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Entretien avec M. Mykola Selivon, Président de la Cour constitutionnelle d'Ukraine

Entretien avec Monsieur Mykola Selivon, Président de la Cour constitutionnelle d'Ukraine

Les Cahiers du Conseil constitutionnel n° 16

Propos recueillis, le 26 janvier 2004, par PETRO MARTINENKO, ancien juge à la Cour constitutionnelle, professeur de droit constitutionnel comparé à l'Académie diplomatique d'Ukraine


Biographie de Mykola Selivon

Né en 1946 à Chestovytsia, région de Tcherniguiv, Ukraine.
Diplômé en 1973 de la Faculté de droit de l'Université de Kiev, il a commencé sa carrière professionnelle comme chercheur à l'Institut de l'État et du Droit de l'Académie des Sciences d'Ukraine.
À partir de 1979, il a travaillé pour le gouvernement comme rapporteur en chef du groupe de droit, chef du département de droit, ministre adjoint puis ministre adjoint supérieur au cabinet des ministres de l'Ukraine (gouvernement ukrainien).
En septembre 1996, il a été nommé juge à la Cour constitutionnelle d'Ukraine par le président de l'Ukraine.
En octobre 1999, élu vice-président de la Cour constitutionnelle d'Ukraine et en octobre 2002, élu président de la Cour constitutionnelle d'Ukraine.
Licence en droit.
Juriste émérite d'Ukraine.
Membre correspondant de l'Académie des sciences juridiques d'Ukraine.
Décoré de l'ordre du Mérite, 3e degré.
M. Selivon est l'auteur de monographies sur les aspects juridiques de l'organisation et du fonctionnement des collectivités locales. Il a pris part à l'élaboration des lois les plus importantes sur la souveraineté politique et l'indépendance économique de l'Ukraine, le développement de l'économie de marché, la protection sociale de la population, la formation d'un nouveau système d'administration publique et d'autonomie locale. En tant qu'expert, il a participé à l'élaboration de la nouvelle Constitution de l'Ukraine adoptée par le Parlement ukrainien le 28 juin 1996.


La justice constitutionnelle en tant que facteur de régulation du fonctionnement des pouvoirs publics et de protection des droits de l'homme en Ukraine

Mykola F. Selivon - Au nom des membres de la Cour constitutionnelle d'Ukraine et en mon propre nom, je tiens à remercier sincèrement les Cahiers du Conseil Constitutionnel de m'avoir offert la possibilité d'exposer les questions relatives à la structure et aux activités de la Cour constitutionnelle d'Ukraine, unique organe de juridiction constitutionnelle de l'État ukrainien. J'espère que ces informations seront utiles aux lecteurs de cette revue.

  • Petro Martinenko - Pouvez-vous fournir une évaluation générale du rôle de la Cour constitutionnelle d'Ukraine dans le système constitutionnel du pouvoir et de l'importance des sept années d'expérience de la Cour constitutionnelle d'Ukraine ?

M.F.S. - Je voudrais signaler en premier lieu que la justice constitutionnelle est exercée en Ukraine selon le modèle européen (autrichien) par un organe spécialisé, la Cour constitutionnelle d'Ukraine, qui ne fait pas partie du système des juridictions de droit commun.

En tant qu'élément du système constitutionnel, la Cour constitutionnelle est l'unique organe de juridiction constitutionnelle dont les principales fonctions consistent à exercer un contrôle constitutionnel juridictionnel. La Cour constitutionnelle d'Ukraine a pour objectif la garantie de la suprématie de la Constitution de l'Ukraine en tant que loi fondamentale de l'État sur tout son territoire.

Nous sommes en mesure d'affirmer aujourd'hui que la Cour constitutionnelle d'Ukraine est devenue un organe qui assure, de manière effective, la suprématie de la Constitution. Au cours de ses sept années d'activité, elle n'a permis par ses décisions à aucun organisme public ou, en d'autres mots, à l'État dans ses diverses composantes, de dépasser les limites fixées par la Constitution, dans les questions dont elle a eu à connaître. Cela veut dire que la Cour constitutionnelle s'est acquittée de ses fonctions en se fondant sur le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs.

