Page

Documents et procédures

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 9 - février 2001

Depuis 1983, les saisines sont publiées au Journal Officiel à la suite des décisions du Conseil constitutionnel. Il en va de même, depuis 1994, des observations en réponse présentées par le gouvernement.

Il a paru cependant opportun de porter à la connaissance du public, avec l'autorisation de leurs auteurs, notamment certains documents de procédure, parmi les plus intéressants.

Ainsi pourra-t-on trouver ci-dessous les observations du Conseil constitutionnel formulées dans la perspective de l'élection présidentielle de 2002, un tableau (décision n° 2000-428 DC) et un graphique (décision n° 2000-431 DC) émanant du secrétariat général du gouvernement et venant au soutien des observations de ce dernier, enfin un dossier relatif au référendum du 24 septembre 2000.


Observations du Conseil constitutionnel dans la perspective de l'élection présidentielle de 2002

Dans la perspective de l'élection présidentielle de 2002 et compte tenu :

- du calendrier électoral de l'année 2002 qui verra en principe l'élection présidentielle succéder immédiatement aux élections législatives,

- et des évolutions législatives et jurisprudentielles intervenues depuis l'élection des 23 avril et 7 mai 1995,

le Conseil constitutionnel, chargé, en application de l'article 58 de la Constitution, de veiller à la régularité de l'élection du Président de la République, formule les observations suivantes qui complètent ou remplacent, en tant que de besoin, celles qu'il avait présentées en 1995 (JO du 15 décembre 1995).

I. En ce qui concerne la date des deux scrutins

Pour des raisons de principe autant que pour des motifs pratiques, il importe que les citoyens habilités à présenter les candidats en application de l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 puissent le faire après avoir pris connaissance des résultats de l'élection à l'Assemblée nationale. Le deuxième tour de cette élection devrait donc avoir eu lieu lorsque s'ouvrira la période de recueil des présentations par le Conseil constitutionnel.

II. En ce qui concerne les mesures d'organisation des opérations électorales

En vertu des dispositions combinées de l'article 58 de la Constitution et de l'article 3-III de la loi du 6 novembre 1962, le Conseil constitutionnel doit être consulté par le gouvernement sur l'organisation des opérations de l'élection présidentielle et être avisé sans délai de toute mesure prise à ce sujet.

Le Conseil constitutionnel doit ainsi être consulté sur toutes les prescriptions de portée générale relatives aux opérations électorales, y compris celles formulées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel en application de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication.

Lorsqu'est consultée une autre instance, telle la Commission nationale de contrôle, le Conseil constitutionnel souhaite, comme il l'avait indiqué en 1995, que cette consultation intervienne préalablement à sa propre saisine.

III. En ce qui concerne la présentation des candidats

A. Département de rattachement du présentateur

Aux termes de l'article 3-I de la loi précitée du 6 novembre 1962 : « Une candidature ne peut être retenue que si, parmi les signataires de la présentation, figurent des élus d'au moins trente départements ou territoires d'outre-mer, sans que plus d'un dixième d'entre eux puissent être des élus d'un même département ou territoire d'outre-mer »

Il convient de fixer, pour les membres des conseils régionaux élus dans le cadre de la circonscription régionale en vertu de la loi n° 99-36 du 19 janvier 1999, ainsi que pour les membres de l'Assemblée de Corse, un critère objectif de rattachement à un département, qui pourrait être celui au titre duquel ils participent à l'élection des sénateurs en application des articles L. 293-1 et L. 293-2 du code électoral.

B. Qualité du présentateur

L'article 3-I de la loi du 6 novembre 1962 énumère les qualités dont doivent se prévaloir les citoyens habilités à présenter un candidat.

Pour éviter d'avoir à choisir entre plusieurs qualités, le Conseil constitutionnel souhaite, comme en 1995, que le décret du 14 mars 1964 précise que le présentateur indique lui-même cette qualité et n'en fasse figurer aucune autre sur le formulaire de présentation.

C. Données relatives aux présentateurs potentiels

Les données relatives aux élus habilités à présenter des candidats doivent faire l'objet, de la part des administrations compétentes, d'une mise à jour régulière.

D. Certification des présentations

L'article 3-1 du décret de 1964 prévoit que la signature apposée sur le formulaire de présentation doit être certifiée par un membre du bureau lorsqu'elle émane d'un membre d'une assemblée ou d'un conseil énumérés au deuxième alinéa du I de l'article 3 de la loi précitée du 6 novembre 1962. L'article 3-2 du même décret dispose que le Conseil constitutionnel fait procéder à toute vérification qu'il juge utile.

Les opérations de vérification des certifications sont d'une complexité sans commune mesure avec l'intérêt de la certification, par ailleurs ressentie par beaucoup de présentateurs comme une complication ou une indiscrétion.

Le Conseil constitutionnel se prononce en conséquence pour la suppression de l'obligation de certification.

En contrepartie, il souhaite que la présentation soit revêtue de la signature manuscrite de son auteur et que le formulaire de présentation soit conçu de façon à faciliter les opérations de vérification.

IV. En ce qui concerne le déroulement de la campagne électorale

A. Compétence de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale

Pour les motifs exposés dans les observations relatives à l'élection présidentielle de 1995, la Commission nationale devrait être installée aussitôt après la publication du décret fixant l'envoi des formulaires aux élus habilités par la loi à présenter un candidat.

B. Durée de la campagne officielle radiodiffusée et télévisée

Aux termes de l'article 12 du décret du 14 mars 1964 : « Chaque candidat dispose dans les programmes des sociétés nationales de programmes, au premier tour de scrutin, de deux heures d'émission télévisée et de deux heures d'émission radiodiffusée » La faculté est donnée au Conseil supérieur de l'audiovisuel de réduire cette durée « compte tenu du nombre de candidats ».

Des considérations techniques ont conduit jusqu'ici à une réduction de cette durée.

