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La pratique des opinions dissidentes en Espagne

Teresa FREIXES - Professeur de Droit constitutionnel, Expert auprès de la Commission européenne et du Conseil de l'Europe, Présidente de l'Institut européen de Droit

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 8 (Dossier : Débat sur les opinions dissidentes) - juillet 2000

I. L'introduction des opinions dissidentes dans les arrêts du Tribunal constitutionnel

Les opinions dissidentes ont été introduites dans le système constitutionnel espagnol actuel par les dispositions relatives aux arrêts du Tribunal constitutionnel prévues à l'article 164.1 de la Constitution. Cet article prévoit que :

« Les arrêts du Tribunal constitutionnel seront publiés dans le Boletín Oficial del Estado avec les opinions particulières, dans le cas où elles existent... »

C'est donc la Constitution elle-même qui accorde aux magistrats du Tribunal constitutionnel la possibilité de formuler des opinions particulières. Concernant cette disposition constitutionnelle, l'accent doit être mis sur deux questions : la première porte sur les mots « opinions particulières », car ces termes ne renvoient pas seulement aux opinions dissidentes mais aussi aux opinions concordantes, c'est-à-dire, à l'opinion des magistrats qui sont d'accord avec la décision mais ne partagent pas les arguments de la majorité de la cour ; la deuxième a trait à l'obligation de publier les opinions particulières, dissidentes ou concordantes, dans le Journal officiel, en même temps que l'arrêt.

La loi organique relative au Tribunal constitutionnel prévoit, quant à elle, uniquement que les arrêts devront être publiés dans un délai de trente jours après le prononcé de la décision (art. 86.2 LOTC). Elle ne règle pas dans le détail la publication des opinions particulières. Aucune autre disposition législative ne traite des opinions particulières des magistrats du Tribunal constitutionnel.

Le Tribunal constitutionnel n'est pas l'unique organe juridictionnel espagnol susceptible d'exprimer des opinions particulières. Cette institution juridique a une longue tradition dans le système judiciaire espagnol. En effet, les « Ordenanzas de Medina » de 1489 avaient déjà prévu l' « expression » des opinions dans un livre secret gardant la trace des votes de chaque tribunal, y compris les opinions des juges contraires à la majorité. Plus récemment, les lois de procédure civile de 1881 (art. 367) et de procédure criminelle de 1882 (art. 156) réglementent les opinions dissidentes(1). Mais c'est la loi organique relative au pouvoir judiciaire de 1985 qui organise l'expression et la publication des opinions particulières des juges dans tous les procès.

Aux termes de l'article 260 de ce texte :

" 1. Tous ceux qui participent à la délibération d'un arrêt ou autre décision définitive(2) signeront ce qui a été adopté, même s'ils ont été opposés à la majorité, mais ils pourront, dans ce cas, en l'annonçant au moment de leur vote ou de la signature, formuler une opinion particulière ?

2. L'opinion particulière, avec la signature de son auteur, sera incorporée au recueil des arrêts et elle sera notifiée aux parties avec l'arrêt adopté par majorité. Quand, en vertu de la loi, la publication de l'arrêt est obligatoire, l'opinion particulière, si elle existe, devra être publiée avec celui-là.

3. Pourra aussi être formulée une opinion particulière, conformément à ce qui est prévu aux paragraphes précédents et dans la mesure où cela peut leur être appliqué, dans les décisions qui se prononcent sur des incidents de procédure. "

De cette façon, la loi organique sur le pouvoir judiciaire instaure dans tous les ordres juridictionnels les opinions dissidentes, leur octroyant un statut juridique qui comprend plusieurs exigences :

- Annoncer le désaccord avec l'opinion majoritaire à des moments précis de la procédure (vote de l'arrêt ou signature de celui-ci), ce qui permet aux juges d'attendre le dernier moment pour exprimer leur dissidence.

- Rédiger l'opinion dissidente comme s'il s'agissait d'un arrêt, c'est-à-dire que le juge dissident doit s'exprimer par écrit et rédiger son opinion en donnant les arguments juridiques qui motivent sa dissension (en se référant toutefois aux parties de l'arrêt principal qu'il accepte).

- Inclure l'opinion dissidente dans le recueil des arrêts, avec la signature de son auteur.

- Notifier l'opinion dissidente aux parties au litige en même temps que l'arrêt principal.

- Publier l'opinion dissidente avec l'arrêt si la loi impose la publication de ce dernier, permettant de cette façon une publicité complète sur la formation de la volonté de l'organe judiciaire.

Ces dispositions de la loi organique sur le pouvoir judiciaire sont applicables à tous les ordres juridictionnels : civil, criminel, social, administratif et militaire.

En ce qui concerne le Tribunal constitutionnel, on trouve un précédent remarquable sur les opinions particulières dans le Tribunal des garanties constitutionnelles de la IIe République espagnole. La Constitution républicaine n'avait prévu aucune disposition sur les votes des magistrats de ce Tribunal, mais l'article 41 de la loi sur le Tribunal des garanties constitutionnelles prévoit les opinions dissidentes dans les arrêts relatifs à la constitutionnalité des lois et leur communication aux consultants ou aux auteurs des saisines(3). La similitude est remarquable entre les dispositions de la loi organique sur le pouvoir judiciaire de 1985 et les dispositions de la loi sur le Tribunal des garanties constitutionnelles de la IIe République, qui constitue, matériellement, un précédent à la législation en vigueur aujourd'hui. Il convient aussi de constater que, dans la mesure où la loi organique relative au Tribunal constitutionnel actuel ne règle pas la procédure d'émission des opinions particulières, les dispositions y relatives de la loi organique sur le pouvoir judiciaire qui s'applique au Tribunal constitutionnel, trouvent leur précédent direct dans la loi du Tribunal des garanties constitutionnelles de la IIe République.

La pratique du Tribunal constitutionnel espagnol constitue donc une pratique qui appartient à notre tradition juridique.

II. La doctrine sur les opinions dissidentes

Une fois constatée l'introduction des opinions dissidentes dans les arrêts du Tribunal constitutionnel, peut être décrit l'état de la question au sein de la doctrine constitutionnelle.

Tout d'abord je tiens à préciser que, si la Constitution et la loi organique du Tribunal constitutionnel utilisent les mots « votes particuliers », je centrerai délibérément ce travail sur les opinions dissidentes au sens strict, c'est-à-dire sur les opinions des magistrats en désaccord avec le bien fondé de l'affaire adoptée par la majorité du tribunal, et non sur les opinions particulières concordantes ou en accord avec le fond et en désaccord avec l'argumentation de l'arrêt. Tout ce qui sera abordé dans ce travail, sauf quelques questions de détail, concernera donc strictement les opinions dissidentes.

