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Documents et procédures

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 11 - décembre 2001

Depuis 1983, les saisines sont publiées au Journal officiel à la suite des décisions du Conseil constitutionnel. Il en va de même, depuis 1995, des observations en réponse présentées par le gouvernement.

Il a paru cependant opportun de porter à la connaissance du public, avec l'autorisation de leurs auteurs, certains autres documents de procédure, parmi les plus intéressants.

Ainsi pourra-t-on trouver ci-dessous :

  • la note du secrétariat général du gouvernement présentée dans le cadre de l'examen par le Conseil constitutionnel d'un second recours sur une loi dont il avait examiné la constitutionnalité quelques jours auparavant,_

  • et une production spontanée émanant de la société Canal Plus dans le cadre de l'examen par le Conseil constitutionnel de la loi portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel.


Décision n° 2001-449 DC du 4 juillet 2001

Loi relative à l'interruption volontairede grossesse et à la contraception

Note du secrétariat général du gouvernement
sur le terme de la suspension du délai de promulgation

Aux termes de l'article 21 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique relative au Conseil constitutionnel : « La publication d'une déclaration du Conseil constitutionnel constatant qu'une disposition n'est pas contraire à la Constitution met fin à la suspension du délai de promulgation. »

Dans un premier temps, les décisions du Conseil constitutionnel prises sur le fondement de l'article 61 de la Constitution étaient publiées au Journal officiel avant la loi qui avait fait l'objet d'un examen sur le fondement de cet article. Il arrivait cependant, notamment pour des textes urgents tels que les lois des finances, que la signature du décret de promulgation intervienne alors que la décision du Conseil constitutionnel n'était pas encore parue au Journal officiel, voire que les publications soient simultanées.

Depuis 1995 il a été décidé, à la demande du Conseil constitutionnel, de publier les décisions prises au titre de l'article 61, en même temps que la loi en cause et que les recours des parlementaires et observations du Gouvernement. Depuis 1996, l'ensemble est inséré dans la rubrique « Lois » du Journal officiel. Cette publication simultanée, qui a le mérite de rendre accessibles en même temps les différents éléments du débat constitutionnel, suppose évidemment que la promulgation ait pu intervenir, c'est-à-dire que la suspension du délai ait pris fin, faute de quoi le Président de la République ne serait pas habilité à signer. Elle repose sur une interprétation de l'article 21 de l'ordonnance suivant laquelle le terme « publication » signifie seulement que la décision a été rendue publique.

On soulignera que cette interprétation est la seule qui permette de rendre l'article 21 compatible avec l'économie générale des articles 10 et 61 de la Constitution. En effet, on concevrait mal que les règles strictes de délai résultant de ces articles (15 jours pour la promulgation, l mois pour la décision du Conseil constitutionnel, la saisine de ce dernier suspendant le délai de 15 jours) puisse s'accommoder de délais supplémentaires correspondant au temps susceptible de s'écouler entre la transmission de la décision du Conseil constitutionnel au Premier ministre et sa publication au Journal officiel.

Au regard de l'objet de l'article 21 de l'ordonnance, la notion de « publication » exprime l'idée, qui ne fait qu'expliciter la procédure résultant de l'article 61 de la Constitution, selon laquelle il est nécessaire, mais suffisant, que la décision ait été portée à la connaissance des autorités à qui incombe de mettre en œuvre le processus de promulgation.


Décision n° 2001-450 DC du 11 juillet 2001

Loi portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel

Observations présentées pour la société Canal Plus au soutien de l'article 17 de la loi portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel

1) Le premier grief invoqué par la saisine repose intégralement sur une transposition abusive, celle qui consiste à appliquer à la communication audiovisuelle des règles identiques à celles énoncées à propos de la presse écrite. Si ces deux secteurs ont évidemment en commun de participer à la liberté de communication, ils le font dans des conditions qui sont notoirement différentes.

En 1984, lorsque le Conseil constitutionnel a formulé l'objection reproduite dans la saisine, l'hypothèse examinée par lui aurait pu conduire, n'étaient les précautions prises par la loi, à la vente forcée d'un journal, voire de plusieurs, par cela seuls que leur diffusion aurait progressé. Or, l'on savait, et le juge y avait d'ailleurs fait clairement allusion, que la personnalité du propriétaire d'un journal (qui l'est d'ailleurs sans limitation de son pourcentage dans le capital) peut être un élément déterminant de l'identité de la publication, voire de son contenu. Obliger autoritairement un changement de propriétaire aurait donc pu signifier un changement obligatoire d'identité, voire de contenu, ce qui eût évidemment porté atteinte non seulement aux droits du journal lui-même, mais aussi et avant tout à ceux de ses lecteurs.

