Page

Faut-il maintenir la jurisprudence issue de la décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 ?

Bruno GENEVOIS - Conseiller d'État

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 7 (Dossier : La hiérarchie des normes) - décembre 1999

Les données du débat doctrinal ouvert dès l'origine sur les mérites de la décision du Conseil constitutionnel du 15 janvier 1975 sont suffisamment connues pour nous permettre de résumer d'emblée notre pensée.

1. – La jurisprudence issue de la décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, si elle peut appeler la critique quant à certains motifs qu'elle comporte, demeure pertinente dans son affirmation de la différence de nature du contrôle de conformité de la loi à la Constitution et du contrôle de la loi interne au regard des engagements internationaux. Il s'ensuit que l'exclusion des traités des normes de référence du contrôle de constitutionnalité des lois exercé par le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 61 de la Constitution repose toujours sur de solides justifications juridiques, même si elles ne coïncident pas totalement avec celles qui avaient été avancées en 1975.

2. – La répartition des tâches entre le Conseil constitutionnel et les juridictions ordinaires quant à la mise en œuvre des dispositions de l'article 55 de la Constitution qui affirment la primauté des traités sur la loi, paraît répondre au mieux aux conditions concrètes d'intervention de chaque juridiction et à la spécificité tant du droit international général que du droit communautaire.

3. – S'il convient à notre sens de maintenir dans son principe tant la jurisprudence du Conseil constitutionnel que celle qu'il a lui-même suscitée de la part des juridictions ordinaires, une réflexion mérite néanmoins d'être menée à l'effet de mieux cerner la notion de violation directe par la loi de l'article 55 et d'envisager quelle pourrait être la place des traités en cas d'institution de l'exception d'inconstitutionnalité.

I.

A. Le destin de la jurisprudence IVG, ainsi qu'on la désigne parfois dans un raccourci commode, est pour le moins curieux.

1. – Elle a constitué en son temps une surprise car elle allait à l'encontre du « droit vivant » de l'époque. Le Conseil d'État estimait alors qu'un conflit entre un traité et une loi postérieure soulevait une question de conformité de la loi à la Constitution dont il n'était pas juge (1) ce qui suggérait que le Conseil constitutionnel devait s'en saisir. De même, en doctrine, Louis Favoreu tout comme François Luchaire, dans leurs contributions respectives aux Mélanges Eisenmann et aux Mélanges Waline, n'écartait pas pour le premier et envisageait même avec faveur pour le second, l'inclusion des traités dans les normes de référence du contrôle de constitutionnalité des lois.

En sens inverse, il est vrai, existait un courant doctrinal autre, dont l'origine remonte à une étude de J.-P. Niboyet publiée en 1933 dans les Mélanges Carré de Malberg. Selon l'opinion de cet auteur, la primauté du traité sur la loi devait passer par une préférence donnée par le juge à l'application du traité sur la loi même postérieure, sans que soit pour autant portée une quelconque appréciation de sa part sur la validité de la loi au regard de la Constitution. Une approche du même type a été défendue en 1950 par un membre de la Cour de cassation, le Conseiller Pépy (2) puis, en 1968 par le Conseiller d'État, Maurice Lagrange, qui avait critiqué pour ce motif la position adoptée par le juge administratif (3). Mais ces opinions étaient loin d'être majoritaires.

2. – L'apport majeur de la décision du 15 janvier 1975 a consisté à considérer que le contrôle du principe de suprématie du traité sur la loi devait trouver sa solution, non dans une appréciation portée par le juge constitutionnel sur la validité de la loi soumise à son examen, mais au stade de son application ultérieure par les juridictions compétentes.

À l'origine, le raisonnement suivi par la haute instance a suscité des réserves de la part de nombre de commentateurs (4), à l'exception de L. Favoreu et L. Philip qui firent entrer la décision n° 74-54 DC dans le cercle restreint des « grandes décisions ». Ce label était d'autant plus justifié qu'à partir du moment où la Cour de cassation a accepté, avec l'arrêt de sa chambre mixte du 24 mai 1975, Société des cafés Jacques Vabre, d'assurer la primauté du traité sur la loi postérieure, aux critiques initiales adressées au juge constitutionnel succéda une adhésion à sa jurisprudence (5). Une invite pressante fut même adressée au Conseil d'État de s'y conformer, ce que ce dernier se refusa à faire pendant longtemps (6), avant de s'y rallier par sa décision du 20 octobre 1989, Nicolo. Néanmoins, en dépit de la convergence des solutions retenues, des voix se font entendre en doctrine pour mettre en cause la pertinence du raisonnement tenu en janvier 1975 par les juges de la loi.

B. Nous voudrions montrer que les critiques ainsi formulées — qui reprennent le plus souvent celles émises en 1975 par les premiers commentateurs de la décision n° 74-54 DC — manquent leur cible.

1. – Cela tient à ce que le Conseil constitutionnel s'est gardé de reprendre mot pour mot les termes de sa décision du 15 janvier 1975.

N'ont jamais été réitérés les passages où il est dit que les décisions prises par lui dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois revêtent un caractère absolu et définitif alors que la supériorité des traités sur les lois affirmée par l'article 55 de la Constitution « présente un caractère à la fois relatif et contingent, tenant, d'une part, à ce qu'elle est limitée au champ d'application du traité et d'autre part, à ce qu'elle est subordonnée à une condition de réciprocité dont la réalisation peut varier selon le comportement du ou des États signataires et le moment où doit s'apprécier le respect de cette condition ».

L'absence de reprise de cette partie de la motivation s'explique par le fait que le conseil n'a pas été insensible aux critiques doctrinales dirigées contre elle.

En effet, l'accent mis sur la différence dans les champs d'application respectifs du traité et de la loi aboutit à limiter le nombre des hypothèses où il y a effectivement conflit sans exclure toute possibilité de contrôle.