L'introduction des opinions dissidentes à l'article 164.1 de la Constitution ne fut pas adoptée sans débat. Devant l'assemblée constituante, l'opportunité de cette introduction fut discutée. Les débats ont porté sur les problèmes de légitimité qui, pour les non spécialistes, semblent découler de la diffusion au public des dissidences dans les décisions judiciaires. En fait, les opinions dissidentes furent fortement défendues par les députés socialistes, avec la remarquable intervention du rapporteur M. Peces-Barba. Après son discours, la Commission des affaires constitutionnelles et des libertés publiques du Congrès des députés a approuvé a l'unanimité l'introduction des votes particuliers dans la Constitution(4). Cette introduction fut décisive car elle fut maintenue tout au long des discussions de la constituante et ratifiée dans le texte définitif de la Constitution. Les arguments de M. Peces-Barba sur ce sujet prônaient, contrairement aux arguments des détracteurs des opinions dissidentes, que la publicité des opinions contraires des magistrats représentait une garantie pour les citoyens. Sans elle, on pourrait supposer que subsiste l'arbitraire dans une décision judiciaire, ou ignorer les raisons pour lesquelles les juges n'avaient pas opiné unanimement, dans un sens ou dans un autre.

La doctrine juridique espagnole est majoritairement en faveur des opinions dissidentes (les élus politiques n'ont jamais exprimé d'opinion sur ce point). Elle considère que la publication des opinions dissidentes est l'expression la plus accomplie de la publicité du processus juridictionnel et en constitue une garantie juridique. Avec les opinions dissidentes, l'interprétation juridique serait plus précise et plus pure ; l'action des juges s'enrichirait notablement dès lors que l'on peut exprimer scientifiquement toutes les options interprétatives ; le droit constitutionnel se perfectionnerait et deviendrait plus démocratique, plus compris et mieux accepté du citoyen ; les décisions judiciaires seraient plus transparentes, faisant disparaître les rumeurs et les mensonges sur le travail des tribunaux ; enfin, l'indépendance et l'impartialité des juges et des tribunaux serait accrue, les opinions dissidentes permettant d'anticiper les changements jurisprudentiels à venir(5).

Mais, bien que minoritaire, il existe aussi une position doctrinale critique. Les détracteurs des opinions dissidentes soutiennent que, lorsque l'on sait ce que les juges votent et, surtout, quels sont ceux qui ne sont pas d'accord avec la majorité de la cour, l'autorité et le prestige du tribunal ou de la décision en sont amoindris ; il est également soutenu que l'expression publique des dissidences judiciaires facilite le contrôle politique des juges, car l'opinion publique, et surtout les politiciens, s'adresseront plus facilement aux magistrats pour faire pression en faveur de leurs intérêts ; certains membres de la doctrine s'opposent aussi aux opinions dissidentes au motif que ces opinions font que les décisions judiciaires perdent en cohérence, en autorité et en clarté, parce que, de leur fait, il est impossible de comprendre aisément la position du tribunal(6).

À mon sens, si les opinions dissidentes que prévoit notre loi organique sur le pouvoir judiciaire constituent une garantie de publicité qui permet de constater l'indépendance et l'impartialité des juges, elles résultent surtout de l'expression de la volonté du Tribunal constitutionnel, et ce pour plusieurs raisons qui découlent toutes de la singularité de l'interprétation constitutionnelle. En effet, la doctrine constitutionnelle accepte, de manière presque unanime, de reconnaître des particularités à l'interprétation constitutionnelle, lesquelles singularisent cette interprétation par rapport à l'interprétation juridique ordinaire. Aujourd'hui, de Wroblewsky à Zagrebelsky, MacCormick ou Häberle, et, parmi les espagnols M. L. Balaguer Callajón, I. de Otto, E. García de Enterria, et J.-C. Remotti Carbonell(7), tous ont précisément fondé les particularités de l'interprétation constitutionnelle sur la nature même de la Constitution. Et ces particularités, incluant le besoin d'examiner les diverses possibilités interprétatives des règles constitutionnelles pour aboutir à une solution motivée comprenant les arguments au soutien de la décision, impliquent que la position de chaque juge constitutionnel soit claire et transparente, car c'est là la façon la plus raisonnable de légitimer les décisions prises sur des normes qui offrent plusieurs possibilités interprétation. En outre, la légitimité même des Cours constitutionnelles est souvent discutée, car ces cours ne sont pas élues par la volonté populaire. Cette carence de légitimité originelle doit être compensée par une large légitimité dans l'exercice de leurs compétences qui, de son côté, doit présenter toutes garanties de transparence et interdire l'arbitraire dans l'action des juges constitutionnels. Les opinions dissidentes, en ce sens, contribuent à accroître la légitimité des décisions du Tribunal constitutionnel.

III. La pratique des opinions dissidentes

Dès ses premiers arrêts, le Tribunal constitutionnel espagnol a émis des opinions dissidentes. Leur nombre a crû jusqu'à nos jours. Plusieurs arrêts sur des thèmes « sensibles » ont été prononcés avec des opinions dissidentes, quelquefois par un Tribunal divisé par moitié et parfois même avec la voix prépondérante du président du Tribunal. Certains magistrats ont utilisé avec profusion les opinions dissidentes, d'autres n'en ont signé aucune. Les opinions dissidentes apparaissent dans toutes les procédures constitutionnelles, qu'il s'agisse d'un recours ou d'une exception d'inconstitutionnalité, d'un recours d'amparo ou d'un conflit de compétences.

A. L'évolution générale des opinions dissidentes

Pour étudier la pratique des opinions dissidentes au sein du Tribunal constitutionnel espagnol, a été pris en considération l'ensemble des arrêts(8) rendus jusqu'au dernier prononcé avant le renouvellement du 16 décembre 1998. Sur cette période, le Tribunal constitutionnel a émis 3722 arrêts parmi lesquels 387 contiennent des opinions dissidentes. L'évolution annuelle des arrêts et des opinions dissidentes est présentée dans le tableau ci-contre.

Il ressort de ce tableau que le nombre d'arrêts comprenant des opinions dissidentes augmente progressivement et atteint son maximum dans les années 1993 et 1994 avec plus de trois cents arrêts (presque quatre cents dans l'année 1993). Parallèlement, le nombre annuel d'opinions dissidentes atteint la trentaine et, jusqu'à présent, n'a pas diminué. L'inflexion s'observe en 1993. Après une douzaine d'années pendant lesquelles les arrêts avec opinions dissidentes n'atteignent pas la vingtaine annuelle, le chiffre de 37 est atteint, puis se maintient autour de 30 jusqu'à fin 1998.