Dans le même temps, selon moi, la Cour constitutionnelle de l'Ukraine s'est affirmée non seulement parce qu'elle assurait, le respect des principes constitutionnels de fonctionnement des autorités centrales et des collectivités territoriales et de leurs agents, mais, avant tout, parce qu'elle a conçu sa mission principale, comme la défense des droits et libertés constitutionnelles de l'individu, telle qu'elle est formulée à l'article 3 de la Constitution ukrainienne. C'est ainsi par exemple, que la Cour constitutionnelle a explicité le contenu des droits et libertés constitutionnels fondamentaux de l'homme et du citoyen, tel que le droit inaliénable à la vie (en qualifiant de non constitutionnelles les dispositions du code pénal de l'Ukraine qui prévoyaient la peine de mort) ou encore le droit de toute personne séjournant régulièrement sur le territoire de l'Ukraine de se déplacer librement et de choisir son lieu de résidence, le droit des Ukrainiens à l'assistance médicale gratuite, le droit de constituer des syndicats, etc. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle a défendu de manière directe ou implicite dans beaucoup de décisions les droits constitutionnels et les libertés des citoyens. Tout récemment encore, la Cour a procédé à l'examen de la demande d'interprétation des dispositions de la Constitution de l'Ukraine sur l'accessibilité et le caractère gratuit des études, y compris des études supérieures, dans les établissements relevant de l'État ou des collectivités.

Ce qui vient d'être dit ne concerne que quelques exemples des activités de la Cour constitutionnelle d'Ukraine qui protège d'une manière certaine les droits constitutionnels et les libertés de l'homme. Il convient de noter par ailleurs que les décisions de la Cour constitutionnelle sont obligatoires pour tous - et non pour les seuls saisissants - et embrassent tous les rapports juridiques dans le domaine qu'elles concernent.

Dressant le bilan des sept années de travail de la Cour constitutionnelle il y a lieu de constater que la jurisprudence constitutionnelle a permis, à partir de cas concrets, d'élaborer des positions de principe sur de nombreux problèmes. Ce sont donc des sortes de repères qui définissent les principes de régulation pour les organes législatifs et exécutifs statuant dans les domaines considérés, en même temps que des précédents pour le règlement des questions qui seront soumises à la Cour à l'occasion d'autres dossiers. Tout ceci permet de réduire les délais d'examen des requêtes par la Cour constitutionnelle et, partant, d'assurer plus efficacement les droits et libertés de l'homme et du citoyen.

Ainsi donc, les sept années écoulées confirment que la mise en place de la juridiction constitutionnelle en Ukraine s'est réalisée dans une bonne direction : à travers l'affirmation de la suprématie de la Constitution de l'Ukraine, la stabilité dans l'exercice du pouvoir d'État, l'équilibre constitutionnel par un système de freins et de contrepoids, la protection du régime constitutionnel, l'affirmation des droits et libertés de l'homme et du citoyen.

  • P.M. - Quelles ont été les modalités de constitution de la Cour constitutionnelle d'Ukraine ? Quels sont ses rapports avec les autres juridictions ? De quelle manière la Cour constitutionnelle prend-elle ses distances vis-à-vis des autres branches du pouvoir ?

M.F.S. - La Cour constitutionnelle d'Ukraine se compose de dix-huit juges. Le président de l'Ukraine, la Rada suprême de l'Ukraine et le Congrès des juges de l'Ukraine nomment chacun six juges. Les juges de la Cour constitutionnelle sont nommés pour neuf ans sans possibilité de renouvellement.

