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La pratique des opinions dissidentes - Synthèse

Dominique ROUSSEAU - Professeur à l'Université de Montpellier I, Membre de l'Institut universitaire de France

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 8 (Dossier : Débat sur les opinions dissidentes) - juillet 2000

Si la synthèse est toujours un exercice difficile, elle l'est encore davantage quand son auteur a pris part au débat et s'est déclaré, comme en l'espèce, favorable à la publication des opinions dissidentes(1) : il peut, évidemment, être tenté et soupçonné de ne retenir que les éléments profitables à sa thèse. Aussi, est-il préférable de laisser à chacun le soin de tirer pour lui-même la synthèse des différentes contributions présentées dans ce dossier, et soumettre seulement à la discussion, sans garantir une objectivité parfaite, quatre réflexions.

I. L'identité des arguments échangés

Même si les cultures juridiques et les traditions politiques sont différentes d'un pays à l'autre – la common law pour le Canada, la « tradition prussienne du secret du délibéré » pour l'Allemagne, les « ordenanzas de Medina » de 1489 pour l'Espagne – le débat sur la question des opinions dissidentes se construit, partout, sur les mêmes arguments : affaiblissement de l'autorité des décisions, contrôle politique des juges, rivalités internes et personnalisation préjudiciables au bon fonctionnement du Tribunal du côté des adversaires de leur publication ; amélioration de la qualité des motivations et de la clarté des décisions, affaiblissement des rumeurs et soupçons sur le travail des juges, transparence et prévisibilité des évolutions jurisprudentielles du côté de ses partisans.

II. L'opposition des jugements

Adversaires et partisans s'opposent radicalement sur les effets attendus de la publication des opinions dissidentes. Là où les premiers en attendent un affaiblissement de la légitimité du tribunal constitutionnel, une atteinte à l'indépendance des juges et la fin de la collégialité, les seconds disent leur conviction que la publication des dissidences consolide « la légitimité des tribunaux dans la mesure où elles préservent et renforcent l'indépendance judiciaire, favorisent la collégialité parmi les juges et rehaussent la cohésion des décisions du tribunal »(2).

III. Les surprises de la pratique

Là où elles sont publiées, les opinions dissidentes n'ont pas, même en Allemagne où elles n'étaient pas inscrites dans la tradition du système judiciaire, confirmé toutes les craintes exprimées au moment de leur introduction : le pourcentage des opinions dissidentes reste faible, même au Canada (30 %); le souci d'arriver à une décision unanime l'emporte toujours sur les « préoccupations individuelles des juges » ; la force d'attraction d'une opinion dissidente n'est jamais automatique ; l'autorité de la décision n'est pas mise en question.

IV. Les conditions d'énonciation des opinions dissidentes

Que ces conditions soient précisées dans une loi, comme en Hongrie et en Espagne, ou qu'elles ne le soient pas, il ressort de toutes les contributions que les opinions dissidentes respectent ou doivent respecter certaines exigences : être annoncées et présentées en séance afin de satisfaire l'obligation de loyauté et de favoriser la recherche d'une décision acceptable par tous ; être rédigées dans un langage et un style académique excluant la polémique et les critiques personnelles afin de ne pas compromettre la collégialité et l'autorité de l'institution ; être utilisées avec discernement, sur des grandes questions ou en cas de différends importants.

Au fond, ce que dise ces exemples est simple et peut se résumer en une phrase : la publication des opinions dissidentes n'a pas porté malheur à la justice constitutionnelle. Est-ce sortir des limites de l'exercice de synthèse que d'ajouter qu'il se pourrait même qu'elle renforce sa légitimité ?

(1) V. infra, p. 113.
(2) V. par ex., Claire L'Heureux-Dube, L'opinion dissidente : voix de l'avenir ?, supra, p