Aussi le Conseil supérieur de l'audiovisuel devrait-t-il pouvoir fixer la durée des émissions télévisées et radiodiffusées sans qu'aucune autre condition ne soit posée par le décret qu'une durée minimale d'émission.

C. Participation à la campagne de personnes autres que les candidats et les représentants des partis et groupements politiques

L'article 12 du décret du 14 mars 1964 impose également l'utilisation personnelle par les candidats des heures d'émission sous la seule réserve d'une participation, à la demande de ceux-ci, des partis ou groupements politiques dont l'action s'étend à la généralité du territoire national, habilités à cette fin par la Commission nationale de contrôle.

Comme le Conseil constitutionnel l'avait proposé en 1995, et conformément aux voeux des candidats, cette restriction devrait être abandonnée afin que puisse participer à la campagne, sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle, toute personne désignée par le candidat.

V. En ce qui concerne les comptes de campagne

A. Conséquences de l'introduction de la monnaie unique

Les conséquences de cette introduction sur la présentation des comptes de campagne et des documents annexes devraient être tirées par les textes.

Ainsi, en vertu du troisième alinéa de l'article 3-III de la loi du 6 novembre 1962, les comptes de campagne des candidats sont adressés au Conseil constitutionnel dans les deux mois qui suivent l'élection. En raison de cette date, les comptes de campagne semblent devoir être libellés en euros.

Il conviendra par ailleurs de préciser dans quelle monnaie devront être libellés les documents établis avant la date définitive de passage à l'euro.

B. Suppression des références aux personnes morales autres que les partis

Le deuxième alinéa de l'article L. 52-8 du code électoral prohibe les dons consentis par des personnes morales autres que les partis et groupements politiques. Il y a donc lieu de supprimer, par mesure de coordination, les références à de tels dons qui subsistent dans le décret du 14 mars 1964.

C. Inscription au compte de campagne des frais d'expertise-comptable

En vertu du deuxième alinéa de l'article L. 52-12, les comptes de campagne des candidats doivent être présentés par un membre de l'ordre des experts-comptables et des comptables agréés. L'omission de cette formalité substantielle entraîne le rejet du compte. Or le premier alinéa du même article dispose que le compte de campagne retrace « l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection ». En 1995, le Conseil constitutionnel a donc écarté les frais d'expertise-comptable des dépenses pouvant figurer dans le compte.

Dès lors que le recours à leurs services constitue une obligation légale, il convient que soit expressément autorisée l'inscription au compte de campagne des honoraires des experts-comptables, de manière à en permettre le remboursement.

D. Recettes en espèces provenant de personnes physiques

Comme l'indiquent les observations formulées par le Conseil constitutionnel en 1995, il lui est très difficile de vérifier la provenance de ces recettes qui peuvent atteindre, s'agissant de l'élection présidentielle, des montants très élevés. Il importe surtout de pouvoir vérifier qu'il ne s'agit pas, en réalité, de dons consentis par des personnes morales prohibés par le deuxième alinéa du même article.

C'est la raison pour laquelle il apparaît opportun que soit précisée, par voie réglementaire, la nature des justificatifs de recettes prévus par l'article L. 52-12 du code électoral.

E. Prêts et avances consentis par les personnes physiques

Pour les motifs exposés dans les observations de 1995 du Conseil constitutionnel, les prêts et avances consentis par les personnes physiques devraient être prohibés. Il est en effet impossible de vérifier la réalité du remboursement de tels prêts.

F. Prêts et avances des groupements politiques

Pour des motifs analogues, il apparaît souhaitable de préciser que le montant des prêts et avances des partis et groupements politiques est soustrait du montant total des dépenses remboursables par l'État au candidat.

G. Prolongation du mandat du mandataire financier et de la durée de vie de l'association de financement

Pour les motifs exposés dans ses observations de 1995, le Conseil constitutionnel émet le voeu que soit prolongée la durée prévue par les articles L. 52-5 et L. 52-6 du code électoral.

H. Modification de l'article L. 140 du Livre des procédures fiscales

Le Conseil constitutionnel souhaite que les agents des impôts soient déliés du secret professionnel à l'égard de ses rapporteurs adjoints dans les conditions suggérées en 1995.

I. Transmission d'office par la Commission nationale de contrôle au Conseil constitutionnel des irrégularités portées à sa connaissance en matière de comptes de campagne

La Commission nationale de contrôle ne s'est pas estimée habilitée, en 1995, à transmettre au Conseil constitutionnel certaines irrégularités portées à sa connaissance, susceptibles d'affecter les comptes de campagne des candidats. Aussi est-il souhaitable que la Commission transmette d'office de telles informations au Conseil constitutionnel, juge des comptes de campagne.

J. Pouvoir d'appréciation du Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel souhaite, comme il l'avait indiqué en 1995, pouvoir apprécier la nature et la portée d'éventuelles méconnaissances de la législation applicable afin d'éviter qu'elle entraînent des effets disproportionnés, contraires à l'équité.

Adopté par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 juin 2000.


Décision n° 2000-428 DC du 4 mai 2000

Loi organisant une consultation de la population de Mayotte

Bilan des consultations communales

L'article 1er de la loi déférée prévoit l'organisation d'une consultation de la population mahoraise avant le 31 juillet 2000, sur les orientations contenues dans l'accord signé à Paris le 27 janvier 2000 entre le secrétaire d'État à l'outre-mer, le président du conseil général et les représentants de trois formations politiques de l'île.

La saisine du Conseil constitutionnel posait ainsi la question de la valeur et des effets juridiques d'une telle consultation pour avis.

Le tableau reproduit ci-après dresse précisément un état des objets des consultations des électeurs municipaux survenues depuis juin 1995, en vertu des dispositions de la loi du 6 février 1992, aujourd'hui reprises aux articles L. 2142-1 et suivants du code général des collectivités territoriales, qui permettent aux autorités municipales, avant de prendre une décision, d'interroger, à titre purement consultatif, les électeurs de la commune.