Le caractère contingent de la hiérarchie des normes voulue par l'article 55 qui résulte de l'exigence de réciprocité n'est pas déterminant car une telle exigence ne vaut pas pour tous les traités. La condition de réciprocité est sans objet pour le droit issu de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH 18 janv. 1978, Irlande c/ Royaume Uni) et plus généralement pour les dispositions relatives à la protection de la personne humaine contenues dans des traités de caractère humanitaire (7); pour le droit communautaire en raison de l'existence de procédés organisés permettant d'assurer son respect par les États membres des Communautés (CJCE 13 nov. 1964, Aff. nos 90 et 91/63, Rec. p. 1217) (8).

Par ailleurs, l'autorité qui s'attache aux décisions du Conseil constitutionnel ne serait pas un obstacle à ce que des dispositions législatives qui auraient été par hypothèse censurées pour méconnaissance d'un traité, fussent ultérieurement reprises une fois que le traité aurait cessé d'être applicable dans l'ordre interne (9), ou encore après une révision appropriée de la Constitution.

2. – Demeure en revanche exacte l'affirmation par la décision du 15 janvier 1975 de la différence de nature entre le contrôle de conformité de la loi à la Constitution et le contrôle de la compatibilité de la loi avec les engagements internationaux.

Ainsi que l'a relevé le doyen Vedel « le contrôle de constitutionnalité est un contrôle par référence à un droit objectif interne et non à un droit constitutionnel externe » (10).

Le fait pour une loi d'être contraire à un traité n'entraîne au plus qu'une inconstitutionnalité indirecte. Le conflit de norme peut n'être que partiel dans l'hypothèse où le champ d'application de la loi est plus étendu que celui du traité (11). Il peut enfin n'être que temporaire dans la mesure où la contrariété entre la norme interne et la norme internationale disparaît s'il y a dénonciation du traité (12) ou perte de sa force obligatoire par le jeu de la clause de réciprocité lorsque cette dernière n'est pas dépourvue d'objet.

Ces caractéristiques peuvent d'autant plus aisément être prises en compte qu'elles ne sont pas antinomiques avec l'approche préconisée dès 1933 par J.-P. Niboyet qui, comme on l'a indiqué, insiste sur la priorité d'application du traité sur la loi sans qu'il y ait lieu à interrogation sur la validité de cette dernière. Dans ces conditions, si le contrôle de constitutionnalité indirecte que peut induire dans certains cas la confrontation du traité et de la loi n'est pas exercé par le Conseil constitutionnel, la primauté du traité sur la loi interne n'en sera pas moins consacrée au stade de l'application des normes par les juridictions ordinaires.

C. Telle est l'orientation que le Conseil constitutionnel a donnée à sa jurisprudence à partir de 1986.

1. – Une réflexion a été conduite en son sein dans l'éventualité d'une saisine de la loi reprenant le contenu de l'ordonnance sur les privatisations, dans la mesure où l'article 10 du texte qui est devenu la loi du 6 août 1986 limite à 20 % du capital des entreprises privatisées le montant total des titres cédés à des acquéreurs étrangers, posait problème au regard du droit communautaire (13).

La décision n° 86-216 DC du 3 septembre 1986 a été précédée d'une discussion, le 28 août 1986, entre le membre du Conseil rapporteur, le vice-président du Conseil d'État et le président de la section du contentieux.

La haute instance a agi alors en tant que responsable à titre principal mais non exclusif de la mise en œuvre de l'ordre constitutionnel, pour reprendre les analyses de J.-M. Blanquier (14). Elle a cherché à définir, mieux encore que dans la décision n° 74-54 DC, les responsabilités respectives dans la mise en ? uvre de l'article 55 de la Constitution.

2. – Au lieu de reprendre les formules de la décision du 15 janvier 1975, celle du 3 septembre 1986 énonce que la hiérarchie des normes définie par l'article 55 s'impose même dans le silence de la loi et qu'il appartient « aux divers organes de l'État de veiller à l'application (des) convention internationale dans le cadre de leurs compétences respectives ». Elle censure une violation directe par le législateur des dispositions de l'article 55. Il s'agissait d'un amendement visant à ne reconnaître la supériorité des traités sur la loi qu'au profit des seules conventions internationales ratifiées, en excluant celles qui ont été simplement approuvées.

Il y a plus, le Conseil a montré en quelque sorte l'exemple au juge ordinaire (15), en estimant, lorsqu'il est appelé à statuer en tant que juge électoral, qu'il lui appartient de ne pas faire application d'une loi qui serait contraire à un traité et ceci bien qu'il ne puisse, dans le contentieux électoral, apprécier, par la voie de l'exception, la constitutionnalité d'une loi (21 oct. 1988, Ass. nat. Val-d'Oise, 5e circ., Rec. p. 183).

Et la formule qui synthétise le mieux la jurisprudence est celle qui figure dans le considérant n° 79 de la décision n° 89-268 DC du 29 décembre 1989, où il est rappelé que « dans le cadre de leurs compétences respectives, il incombe aux divers organes de l'État de veiller à l'application des conventions internationales » et qu'à cet égard « s'il revient au Conseil constitutionnel, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article 61 de la Constitution de s'assurer que la loi respecte le champ d'application de l'article 55, il ne lui appartient pas en revanche d'examiner la conformité de celle-ci aux stipulations d'un traité ou d'un accord international ».

Cela signifie que le Conseil, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité veille à ce que la loi ne méconnaisse pas directement l'article 55, par exemple en en réduisant par avance la portée ou en interdisant aux juges de l'application des normes de veiller au respect de la hiérarchie édictée par cet article. À l'inverse, il n'est pas juge de l'inconstitutionnalité indirecte d'une loi qui serait contraire à un traité. Un conflit de ce type doit être résolu au stade de l'application de la loi.

