11/1981 du 8 avril 1981, rendue à l'issue du recours en inconstitutionnalité contre différents préceptes du décret législatif RDL 17/1977 du 4 mars 1977, portant régulation de la grève et des conflits collectifs, constitue un exemple illustrant parfaitement la question :

« (...) il convient d'observer, une fois de plus, qu'il faut situer d'un côté les décisions politiques et le jugement politique dont doivent faire l'objet ces décisions et de l'autre, la qualification d'inconstitutionnalité qui doit être réalisée suivant des critères strictement juridiques. La Constitution couvre des réalités suffisamment étendues pour pouvoir abriter des options politiques très diverses. Le travail d'interprétation de la Constitution ne consiste pas nécessairement à barrer la route aux options ou variantes en imposant de façon autoritaire l'une d'entre elles. Il faudra parvenir à cette conclusion uniquement lorsque le caractère univoque de l'interprétation s'imposera par le jeu des critères herméneutiques. Nous tenons à signaler que les options politiques et de gouvernement ne sont pas toutes préalablement programmées d'emblée, de telle sorte que la seule chose qu'il convient désormais de faire, c'est de développer ce programme préalable. »

Toutefois, le Tribunal constitutionnel n'est ni législateur, ni juge de l'opportunité, de la correction technique ou de l'efficacité de la loi.

Le Tribunal constitutionnel reconnaît le législateur démocratique comme étant, à tout moment, l'interprète autorisé des conceptions éthico-politiques de la société, conceptions sociales qui changent et évoluent dans une Constitution stable, ce qui fait que la recherche du point d'équilibre adéquat entre la reconnaissance de l'interprétation de la Constitution effectuée par le législateur en développant et en appliquant celle-ci et l'interprétation que doit réaliser le Tribunal constitutionnel dans l'exercice de sa fonction de contrôle de la constitutionnalité de la loi s'avère une tâche non exempte de difficultés.

La limite de cette technique est à n'en pas douter délicate, car le Tribunal constitutionnel ne saurait manipuler la volonté du législateur, supplanter le législateur et surpasser sa fonction de législateur négatif, matière que nous avons largement étudiée lors de la Conférence des cours constitutionnelles européennes à Vilnius en juin dernier.


Dans le cas espagnol, après 27 années de fonctionnement du Tribunal constitutionnel, la loi LOTC a été réformée en mai 2007 par la loi organique 6/2007 du 24 mai, et ce en vue de renforcer le rôle du contrôle de constitutionnalité, dont le Tribunal constitutionnel a le monopole, et d'ordonner rationnellement la recevabilité des recours en protection.

À l'heure actuelle, d'après les statistiques consolidées des dernières années des mois écoulés de 2008, le Tribunal constitutionnel reçoit entre 10 000 et 12 000 affaires par an, dont 95 % concerne des recours en protection.


D'aucuns savent que les cours constitutionnelles sont apparues dans un certain contexte historique, dans des circonstances qui exigeaient une nouvelle solution pour une situation inédite sur le continent : l'efficacité normative de constitutions qui par le passé n'assujettissaient point le législateur. D'aucuns savent par ailleurs que l'évolution du modèle (le dépassement du modèle kelsénien) étendra l'assujettissement du législateur à tous les pouvoirs de l'État.

Près d'un siècle plus tard, les cours constitutionnelles européennes, et celles d'autres régions, ont permis de faire de la normativité de la Constitution un fait incontesté. Elles auraient donc, dans un certain sens, largement rempli leur rôle historique. Il convient cependant de revendiquer la continuité de cette institution, voire de défendre la nature exceptionnelle de sa fonction, et manifestement, le respect de son exercice. En effet, bien des raisons demeurent pour continuer à défendre tant les privilèges juridictionnels des lois que l'existence du mécanisme de garantie ultime des droits fondamentaux et des libertés publiques des personnes, qu'implique la juridiction constitutionnelle. En effet, d'une part, la présomption de constitutionnalité de la loi, particulièrement ferme, est immédiatement reliée à la condition du législateur en tant que représentant de la volonté populaire. D'autre part, l'existence de mécanismes de garantie des droits fondamentaux et des libertés publiques des personnes ajoutés à ceux que représente par elle-même l'existence de la juridiction ordinaire n'est jamais de trop, car la défense juridictionnelle des droits fondamentaux et des libertés publiques, occupe, à n'en pas douter, une place privilégiée dans la Constitution espagnole.

Les cours constitutionnelles sont donc tenues de fonctionner comme des organes de garantie du système constitutionnel.

Je suis bien consciente qu'un certain courant s'attèle à l'heure actuelle à décrire et à démontrer la situation de crise à laquelle serait confronté ce modèle de contrôle de constitutionnalité, du fait de la contradiction que suppose l'introduction d'un organe fonctionnant selon une logique aristocratique dans un cadre constitutionnel démocratique. L'organe qui dans les États constitutionnels démocratiques exerce le contrôle constitutionnel de la loi du législateur démocratique, du jeu des majorités-minorités politiques propres, par essence, à la démocratie le fait au-dessus de la logique du principe de démocratie, mais en utilisant paradoxalement cette même logique démocratique pour adopter ses décisions.

Le professeur Zagrebelsky, Président émérite de la Cour constitutionnelle italienne, affirmait lors du Cinquantenaire de cette cour que les cours constitutionnelles devraient être « des aristocraties du savoir, appelées à contenir la tendance de la démocratie à dégénérer en démagogie et à fixer un point ferme pour le développement national de la société actuelle, une île de raison dans le chaos des opinions ». Toutefois, ce point ferme, cette île de raison ne peut exister et ne peut être obtenu qu'à partir de la Constitution démocratique et son interprétation par les organes appelés à en exercer la défense par le biais du contrôle juridictionnel de constitutionnalité, légitimés dans l'exercice de leur mission par la Constitution elle-même. La Constitution est le fondement de leur légitimité démocratique.

Nous arrivons au terme de cet exposé sommaire sur l'expérience de la juridiction constitutionnelle espagnole, exposé axé sur le contrôle de constitutionnalité des lois. Je souhaiterais encore une fois adresser tous mes remerciements au Conseil constitutionnel pour son invitation et à vous tous pour votre attention.