Tableau nº 1

Évolution annuelle des arrêts
avec opinion dissidente

[non reproduit]

Par ailleurs, le plus grand nombre d'arrêts avec opinions dissidentes coïncide avec les six dernières années comptabilisées, entre 1993 et 1998, ce qui permet de distinguer deux étapes dans l'évolution des opinions dissidentes. La première, entre 1981 et 1992, et la deuxième, entre 1993 et 1998. Durant la première étape, de douze ans, le Tribunal a émis 172 arrêts avec opinions dissidentes, ce qui représente 44,9 % du total des arrêts avec opinion dissidente. Durant la deuxième étape, qui dure six ans, le Tribunal a prononcé 211 arrêts avec opinions dissidentes représentant 55,1 % des arrêts avec opinions dissidentes.

En outre, les 172 arrêts avec opinions dissidentes de la première étape correspondent à une moyenne annuelle de 14,3 arrêts seulement avec opinions dissidentes alors que, dans la deuxième étape, les 211 arrêts avec opinions dissidentes représentent une moyenne annuelle de 35,1 arrêts avec opinions dissidentes.

Ainsi, entre 1993 et 1998, le Tribunal constitutionnel a émis 2,45 fois plus d'arrêts avec opinions dissidentes que pendant la première étape.

Enfin, les années comportant le plus grand nombre d'arrêts avec opinions dissidentes (c'est-à-dire lorsque le Tribunal a prononcé plus de la moitié des arrêts avec opinions dissidentes) correspondent à la cinquième et la sixième période du Tribunal constitutionnel espagnol. Sous la Présidence de M. Rodríguez Piñero et M. Rodríguez Bereijo 122, le nombre d'opinions dissidentes a été le plus élevé en termes absolus et relatifs.

B. Les opinions dissidentes sous les présidences successives du Tribunal constitutionnel

À ce point de la démonstration, il convient de rappeler que le Tribunal constitutionnel espagnol est renouvelé par tiers tous les trois ans (quatre magistrats sur douze) conformément aux dispositions constitutionnelles 123. Tous les trois ans, quatre magistrats nouveaux doivent être nommés sur proposition de l'organe constitutionnel correspondant (le Congrès, le sénat, le gouvernement ou le conseil général du pouvoir judiciaire). Puisque le premier Tribunal constitutionnel a été nommé en 1980, nous sommes maintenant dans la septième période, commencée le 16 décembre 1998 pour se terminer, en principe 124, au mois de juillet 2001, date à laquelle le Congrès devra nommer quatre membres. L'évolution du nombre d'arrêts avec opinions dissidentes peut s'analyser en fonction des différents périodes, présidents et vice-présidents successifs, dans le tableau suivant :

Tableau nº 2

Évolution des arrêts
avec opinions dissidentes, par période

[non reproduit]

C'est, donc, sous la présidence de M. Rodríguez-Piñero et, plus encore, sous celle de M. Rodríguez Bereijo que nous avons eu le plus d'arrêts avec opinions dissidentes.

C. Les opinions dissidentes des magistrats

Le nombre d'opinions dissidentes émises par chaque magistrat est très variable. Il ressort du tableau ci-contre, que certains magistrats n'ont rédigé aucune opinion différente de celle de la majorité alors que d'autres ont signé un nombre considérable d'opinions particulières (dans ce tableau sont comptabilisées toutes les opinions particulières différentes de celle de la majorité du Tribunal, c'est-à-dire, les opinions dissidentes ou contraires à la décision au fond et les opinions concordantes qui ne s'opposent pas au dispositif mais aux arguments de la majorité).

Tableau nº 3

Les opinions individuelles des magistrats

[non reproduit]

Bien qu'il doive être relativisé, ce tableau illustre les opinions individuelles, dissidentes ou concordantes, formulées par les magistrats du Tribunal constitutionnel. Certains magistrats, en très peu d'années, ont formulé un grand nombre de votes particuliers, c'est le cas de M. Jiménez de Parga qui, en trois ans, a exprimé 43 opinions qui, pour une raison ou une autre, ne suivent pas celles de la majorité du Tribunal. D'autres comme M. García Pelayo et M. de los Mozos n'ont signé aucune opinion particulière. On constate aussi que les magistrats qui ont exercé la présidence ou la vice-présidence du Tribunal constitutionnel n'ont pas formulé beaucoup d'opinions particulières et, si l'on retient la période durant laquelle ils ont exercé cette charge, on constate que durant ces années ils se réservent cette possibilité et ne l'utilisent que très peu pour ne pas influencer l'action du Tribunal.

D. Les opinions dissidentes des présidents et des vice-présidents du Tribunal constitutionnel

Les présidents du Tribunal constitutionnel, bien qu'ils aient rédigé des opinions particulières alors qu'ils étaient simples magistrats, ont pratiquement cessé d'y recourir lorsqu'ils occupaient ces charges. Il n'en va pas de même des vice-présidents. Ces derniers ont en effet exprimé pratiquement autant d'opinions particulières que lorsqu'ils étaient magistrats :

Tableau nº 4

Les opinions particulières
des présidents ou vice-présidents

[non reproduit]

Les présidents du Tribunal constitutionnel se sont appliqués une sorte de self restreint (d'autocensure) quant à la pratique des opinions particulières pendant leur mandat présidentiel. Le premier président, M. García Pelayo n'a émis aucune opinion particulière pendant le temps de sa présidence, période coïncidant avec son mandat de magistrat. Les autres présidents ont notablement diminué le nombre d'opinions dissidentes pendant leur mandat. En revanche, en ce qui concerne les vice-présidents, aucune diminution significative des opinions particulières pendant la durée de leur mandat ne peut être constatée. Ils ont maintenu leur rythme habituel d'opinions particulières. Peut-être, cette différence d'attitude entre les présidents et les vice-présidents est-elle en relation avec les pouvoirs effectifs que, malgré le silence de la Constitution, la loi organique relative au Tribunal constitutionnel ainsi que le règlement d'organisation et du personnel du Tribunal constitutionnel octroient aux présidents (et non aux vice-présidents) : en effet, quand le Tribunal se divise par moitié dans les votes, celui du président l'emporte et décide du sens de la décision(9).