Comme le résument le doyen Vedel et le professeur Delvolvé : « l'article 55 confère valeur constitutionnelle à une règle de conflits de normes ; il donne à tout juge (judiciaire ou administratif) la mission d'appliquer cette règle de conflits dans les litiges dont il est saisi (sinon que voudrait dire l'article 55 ?). Le Conseil constitutionnel est gardien de la règle de conflits, il n'est pas chargé normalement de l'appliquer » (Dr. adm., t. 1, 12e éd., p. 68).

D. C'est une telle approche qui est représentative de l'état actuel de la jurisprudence du Conseil constitutionnel...

C'est une telle approche qui est représentative de l'état actuel de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (cf. n° 98-399 DC du 5 mai 1998, Rec. p. 245) sous la seule réserve de la soumission au droit communautaire de la loi organique relative à la participation des citoyens de l'Union européenne aux élections municipales en raison des termes de l'article 88-3 de la Constitution (n° 98-400 DC du 20 mai 1998, Rec. p. 251). Devrait seul donner lieu à débat cet état du droit et non une discussion à bien des égards dépassée sur le mérite de tel ou tel motif de la décision du 15 janvier 1975. Même si l'on prend soin d'actualiser la controverse, aucun des arguments juridiques mis en avant pour contester la position du juge constitutionnel ne nous paraît décisif.

1. – Dès 1976, Alain Pellet (cf. Gaz. Pal. 14-15 janv. 1976) avait jugé peu cohérente l'exclusion des traités du bloc de constitutionnalité alors que le Conseil y inclut les lois organiques qui seraient extérieures à la Constitution tout autant que les engagements internationaux.

Il est aisé de répondre que la loi organique participe du droit constitutionnel interne plus encore que le traité. Sa conformité à la Constitution est contrôlée par le Conseil constitutionnel. Au surplus, et indépendamment du cas des lois organiques de valeur quasi-constitutionnelle qui, sur habilitation du constituant fixent des règles de procédure législative pour l'élaboration des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale, « une loi ordinaire prise en contradiction avec une loi organique viole nécessairement la Constitution puisqu'elle statue sur une matière réservée par celle-ci à la loi organique »(16).

2. – Le fait pour le Conseil constitutionnel d'avoir rattaché aux dispositions du 14e alinéa du préambule de la Constitution de 1946 relatives au respect par la République des « règles du droit public international », la règle Pacta sunt servanda (cf. n° 92-308 DC du 9 avr. 1992) n'a pas, par elle-même, d'incidence sur l'interprétation donnée par la haute instance de l'article 55 de la Constitution. La consécration constitutionnelle de la règle dont s'agit a eu pour objet essentiel d'écarter toute remise en cause par la voie de l'exception de traités régulièrement entrés dans le champ des prévisions de l'article 55. Elle est neutre au regard de l'idée selon laquelle, pour l'application de cet article, le juge de la constitutionnalité des lois agit simplement en tant que gardien de la règle de conflits.

3. – Ne paraît pas non plus devoir conduire à un changement de jurisprudence, l'introduction dans la Constitution, à la faveur de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992, d'un article 88-1 aux termes duquel : « la République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences » (17).

En effet, ce texte, issu d'une initiative de M. Lamassoure, député, a eu pour objet d'introduire les modifications constitutionnelles rendues nécessaires pour permettre la ratification du traité de Maastricht (18), sans pour autant faire de ce traité une norme de référence du contrôle de constitutionnalité.

4. – L'évolution du statut de la Nouvelle Calédonie marquée par l'intervention successive de l'Accord de Nouméa du 5 mai 1998, de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 et de la loi organique du 19 mars 1999 et l'introduction du concept de « loi du pays » ne paraît pas non plus devoir impliquer un changement de jurisprudence.

En effet, l'intention des rédacteurs des textes est de faire de la loi du pays l'équivalent, dans la sphère de compétence qui lui est propre, de la loi nationale. Chaque type de loi est ainsi soumis aux mêmes catégories de normes de référence pour l'exercice du contrôle de constitutionnalité : Constitution, loi organique (19).

Si forts que soient les arguments juridiques en faveur de la non inclusion des traités, on ne peut exclure tout à fait que dans son pouvoir d'interprétation des normes le Conseil constitutionnel reconnaisse sa compétence pour garantir non seulement le respect de la règle de conflits édictée par l'article 55, mais également pour assurer lui-même son application cas par cas au titre de l'article 61 (20).

II.

Toutefois, à ce stade du raisonnement on rencontre des considérations d'opportunité, dont certaines se rattachent d'ailleurs à des éléments juridiques, qui ont contribué à influer sur les solutions retenues par les juridictions compétentes, au besoin après concertation (21).

Ces éléments d'appréciation conservent toute leur valeur et ne sont pas contrebalancés par l'analyse de ceux qui voient dans la conjonction des jurisprudences IVG, Jacques Vabre et Nicolo, la consécration de trois juges de la constitutionnalité de la loi.

A.

Qu'on le regrette ou non, il y a un contraste saisissant entre les contraintes qui pèsent sur le Conseil constitutionnel lorsqu'il exerce son contrôle abstrait et a priori sur une loi non encore promulguée et la variété des problèmes qu'il lui faudrait trancher s'il devait s'assurer de la conformité de la loi aux engagements internationaux de la France.

1. – Le délai d'examen imparti au Conseil constitutionnel pour se prononcer sur la conformité à la Constitution est d'un mois, ramené à huit jours en cas d'urgence. Bien que l'urgence ne fasse pas l'objet d'une déclaration du Premier ministre, elle est admise de facto par le Conseil pour les lois de finances. Une priorité d'examen est également donnée à la loi de financement de la Sécurité sociale.

Concrètement, c'est au cours de la même période de l'année que la haute instance doit se prononcer sur la loi de finances, le collectif budgétaire et la loi de financement. Ces textes comportent souvent des dispositions qui interfèrent avec les engagements internationaux et qui plus est, dans des matières complexes.