Selon la loi fondamentale, le système judiciaire en Ukraine est constitué par la Cour constitutionnelle et les juridictions de droit commun qui fonctionnent parallèlement chacune exerçant les compétences qui lui sont attribuées par la Constitution et les lois de l'Ukraine. La Cour constitutionnelle ne s'immisce pas dans le fonctionnement des juridictions de droit commun et n'exerce pas de contrôle de leur activité. Toutefois l'on ne saurait affirmer qu'il n'existe pas du tout de liens entre ces deux types de juridictions, notamment, des liens de procédure. C'est ainsi qu'en vertu de l'article 74 de la loi de l'Ukraine « sur la Cour constitutionnelle d'Ukraine », la Cour constitutionnelle peut invoquer le caractère préjudiciel de sa décision lorsque les juridictions de droit commun examinent les requêtes ayant trait aux rapports de droit ayant pour base un acte déclaré non constitutionnel. En interprétant les dispositions de la Constitution et des lois de l'Ukraine, la Cour constitutionnelle oriente la jurisprudence vers une interprétation identique des règles de droit qui étaient appliquées de façon différente. D'autre part, en vertu de l'article 83 de la loi qui vient d'être citée, au cas où au cours d'une procédure de droit commun un conflit s'élèverait à propos du caractère constitutionnel de la loi à appliquer par la juridiction, la procédure devant l'instance de droit commun est suspendue, tant que la procédure devant la Cour constitutionnelle n'est pas achevée. C'est essentiellement de cette manière-là que la Cour constitutionnelle coopère avec les juridictions de droit commun.

La Cour constitutionnelle d'Ukraine, au même titre que les autres organes des pouvoirs publics en Ukraine, exerce ses compétences dans un cadre fixé par la Constitution et selon les lois ukrainiennes. L'exercice du pouvoir judiciaire par la Cour constitutionnelle se fonde en premier chef sur les principes de la suprématie du droit et de l'indépendance, ce qui exclut au fond les possibilités d'ingérence directe dans l'activité de la Cour de la part d'autres autorités ou de leurs agents. Les organes des pouvoirs publics ne peuvent saisir la Cour constitutionnelle que de requêtes constitutionnelles déterminées. Cependant, en tant que l'un des éléments régulateurs de l'activité des pouvoirs publics, la Cour constitutionnelle s'acquitte, au moyen de procédés qui lui sont propres, de fonctions relevant de l'activité étatique, c'est pourquoi la coopération avec les autres organes des pouvoirs publics est sans doute utile, en particulier, en vue de l'amélioration continue de la législation nationale, de la mise en oeuvre de la réforme judiciaire, etc.

  • P.M. - Comment fonctionne la Cour constitutionnelle ? Quelles sont les garanties d'indépendance de ses juges ? Est-ce que le cadre législatif des activités de la Cour constitutionnelle a besoin d'améliorations ?

M.F.S. - Il y a lieu probablement de présenter les compétences de la Cour constitutionnelle. La Constitution et la loi de l'Ukraine « sur la Cour constitutionnelle d'Ukraine » habilitent la Cour constitutionnelle à se prononcer et à formuler des avis sur une liste de questions concernant notamment : le caractère constitutionnel, des lois et d'autres textes juridiques de la Rada suprême, des actes du président et du Cabinet des ministres de l'Ukraine, des actes juridiques de la Rada suprême de la République autonome de Crimée ; la conformité à la Constitution de l'Ukraine des traités internationaux auxquels l'Ukraine est ou se destine à être partie, qui sont déjà en vigueur ou qui sont soumis pour ratification ; la violation ou l'absence de violation par la Rada suprême de la République autonome de Crimée de la Constitution de l'Ukraine ou des lois de l'Ukraine au cas où la Rada suprême de l'Ukraine devrait statuer sur sa dissolution anticipée ; le respect de la procédure constitutionnelle d'enquête et d'examen de la question de la révocation du président de l'Ukraine ; l'interprétation officielle de la Constitution et des lois ukrainiennes.

