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La Constitution et le droit pénal - Avant propos

Pascale DEUMIER - Professeur à l'Université de Saint-Étienne - Bertrand DE LAMY - Professeur à l'Université de Toulouse

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 26 (Dossier : La Constitution et le droit pénal) - août 2009

Ce numéro des Cahiers du Conseil constitutionnel vient à point nommé. Si, il y a vingt ans déjà, l'émergence d'un « droit constitutionnel pénal » avait été prédite et analysée par le doyen Favoreu dans un article célèbre(1), depuis, l'abondance des lois pénales soumises au Conseil constitutionnel, l'importance des enjeux constitutionnels dégagés à l'occasion de leur examen, le développement du contrôle de conventionnalité des lois et l'apparition d'un droit pénal communautaire ont renforcé et complexifié les liens entre la Constitution et le droit pénal. En outre, chacun pressent que la question de constitutionnalité introduite par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 trouvera à s'exercer en matière pénale et que l'introduction d'un contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori ouvrira ainsi, aux praticiens autant qu'à la doctrine, des horizons nouveaux.

Il est donc apparu particulièrement opportun que les Cahiers du Conseil constitutionnel consacrent, en 2009, un numéro à la relation entre le droit pénal et la Constitution. Il ne s'agit nullement de réaliser un bilan exhaustif de la jurisprudence. Une telle étude dépasserait d'ailleurs les limites de cette publication. L'ambition de ce numéro, à la fois plus modeste et plus large, est de réaliser un « point d'étape » et de nourrir la réflexion en croisant analyses et perspectives.

Les décisions du Conseil constitutionnel intéressant le droit pénal sont particulièrement nombreuses. Le droit répressif est, en effet, fondé sur des principes ayant, pour beaucoup d'entre eux, reçu l'onction constitutionnelle et la multitude des réformes que connaît la matière favorise ces occasions de rencontre. La jurisprudence construisant un droit pénal constitutionnel est donc riche et croise, sur de nombreux points, celle bâtie par la Cour de Strasbourg, dont on peut se demander si elle n'exerce pas un pouvoir d'attraction sur le Conseil. Il aurait été possible de consacrer ce numéro des Cahiers du Conseil constitutionnel à l'étude de certaines questions ponctuelles, sélectionnées en fonction de leur représentativité ou de leur actualité, mais le choix a été fait de se concentrer sur des études plus transversales, afin de mieux relater les mouvements animant la jurisprudence du Conseil constitutionnel, en faisant une place aux considérations européennes et de politiques criminelles qui aident à la mise en perspective.

« La valeur constitutionnelle ne serait rien sans le sens pénal » expose Marc Segonds dans le propos introductif. La constitutionnalisation des principes cimentant le droit pénal a cette vertu de ramener sur le devant de la scène juridique le débat sur le sens de ces principes essentiels, trop souvent noyés sous une cascade de textes techniques et instables qui en masquent l'essence. Le Conseil, souligne Marc Segonds, a su, au-delà de la lettre des textes, dégager d'autres piliers du droit pénal dont les principes de personnalité et d'intentionnalité.

La notion de « punition », essentielle sur le thème qui nous intéresse, est étudiée par Jacques-Henri Robert. On s'interrogera, ici, sur le parallélisme des positions du Conseil et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme à propos du concept de « matière pénale ». C'est à une réflexion sur le périmètre du droit pénal que le professeur Robert convie le lecteur en montrant le corps de règles qui s'est développé lors de la construction du droit de la punition et soulignant que le Conseil laisse apparaître des mesures de sûreté aussi afflictives que les peines mais entourées, cette fois, de garanties moindres.

Parmi ces garanties la légalité est primordiale. Mais, la loi pénale, au sens formel, est-elle toujours la source essentielle du droit pénal ? Celui-ci, notamment sous l'influence des positions de la Cour européenne des droits de l'homme, ne commence-t-il pas à s'ouvrir à une conception matérielle de la légalité ? Cette question est abordée par Bertrand de Lamy qui montre, d'une part, que le Conseil constitutionnel préserve, et encadre, la liberté du législateur, et, d'autre part, opère un contrôle de qualité rédactionnelle des textes qui lui sont soumis. Ce contrôle n'est pas, là encore, sans rappeler les exigences de la Cour de Strasbourg, laquelle ne s'intéresse qu'à l'accessibilité et à la prévisibilité de l'interdit pénal et non à la qualité de celui qui a édicté la norme. Reste que l'on peut se demander si la légitimité politique de l'auteur du texte ne participe pas directement à la garantie légaliste ?

La rencontre du droit pénal et de la Constitution, c'est aussi l'interférence d'une donnée nouvelle que certains auteurs privatistes « obsidionaux » avaient cru par magie tenue hors de portée, le droit communautaire. Denys Simon prend acte du phénomène et analyse les rapports liant désormais « Constitution, souveraineté, droit communautaire », dans toutes leurs dimensions (compétence législative, communautarisation des sanctions et des procédures, soumission aux garanties communautaires), dressant par ces strates successives le portrait d'un « droit pénal européen ».

Valérie Malabat examine, pour sa part, la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la responsabilité et l'irresponsabilité pénale. Cet auteur regrette l'insuffisante consécration des principes traitant des conditions de la responsabilité pénale, ainsi que les carences en ce qui concerne les principes relatifs à l'irresponsabilité pénale. Aurait été, ici, bienvenue la reconnaissance d'un principe de non-responsabilité pénale des personnes privées de discernement, qui aurait facilement pu trouver un fondement textuel dans la Déclaration de 1789.

Le contrôle de constitutionnalité, lorsqu'il s'applique à la matière pénale, implique également la reconnaissance du Conseil comme « acteur de la politique criminelle ». Christine Lazerges affronte la redoutable question du « Rôle du Conseil constitutionnel en matière de politique criminelle ». Son étude approfondie et critique de 9 grandes décisions récentes, et de leurs saisines, lui permet de mesurer la capacité plus ou moins forte du Conseil à censurer la politique criminelle suivie par le Gouvernement et le Parlement. Cette dernière est marquée par l'abandon d'un modèle protecteur des droits et libertés fondamentaux au profit d'un modèle plus autoritaire de durcissement de la répression. Le Conseil y apporte une réponse constitutionnelle dominée par un « relâchement de son contrôle », qui trouve son expression la plus tangible dans les recours faits aux réserves d'interprétation.

Enfin, la rencontre du droit pénal et de la Constitution n'est pas réservée au Conseil constitutionnel : les principes constitutionnels participent également de l'office des juges ordinaires. « L'utilisation des principes constitutionnels dans la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation » est d'autant plus intéressante qu'elle pose les premiers jalons de la mise en œuvre prochaine de la question de constitutionnalité. Xavier Samuel rappelle ainsi que, si elle a toujours refusé de contrôler la constitutionnalité des lois, la Chambre criminelle n'en a pas moins appliqué fréquemment les principes constitutionnels. En ces cas, les juges ont su tenir compte de la jurisprudence du Conseil. Cette influence peut se déduire d'interprétations unifiées ou se constater dans l'exposé de décisions du Conseil par les conseillers rapporteurs devant la Chambre criminelle. Au-delà, par leur position dans l'ordre juridique, les juges judiciaires tentent d'harmoniser les principes constitutionnels et les principes conventionnels qu'ils appliquent, harmonie qui, ne pouvant être totale, laisse une place à la future question préjudicielle.

(1) Jeandidier (W.) et al., Droit pénal contemporain, Mélanges en l'honneur d'André Vitu, éd. Cujas, 1989, p. 169-209.