2. – Dans un tel cadre, l'exercice d'un contrôle a priori s'avérerait particulièrement délicat, pour des raisons d'ordre quantitatif et qualitatif.

a) Sur un plan quantitatif, on rappellera qu'au 1er janvier 1982, le nombre des conventions internationales auxquelles la France était partie s'élevait à 4368, dont 3457 accords bilatéraux et 911 accords multilatéraux. À cette estimation, il y avait lieu d'ajouter 54 accords conclus par les Communautés européennes avec des pays tiers et qui s'appliquent à la France (22). La tendance est à l'accroissement du nombre des conventions auxquelles la France est partie (cf. Rép. min. des aff. étr. à une question de M. Longequeue, JO, Déb. Sénat, 5 mars 1987, p. 319).

On relèvera au passage que le Conseil constitutionnel, à la différence des juridictions ordinaires qui n'admettent l'invocabilité des engagements internationaux que pour autant qu'ils sont dotés de l'applicabilité directe (CE, Sect., 23 avr. 1997, GISTI, Rec. p. 142, concl. Abraham), devrait, dans une conception exigeante du contrôle de constitutionnalité indirecte, faire porter son examen de la loi au regard de l'ensemble des traités ratifiés ou approuvés et publiés.

Et il convient également de prendre en compte le droit communautaire dérivé : au 1er janvier 1993, étaient en vigueur au sein des Communautés européennes 22445 règlements, 1675 directives et 1198 accords et protocoles (cf. EDCE, n° 44, p. 16).

b) Mais le contrôle enserré dans de brefs délais est surtout rendu difficile en fonction de données d'ordre qualitatif.

Dans le cas où la condition de réciprocité trouve à s'appliquer, le Conseil constitutionnel devrait en cas de contestation sérieuse procéder à une recherche qui par sa durée pourrait excéder le délai dont il dispose pour statuer.

Lorsque le droit communautaire originaire pose des problèmes d'interprétation ou que le droit dérivé soulève aussi bien des questions d'interprétation que d'appréciation de validité le Conseil ne disposerait pas de la faculté de saisir, à titre préjudiciel, la Cour de justice, à la différence des juridictions ordinaires (23).

On ne saurait sous-estimer l'intérêt d'un recours en appréciation de validité lorsqu'une disposition législative est contestée au regard du droit communautaire dérivé. En cas de contestation sérieuse de la validité de ce dernier par rapport au droit communautaire originaire, il serait peu satisfaisant d'opposer le droit dérivé à la norme interne sans vérification préalable de sa validité.

La difficulté est encore accrue par le fait que la contestation au regard du droit communautaire de mesures nationales jugées discriminatoires doit se nourrir autant de données économiques que d'ordre juridique, lesquelles ne sont pas toujours aisées à rassembler dans de brefs délais. On a pu ainsi observer devant le Conseil d'État que le redevable d'une taxe parafiscale était mieux à même de la contester dans le cadre d'un recours de plein contentieux contre une mesure individuelle d'imposition qu'au titre d'un recours pour excès de pouvoir formé dans les deux mois suivant la publication du décret instituant la taxe (24).

Le plus souvent, en l'absence de contestation émanant des parlementaires ou autorités qui l'ont saisi, le Conseil constitutionnel aurait bien du mal à relever d'office une contrariété de la loi aux engagements internationaux, surtout s'il s'agit du droit communautaire dérivé. L'affirmation de sa compétence devrait normalement conclure à exclure celle des juridictions ordinaires en ce qui concerne les lois postérieures. Or, l'expérience a montré l'utilité d'un contrôle a posteriori. Un article de la loi de finances pour 1981, reconnu conforme à la Constitution par la décision n° 80-126 DC du 30 décembre 1980, a été ultérieurement jugé contraire au droit communautaire (CJCE 25 févr. 1988, aff. 331/376 et 378/85). De même, le Conseil d'État a pu écarter l'application d'une disposition d'une loi de finances rectificative incompatible avec l'article 95 du traité de Rome qui prohibe les impositions nationales discriminatoires (CE, 5 i 1995, Ministre de l'Équipement c/ SARL Der, Rec. p. 192) dans une hypothèse où la loi avait été déférée au Conseil constitutionnel (n° 93-320 DC du 21 juin 1993). Notons pareillement que le refus du juge constitutionnel d'apprécier la conformité à des engagements internationaux de l'article 105 de la loi de finances pour 1990 (cf. n° 89-268 DC du 29 déc. 1989) a permis ultérieurement au Conseil d'État de faire prévaloir sur cet article une convention fiscale franco-suisse (CE, 17 janv. 1996, SA Nike, Rec. p. 2).

Même si le droit européen des droits de l'homme est plus facile à appréhender que le droit communautaire, sa mise en œuvre peut poser des problèmes spécifiques en raison des interprétations évolutives dont il fait l'objet, lesquelles sont plus aisées à prendre en compte au stade de son application à un moment donné (25).

Ajoutons encore qu'on ne peut exclure des hypothèses où il y a un conflit au sein des normes de droit international, comme cela est apparu à propos de la convention de l'Organisation internationale du travail prohibant le travail de nuit des femmes dans l'industrie et la directive 76/207/CEE du 9 février 1976 relative à la mise en ? uvre du principe de l'égalité de traitement (26).

De ce point de vue également et compte tenu de la complexité des règles régissant les conflits de normes internationales entre elles (27), le Conseil constitutionnel, en raison du délai d'examen réduit dont il dispose, n'est pas le mieux placé pour statuer.

Par ailleurs, force est de constater avec le Président Luchaire que la combinaison des jurisprudences du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et du Conseil d'État « est la plus favorable à l'application du traité ; mieux vaut en effet, un contrôle de la conformité de la loi au traité par le juge judiciaire ou administratif que par le Conseil constitutionnel ; le premier peut être saisi à n'importe quel moment, par n'importe quel intéressé à l'occasion de n'importe quel litige ; le juge constitutionnel ne peut être saisi qu'avant la promulgation de la loi, seulement par quelques autorités et non par celui auquel on veut appliquer la norme contraire au traité » (cf. Le Conseil constitutionnel, t. I, 2e éd., 1997, p. 177).