Il convient d'indiquer à ce propos que l'Ukraine indépendante est en train de mettre sur pied son système de droit, c'est pourquoi la Cour constitutionnelle relève souvent des lacunes dans le mécanisme de régulation des rapports sociaux. Cependant, la loi fondamentale de l'État n'accorde pas à l'unique juridiction constitutionnelle de l'Ukraine le droit de combler les lacunes de la législation.

Le droit de saisir la Cour constitutionnelle à propos des problèmes relevant de ses compétences et dans le respect des formes de procédure appropriées est accordé aux organes des pouvoirs publics et d'autogestion locale, aux personnes physiques et morales y compris aux ressortissants étrangers et aux personnes morales non-résidentes.

S'agissant de l'aspect procédural, la Cour constitutionnelle fonctionne en formation de collèges de juges (actuellement au nombre de trois) qui décident de la mise en mouvement de la procédure suite aux requêtes constitutionnelles ou recours ; la Cour se réunit soit en séances ordinaires (collèges de juges) soit en séances plénières. Les décisions et les avis de la Cour constitutionnelle ne sont adoptés qu'en séance plénière. D'autre part, la Cour peut constituer des commissions permanentes ou ad hoc sur des sujets concernant son activité interne aussi bien que dans le but de réaliser des études complémentaires sur des questions liées à la procédure constitutionnelle surgissant à propos de tel ou tel dossier.

Les problèmes organisationnels, le soutien scientifique ou en matière d'expertise, l'information et autres problèmes relatifs à l'activité pratique de la Cour constitutionnelle sont à la charge de son secrétariat.

L'indépendance des juges de la Cour constitutionnelle dans l'exercice de leurs fonctions juridictionnelles, leur inviolabilité, sont garanties par la Constitution et les lois de l'Ukraine. L'inviolabilité du juge de la Cour constitutionnelle consiste en ce que le juge ne peut pas être mis en garde à vue ou arrêté, avant que ne soit prononcée à son encontre une condamnation par une juridiction de droit commun, sans l'accord de la Rada suprême. Le juge n'est pas juridiquement responsable des résultats du vote ou de ses prises de position à la Cour constitutionnelle sauf s'il y a insulte ou diffamation.

Les juges de la Cour constitutionnelle touchent leur rémunération du budget de l'État et ils bénéficient également de l'assurance sociale correspondante.

Dans l'ensemble la mise en oeuvre des garanties de l'activité des juges de la Cour constitutionnelle peut être considérée comme réussie. Il convient de noter aussi que l'État ukrainien assure les conditions nécessaires au fonctionnement efficace de sa juridiction constitutionnelle, notamment en lui permettant un examen intégral et impartial des dossiers.

Quant à l'amélioration du cadre législatif de l'activité de la Cour constitutionnelle force est de constater l'existence de problèmes méritant d'être résolus. Ils concernent en premier lieu la protection des droits et libertés des citoyens.

La législation nationale de l'Ukraine accorde au citoyen le droit de saisir la Cour constitutionnelle uniquement dans le cas d'une demande d'interprétation de la Constitution et des lois ukrainiennes, en cas d'application ambiguë de leurs dispositions par les juges de droit commun et par d'autres organes des pouvoirs publics ce qui, de l'avis du citoyen, peut entraîner ou a entraîné la violation de ses droits constitutionnels et de ses libertés. Or un particulier ne peut pas saisir la Cour constitutionnelle d'une plainte relative à une loi non constitutionnelle qui lèse ses droits constitutionnels et libertés et ceci réduit la possibilité de protéger les droits des citoyens, notamment par le biais de la Cour constitutionnelle d'où la nécessité d'instituer la plainte constitutionnelle.

D'autres aspects de la procédure devant la Cour constitutionnelle nécessitent également des améliorations. C'est ainsi qu'en vertu de la loi, toutes ses décisions et tous ses avis sont prononcés en séance plénière ce qui se répercute sur les délais d'examen des dossiers. Aussi donc, en vue d'accélérer la décision et d'améliorer l'efficacité de cette activité judiciaire, il serait utile, à mon avis, de prévoir dans la législation la possibilité de constituer des chambres au sein de la Cour constitutionnelle, chacune desquelles examinerait les questions relevant d'un domaine de compétence de la Cour.