Liste par département des consultations des électeurs
depuis les élections municipales de juin 1995

Articles L. 2142-1 et suivants du CGCT
Articles L. 5211-20 et suivants du CGCT

Décision n° 2000-431 DC du 6 juillet 2000 *

Loi relative à l'élection des sénateurs

[Graphiques non reproduits dans la version électronique]


Dossier référendum

Proclamation
des résultats du référendum
du 24 septembre 2000

Les résultats du référendum sur le quinquennat ont été proclamés le 28 septembre 2000.

La décision de proclamation procède à l'annulation :

- des résultats de quatre communes (Villenave-près-Marsac, dans les Hautes-Pyrénées : urne laissée sans surveillance ; Horgues, dans le même département : mise à disposition par la commune de bulletins étrangers à la consultation ; Coulombs, dans l'Eure-et-Loir : non transmission du procès-verbal ; Biarrotte, dans les Landes : urne non transparente);

- de plusieurs bulletins de vote accompagnés de tracts (dans le Gers).

Le oui a été majoritaire (73 % des suffrages exprimés), mais les abstentions (70 % des inscrits) et les blancs et nuls (16 % des votants) ont atteint des niveaux sans précédent.

Les observations du Conseil sur la consultation du 24 septembre (publiées ci-après) relèvent que, du fait du manque de mobilisation de beaucoup d'élus locaux et d'organisations publiques, nombre de bureaux de vote ont été incomplets.

Observations du Conseil constitutionnel
sur le référendum

Le Conseil constitutionnel, chargé en application de l'article 60 de la Constitution de veiller à la régularité des opérations de référendum est amené, consécutivement au référendum du 24 septembre 2000, à formuler les observations suivantes :

I. En ce qui concerne les textes applicables au référendum

Le Conseil constitutionnel estime nécessaire de donner un caractère permanent aux principales règles relatives à l'organisation du référendum et à la campagne en vue du référendum.

Saisi à titre consultatif, en application de l'article 46 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, des décrets du 18 juillet 2000 relatifs à l'organisation du référendum du 24 septembre 2000 et à la campagne en vue de ce référendum, ainsi que du décret du 31 août 2000 fixant pour les territoires d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon les conditions d'application des décrets du 18 juillet 2000, il a en effet constaté que ces textes reconduisaient très largement les décrets de même nature applicables au référendum de 1992. La seule modification substantielle concernait les conditions d'habilitation à la participation à la campagne des partis et groupements politiques.

La pérennisation des règles de portée générale régissant les opérations de référendum présenterait un grand intérêt : d'une part, cette pérennisation répondrait à l'exigence démocratique de stabilité des règles de droit relatives à l'expression du suffrage ; d'autre part, une législation permanente permettrait de simplifier la préparation du scrutin et de limiter le développement de contentieux.

Le droit de suffrage constitue un droit civique dont, en vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles. Le Conseil constitutionnel est d'avis que relève de la loi l'édiction de règles permanentes régissant l'organisation des référendums, le pouvoir réglementaire devant se borner à en fixer les modalités d'application.

II. En ce qui concerne la fixation de la durée des émissions de la campagne officielle

Même s'il faut sans doute réfléchir à des modalités nouvelles permettant de les rendre plus attractives et, par là, d'en améliorer l'audience, les émissions de la campagne officielle ont le mérite d'offrir à l'ensemble des formations politiques habilitées un accès aux moyens de communication radiotélévisée en répartissant le temps d'antenne à partir de critères objectifs.

Le décret n° 2000-667 du 18 juillet 2000 relatif à la campagne en vue du référendum a fixé les règles de répartition de la durée des émissions de la campagne officielle : chaque organisation joint à sa demande d'habilitation la liste des parlementaires qui la représentent et l'indication du groupe parlementaire dont ils relèvent.

Ce dispositif n'a pas empêché l'apparition de doubles comptes dans les effectifs des partis et groupements représentés au Parlement, du fait de l'appartenance de certains parlementaires à deux organisations habilitées. Le Conseil constitutionnel estime que les critères de rattachement devraient exclure qu'un même parlementaire contribue au calcul du temps de parole de plus d'une formation politique.

Quant à l'intervention ultérieure des présidents de groupe, son utilité n'apparaît pas évidente dès lors que leur compétence est liée.

III. En ce qui concerne les documents envoyés aux électeurs

De la même manière que, pour les élections, les professions de foi des candidats sont envoyées au domicile des électeurs, il pourrait être envisagé, s'agissant du référendum, de leur faire parvenir les prises de position des partis habilités à participer à la campagne.

IV. En ce qui concerne la composition des bureaux de vote

Alors que l'article R. 42 du code électoral exige que trois membres du bureau au moins soient présents pendant tout le cours des opérations électorales, de très nombreux bureaux de vote, notamment dans les grandes villes, n'ont comporté que deux personnes, voire, de façon heureusement momentanée, une seule.

Les difficultés ainsi rencontrées dans la constitution des bureaux de vote ont, à maintes reprises, occasionné des retards, parfois importants, dans l'heure d'ouverture des bureaux aux électeurs.

Le Conseil constitutionnel, s'étant assuré que ces retards ne résultaient pas de manoeuvres, n'a pas annulé les résultats des bureaux en cause ; il a considéré que ce manquement aux obligations découlant de l'article R. 42 du code électoral s'expliquait par la faible mobilisation qui a caractérisé le scrutin du 24 septembre 2000.

Il reste qu'une telle marque de désaffection de la part d'élus locaux et d'organisations politiques est préoccupante pour le bon fonctionnement du suffrage universel. Il paraît souhaitable que les pouvoirs publics envisagent les mesures appropriées pour éviter que de tels manquements ne se reproduisent.