B.

En sens inverse, la pluralité des juridictions associées à la mise en oeuvre du principe de suprématie des traités sur la loi a suscité des réserves(28). Mais aucune d'entre elles ne nous paraît devoir justifier un abandon par le juge constitutionnel de sa jurisprudence.

1. – Les jurisprudences Jacques Vabre et Nicolo ont œuvré objectivement dans le sens d'un renforcement de l'autorité du droit communautaire. À l'exception de quelques très rares commentaires critiques, elles n'ont pas soulevé d'objections sérieuses. Il y a davantage de réticences vis-à-vis du contrôle de conventionnalité appliqué par référence à la Convention européenne des droits de l'homme.

Dans la mesure où nombre de droits garantis par la Constitution de 1958 trouvent leur équivalent dans la Convention et ses protocoles additionnels, des recoupements peuvent en résulter entre le contrôle de conventionnalité exercé par les juridictions ordinaires et le contrôle de la loi avant sa promulgation dévolu au Conseil constitutionnel. Le contrôle centralisé et unique voulu par le Constituant de 1958 se trouverait concurrencé par un contrôle diffus et décentralisé au risque d'engendrer des contradictions de jurisprudence, soit entre les juridictions administrative et judiciaire, soit entre celles-ci et le juge constitutionnel.

2. – Les craintes émises à ce titre nous paraissent exagérées car elles se méprennent sur la façon dont le contrôle de conventionnalité est compris par les juridictions ordinaires. Leur premier mouvement en cas de contestation d'une loi par rapport à un engagement international est plutôt de légitimer cette loi au regard de cet engagement, au risque de voir leur appréciation n'être pas partagée le moment venu par la Cour européenne des droits de l'homme (29).

Si besoin est, les juges chargés de l'application de la loi procèdent à une interprétation de ses dispositions à l'effet de les rendre compatibles avec celles de la Convention (30).

Lorsque le texte législatif contesté au regard de la Convention aura en son temps été reconnu conforme à la Constitution par le juge constitutionnel, la démarche naturelle des juridictions ordinaires est de s'inspirer très étroitement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, comme cela s'est produit devant le Conseil d'État à propos de la législation sur l'interruption volontaire de grossesse (CE, Ass., 21 déc. 1990, Confédération nationale des associations familiales catholiques, Rec. p. 369, concl. Stirn). Il en a été de même lorsque le juge administratif a été amené à s'interroger sur la compatibilité d'une loi de validation avec le droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention (cf. concl. Touvet sur CE, Avis, Ass., 5 dé. 1997, Ministre de l'Éducation nationale c/ OGEC de Saint-Sauveur-le-Vicomte, Rec. p. 464).

Les déclarations d'incompatibilité de la loi interne avec la Convention sont donc limitées aux hypothèses où la norme nationale se heurte à une jurisprudence bien établie de la Cour européenne des droits de l'homme (31). A fortiori en va-t-il de même lorsque les exigences conventionnelles interprétées par la Cour de Strasbourg recoupent les principes constitutionnels comme cela s'est produit à propos de l'octroi aux étrangers de l'allocation supplémentaire du fonds national de solidarité (32).

Aucun de ces exemples ne nous paraît traduire de discordances entre le juge constitutionnel et les juridictions ordinaires en matière de protection des droits fondamentaux.

Cela ne saurait surprendre car pour sa part le Conseil constitutionnel n'hésite pas à s'inspirer en tant que de besoin de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg à l'effet de préciser le statut d'un droit constitutionnellement garanti (33).

Réciproquement il arrive à la Cour européenne de se référer à la jurisprudence du Conseil comme l'a montré le problème de la rétention des étrangers dans les zones d'attente (34).

Ajoutons enfin que le juge administratif n'éprouve nullement la « tentation » d'ajouter au contrôle de conventionnalité un contrôle de constitutionnalité de la loi promulguée car il sait pertinemment que si le Constituant de 1958 a dérogé à la tradition juridique française hostile au contrôle de constitutionnalité de la loi, c'est uniquement au profit du Conseil constitutionnel (cf. pour une confirmation de la jurisprudence traditionnelle CE, Ass. 5 mars 1999, Rouquette, RFD adm. 1999.372).

3. – Dans ce contexte, un abandon par le Conseil constitutionnel de la jurisprudence IVG à seule fin pour lui d'affirmer sa primauté en matière de protection des droits fondamentaux comme cela a été parfois préconisé (cf. D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, 5e éd., p. 223) risquerait de n'être pas bien compris.

Vis-à-vis de la Cour de cassation et du Conseil d'État il conviendrait de justifier pourquoi le Conseil constitutionnel, en sa qualité de gardien principal de l'ordre juridique constitutionnel, modifie une jurisprudence qui a donné des résultats pratiques satisfaisants pour les justiciables. Mais c'est surtout la situation de ces derniers qui s'en trouverait affectée. Alors que l'individu n'a pas accès au Conseil constitutionnel pour ce qui est du contrôle de constitutionnalité des lois, les potentialités offertes par le contrôle de conventionnalité en matière de droits et libertés comme pour l'application du droit communautaire se trouveraient remises en cause à l'égard des lois postérieures aux traités. Nul doute alors qu'une pression serait exercée par les justiciables et leurs conseils sur le juge administratif et le juge judiciaire pour qu'ils maintiennent leur propre jurisprudence.

L'affirmation par le juge constitutionnel de sa vocation à assurer la protection des droits fondamentaux trouverait plus utilement à s'exprimer à travers une utilisation croissante de la Convention européenne des droits de l'homme et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, comme élément d'interprétation des droits et libertés constitutionnellement garantis.