E. L'évolution des arrêts avec opinions dissidentes selon le type de procédure

Si l'on examine l'évolution des opinions dissidentes selon le type de procédure suivie devant le Tribunal constitutionnel, le recours d'amparo (RA), qui est le recours quantitativement le plus important, représente la procédure comportant le plus d'arrêts avec des opinions dissidentes (222 de 1981 à 1998), très loin devant les autres procédures : recours d'inconstitutionnalité (RI) (58), exception d'inconstitutionnalité (EI) (63) et conflits de compétences entre l'État et les Communautés autonomes (CC) (49). Cette évolution est retracée dans le tableau ci-dessous reproduit :

Tableau nº 5

Évolution des arrêts
avec opinions dissidentes
par type de procédure

[non reproduit]

Le plus grand nombre d'arrêts avec opinions dissidentes correspond en effet au recours d'amparo, avec 222 arrêts émis, mais ce chiffre doit être relativisé. En effet, si l'on additionne les arrêts avec opinions dissidentes prononcés suite à des recours et exceptions d'inconstitutionnalité, 58 et 63 respectivement, on obtient un total de 121 arrêts adoptés avec des opinions dissidentes en matière de contrôle de constitutionnalité des lois. C'est dire que, proportionnellement, il y a relativement plus d'arrêts avec opinions dissidentes dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois que dans celui des recours d'amparo. En effet, plus de quatre-vingt pour cent des arrêts du Tribunal portent sur le recours d'amparo, les vingt pour cent restants relevant du contrôle de constitutionnalité des lois ou du règlement des conflits de compétences des Communautés autonomes(10). Ces données rendent compte de l'importance relative des opinions dissidentes dans les procédures de contrôle de constitutionnalité des lois.

F. Les arrêts avec opinions dissidentes en plénière du Tribunal dans le cadre du contrôle de constitutionnalité de la loi et dans le cadre les conflits de compétence entre l'État et les Communautés autonomes

Le nombre d'opinions dissidentes exprimées en formation plénière et celui des opinions exprimées en « chambres » doivent être distingués. Il convient de rappeler que les recours en inconstitutionnalité, les exceptions d'inconstitutionnalité et les conflits de compétence sont décidés en plénière. Les recours d'amparo sont ordinairement adoptés par les chambres. Cependant, il est loisible au Tribunal constitutionnel de statuer sur les amparos en plénière lorsqu'il en décide ainsi, soit parce qu'il s'agit de litiges très importants soit parce qu'existe une jurisprudence divergente entre les deux chambres(11).

Dans la mesure où le Tribunal constitutionnel se compose de douze membres, les arrêts avec opinions dissidentes peuvent être adoptés avec l'opinion contraire de un à six magistrats (le président dispose d'une voix prépondérante). Le degré de divergence entre la majorité et les magistrats auteurs d'opinions dissidentes et des différents types d'arrêts sont décrits ci-dessous :

Tableau nº 6

Opinions dissidentes
par nombre de magistrats dissidents
et décisions rendues en plénière

[non reproduit]

En plénière, le Tribunal constitutionnel a au total émis 206 arrêts avec opinions dissidentes dans les procédures de contrôle de la constitutionnalité des lois (recours et exception d'inconstitutionnalité), conflits de compétence et recours d'amparo décidés exceptionnellement par la totalité des magistrats. Ce total se divise en 159 arrêts avec opinions dissidentes pour le contrôle de la loi et la répartition des compétences et 47 pour les recours d'amparo.

Il résulte de l'examen de ces chiffres, au regard du nombre de magistrats qui adoptent une position contraire à l'opinion majoritaire exprimée par le Tribunal, que la plupart des arrêts avec opinions dissidentes ne s'oppose qu'à un, deux ou trois magistrats sur douze, ce qui signifie que, au minimum, les deux tiers du Tribunal ont soutenu la décision finale sur l'affaire. Il est intéressant de voir quelles sont les affaires qui ont donné lieu aux plus grandes dissensions parmi les membres du Tribunal constitutionnel et, surtout, quelles sont les dissensions qui ont été si profondes que les recours ont du être tranchés avec la voix prépondérante du président. Je me limiterai aux arrêts rendus avec quatre (ou plus) opinions dissidentes, car avec une, deux ou trois opinions contraires à celle de la majorité, on ne peut pas parler d'une « grande » divergence parmi les membres du Tribunal.

1) Les arrêts rendus avec 6 opinions dissidentes

En ce qui concerne les décisions rendues avec six opinions dissidentes, c'est-à-dire, les cas dans lesquels la moitié du Tribunal a exprimé une opinion contraire à l'autre moitié et, dans lesquels, par conséquent, le président a décidé du sens de l'arrêt, six arrêts relatifs à des affaires particulièrement contraignantes sont concernées :

Tableau nº 7

Arrêts du Tribunal constitutionnel
adoptés avec la voix prépondérante
du président
(RI, EI, CC)

- STC 5/1981, sur la loi organique portant statut des centres scolaires.

- STC 111/1983, sur le décret-loi d'expropriation du holding Rumasa.

- STC 53/1985, sur la loi organique de dépénalisation partielle de l'interruption volontaire de la grossesse.

- STC 71/1994, sur une loi organique concernant la lutte contre le terrorisme.

- STC 127/1994, sur la loi relative à la télévision privée.

- STC 13/1998, sur les compétences des Communautés autonomes en matière écologique.

Il s'agit en effet de matières assez sensibles comme l'éducation, la propriété, l'interruption volontaire de grossesse, la lutte contre le terrorisme, les moyens audiovisuels et l'écologie. Dans toutes ces affaires, le Tribunal constitutionnel n'a pas réussi à trouver une réponse soutenue par une majorité confortable pouvant désactiver le débat social préexistant à ces affaires. En outre, l'arrêt du Tribunal n'a effectivement pas clos les oppositions sociales ni tranché le débat qui se poursuit encore aujourd'hui. Les arrêts ainsi décidés grâce à la voix prépondérante du président ont toujours été commentés, dans un sens extrêmement critique, par la presse laquelle, parfois très directement, fait allusion à la dimension politique latente de ce conflit interne au Tribunal.

2) Les arrêts rendus avec 5 opinions dissidentes

Neuf arrêts importants en matière de contrôle de constitutionnalité des lois et des conflits de compétences entre l'État et les Communautés autonomes, avec 5 opinions dissidentes concernant des affaires surtout économiques et relatives aux compétences des Communautés autonomes, doivent être relevés :

Tableau nº 8

Arrêts du Tribunal constitutionnel
rendus avec cinq opinions dissidentes
(RI, EI, CC)

- STC 75/1983, sur l'accès aux fonctions publiques.

- STC 196/1987, sur le droit à être assisté par un avocat pendant la garde à vue.

- STC 124/1989, sur les compétences des Communautés autonomes concernant la sécurité sociale.

- STC 225/1993, sur la concurrence entre surfaces commerciales.

- STC 244/1993, sur la concurrence en matière de télécommunication.

- STC 225/1993, également sur les surfaces commerciales.

- STC 284/1993, sur les compétences en matière de commerce intérieur.