V. En ce qui concerne l'outre-mer

En Polynésie française, il serait souhaitable, comme pour les élections législatives, que le référendum ait lieu le samedi plutôt que le dimanche afin de permettre aux électeurs de ce territoire de prendre part au scrutin avant que les résultats de métropole ne soient connus.

Par ailleurs, s'agissant des collectivités d'outre-mer, la participation à la campagne et au déroulement du scrutin des partis politiques locaux pourrait être envisagée.

Lorsqu'il s'avère nécessaire d'imprimer les bulletins de vote sur du papier de couleur (Mayotte), il ne suffit pas que toutes précautions soient prises pour que le choix des couleurs soit dépourvu de biais. Afin d'éviter toute polémique, il apparaît en outre indispensable, comme tel fut le cas pour le référendum du 24 septembre 2000, que l'affectation des couleurs choisies aux bulletins portant les mentions « oui » et « non » soit effectuée par tirage au sort.


Requête présentée par M. Charles Pasqua

I. Recours en annulation

Pour :

M. Charles Pasqua
[...]
92200 Neuilly-sur-Seine

Contre :

Le décret n° 2000-667 du 18 juillet 2000 relatif à la campagne en vue du référendum

_Faits_Le Président de la République a décidé de soumettre un projet de révision de la Constitution au référendum en application de l'article 89 de la Constitution. Ce projet porte sur la réduction de la durée du mandat présidentiel.

Pour ce faire, trois décrets ont été pris, dont le décret n° 2000-667 du 18 juillet 2000 relatif à la campagne en vue dudit référendum.

C'est ce dernier texte que le requérant défère à la censure du Conseil constitutionnel (PJ n° 1).

Discussion

A. Sur la compétence du Conseil constitutionnel

Dès 1961, le Conseil d'État s'était déclaré compétent en premier et dernier ressort pour connaître des recours pour excès de pouvoir formés contre un arrêté interministériel et deux décisions du ministre de l'Intérieur pris pour organiser la campagne référendaire (CE, ass., 27 oct. 1961, Le Regroupement national, Rec. p. 594). Cette jurisprudence a été confirmée et généralisée aux décrets d'organisation du scrutin, lors de l'organisation des différents référendums (CE, ass., 28 oct. 1988, Centre national des indépendants et paysans, Rec. p. 385 ; CE, ass., 10 sept. 1992, Meyet, Rec. p. 327).

À l'inverse, le Conseil constitutionnel se refusait à exercer une compétence contentieuse à l'égard de textes sur lesquels il est investi d'une mission consultative par l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 (déc du 23 déc. 1960, Président du Regroupement national, Rec. Cons. const., p. 67 ; Président du Centre républicain, Rec. Cons. const., p. 68).

Pourtant, très récemment, le Conseil constitutionnel semble s'être réservé la possibilité d'annuler les actes préparatoires à un référendum lorsque l'irrecevabilité qui serait opposée aux recours déposés contre ceux-ci « em>vicierait le déroulement général du voteM. Hauchemaille, Les Petites Affiches, 2 août 2000, p. 20, note J.-E. Schoettl).

Aux termes de l'article 60 de la Constitution en effet, « le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations de référendum.. ». De même, l'article 50 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que « le Conseil examine et tranche définitivement toutes les réclamations. Dans le cas où le Conseil constitutionnel constate l'existence d'irrégularités dans le déroulement des opérations, il lui appartient d'apprécier si, eu égard à la nature et à la gravité de ces irrégularités, il y a lieu soit de maintenir lesdites opérations, soit de prononcer leur annulation totale ou partielle ».

Ces dispositions tout à fait générales n'introduisent aucune restriction de temps, et en particulier, n'interdisent pas au Conseil constitutionnel de se prononcer sur les actes préparatoires du référendum, et donc avant le vote, lorsque l'irrecevabilité qui serait opposée aux recours déposés contre ceux-ci « em>vicierait le déroulement général du vote

Tel est bien le cas en l'espèce.

L'organisation de la campagne « officielle » telle qu'elle est prévue par le décret n° 2000-667 du 18 juillet 2000 aboutit, en fait, à une exclusivité au profit des partisans du « oui », les partisans du « non » étant, de droit, quasiment exclus de l'accès aux moyens officiels de propagande électorale.

C'est le droit pour les citoyens à un débat complet, contradictoire, et leur droit à l'information préalablement au vote qui sont ici en cause. Il n'est pas sérieusement contestable que l'absence d'un tel débat, organisée par le décret n° 2000-667 du 18 t 2000, est de nature à vicier « le déroulement général du vote ».

B. Recevabilité du recours

Dans sa décision du 5 octobre 1988 (JO 6 oct. 1988, p. 12607), le Conseil constitutionnel a fixé les modalités pratiques de sa saisine dans le cadre du contrôle juridictionnel des opérations de référendum. Cette décision a notamment posé en principe que « tout électeur a le droit de contester la régularité du scrutin.. ».

Dans sa décision précitée du 25 juillet 2000, le Conseil constitutionnel a déclaré recevable le recours d'un électeur contre les trois décrets organisant les opérations de référendum du 24 septembre prochain.

Le requérant étant régulièrement inscrit sur les listes électorales (PJ n° 2 : carte d'électeur), il est donc recevable à demander l'annulation du décret n° 2000-667 du 18 juillet 2000.

C. Le décret n° 2000-667 est illégal

Le Conseil d'État a eu à connaître de décrets organisant les modalités de la campagne en vue d'un référendum à plusieurs reprises.

Toutefois, le présent recours ne saurait s'inscrire dans la logique de la jurisprudence développée par cette juridiction et ce pour deux raisons :

- toutes les décisions du Conseil d'État portent sur des référendums organisés en vertu de l'article 11 de la Constitution de 1958 alors que le décret n° 2000-667 à trait à un référendum constitutionnel de l'article 89 ;

- la loi n° 95-65 relative au financement de la vie politique du 19 janvier 1995 a profondément modifié l'environnement juridique d'une campagne référendaire.