Rien n'interdit non plus au Conseil de rechercher, même d'office, la contrariété à la Constitution de dispositions de lois antérieurement promulguées à la faveur de l'examen d'une loi nouvelle (cf. n° 99-410 DC du 15 mars 1999).

Pour toutes ces raisons, nous plaidons, comme l'avait fait Louis Favoreu dans sa contribution aux Mélanges Plantey, en faveur du maintien de la jurisprudence issue de la décision du 15 janvier 1975.

III.

Sans renier cette orientation, il nous paraît utile de pousser plus avant l'analyse en recherchant si le point d'équilibre qui a été atteint sur le plan jurisprudentiel en 1986-1989 ne doit pas être passé au crible de deux éléments nouveaux. D'une part, l'éventualité qui n'est plus une hypothèse d'école, d'une loi manifestement contraire au droit communautaire. D'autre part, la perspective de l'introduction effective du contrôle de constitutionnalité des lois par la voie de l'exception.

A.

Dans l'hypothèse où une loi votée est manifestement contraire à un traité et où, en conséquence son application sera par la suite nécessairement écartée par le juge, on peut penser qu'il est regrettable que le Conseil constitutionnel ne puisse immédiatement la censurer.

1. – La question avait été abordée dès 1975 par Jacques Robert à propos de la décision du 15 janvier 1975 (cf. Le Monde, 18 janv. 1975). Elle n'était pas absente des réflexions menées au sein du Conseil lors du réexamen en 1986 de la jurisprudence IVG. Quelle attitude le Conseil devrait-il adopter face à une loi rétablissant la peine de mort en violation du 6e Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ? Mais une telle éventualité paraissait par trop hypothétique d'autant que les auteurs de propositions de loi portant rétablissement de la peine capitale prenaient la précaution de subordonner l'entrée en vigueur de leur texte à la dénonciation du Protocole n° 6.

2. – Ce qui paraissait relever de l'hypothèse d'école est devenu une réalité avec la réglementation par la loi des dates d'ouverture de la chasse aux oiseaux migrateurs. En la matière l'article 7 de la directive n° 79/409 CEE du 2 avril 1979 énonce que « les États membres veillent, lorsqu'il s'agit d'espèces migratrices, à ce qu'elles ne soient pas chassées pendant leur période de reproduction et pendant leur trajet de retour vers le lieu de nidification ». Les juridictions administratives ont veillé au respect des objectifs ainsi définis. De son côté, la Cour de justice des Communautés européennes, a jugé que la fixation des dates de clôture de la chasse ne peut se faire de façon échelonnée que si l'État membre rapporte la preuve que cet échelonnement ne nuit pas à la protection complète des espèces concernées (CJCE 19 janv. 1994, aff. C-35/92).

La loi n° 94-591 du 15 juillet 1994 a fixé elle-même des dates de clôture échelonnées, tout en laissant à l'autorité administrative la possibilité de les avancer. La Commission des Communautés européennes a adressé le 13 novembre 1997 au gouvernement une mise en demeure dans laquelle elle relevait un manquement aux obligations découlant de la directive dans la mesure où le législateur n'avait pas fondé sa décision sur des éléments scientifiques justifiant l'échelonnement des dates de clôture de la chasse au gibier d'eau (35).

Dans ce contexte, le Parlement a adopté la loi n° 98-549 du 3 juillet 1998 qui va plus loin encore que celle de 1994, en prévoyant pour les espèces de gibier d'eau d'oiseaux de passage un échelonnement des dates de fermeture entre le 31 janvier et le dernier jour de février, sans que soit accordé en la matière un pouvoir d'appréciation à l'autorité administrative, laquelle n'a d'autre possibilité que de reproduire les termes de la loi.

Par suite, il peut être soutenu, en l'état de la jurisprudence du Conseil d'État, que la reprise par un arrêté préfectoral des dispositions de la loi ne constitue pas un acte administratif faisant grief susceptible de lier le contentieux. Néanmoins, les tribunaux administratifs de Pau et de Dijon ont cherché à éluder cette difficulté et ont écarté l'application de la loi du 3 juillet 1998 au profit du droit communautaire (36).

3. – Nous sommes donc en présence d'un cas où le législateur méconnaît le droit communautaire tel qu'il est interprété par la Cour de justice, tout en empiétant sur la compétence du pouvoir réglementaire en ce qui concerne la fixation des dates de fermeture de la chasse à seule fin de rendre procéduralement impossible au stade de son application la contestation de la norme qu'il édicte au regard du droit communautaire.

Face à une situation de ce genre, il ne nous paraîtrait pas contraire à la jurisprudence IVG d'affirmer qu'il y a violation par le législateur de la règle de conflits de normes édictée par l'article 55 de la Constitution et par-là même violation directe de cet article, susceptible d'être censurée par le juge constitutionnel.

B.

Les traités ne devraient-ils pas être introduits dans les normes du contrôle de constitutionnalité des lois par la voie de l'exception si ce dernier vient à être approuvé par le Constituant ?

1. – La question avait été débattue lors de la journée d'études organisée sur l'exception d'inconstitutionnalité le 1er décembre 1989 (37). Le projet de révision constitutionnelle de 1990 était volontairement muet sur le sujet car il avait semblé qu'une réponse appropriée serait apportée le moment venu par les différentes juridictions chargées de la mise en oeuvre de l'exception d'inconstitutionnalité.

2. – Depuis lors plusieurs auteurs préconisent soit l'introduction de l'ensemble des traités comme étalon de contrôle de la loi par la voie de l'exception (38), soit de la partie du droit international conventionnel pour laquelle la condition de réciprocité de l'article 55 de la Constitution est sans objet. Parfois il est recommandé de n'introduire dans les normes de référence que les conventions internationales protectrices des droits de l'homme afin d'aboutir à une interprétation unique des droits fondamentaux dans l'ordre interne sous l'égide du Conseil constitutionnel.