- STC 215/1994, sur la stérilisation des handicapés mentaux.

- STC 173/1998, sur l'extension du concept de compétence exclusive

En effet, ce sont principalement des affaires ayant des répercussions économiques qui font l'objet d'arrêts avec cinq opinions dissidentes. Parmi elles, les contentieux concernant les surfaces commerciales, le commerce intérieur, la sécurité sociale et les télécommunications, font systématiquement l'objet de conflits entre l'État et les Communautés autonomes. Cependant, les dissidences portant aussi sur la portée du concept de compétence exclusive, définition d'une extraordinaire importance pour concrétiser les compétences des Communautés autonomes dans l'État ainsi que sur les droits fondamentaux dans les affaires relatives à l'accès aux fonctions publiques et la stérilisation des handicapés mentaux. Peut être s'agit-il de problèmes trop importants pour qu'une décision, avec cinq votes contre la majorité, puisse y mettre un terme.

3) Les arrêts rendus avec 4 opinions dissidentes

Enfin, sont à signaler les 17 arrêts du Tribunal constitutionnel rendus avec 4 opinions dissidentes, toujours dans le cadre de procédures de contrôle de constitutionnalité des lois ou de règlement des conflits de compétence. Ces arrêts sont acquis malgré l'opposition d'un tiers du Tribunal, ce qui représente déjà une dissension importante.

Tableau nº 9

Arrêts du Tribunal constitutionnel
rendus avec quatre opinions dissidentes
(RI, EI, CC)

- STC 25/1981, concernant la législation contre le terrorisme.

- STC 26/1987, sur la loi de réforme universitaire.

- STC 161/1987, qui règle l'objection de conscience.

- STC 86/1989, sur les assurances privées.

- STC 137/1989, concernant les relations internationales des Communautés autonomes.

- STC 158/1992, sur la compétence des Communautés autonomes pour la nomination des juges.

- STC 107/1993, concernant les relations de travail.

- STC 206/1993, relatif à l'exécution des arrêts contre l'administration.

- STC 264/1993, sur le partage de compétences en matière commerciale.

- STC 56/1994, concernant les fonctions du Procureur Général.

- STC 116/1994, relative aux compétences de la Navarre.

- STC 178/1994, sur les compétences des chambres de la propriété municipale.

- STC 179/1994, sur les compétences des chambres de commerce.

- STC 197/1996, concernant le droit d'association.

- STC 161/1997, relative aux contrôles sur l'état d'ivresse.

- STC 182/1997, en matière fiscale.

- STC 206/1997, sur la concurrence entre régimes de retraites.

Un tiers donc du Tribunal constitutionnel ne rejoint pas ce qui a été décidé par la majorité sur les 17 affaires concernant les sujets exposés ci-dessus, dans des procédures de contrôle de constitutionnalité des lois ou bien des conflits de compétence entre l'État et les Communautés autonomes. Il s'agit de matières telles que les droits fondamentaux (l'objection de conscience, l'autonomie universitaire, le droit d'association, l'exécution des arrêts contre l'administration, la liberté personnelle dans les contrôles sur l'état d'ivresse et la suspension des droits dans la lutte contre le terrorisme), les compétences des Communautés autonomes (sur les assurances privées, les relations internationales, la nomination des juges, le commerce et les retraites), les fonctions de différents organes et institutions (le procureur général, les chambres de la propriété urbaine ou commerciale, la Communauté Navarre) et quelques réglementations fiscales.

G. Les arrêts avec opinions dissidentes dans le cadre des recours d'amparo

Les recours d'amparo ont aussi été l'objet de controverses, autant en plénière que dans les chambres. Néanmoins, aucun amparo n'a été décidé en plénière avec la voix prépondérante du président du Tribunal (à la différence des décisions rendues par les chambres). Dans ces affaires il ne s'agit pas du contrôle sur les lois ou les compétences des Communautés autonomes, mais de l'effectivité des droits fondamentaux garantis par la Constitution.

1) Les amparos décidés en plénière avec opinions dissidentes

Il faut rappeler que les recours d'amparo sont traités par la plénière dans le cadre d'une procédure exceptionnelle, dans des affaires extrêmement importantes ou quand il est question de modifier l'orientation jurisprudentielle du Tribunal. 12 amparos avec l'opinion dissidente de 5 magistrats ont été prononcés, 3 amparos avec 4 opinions dissidentes, 12 amparos avec opinion dissidente de 3 magistrats, 10 amparos avec 2 opinions dissidentes et 10 amparos avec 1 magistrat opposé à l'opinion de la majorité.

Les 12 amparos décidés avec l'opinion dissidente de cinq magistrats étaient relatifs à la sécurité sociale et, surtout, au droit au procès équitable :

Tableau nº 10

Recours d'amparo
décidés par la plénière
du Tribunal constitutionnel
avec cinq opinions dissidentes

- STC 189/1987, sur la sécurité sociale des travailleurs indépendants.

- STC 37/1988, sur le droit au procès équitable.

- STC 209/1991, sur les effets des arrêts édictés en application du Concordat avec le Saint-Siège.

- STC 207, 208, 209, 210, 211, 212, 213, 214 et 215/1997, tous relatifs au droit au procès équitable.

Les 3 recours d'amparo adoptés avec l'opinion dissidente de 4 magistrats concernent l'égalité devant la loi et l'immunité des parlementaires :

Tableau nº 11

Recours d'amparo
décidés par la plénière
du Tribunal constitutionnel
avec quatre opinions dissidentes

- STC 61/1982, sur l'égalité devant la loi.

- STC 206/1992, sur les immunités des parlementaires.

- STC 159/1997, également sur l'égalité devant la loi.

2) Les amparos décidés en chambre avec la voix prépondérante du président

Pour terminer l'analyse des opinions dissidentes dans les recours d'amparo, il convient de souligner que, en chambres du Tribunal constitutionnel, ont été décidés des amparos avec la voix prépondérante du président de chambre, c'est-à-dire avec 3 opinions dissidentes sur les 6 magistrats qui les composent. Quatre arrêts adoptés dans ces conditions peuvent être comptabilisés :

Tableau nº 12

Recours d'amparo décidés
en chambre du Tribunal constitutionnel
avec la voix prépondérante
du président de chambre

- STC 64/1988, concernant le droit au procès équitable(12).

- STC 27/1996, sur le droit de participation politique.

- STC 56/1997, concernant la détention préventive.

- STC 128/1997, relative aux communications des prisonniers.