1) La jurisprudence développée lors des différents référendums dits de l'article 11 n'est pas transposable à l'organisation d'un référendum organisé selon l'article 89 de la constitution

Le décret n° 2000-667 du 18 juillet 2000 relatif à la campagne en vue du référendum organise les modalités pratiques de cette campagne. Ce texte organise un système d'habilitation sur demande des partis et groupements politiques.

Ainsi, l'article 3 du décret attaqué prévoit que peuvent présenter une telle demande d'habilitation :

- les partis et groupements politiques représentés par au moins cinq députés ou cinq sénateurs au sein d'un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale ou au Sénat (al. 1),

- les autres partis et groupements ayant obtenu, au plan national, au moins 5 % des suffrages exprimés à l'élection des représentants au Parlement européen (al. 3).

Par ailleurs, le décret distribue le temps de parole télévisé et radiodiffusé entre les différents partis et groupements politiques habilités à participer à la campagne.

L'article 5 du décret précise que les organisations politiques habilitées mentionnées au premier alinéa de l'article 3 disposent dans les programmes des sociétés nationales de programme d'une durée de deux heures d'émission télévisée et de deux heures d'émission radiodiffusée.

L'article 6 du décret ajoute que les organisations politiques habilitées mentionnées au deuxième alinéa de l'article 3 disposent chacune dans les programmes des sociétés nationales de programme de cinq minutes d'émission télévisée et de cinq minutes d'émission radiodiffusée.

Une telle organisation de la campagne est calquée sur celles mises au point lors des précédents référendums. Le Conseil d'État a, à plusieurs reprises (CE, ass., 28 oct. 1988, Centre national des indépendants et paysans, Rec. p. 385 ; CE, ass., 10 sept. 1992, M. Meyet, Rec. p. 327) jugé ces modalités satisfaisantes en matière de référendums selon la procédure de l'article 11 de la constitution de 1958. Le référendum de 1988 portait sur principe de l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie. Le référendum de 1992 tendait à l'approbation du traité sur l'Union européenne.

Or il convient aujourd'hui d'apprécier cette organisation au regard des exigences liées à un tout autre référendum, celui de l'article 89 de la Constitution de 1958, dit référendum constitutionnel.

2) Le décret n° 2000-667 du 18 juillet 2000 est entaché d'incompétence

Les articles 2 et 4 du décret attaqué décident l'application de dispositions législatives du code électoral à la campagne du référendum

Les articles 3 et 5 permettent la sélection des formations politiques habilitées à participer à la campagne et la répartition des temps de parole par le gouvernement.

Il n'était pas de la compétence du Conseil des ministres d'adopter de telles dispositions. En effet, si la Haute Assemblée a pu juger autrefois qu'un décret pouvait suppléer les carences du code électoral en matière référendaire (CE, 10 sept. 1992, M. Meyet, Rec. p. 327, préc.), tel ne peut être le cas en matière de référendum constitutionnel.

La Haute Assemblée a en effet jugé que : « il appartient au pouvoir réglementaire, en l'absence de dispositions législatives [...], de fixer les modalités nécessaires à l'organisation d'un référendum en rendant notamment applicables, avec les adaptations justifiées par ce type de consultation, les dispositions législatives et réglementaires régissant d'autres consultations électorales » (Ass., 10 sept. 1992, Meyet, Rec. p. 327); mais elle a précisé dans la même décision qu'une telle compétence ne pouvait être exercée que dans le respect du 2e alinéa de l'article 34 de la Constitution, aux termes duquel « la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ».

Le gouvernement ne saurait se suppléer d'office au Parlement, auquel revient seul la compétence, aux termes de l'article 34 de la Constitution de fixer « les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ».

À l'évidence, les modalités d'exercice du pouvoir constituant ne sauraient relever de la compétence de l'Exécutif.

Ce d'autant moins que les dispositions adoptées reviennent, comme il le sera démontré ci-après, à priver les citoyens d'un réel débat sur la révision constitutionnelle en cause.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000 a énoncé : « qu'il appartient au législateur, compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, de concilier, en l'état de la maîtrise des techniques [...] l'exercice de la liberté de communication résultant de l'article 11 de la Déclaration de 1789 avec d'une part, les contraintes inhérentes aux moyens de communication audiovisuelle [...] et, d'autre part, les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l'ordre public, la liberté d'autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels, auxquels ces modes de communication, par leur influence considérable, sont susceptibles de porter atteinte » (JO du 2 août 2000, p. 11923).

Ce considérant fondamental est directement transposable au cas qui nous occupe. Parmi les « courants socioculturels », le Conseil constitutionnel reconnaîtra sans aucun doute les différentes tendances politiques susceptibles de s'exprimer lors d'une campagne référendaire constitutionnelle.

Dès lors, il ne pourra que constater l'incompétence du conseil des ministres pour adopter les modalités de cette campagne. En conséquence, le décret sera annulé.

3) Le décret entrepris est entaché d'une erreur de droit

Le décret n° 2000-667 est illégal, en ce qu'il viole directement l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les articles 10 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ainsi que les articles 3 et 4 de la Constitution du 4 novembre 1958.

a) Violation des articles 11 de la DDHC et 10 et 14 de la CEDH

L'organisation de la campagne, telle qu'elle est définie par le décret n° 2000-667, conduit à bafouer l'exercice de la liberté d'opinion et d'expression ainsi que du droit dont dispose chacun d'accéder à une information complète et impartiale ; libertés et droit pourtant inscrits dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, elle même visée par le préambule de la Constitution de 1958, et dans la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.

L'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et des Citoyens dispose : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme »

De la même façon, la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ratifiée par la France le 3 mai 1974, prévoit :

- article 10 : « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées.. » ;

- article 14 : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée sans distinction aucune, fondée notamment sur ... les opinions politiques.. »

Par ailleurs, la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication précise, dès son article 1er :

- "La communication audiovisuelle est libre.