2) Rien de tel en matière de télévision. D'une part, quiconque est tant soit peu familier du droit des sociétés, et de ses usages, sait que celui qui possède 49 % d'une chaîne (voire sensiblement moins) exerce pratiquement près de 100 % du pouvoir sur celle-ci. En conséquence, permettre que la détention du capital corresponde à la réalité du pouvoir est avant tout faire œuvre de transparence. D'autre part, surtout lorsqu'il s'agit de chaînes thématiques, l'identité de ces dernières est incomparablement moins liée à la propriété du capital que ce n'est, parfois, le cas dans la presse écrite.

Dès lors, nul ne saurait sérieusement soutenir que l'obligation éventuelle de vendre une participation détenue dans une chaîne serait, en quelque manière que ce soit, de nature à léser les droits des téléspectateurs.

C'est d'autant plus vrai que le dépassement du seuil d'audience n'aurait pour seule conséquence que le retour à la situation antérieure, l'actionnaire principal se retrouvant certes plafonné à 49 %, mais n'ayant pas pour autant à renoncer au pouvoir qu'il exerce sur la chaîne, ni à céder cette dernière.

3) Aussi bien, dès lors que les droits des téléspectateurs ne sont pas mis en cause et ne sont pas susceptibles de l'être, l'unique question est celle de savoir si cette obligation, au cas où elle viendrait à s'appliquer, porterait atteinte à d'autres droits ou principes.

La saisine en invoque deux, sans d'ailleurs mesurer la contradiction interne que recèle son argumentation. Le dispositif, en effet, peut être abordé soit du point de vue des droits des actionnaires, auxquels il porterait atteinte, soit du point de vue du pluralisme, dont il abaisserait le niveau de protection. Mais il est difficile d'avancer simultanément sur ces deux chemins distincts puisque, dans la logique admise depuis 1982, la protection du pluralisme passe notamment par une limitation des droits des actionnaires, de sorte que l'objectif recherché est d'atteindre l'équilibre optimal entre ces deux exigences contradictoires, et certainement pas de sacrifier l'une à l'autre.

En conséquence, l'on ne saurait, comme le fait pourtant la saisine, commencer par invoquer les droits des actionnaires contre les règles énoncées au nom du pluralisme puis, dans un second temps, invoquer les règles énoncées au nom du pluralisme contre les droits des actionnaires.

Au contraire, il ressort clairement de l'analyse que le dispositif est, à la fois, respectueux des droits légitimes des actionnaires et protecteur du pluralisme.

4) En ce qui concerne les actionnaires, ils peuvent appartenir à deux catégories distinctes : d'une part, les acquéreurs futurs, d'autre part, les détenteurs actuels d'une participation supérieure à 49 %.

5) S'agissant des premiers, ils seront parfaitement libres d'acquérir, ou non, une participation disponible. S'ils le font, ils savent qu'ils s'exposent, de ce seul fait, au risque d'avoir à la revendre, en tout ou partie, au cas où se rencontrerait la situation dans laquelle la loi l'impose.

Celle-ci énonce donc une règle claire, connue de tous, permettant à chacun de se déterminer librement en fonction d'elle. De deux choses l'une alors : ou les acquéreurs éventuels la refusent, et ils peuvent s'y soustraire en renonçant à l'acquisition, ou ils y procèdent et acceptent ainsi toutes les règles, y compris celle-ci, que le législateur a choisi d'imposer dans ce domaine.

Dans ces conditions, si la chaîne dépasse ultérieurement 2,5 % d'audience, ce qui peut les contraindre à revendre une fraction du capital, il ne s'agit que de la matérialisation d'une situation que la loi a prévue et qu'ils ont acceptée. L'on peine à voir ce qui pourrait être ici contraire à la Constitution.

6) S'agissant, ensuite, des détenteurs actuels d'une participation supérieure à 49 %, l'alternative, les concernant, n'est pas d'être obligés de vendre ou non, lors de la migration éventuelle vers le numérique terrestre. En l'état des textes, ils seront obligés de vendre et la modification examinée aura pour seule conséquence de ne les y contraindre qu'au moment, s'il arrive, où leur part d'audience dépasserait 2,5 %. Ainsi, l'alternative, les concernant, se situe entre vendre obligatoirement dès le passage au numérique ou ne vendre, éventuellement, que si la progression de leur audience, plus tard, le rendait nécessaire.

7) Le moins que l'on puisse dire est que l'obligation qui leur est actuellement faite de vendre aussitôt est pour le moins brutale, en plus d'être difficilement justifiable. C'est cette obligation-ci qui pourrait encourir le principal grief de la saisine et qui, au demeurant, a été critiquée à ce titre lorsqu'elle fut instituée.

Mais il se trouve que le Conseil constitutionnel, alors, ne l'avait pas jugée contraire à la Constitution (déc. 2000-433 DC, cons. n° 44).

Il y aurait donc quelque chose de paradoxal, pour le moins, à ce que le Conseil ait jugé conforme à la Constitution le dispositif créant une obligation immédiate et inconditionnelle de vendre, et à estimer maintenant que serait contraire à la Constitution un dispositif substituant une obligation future et conditionnelle de vendre, nettement plus souple et adaptée. En d'autres termes, l'on ne peut demander au Conseil constitutionnel de se déjuger en décidant aujourd'hui qu'une vente forcée hypothétique serait inconstitutionnelle, alors qu'il a considéré hier qu'une vente forcée certaine ne l'était pas.