On constate immédiatement que les dissidences entre les magistrats du Tribunal constitutionnel sont beaucoup plus nombreuses en plénière que dans les chambres. Sans les comptabiliser avec exactitude on peut affirmer que, en moyenne, le rapport est d'un arrêt prononcé en chambre avec opinions dissidentes pour 25 arrêts prononcés en plénière avec opinions dissidentes. La présence d'un plus grand nombre de magistrats en plénière (12 au lieu de 6) et la nature des affaires (contrôle des lois et des compétences des Communautés autonomes toujours dans la plénière, recours d'amparo plutôt dans les chambres) expliquent peut-être cette différence.
(12) Dans cette affaire, trois magistrats ont exprimé opinions particulière, une dissidente et deux concordantes.

IV. Le bilan

Ce travail a permis de constater que certains magistrats sont très actifs dans la pratique de l'opinion dissidente alors que d'autres ne l'ont presque pas utilisée. Cette différence repose-t-elle sur l'intensité du travail des magistrats ? Il ne le semble pas. L'organisation du travail tant en formation plénière qu'au sein des chambres fait apparaître que la participation des magistrats à l'activité du Tribunal doit être évaluée avec d'autres instruments de mesure, comme le travail du rapporteur ou l'intensité et la longueur des discussions pour convaincre les autres magistrats. Ces éléments ne peuvent pas être comptabilisées aussi exactement que les opinions dissidentes mais elles occupent une grande partie du temps des magistrats. La quantité d'opinions dissidentes émise ne constitue donc pas toujours la manifestation d'un plus grand investissement dans le travail d'interprétation du Tribunal constitutionnel. Plus encore et peut-être au contraire, on pourrait avancer l'idée selon laquelle, signer beaucoup d'opinions dissidentes signifie que l'on n'a pas pris les moyens de convaincre les autres magistrats de la justesse de sa position.

Par ailleurs, il a pu être constaté qu'un nombre significativement plus élevé d'opinions dissidentes porte sur le contrôle de la constitutionnalité des lois et non sur la garantie des droits fondamentaux. La plupart des opinions dissidentes portent, bien sûr, sur les recours d'amparo, mais les opinions dissidentes sur les recours et les exceptions d'inconstitutionnalité sont, par rapport à la proportion d'arrêts de ces différentes procédures (80 % d'amparos), plus fréquentes. Dans ces arrêts qui concernent le travail d'interprétation du Tribunal, les magistrats rédigent des opinions dissidentes le plus souvent pour manifester leur opposition soit à la tentation du Tribunal de se transformer en législateur et ainsi d'outrepasser sa compétence, soit au revirement de jurisprudence que la majorité a décidé d'adopter.

Dans un autre ordre d'idée, en analysant l'évolution chronologique de la dissidence et en considérant les différentes matières objets de discussion entre les magistrats à chaque renouvellement du Tribunal, tous les trois ans, on pourrait se demander si les opinions dissidentes d'un moment se sont ultérieurement transformées en opinion majoritaire. Sur cette question, il est difficile de se prononcer, de manière absolue, dans un sens ou dans l'autre.

D'une part parce que, quelquefois, les arrêts adoptés avec la voix prépondérante du président ont été à nouveau traités avec moins de dissensions, comme cela a été le cas pour l'expropriation du holding Rumasa. Cette affaire a donné lieu, lors du recours d'inconstitutionnalité, à 6 opinions dissidentes et n'en a reçu que 2 dans l'exception d'inconstitutionnalité qui a suivi. En revanche, d'autres affaires adoptées elles aussi avec 6 opinions dissidentes ont pu soit faire l'objet d'une nouvelle loi, comme l'éducation ou la suspension des droits dans la lutte contre le terrorisme, soit rester en l'état, sans intervention nouvelle du législateur, comme l'interruption volontaire de grossesse ou le régime juridique des télévisions privées câblées.

D'autre part il se peut que l'argument développé par une opinion dissidente isolée soit, plus tard, repris par une majorité du Tribunal. Ce fut le cas dans l'affaire subordonnant l'expulsion d'un locataire à l'existence d'une ou de deux décisions judiciaires. Dans un premier temps, le Tribunal constitutionnel avait exigé une deuxième décision judiciaire par un arrêt avec une opinion dissidente, et, ultérieurement, le Tribunal a donné raison à cette dissension en n'exigeant plus qu'une seule décision judiciaire.

Le nombre d'opinions dissidentes par affaire ne décide donc pas de l'évolution postérieure de la doctrine du Tribunal constitutionnel, mais il n'est pas possible de nier que la dissidence est indicative de changements jurisprudentiels futurs.

Compte tenu des considérations émises tout au long de ce travail, il est également permis de constater que, malgré l'importance des matières ayant donné lieu à opinions divergentes, ni le prestige ni la crédibilité du Tribunal constitutionnel n'en ont été affectés, même si, quelque fois, les médias ont mis l'accent sur une apparente politisation des arrêts. Le self restreint des présidents, la concrétisation des arguments contraires à la majorité, le soin avec lequel les magistrats ont rédigé les opinions dissidentes, dénotent une pratique de l'opinion dissidente menée avec prudence et rigueur.

Les opinions dissidentes, en assurant la publicité des positions juridiques personnelles des juges, garantissent ainsi l'indépendance et l'impartialité de ceux-ci.


113. Les deux lois sont encore en vigueur (bien qu'approuvée il y a seulement deux mois une nouvelle loi de procédure civile entrera en application dans un an). Ces dispositions législatives prévoyaient l'existence de livres secrets qui ne pouvaient être mis à la disposition du public et qui comprenaient le registre des votations dans les organes judiciaires. Ce caractère secret a aujourd'hui disparu.

114. La loi dit « auto ». Les « autos » sont des décisions qui ne répondent pas au fond mais aux affaires de procédure ou aux mesures de caution (prison provisoire, admission de la requête, etc.).

115. Cet article disposait :

1) Les arrêts statuant sur un recours en inconstitutionnalité devront contenir les arguments juridiques de fond, mais sans qu'ils puissent être assujettis à d'autres formalités de rédaction que celles de constater les circonstances du recours interjeté, le nom et le prénom des membres du tribunal, du rapporteur et des défendeurs et la date de son émission.

2) Les membres du tribunal qui sont en désaccord avec le critère qui a prévalu devront consigner par écrit l'opinion motivée qu'ils soutiennent, laquelle on fera constater dans le livre ordonné à cet effet.

3) Les arrêts prononcés suite à des consultations ou des recours en inconstitutionnalité seront notifiés au consultant ou à l'auteur de la saisine par son gouvernement, et si la consultation résultait d'un litige en cours, au juge afin que la décision du tribunal produise ses effets dans ce litige. Les votes particuliers seront rendus publics en même temps et dans la même forme que les arrêts.