3. – Pour notre part, nous estimons qu'un régime particulier pourrait être maintenu au profit des traités, même en cas de contrôle de la loi par la voie de l'exception.

a) S'agissant du droit communautaire, les objections à une inclusion dans les normes de référence du contrôle sont à notre avis très fortes.

À un certain stade de sa jurisprudence la Cour constitutionnelle italienne avait par un arrêt du 30 octobre 1975 (39) posé en principe que les juridictions ordinaires ne pourraient pas écarter l'application de la loi nationale contraire au droit communautaire sans que le juge constitutionnel ait lui-même constaté cette violation car elle impliquait en substance une méconnaissance de l'article 11 de la Constitution de 1947.

Or, la Cour de justice a condamné cette jurisprudence dans son célèbre arrêt Simmenthal du 9 mars 1978, comme contraire à l'effet direct du droit communautaire conjugué avec sa primauté.

En outre, sur un plan pratique, et spécialement au cas où un renvoi préjudiciel en interprétation ou en appréciation de validité à la Cour de justice s'avérerait nécessaire, il est préférable que ce renvoi soit décidé par le juge compétent au principal plutôt que de devoir transiter par le Conseil constitutionnel.

b) S'agissant d'une éventuelle inclusion de la Convention européenne des droits de l'homme, le problème ne se pose pas dans les mêmes termes.

On peut concevoir de doter d'une valeur constitutionnelle la Convention, comme c'est déjà le cas en Autriche où est intervenue en ce sens une loi constitutionnelle. Il faudrait procéder de même pour le Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques, voire même pour le Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels même si toutes ses stipulations ne sont pas d'application directe, afin que l'unification que l'on se proposerait de réaliser soit complète.

Mais on peut se demander s'il ne suffirait pas d'introduire dans notre Constitution une disposition semblable à celle de l'article 10, paragraphe 2, de la Constitution espagnole de 1978 qui oblige le tribunal constitutionnel à interpréter les droits fondamentaux à la lumière des engagements internationaux relatifs aux droits de l'homme.

Une semblable réforme irait dans le sens de la pratique déjà suivie par le Conseil constitutionnel, pratique qu'a systématisée de son côté la Cour constitutionnelle allemande dans un arrêt du 26 mars 1987 (40).

Elle aurait en outre l'avantage de permettre aux juridictions ordinaires de jouer pleinement leur rôle au titre de l'épuisement des voies de recours dans l'ordre interne avant saisine des instances européennes, comme la nécessité en a été soulignée par la doctrine (41). Se trouverait ainsi consacré de façon souple et harmonieuse dans l'ordre juridique interne le rôle unificateur du juge constitutionnel.


La jurisprudence issue de la décision du 15 janvier 1975 a abouti à ce que le respect du principe de suprématie du traité sur la loi édicté par l'article 55 de la Constitution soit assuré par le Conseil constitutionnel en tant que gardien de la règle de conflit de normes et par les juridictions chargées de l'application de la loi en cas de méconnaissance par le législateur de la norme internationale. Cette évolution a été parachevée par l'arrêt Nicolo, peu de mois après que le Président de la République ait pris position (le 14 juillet 1989) en faveur d'une révision constitutionnelle tendant à instaurer un contrôle de constitutionnalité des lois par la voie de l'exception.

Lors de l'intervention de l'arrêt Nicolo, la mise en ? uvre de l'article 55 de la Constitution par le juge ordinaire apparaissait comme une incitation supplémentaire en faveur de l'exception d'inconstitutionnalité. N'y a-t-il pas en effet un paradoxe à ce que le juge ordinaire puisse écarter une loi contraire au droit communautaire ou à la Convention européenne des droits de l'homme alors qu'il lui faut se résigner, faute de pouvoir saisir le Conseil constitutionnel, à appliquer celle qui contreviendrait aux droits et libertés constitutionnellement garantis (42).

Dans la mesure cependant où le pouvoir constituant n'a pas souhaité jusqu'ici instituer une procédure d'exception d'inconstitutionnalité, on se trouve devant une situation où le contrôle de constitutionnalité de la loi est exercé a priori par le Conseil constitutionnel alors qu'un contrôle de conventionnalité est mis en œuvre par les juridictions ordinaires à l'égard de la loi promulguée. Mais nous discernons mal le progrès qu'apporterait à l'État de droit une jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, revenant sur la décision n° 74-54 DC, viendrait saper les bases du contrôle de conventionnalité, sans qu'il y ait enrichissement corrélatif et significatif des conditions d'exercice du contrôle de constitutionnalité a priori.