Dans l'ensemble le processus d'amélioration du cadre législatif régissant l'activité de la Cour constitutionnelle d'Ukraine est toujours d'actualité mais je voudrais insister sur le fait que le cadre législatif existant permet d'ores et déjà à la Cour d'exercer intégralement ses compétences.

  • P.M. - Quelle est la procédure de délibération à la Cour constitutionnelle ? Quel est le statut de ses décisions ? Quelle est la procédure de leur application ?

M.F.S. - Après avoir examiné un dossier dans le cadre de sa procédure constitutionnelle, la Cour constitutionnelle arrête une décision ou formule un avis par un scrutin par appel nominal des juges qui par ailleurs n'ont pas le droit de s'abstenir. Les propositions des juges relatives au projet de décision ou d'avis sont mises au vote dans l'ordre de leur présentation. Les décisions et les avis sont motivés par écrit, ils sont signés par les juges ayant voté pour, d'une part, et par ceux qui ont voté contre, d'autre part, après quoi ils sont publiés.

Obligatoires sur le territoire de l'Ukraine, les décisions et les avis de la Cour constitutionnelle ont un caractère définitif et ne sont pas susceptibles de recours. La Cour constitutionnelle peut déterminer éventuellement dans sa décision ou dans son avis les modalités et les délais de leur exécution ainsi que charger les organes publics compétents d'assurer l'application de la décision ou le respect de l'avis.

D'autre part, la Cour constitutionnelle peut exiger des organes publics la confirmation écrite de l'exécution de ses décisions ou avis. Leur non-exécution entraînera la responsabilité en vertu d'une loi qui n'a pas encore été adoptée.

  • P.M. - Comment sont respectés les délais de préparation des dossiers ? Comment la préparation est-elle réalisée elle-même ? Comment sont réglées les questions de priorité des dossiers ?

M.F.S. - En vertu de la loi de l'Ukraine « sur la Cour constitutionnelle » le délai d'examen des requêtes constitutionnelles ne doit pas excéder trois mois, celui de l'examen des recours constitutionnels ne devant pas excéder six mois. Dans le cas d'une requête ayant été qualifiée par la Cour constitutionnelle d'urgente, le délai d'examen ne doit pas excéder un mois. Je me dois de souligner que la Cour peut attribuer l'urgence à toute requête constitutionnelle ou à tout recours constitutionnel, mais seront reconnus urgents d'office les litiges relatifs à la constitutionnalité de la loi à appliquer par une juridiction de droit commun.

Étant donné que le délai de la procédure constitutionnelle commence à courir dès la prise de décision sur la mise en mouvement du dossier, la période réelle entre l'arrivée de la requête ou du recours constitutionnel et la date de la délibération sur le dossier peut dépasser quelque peu les délais légaux ce qui est dû à la préparation du dossier, avant son examen sur le fond et la délibération elle-même. C'est ainsi que les requêtes ou les recours constitutionnels déposés sont soumis à une étude préalable. Ceux qui peuvent être examinés par la Cour constitutionnelle sont répartis entre les collèges de juges après quoi un juge-rapporteur est désigné qui étudie les questions faisant l'objet de la requête constitutionnelle ou du recours et prépare le dossier pour le collège de juges de la Cour constitutionnelle. Après avoir examiné les requêtes et recours, le collège statue au moyen d'une décision de procédure sur la mise en mouvement de la procédure constitutionnelle à propos du dossier donné ou sur son rejet. En cas de refus d'entamer la procédure constitutionnelle décidée par le collège de juges, le dossier est soumis à la séance de la Cour constitutionnelle dont la décision sera définitive. En cas de mise en mouvement de la procédure constitutionnelle, le dossier, une fois préparé pour l'examen au fond, est soumis à la séance plénière de la Cour qui statue suivant la procédure en vigueur en prononçant une décision ou en formulant un avis sur le dossier.