8) Puisque le dispositif nouveau est sensiblement plus respectueux des droits légitimes des actionnaires que le dispositif actuel, sa censure ne pourrait donc venir que de la protection insuffisante qu'il apporterait au principe de pluralisme. Or avancer un tel argument serait infondé en fait comme, surtout, en droit.

9) En fait, que des chaînes actuellement détenues à 100 % par le même actionnaire doivent, au nom du pluralisme, être soumises au plafond de 49 % par cela seul qu'elles accéderaient à un autre mode de diffusion n'a, en soi, aucun sens.

Si la propriété à 100 % était, en elle-même, incompatible avec le pluralisme, elle aurait dû être formellement interdite, et l'on sait que ce n'est pas le cas. Si elle n'a pas été formellement interdite, c'est parce qu'elle n'est pas, en elle-même, incompatible avec le pluralisme.

Pour qu'elle le devienne, il faut nécessairement que s'y ajoute un autre élément : celui de l'audience, en considérant que, à partir d'un certain niveau, l'impact d'une chaîne peut être tel qu'il menacerait le pluralisme externe, obligeant alors à la soumettre au moins au pluralisme interne.

Mais aussi longtemps qu'un taux significatif d'audience, donc d'impact, n'est pas atteint, le risque sur le pluralisme est nul, quel que soit le niveau de la propriété du capital.

10) Au demeurant, nul ne peut sérieusement douter que le pluralisme existe actuellement, et le dispositif permet d'assurer sa protection pour l'avenir.

Aujourd'hui, même en prenant le cas des chaînes les plus sensibles au regard de l'objectif, c'est-à-dire celles qui ont des programmes d'information générale et politique, il existe non seulement TF1, France 2, France 3, la 6, voire Arte, mais encore LCI, i-télévision, Euronews. Le pluralisme externe est donc à ce point assuré que le souci du pluralisme interne, même à le supposer efficacement garanti par le plafond de 49 %, n'impose aucune mesure contraignante particulière. Et si, dans l'avenir le numérique terrestre offrait à l'une des chaînes concernées un développement tel que son impact puisse devenir préoccupant, elle serait aussitôt astreinte au pluralisme interne, avec le rétablissement automatique du plafond.

11) En droit, non seulement le législateur n'a ainsi pas commis d'erreur en liant à un taux d'audience l'exigence du retour au pluralisme interne, mais c'est en s'abstenant de le faire qu'il aurait pu manquer à ses obligations constitutionnelles.

Plus précisément, accueillir l'argumentation de la saisine est juridiquement inconcevable pour deux raisons au moins.

12 Premièrement, prétendre que le plafond de 49 % devrait s'imposer indépendamment du niveau de l'audience reviendrait ni plus ni moins, et c'est en filigrane dans la saisine, à lui donner valeur constitutionnelle.

Cela signifierait, en effet, qu'il devrait s'imposer en tout état de cause, sans pouvoir s'accommoder du moindre tempérament, du moindre assouplissement, et quelle que soit la réalité des menaces pouvant peser sur le pluralisme.

Or, il va de soi que si le pluralisme est la finalité, et que celle-ci a une valeur constitutionnelle indubitable, le plafond n'est que l'un des nombreux moyens de l'atteindre, pas forcément le meilleur, et certainement pas une règle qui aurait pu être constitutionnalisée par la seule force de l'habitude.

13) Deuxièmement, confronté à la situation extrêmement brutale, de vente forcée, qui résultait des articles 65 et 66 de la loi du 1er août 2000, le Conseil constitutionnel l'a examinée en rappelant, selon un considérant de principe bien connu, d'une part, qu'il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement, et, d'autre part, qu'il ne lui appartient pas de rechercher si les objectifs auraient pu être atteints autrement, dès lors que les modalités retenues ne sont pas manifestement inappropriées à leur objet.

Aujourd'hui, il faut, mais il suffit, que le juge s'en tienne à cette approche sage pour que le dispositif qui lui est soumis ne soit pas déclaré contraire à la Constitution.

Il ne pourrait en aller autrement que dans l'hypothèse d'une erreur manifeste d'appréciation. Or, non seulement la liaison opérée entre propriété et audience est pleinement justifiée, non seulement les conséquences qui y sont attachées sont mesurées et seront connues de ceux auxquels elles pourraient s'appliquer et librement acceptées par eux, mais encore c'est ne pas admettre cette liaison qui serait constitutif d'une erreur manifeste quant à l'appréciation de la portée et de la valeur juridique du plafond de 49 %.

À tous ces titres donc, la saisine devra être rejetée.

Pour le compte de la société Canal Plus,

Guy Carcassonne

Professeur des Universités
Agrégé des facultés de droit