L'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise ... par le respect ... du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion."

Dans sa récente décision n° 2000-433 du 27 juillet 2000, précitée, le Conseil constitutionnel a énoncé que : « Le pluralisme des courants d'expression socioculturels est en lui même un objectif de valeur constitutionnelle ; que le respect de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie ; que la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne serait pas effective si le public auquel s'adressent les moyens de communication audiovisuels n'était pas à même de disposer, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public, de programmes qui garantissent l'expression de tendances de caractère différent dans le respect de l'impératif d'honnêteté de l'information [...] »

Or l'actuelle organisation de la campagne référendaire conduit à ne permettre l'expression que des partisans du « oui », les défenseurs du « non » devant se satisfaire de cinq minutes de communication audiovisuelle.

Les prises de position publiques des responsables des différents partis politiques suffisent à établir que le débat démocratique n'aura pas lieu en l'état actuel des dispositions du décret attaqué.

L'on constate en effet que tous les partis politiques qui relèvent de l'alinéa 1er de l'article 3 du décret attaqué se sont prononcés pour le « oui » au référendum, certains avec plus ou moins de conviction, mais sans réelle ambiguïté (v. par ex. les articles parus dans les quotidiens Le Figaro, du 17 mai 2000, Le Parisien du 5 juin 2000, et Le Monde du 7 juin 2000, PJ n° 3, 4 e 5).

Bien plus, le projet de loi constitutionnelle a été adopté, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, à une écrasante majorité, et aucun groupe parlementaire n'a voté contre (PJ 6 et 7), ni donné de consigne de voter contre.

Il est donc permis de dire que le gouvernement, la majorité et l'opposition parlementaires feront campagne pour le « oui », et bénéficieront de droit d'une quasi-exclusivité d'antenne, puisque ainsi organisée par le décret attaqué.

La liberté d'opinion et d'expression est donc bafouée. Sous couvert de la possibilité de faire campagne, les opposants à la réforme constitutionnelle sont en fait acculés au silence plus certainement encore que si toute possibilité de s'exprimer leur avait été déniée. Une telle distorsion de la liberté d'opinion et d'expression entraîne la négation du droit à une information complète et impartiale. Abreuvés d'arguments en faveur de la réforme constitutionnelle, les citoyens n'auront pas la possibilité d'apprécier les arguments contraires et ne seront ainsi pas à même de se forger une opinion personnelle. Comment, en effet, accéder à la totalité de l'information lorsque la moitié de celle-ci est donnée en cinq minutes, réparties sur 12 jours, tandis que l'autre moitié est relayée pendant deux heures ?

Si une telle distorsion, fort critiquable dans l'absolu, a pu être jugée satisfaisante en matière de référendum de l'article 11, elle ne saurait exister un matière de référendum constitutionnel.

Il ne s'agit pas ici d'adopter une simple loi mais de modifier le texte fondateur de la Ve République en l'une de ses dispositions de la plus haute importance, la durée du mandat présidentiel.

En organisant, sous des apparences d'objectivité, un déséquilibre écrasant en faveur des partisans du « oui », le décret attaqué viole directement les dispositions de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, des articles 10 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et la norme supérieure de valeur constitutionnelle que constitue l'expression pluraliste des opinions.

Dans la lignée de l'arrêt Barel (CE, 28 mai 1954, Rec. p. 308) par lequel le Conseil d'État, en vertu du principe général du droit que constitue le principe d'égalité, a sanctionné la discrimination dans l'accès aux emplois publics basée sur des opinions politiques, il est demandé au Conseil constitutionnel de sanctionner la discrimination dans l'accès aux moyens de communication instaurée par le décret n° 2000-667.

b) Violation des articles 3 et 4 de la Constitution :

Le premier alinéa de l'article 3 de la Constitution est ainsi rédigé : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum » ; aux termes de la première phrase de l'article 4 de la Constitution : « les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage ».

Le premier alinéa de l'article 3 du décret attaqué dispose : « Les partis et groupements politiques représentés, à la date du présent décret, par au moins cinq députés ou cinq sénateurs au sein d'un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale ou au Sénat sont habilités à leur demande à participer à la campagne [...] » Il introduit donc un premier critère de sélection entre les partis et groupements politiques, tiré non de la seule représentation au sein d'un groupe parlementaire mais d'un nombre minimum de députés ou de sénateurs assurant une telle représentation.

Or, aucune disposition législative ne permettait aux auteurs du décret attaqué de retenir un tel seuil, lequel n'avait d'ailleurs été prévu ni dans l'article 3 du décret n° 88-945 du 5 octobre 1988 relatif à la campagne en vue du référendum du 6 novembre 1988, ni dans l'article 3 du décret n° 92-772 du 6 août 1992 relatif à la campagne en vue du référendum du 20 septembre 1992 : le premier alinéa de ces articles, rédigé en termes identiques, habilitait à participer, à leur demande, à la campagne « les partis et groupements politiques représentés, à la date du présent décret, au sein d'un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale ou au Sénat ».

Le deuxième alinéa de l'article 3 de ces deux décrets prévoyait qu'il en était de même des autres partis et groupements, sous réserve que les candidats qu'ils ont présentées aient obtenu, au plan national, au moins 5 % des suffrages exprimés soit au premier tour de scrutin lors du dernier renouvellement de l'Assemblée Nationale (décr. préc. du 5 oct. 1988), soit à l'élection des conseillers régionaux et au premier tour de l'élection des conseillers à l'Assemblée de Corse qui ont lieu le 22 mars 1992 (décr. préc. du 6 août 1992).