  • P.M. - Quels sont les problèmes prioritaires concernant l'amélioration du contrôle constitutionnel en Ukraine et quelles sont les perspectives de leur mise en oeuvre ?

M.F.S. - À côté du contrôle constitutionnel général, le contrôle constitutionnel judiciaire est réalisé en Ukraine d'une manière plus conséquente et plus efficace, grâce à la mission essentielle dévolue la Cour constitutionnelle et à ses modalités d'action. Toutefois, le principal problème justifiant la nécessité d'améliorer le contrôle constitutionnel judiciaire en Ukraine est celui qui vise à assurer des conditions optimales pour la protection des droits et libertés de l'homme et du citoyen, y compris en améliorant les moyens de la juridiction constitutionnelle. Ceci m'oblige à insister une fois de plus sur la nécessité d'instituer en Ukraine la plainte constitutionnelle en tant que mécanisme efficace de défense des droits de la personne vis-à-vis de l'éventuel arbitraire des autorités publiques et des organes de réglementation en premier lieu. Par ailleurs, il est paradoxal que les juridictions de droit commun qui examinent les affaires sur le fond n'aient pas le droit de saisir directement la Cour constitutionnelle d'une demande en vérification du caractère constitutionnel des dispositions légales ayant provoqué un conflit au cours de la procédure de droit commun. Elles ne peuvent le faire que par l'intermédiaire de la Cour suprême de l'Ukraine qui est donc, au sein de ce système judiciaire, le seul sujet juridique habilité à saisir la Cour constitutionnelle d'une requête. De telles dispositions législatives ne contribuent pas à un exercice adéquat par les personnes physiques et morales de leur droit constitutionnel à la protection judiciaire.

Les problèmes exposés ne sont malheureusement qu'à l'état de discussion. J'espère que les autorités dotées de l'initiative législative, notre Parlement en particulier, prêteront enfin une oreille plus attentive aux propositions des membres de la Cour constitutionnelle, aux recommandations des constitutionnalistes et des juristes praticiens quant à la solution de ces problèmes.

Un autre problème du contrôle constitutionnel juridictionnel mérite l'attention parce que ce problème semble être commun aux « jeunes démocraties » : il s'agit des tentatives d'entraîner la Cour constitutionnelle dans des processus purement politiques ce qui risque de saper le prestige de cette juridiction indépendante, qui ne doit régler les conflits institutionnels que par des moyens juridiques.

  • P.M. - Quelles sont les décisions prononcées par la Cour constitutionnelle sous votre présidence qui vous paraissent les plus significatives ?

M.F.S. - Il y a lieu de citer tout d'abord les avis que la Cour constitutionnelle a formulés, notamment en 2003, quant à la conformité à la Constitution de l'Ukraine des projets de loi portant révision de la loi fondamentale de l'Ukraine, en rapport avec la réforme politique envisagée en Ukraine. Au cours de ma présidence, la Cour constitutionnelle a rendu bon nombre d'avis de cette sorte. Étant donné que le contrôle d'un projet de loi vise surtout à vérifier si les modifications proposées à la Constitution ne supposent pas l'annulation, la restriction des droits et libertés de l'homme et du citoyen ou l'atteinte à l'intégrité territoriale de l'Ukraine, la Cour constitutionnelle a attentivement examiné chacune des modifications proposées à la Constitution de l'Ukraine et, je l'espère, ne s'est pas trompée dans ses avis concernant la modification proposée et le projet de loi dans son ensemble.

Parmi les décisions fondamentales visant à la protection des droits sociaux de l'homme en Ukraine je dois citer la décision de la Cour constitutionnelle portant sur le respect des garanties de l'instruction secondaire complète gratuite dans les établissements scolaires d'État ou relevant des collectivités, notamment en ce qui concerne la distribution gratuite des manuels aux écoliers.