116. Le Journal des Séances de cette Commission contient l'intervention de M. Peces-Barba dans son n° 92, correspondant à la session du 19 juin 1978.

117. Dans ce sens s'expriment A. Agundez, « Repercusiones de la Constitución de 1978 en el Derecho Procesa », en AA. VV, Lecturas sobre la Constitución española, vol. II, Madrid, 1978 ; J. Almagro Nosete, Justicia Constitucional. Comentarios a la Ley Orgánica del Tribunal Constitucional, Madrid, 1980 ; F.J. Ezquiaga Ganuzas, El voto particular, Madrid, 1990, con estudio introductorio de J. Igartua Salaverria ; M. J. Ridaura Martínez, La jurisprudencia del Tribunal Constitucional español a través del voto particular, Tesis Doctoral, Universidad de Valencia, 1988 ; G. Cámara Villar, Votos particulares y Derechos Fundamentales en la práctica del Tribunal Constitucional Español (1981-1991), Madrid, 1993.

Des magistrats du Tribunal constitutionnel ont exprimé aussi leur opinion favorable aux opinions dissidentes (lesquelles, comme on le verra postérieurement, ont été souvent formulées par eux); c'est le cas de F. Rubio Llorente (entretien publié dans le journal El País, le 31 juill. 1989), et de M. Jiménez de Parga dans El Sol du 3 oct. 1991 ; et aussi de P. Cruz Villalón, « Dos años de jurisprudencia constitucional española », Revista de Derecho Político, n° 17, 1983.

Nous trouvons aussi dans la doctrine étrangère des études sur les opinions dissidentes en Espagne qui expriment une position favorable à la pratique du Tribunal constitutionnel espagnol. C'est le cas de L. Luatti, Profili costituzionali del voto particolare. L'esperienza del Tribunale Costituzionale Spagnolo, Milano, 1995. Et de G. Rolla, « Giustizia costituzionale e indirizzo politico in Spagna : prime reflessioni sull'esperienza del Tribunale Costituzionale », in L'influenza del valori costituzionali sud sistemi guiridici contemporanei, Milán, 1985.

118. Parmi ceux qui expriment une critique, sans être totalement opposés, sur les opinions dissidentes on trouve dans la doctrine espagnole J.L. Cascajo Castro, « La figura del voto particular en la jurisdicción constitucional española », Revista Española de Derecho Constitucional, n° 17, 1986 ; G. TrujilloRUJILLO, « Juicio de legitimidad e interpretación constitucional : cuestiones problemáticas en el horizonte constitucional español », Revista de Estudios Políticos, n° 7, 1979 ; A. Garrorena Morales, « La sentencia constitucional », Revista de Derecho Político, n° 11, 1981.

119. On peut consulter J. Wroblewsky, Constitución y teoría general de la interpretación jurídica, Madrid, 1985 ; Zagrebelsky, El derecho dùctil, Madrid, 1995 ; N. MacCormick and O. Weinberger, An Institutional Theory of Law, Dordrecht, 1986 ; P. Häberle, La Libertad Fundamental en el Estado Constitucional, Lima (Perú), 1997 ; M. L. Balaguer Callejón, La interpretación de la Constitución por la jurisdicción ordinaria, Madrid, 1990 ; I. de Otto, Estudios sobre el poder judicial, Madrid, 1989 ; E. García de Enterría, La Constitución como norma y el Tribunal Constitucional, Madrid, 1985. T. Freixes Sanjuán, « Una aproximación al método de interpretación constitucional », Cuadernos de la Cátedra Fadrique Furió Ceriol, n° 4, 1993 ; T. Freixes Sanjuán y J.C. Remotti carbonell, « Los valores y principios en la interpretación constitucional », Revista Española de Derecho Constitucional, n° 35, 1992.

120. Ne sont pas comptabilisées les décisions nommées « autos », qui ne décident pas sur le fond de l'affaire, bien que ces « autos » fassent quelques fois aussi l'objet d'opinions dissidentes. Sont également exclues les décisions sur le contrôle préalable des traités internationaux parce que cette procédure ne débouche pas sur un arrêt mais sur une déclaration ayant force obligatoire. Les données sur lesquelles repose ce travail ne concernent par conséquent que les arrêts du Tribunal constitutionnel.

121. On utilisera par la suite les signes NAOD pour signaler le Nombre d'Arrêts avec Opinions Dissidentes.

122. Le président du Tribunal constitutionnel est élu par les magistrats et nommé par le Roi pour une période de trois ans (art. 160 CE).

123. L'article 159 de la Constitution dispose ce qui suit :

1) Le Tribunal constitutionnel se compose de 12 membres nommés par le Roi, dont quatre sur proposition du Congrès avec la majorité des 3/5es de ses membres ; quatre sur proposition du Sénat, à la même majorité ; deux sur proposition du gouvernement, et deux sur proposition du Conseil Général du pouvoir judiciaire.

2) ...

3) Les membres du Tribunal constitutionnel seront désignés pour une période de neuf ans et ils seront renouvelés par tiers tous les trois ans.

124. Je dis « en principe » parce que les dernières élections de magistrats ont retardé de quelques mois le renouvellement du Tribunal. La dernière, en 1998, s'est faite, au Sénat, avec un retard de presque un an.

125. Nous sommes en présence d'une situation un peu insolite dans les organes collégiaux, car le Tribunal constitutionnel espagnol est composé de 12 membres en plénière et de 6 membres dans chacune des deux chambres, ce qui donne la possibilité d'un partage égal des voix. Dans ce cas, et si la loi organique du Tribunal constitutionnel n'en dispose autrement, cette loi (art. 90) et le règlement du Tribunal (art. 11) prévoient que le vote du président l'emporte.

126. À noter, la loi organique du Tribunal constitutionnel dispose que si un conflit de compétences entre l'État et les Communautés Autonomes résulte d'une norme ayant valeur législative, la procédure devant le Tribunal constitutionnel sera celle du recours d'inconstitutionnalité (art. 67).

127. Dans ce sens, l'art. 10.k) de la loi organique du Tribunal constitutionnel dispose que la plénière connaîtra des affaires qui, sur proposition du président ou de trois magistrats, sont réclamées par cet organe. En plus, l'article 13 de cette loi organique exige que si une chambre considère nécessaire de ne pas suivre les critères jurisprudentiels des précédents du Tribunal, cette question sera soumise à la plénière.