La légalité de ce système du double critère d'habilitation, l'un tiré de la représentation au sein d'un groupe parlementaire, l'autre tiré des résultats obtenus à l'occasion d'une constitution électorale à caractère national, a été reconnue par le Conseil d'État, dans ses décisions Centre national des indépendants et paysans du 28 octobre 1988 (pour le décret précité du 5 oct. 1988) et Meyet du 10 septembre 1992 (pour le décret précité du 6 août 1992). Mais, outre qu'il s'agissait alors, rappelons-le, de référendums organisés selon la procédure de l'article 11 de la Constitution, et non selon celle de l'article 89, les décrets en question ne comportaient pas l'exigence d'un nombre minimum de députés ou de sénateurs au sein d'un groupe parlementaire.

En l'espèce, l'introduction d'un nombre minimal de parlementaires porte une atteinte grave à l'égalité entre les partis et groupements politiques, en empêchant certains d'entre eux, en violation de l'article 4 de la Constitution, de concourir à l'expression du suffrage : compte tenu des modalités d'élection des députés et des sénateurs, nombreux sont, dans les vingt dernières années ou même à la date de parution du décret attaqué, les exemples de partis politiques qui, tout en étant représentés dans les conseils municipaux, les conseils régionaux ou au Parlement européen et en obtenant des scores élevés aux élections nationales, ne remplissent pas cette condition. Ils ne peuvent donc avoir accès aux émissions télévisées et radiodiffusées dans les conditions de durée prévues à l'article 5 du décret attaqué. Dès lors, c'est l'exercice même de la souveraineté nationale par la voie du référendum, solennellement affirmée au premier alinéa de l'article 3 de la Constitution, qui est battu en brèche, pour les raisons exposées supra.

Ainsi, le décret n° 2000-667, portant atteinte tant à la liberté d'opinion et d'expression qu'au droit à l'information, est entaché d'erreur de droit par violation de la loi et doit, de ce fait, être annulé.

4) Le décret attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation

Si, par impossible, le Conseil constitutionnel devait ne pas reconnaître la violation de la loi caractérisée ci-dessus, il ne pourrait manquer de relever l'erreur manifeste d'appréciation dont le décret n° 2000-667 est entaché.

Les arguments développés au point C ci-dessus sont ici exactement transposables. Si l'erreur de droit n'est pas établie, à tout le moins, les dispositions du décret attaqué sont-elles entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.

En effet, en ignorant les effets réels de ce texte sur la conduite du débat référendaire, c'est à dire, comme on l'a vu plus haut, la présentation au peuple d'une seule argumentation, les auteurs du décret ont ignoré la nature profonde du référendum qui est un dialogue direct entre le Président de la République et le peuple.

En donnant aux partis politiques le monopole de la campagne référendaire, alors même que leur position quasi unanime en faveur du « oui » leur était connue, les auteurs du décret attaqué ont commis une erreur manifeste d'appréciation.

Ce sont en effet ces mêmes partis qui bénéficient exclusivement du financement public qui leur permettra de développer leur thèse unique et commune, privant les citoyens de l'information objective nécessaire au débat démocratique. La loi n° 88-227 du 11 mars 1988 modifiée notamment par la loi n° 95-65 du 19 janvier 1995 relative à la transparence financière de la vie politique revient en effet à permettre aux seuls partisans du « oui » de financer la campagne référendaire sur fonds publics.

Non seulement les partis politiques de la majorité comme de l'opposition auront accès aux moyens publics de la campagne électorale « officielle », mais leur accès exclusif aux moyens publics de financement leur permettra en outre de financer une campagne « officieuse », ou « commerciale ».

Les effets cumulatifs du monopole de communication et du monopole des moyens financiers aboutissent clairement à l'absence de tout débat public sur la réponse à apporter à la question objet du référendum du 24 septembre prochain.

À ce titre également, le décret devra être annulé.

Par ces motifs, il est demandé

Plaise au Conseil constitutionnel,

Vu l'article 60 de la Constitution,

Vu l'article 50 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958,

Vu les articles 3 et 4, et 34 de la Constitution, l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les articles 10 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme,

Annuler le décret n° 2000-667 du 18 juillet 2000.

Paris, le 24 août 2000

Charles Pasqua


Bordereau de pièces communiquées

PJ n° 1 : décret n° 2000-667

PJ n° 2 : copie de la carte d'électeur du requérant

PJ n° 3 : article paru dans Le Figaro du 17 mai 2000

PJ n° 4 : article paru dans Le Parisien du 5 juin 2000

PJ n° 5 : article paru dans Le Monde du 7 juin 2000

PJ n° 6 : analyse du scrutin n° 250 du 20 juin 2000

PJ n° 7 : article paru dans Libération du 30 juin 2000

II. Observations du gouvernement

Monsieur le Secrétaire général,

J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint les observations du gouvernement sur le recours en annulation du décret n° 2000-667 du 18 juillet 2000 présenté par M. Charles Pasqua.

1) Dans la perspective de la consultation du 24 septembre prochain, qui doit permettre de soumettre au référendum un projet de révision de la Constitution relatif à la durée du mandat présidentiel, le gouvernement a pris un décret relatif à la campagne en vue du référendum, au cours de laquelle certains partis et groupements politiques seront habilités à utiliser des moyens de propagande mis à leur disposition par les pouvoirs publics. En particulier, ces formations pourront disposer d'un temps de parole dans les programmes des sociétés nationales de télévision et de radiodiffusion.

Le décret du 18 juillet 2000 prévoit, dans son article 3, l'habilitation de deux catégories de partis ou groupements politiques. L'une est constituée par les partis ou groupements politiques représentés, à cette date, par au moins cinq députés ou cinq sénateurs au sein d'un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale ou au Sénat. La seconde catégorie est composée des autres partis ou groupements qui, seuls ou au sein d'une alliance électorale formée entre eux, ont obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés à l'élection des représentants au Parlement européen du 13 juin 1999. Il est en effet d'usage, depuis le référendum de 1988, de se référer à la dernière élection générale en date afin que les partis et groupements politiques les plus représentatifs, mais qui ne disposent pas d'un groupe au Parlement, puissent participer à la campagne référendaire.