(1) CE, Sect., 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoules, Rec. p. 149 ; AJDA 1968, p. 235, concl. Mme Questiaux ; la position du juge administratif coïncidait avec celle qui fut pendant longtemps celle du juge judiciaire (Cass. civ., 22 déc. 1931 ; S. 1932.1.257, concl. Matter, note Niboyet).
(2) Cf. rapport Pépy sur Cass. Crim. 3 juin 1950, S. 1951.1.109.
(3) Cf. note M. L., D. 1968, p. 285 et l'article de Maurice Lagrange, RTD eur. 1975, p. 50.
(4) Cf. notes J. Rivero, AJDA 1975.134 ; D. Ruzié, JDI 1975.249 ; L. Hamon, D. 1975.29 ; J. Rideau, Cah. Dr. eur. 1979.608 et A. Pellet, Gaz. Pal. 1976.1.25.
(5) Cf. en particulier, Nguyen Quoc Dinh, AFDI 1975.859 et RGDIP 1976.1009 ; D. Carreau, Droit international, Pédone éd., 1986, p. 473.
(6) Cf. CE, Ass., 22 oct. 1979, Union démocratique du travail, Rec. p. 384 ; RD publ. 1980.531, concl. Mme Hagelsteen ; AJDA 1980.39, note B.G
(7) Cf. pour une confirmation, n° 98-408 DC du 22 janv. 1999, AJDA 1999.230, chron. J.-E. Schoettl ; RFD adm. 1999.289, note B. Genevois.
(8) Cf. pour une confirmation, n° 98-400 DC du 20 mai 1998, Rec. p. 251.
(9) Cf. nos observations, in Conseil constitutionnel et Conseil d'État, colloque des 21 et 22 janv. 1988, LGDJ éd., p. 213.
(10) Cf. G. Vedel, Introduction aux études politiques, cours IEP Paris 1974-1975, p. 419.
(11) Cf. CE, 8 juill. 1998, Ministre du Travail c/ Abatchou, RFD adm. 1998, p. 1074.
(12) La dénonciation relève du pouvoir exécutif (CA Paris, 28 janv. 1926, S. 1927.2.1, note Niboyet).
(13) Cf. sur ce point, Rép. de Lord Cockfield, membre de la Commission, à une question d'un député européen, RTD eur. 1987, p. 557.
(14) Cf. la contribution de cet auteur aux Mélanges Robert, p. 227 et au colloque du 40e anniversaire du Conseil constitutionnel, p. 25.
(15) Nous reprenons ici les expressions employées par G. Drago, « Contentieux constitutionnel français », p. 378.
(16) Cf. G. Vedel, « Droit constitutionnel et Institutions politiques ». Les Cours de Droit 1960-1961, p. 1010, ainsi que les décisions n° 84-177 DC et n° 84-118 DC du 30 août 1984.
(17) Cf. le débat ouvert par l'étude d'E. Picard, RFD adm. 1993, p. 47.
(18) Cf. l'analyse de C. Grewe, RFDC n° 11, 1992, p. 431.
(19) Dans le sens du maintien du contrôle de conventionnalité sur les lois du pays, cf. O. Gohin, AJDA 1999, p. 513.
(20) On notera que la Cour constitutionnelle italienne tout en appliquant, dans le cas du contrôle incident, au conflit entre la loi interne et le droit communautaire une approche fondée sur l'application prioritaire de ce droit depuis l'arrêt n° 170/1984, a néanmoins admis sa compétence directe pour censurer, par la voie du recours principal, une loi régionale contraire au droit communautaire (cf. arrêt n° 384/1994, AIJC 1994, p. 611 ; cette Revue, n° 6, p. 42).
(21) Cf. les déclarations de M. Marceau Long au cours du colloque du 40e anniversaire du Conseil constitutionnel (p. 94).
(22) Cf. Droit international et droit français, NED, n° 4803, 1986.
(23) Cf. pour des exemples de renvoi opérés dans la période récente par le juge administratif ; CE, Ass., 28 mars 1997, Société Baxter, Rec. p. 114 ; CE, Sect., 11 déc. 1998, Association Greenpeace, RFD adm. 1999.250 ; CE, 6 janv. 1999, Association Église de scientologie de Paris ; CE, 5 mars 1999, Ministre du Budget c/ Société Monte dei Paschi di Sienna ; CE, 28 juill. 1999, Griesmar.
(24) Cf. S. Austry, Rev. jur. fisc. 1996, p. 543.
(25) CE, Sect., 2 juin 1999, Meyet ; AJDA 1999.560, chron. Raynaud et Fombeur.
(26) CJCE 25 juill. 1991, Stoekel, Dr. soc. 1992.174, note Moreau ; CJCE 13 mars 1997, Aff. C. 197/96, JCP 1997.II.22939, note Clergerie.
(27) Cf. Nguyen Quoc Dinh, Mélanges Waline, p. 215.
(28) Cf. en particulier D. de Béchillon, RFD adm. 1998, p. 225.
(29) CEDH 29 avr. 1999, Chassagnou, RFD adm. 1999.454.
(30) CE, Sect., 9 juill. 1997, Association Ekin, grands arrêts, 12e éd., n° 116 ; CE, Sect., 3 juill. 1998, Bitouzet ; RFD adm. 1998.1243, concl. Abraham.
(31) Cf. à propos de l'atteinte au principe de l'égalité des armes en matière pénale, Cass. crim. 6 mai 1997, JCP 1998.II 10056, note Lassale.
(32) Cass. soc., 14 janv. 1999, JCP 1999.II 10082 ; note Sudre, comp. n° 89-269 DC du 22 janv. 1990.
(33) Cf. les exemples donnés dans le rapport français lors de la IXe conférence des cours constitutionnelles européennes (RFD adm. 1993.864) ainsi que les décisions n° 93-226 DC du 11 août 1993, n° 96-373 DC du 9 avr. 1996 et n° 98-408 DC du 22 janv. 1999.
(34) Cf. CEDH 25 juin 1996, AMUUR c/ France, Mélanges Robert, p. 345, comm. Duffar ; comp. n° 92-307 DC du 25 févr. 1992.
(35) Cf. également CAA Paris, 24 sept. 1998, Ministre de l'Environnement, RJE 1999, p. 61, concl. Lambert.
(36) Cf. P. Cassia et E. Saulnier, Europe, juill. 1999, p. 5.
(37) Cf. Les Cahiers Constitutionnels de Paris I, sous la dir. de G. Conac et D. Maus, éd. STH, p. 122 à 128.
(38) Cf. D. de Béchillon, RFD adm. 1998, p. 240.
(39) Cour const., 30 oct. 1975, n° 232 ; Foro Italiano 1975.I 2661, note di Monaco.
(40) Cf. J. A. Frowein, in M. Delmas-Marty, Raisonner, la raison d'État, PUF éd., 1989, p. 314 ; C. Grewe, in Quelle Europe, quels droits de l'homme, Bruylant éd., 1996, p. 165.
(41) Cf. P. Wachsmann, « L'article 55 de la Constitution de 1958 et les conventions internationales relatives aux droits de l'homme », RD publ. 1998, p. 1681.
(42) Cf. H. Calvet, JCP 1990.I.3429, n° 31.