Il convient de signaler par ailleurs la décision de la Cour constitutionnelle d'Ukraine liée aux particularités de l'exercice du droit des citoyens, à la liberté d'expression et à la critique des actes ou de l'inaction des agents publics. C'est ainsi que la Cour a stipulé que le fait de saisir un service de police par des requêtes contenant des renseignements relatifs au non-respect des lois par lesdits agents ne peut pas, sauf si elles contiennent des renseignements manifestement faux, être considéré comme une diffamation portant préjudice à l'honneur, à la dignité ou au bon renom ou bien comme lésant les intérêts de l'agent public d'un service de police.

En principe chaque décision de la Cour constitutionnelle d'Ukraine est significative : de par sa force juridique absolue, elle garantit la suprématie de la Constitution de l'Ukraine, dans le système juridique national.

  • P.M. - Quels sont les contacts internationaux de la Cour constitutionnelle d'Ukraine ?

M.F.S. - La Cour constitutionnelle entretient des contacts professionnels avec les juridictions constitutionnelles d'autres États par le moyen d'accords de coopération qui prévoient, en particulier, des échanges de délégations, des échanges de décisions concernant des cas concrets ou d'autres informations, ainsi que l'organisation en commun de manifestations scientifiques et pratiques (conférences, symposiums), etc. Il y a lieu de souligner que la Cour constitutionnelle d'Ukraine témoigne d'un grand intérêt pour l'élargissement de ses liens internationaux ce qui s'explique par la nécessité de connaître l'expérience d'autres pays en matière de justice constitutionnelle, par la possibilité d'appliquer cette expérience à sa propre activité, à propos de cas analogues, tout en se référant au cadre législatif et réglementaire de son propre État.

Parmi les récentes manifestations de ce genre auxquelles a participé une délégation de la Cour constitutionnelle d'Ukraine, il conviendrait de citer le 8e colloque germano-ukrainien (« Garantie des principaux droits sociaux : exigences constitutionnelles et réalité constitutionnelle ») qui s'est tenu en juin 2003 (Kassel, RFA), la conférence internationale sur le « Rôle de la Cour constitutionnelle dans la défense des valeurs démocratiques » (juill. 2003, Bakou, République d'Azerbaïdjan), le 8e séminaire international d'Erevan sur les « Principaux critères de restriction des droits de l'homme dans la pratique de la justice constitutionnelle » (oct. 2003, Erevan, République d'Arménie).

En 1999, la Cour constitutionnelle d'Ukraine est devenue membre associé et en 2000 membre de plein droit de la Conférence des cours constitutionnelles européennes, ce qui témoigne de la reconnaissance internationale de l'autorité de l'unique juridiction constitutionnelle en Ukraine. En octobre 2003, une délégation de la Cour constitutionnelle d'Ukraine a participé à la réunion préparatoire du XIIIe Congrès de cette Conférence à Nicosie (République du Chypre).

La Cour ukrainienne coopère d'une manière particulièrement fructueuse avec la Commission européenne « Pour la démocratie par le droit » (Commission de Venise). C'est ainsi que depuis l'institution de la Cour constitutionnelle d'Ukraine huit manifestations internationales ont été organisées de concert avec la Commission qui portaient sur des questions d'actualité de la justice constitutionnelle. Cette coopération revêt sans doute une signification positive pour la mise sur pied de la justice constitutionnelle, l'affirmation des principes de démocratie et de suprématie du droit en Ukraine.

En conclusion, il conviendrait de noter que l'inviolabilité des dispositions constitutionnelles confirmées par les décisions de la Cour constitutionnelle revêt une grande importance pour assurer le bon fonctionnement des pouvoirs publics en Ukraine. C'est pourquoi je peux affirmer aujourd'hui avec certitude que la création et l'activité de la Cour constitutionnelle d'Ukraine sont des facteurs importants d'évolution de l'Ukraine en tant qu'État indépendant et démocratique intégré à la communauté européenne et mondiale.