128. Dans cette affaire, trois magistrats ont exprimé opinions particulière, une dissidente et deux concordantes.

(1) Les deux lois sont encore en vigueur (bien qu'approuvée il y a seulement deux mois une nouvelle loi de procédure civile entrera en application dans un an). Ces dispositions législatives prévoyaient l'existence de livres secrets qui ne pouvaient être mis à la disposition du public et qui comprenaient le registre des votations dans les organes judiciaires. Ce caractère secret a aujourd'hui disparu.
(2) La loi dit « auto ». Les « autos » sont des décisions qui ne répondent pas au fond mais aux affaires de procédure ou aux mesures de caution (prison provisoire, admission de la requête, etc.).
(3) Cet article disposait :

  1. Les arrêts statuant sur un recours en inconstitutionnalité devront contenir les arguments juridiques de fond, mais sans qu'ils puissent être assujettis à d'autres formalités de rédaction que celles de constater les circonstances du recours interjeté, le nom et le prénom des membres du tribunal, du rapporteur et des défendeurs et la date de son émission.

  2. Les membres du tribunal qui sont en désaccord avec le critère qui a prévalu devront consigner par écrit l'opinion motivée qu'ils soutiennent, laquelle on fera constater dans le livre ordonné à cet effet.

  3. Les arrêts prononcés suite à des consultations ou des recours en inconstitutionnalité seront notifiés au consultant ou à l'auteur de la saisine par son gouvernement, et si la consultation résultait d'un litige en cours, au juge afin que la décision du tribunal produise ses effets dans ce litige. Les votes particuliers seront rendus publics en même temps et dans la même forme que les arrêts.
    (4) Le Journal des Séances de cette Commission contient l'intervention de M. Peces-Barba dans son n° 92, correspondant à la session du 19 juin 1978.
    (5) Dans ce sens s'expriment A. Agundez, « Repercusiones de la Constitución de 1978 en el Derecho Procesa », en AA. VV, Lecturas sobre la Constitución española, vol. II, Madrid, 1978 ; J. Almagro Nosete, Justicia Constitucional. Comentarios a la Ley Orgánica del Tribunal Constitucional, Madrid, 1980 ; F.J. Ezquiaga Ganuzas, El voto particular, Madrid, 1990, con estudio introductorio de J. Igartua Salaverria ; M. J. Ridaura Martínez, La jurisprudencia del Tribunal Constitucional español a través del voto particular, Tesis Doctoral, Universidad de Valencia, 1988 ; G. Cámara Villar, Votos particulares y Derechos Fundamentales en la práctica del Tribunal Constitucional Español (1981-1991), Madrid, 1993.

Des magistrats du Tribunal constitutionnel ont exprimé aussi leur opinion favorable aux opinions dissidentes (lesquelles, comme on le verra postérieurement, ont été souvent formulées par eux); c'est le cas de F. Rubio Llorente (entretien publié dans le journal El País, le 31 juill. 1989), et de M. Jiménez de Parga dans El Sol du 3 oct. 1991 ; et aussi de P. Cruz Villalón, « Dos años de jurisprudencia constitucional española », Revista de Derecho Político, n° 17, 1983.

Nous trouvons aussi dans la doctrine étrangère des études sur les opinions dissidentes en Espagne qui expriment une position favorable à la pratique du Tribunal constitutionnel espagnol. C'est le cas de L. Luatti, Profili costituzionali del voto particolare. L'esperienza del Tribunale Costituzionale Spagnolo, Milano, 1995. Et de G. Rolla, « Giustizia costituzionale e indirizzo politico in Spagna : prime reflessioni sull'esperienza del Tribunale Costituzionale », in L'influenza del valori costituzionali sud sistemi guiridici contemporanei, Milán, 1985.
(6) Parmi ceux qui expriment une critique, sans être totalement opposés, sur les opinions dissidentes on trouve dans la doctrine espagnole J.L. Cascajo Castro, « La figura del voto particular en la jurisdicción constitucional española », Revista Española de Derecho Constitucional, n° 17, 1986 ; G. TrujilloRUJILLO, « Juicio de legitimidad e interpretación constitucional : cuestiones problemáticas en el horizonte constitucional español », Revista de Estudios Políticos, n° 7, 1979 ; A. Garrorena Morales, « La sentencia constitucional », Revista de Derecho Político, n° 11, 1981.

(7) On peut consulter J. Wroblewsky, Constitución y teoría general de la interpretación jurídica, Madrid, 1985 ; Zagrebelsky, El derecho dùctil, Madrid, 1995 ; N. MacCormick and O. Weinberger, An Institutional Theory of Law, Dordrecht, 1986 ; P. Häberle, La Libertad Fundamental en el Estado Constitucional, Lima (Perú), 1997 ; M. L. Balaguer Callejón, La interpretación de la Constitución por la jurisdicción ordinaria, Madrid, 1990 ; I. de Otto, Estudios sobre el poder judicial, Madrid, 1989 ; E. García de Enterría, La Constitución como norma y el Tribunal Constitucional, Madrid, 1985. T. Freixes Sanjuán, « Una aproximación al método de interpretación constitucional », Cuadernos de la Cátedra Fadrique Furió Ceriol, n° 4, 1993 ; T. Freixes Sanjuán y J.C. Remotti carbonell, « Los valores y principios en la interpretación constitucional », Revista Española de Derecho Constitucional, n° 35, 1992.
(8) Ne sont pas comptabilisées les décisions nommées « autos », qui ne décident pas sur le fond de l'affaire, bien que ces « autos » fassent quelques fois aussi l'objet d'opinions dissidentes. Sont également exclues les décisions sur le contrôle préalable des traités internationaux parce que cette procédure ne débouche pas sur un arrêt mais sur une déclaration ayant force obligatoire. Les données sur lesquelles repose ce travail ne concernent par conséquent que les arrêts du Tribunal constitutionnel.
(9) Nous sommes en présence d'une situation un peu insolite dans les organes collégiaux, car le Tribunal constitutionnel espagnol est composé de 12 membres en plénière et de 6 membres dans chacune des deux chambres, ce qui donne la possibilité d'un partage égal des voix. Dans ce cas, et si la loi organique du Tribunal constitutionnel n'en dispose autrement, cette loi (art. 90) et le règlement du Tribunal (art. 11) prévoient que le vote du président l'emporte.
(10) À noter, la loi organique du Tribunal constitutionnel dispose que si un conflit de compétences entre l'État et les Communautés Autonomes résulte d'une norme ayant valeur législative, la procédure devant le Tribunal constitutionnel sera celle du recours d'inconstitutionnalité (art. 67).
(11) Dans ce sens, l'art. 10.k) de la loi organique du Tribunal constitutionnel dispose que la plénière connaîtra des affaires qui, sur proposition du président ou de trois magistrats, sont réclamées par cet organe. En plus, l'article 13 de cette loi organique exige que si une chambre considère nécessaire de ne pas suivre les critères jurisprudentiels des précédents du Tribunal, cette question sera soumise à la plénière.