C'est le texte, principalement en ce qu'il organise la campagne télévisée et radiodiffusée, dont le requérant vous demande l'annulation.

2) Trois moyens sont développés par la requête : l'incompétence de l'auteur de l'acte, l'erreur de droit et l'erreur manifeste d'appréciation.

2.1) Le premier moyen est relatif à l'incompétence du gouvernement pour organiser la campagne référendaire. Selon le requérant, l'article 34 de la Constitution qui définit la compétence du pouvoir législatif y ferait obstacle et, de surcroît, la jurisprudence antérieure du Conseil d'État, qui reconnaît cette compétence au pouvoir réglementaire dans le cadre d'un référendum organisé sur le fondement de l'article 11 de la Constitution, ne serait pas transposable au cas d'espèce, qui concerne l'organisation d'une consultation en application de l'article 89 de la Constitution.

Ainsi que le rappelle le requérant, le Conseil d'État a déjà eu l'occasion de prendre expressément position sur la question de la compétence du pouvoir réglementaire pour définir les modalités d'organisation d'un référendum, lorsque lui ont été déférés les décrets pris pour la tenue de la consultation du 20 septembre 1992 sur la ratification du traité sur l'Union européenne.

Il a ainsi jugé que si, aux termes de l'article 34 de la Constitution, « la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, il appartient au pouvoir réglementaire, en l'absence de dispositions législatives, dans le respect de ces règles et garanties, de fixer les modalités nécessaires à l'organisation du référendum en rendant notamment applicables, avec les adaptations justifiées par ce type de consultation, les dispositions législatives et réglementaires régissant d'autres consultations » (Ass., 10 sept. 1992, Meyet, Lebon p. 327).

La solution ainsi retenue, telle que l'éclairent les conclusions du commissaire du gouvernement, me paraît obéir à l'économie suivante.

Partant du constat que, réserve faite de dispositions relatives au vote des Français établis hors de France, le législateur n'a jamais entrepris de régir la matière référendaire, le Conseil d'État admet que le pouvoir réglementaire puisse intervenir par défaut. Il soumet toutefois cette intervention à une double limite. D'une part, celle-ci doit se borner à fixer les « modalités » nécessaires à l'organisation d'un scrutin déterminé, et ne saurait, en l'absence de base légale, se traduire par l'édiction de dispositions à caractère permanent. S'agissant, d'autre part, de la teneur de ces modalités, le gouvernement ne dispose pas d'un pouvoir discrétionnaire : il lui incombe de transposer, moyennant les adaptations requises, le cadre législatif et réglementaire applicable au droit commun de la procédure électorale.

Il va de soi qu'un tel raisonnement, si votre Haute Assemblée le fait sien, vaut quelles que soient les dispositions constitutionnelles sur le fondement desquelles a été organisée la consultation, qu'il s'agisse de l'article 11 de la Constitution ou de son article 89. Pour soutenir le contraire, le requérant procède par simple affirmation. Ce premier moyen devra donc être écarté.

2.2) Sur le plan de la légalité interne, le requérant reproche au gouvernement d'avoir retenu des critères, pour l'habilitation des partis à participer à la campagne officielle, qui auraient pour résultat de ne permettre l'expression que des seules opinions favorables à la révision constitutionnelle soumise au référendum. Il en conclut que le décret méconnaît le principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinions, ainsi que la liberté d'expression garantie par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En outre, il estime qu'en ne permettant qu'aux seuls partis représentés au sein d'un groupe parlementaire par au moins cinq députés ou cinq sénateurs de bénéficier de l'habilitation à participer à la campagne au titre du premier alinéa de l'article 3, le décret est dépourvu de base légale et méconnaît le principe d'égalité entre les partis en empêchant certains d'entre eux de concourir à l'expression du suffrage. Enfin, le texte serait à tout le moins entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. Ces moyens appellent, de ma part, les observations suivantes.

En premier lieu, il convient de noter qu'ils sont fondés sur des anticipations qui paraissent, à tout le moins, exagérées. Il est en effet peu vraisemblable que la totalité des partis et formations qui bénéficieront, s'ils le souhaitent, de l'habilitation, se rejoignent sur une position unique.

En second lieu, il semble que le requérant ait une conception erronée des obligations qui pèsent sur le gouvernement lorsqu'il définit les modalités de la campagne.

Le gouvernement doit veiller à concilier le respect d'un ensemble de règles et principes de valeur constitutionnelle. Il s'agit de l'article 4 de la Constitution, aux termes duquel « les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage », du principe de l'expression pluraliste des courants d'idées et d'opinion et du principe d'égalité des partis.

Ainsi qu'il ressort des décisions Galland (Ass., 10 sept. 1992, Lebon p. 342) et Centre national des indépendants et paysans (Ass., 28 oct. 1988, p. 385), le Conseil d'État a admis la compatibilité avec ces exigences d'un dispositif dont l'économie était très proche de celui retenu par le décret attaqué. Il a notamment relevé qu'en limitant l'accès à la campagne des partis ne disposant pas d'une représentation parlementaire à celles de ces formations qui avaient obtenu un certain pourcentage de voix lors du dernier scrutin national, le gouvernement n'avait pas méconnu l'impératif constitutionnel du pluralisme, compte tenu du caractère limité des lieux d'affichage et du temps d'antenne disponible.

Sans doute est-il également souhaitable, s'agissant de la campagne organisée en vue d'une consultation lors de laquelle les électeurs doivent répondre par « oui » ou « non » à une question posée, de prévenir une situation où l'ensemble des organisations ayant accès à l'antenne défendraient la même thèse, parce que celle-ci ferait l'objet d'un large consensus. Ainsi le gouvernement peut-il être conduit, lorsqu'il fixe le seuil d'habilitation, à prendre en compte, autant que faire se peut, les opinions prévisibles des représentants des différents partis, afin qu'une thèse très minoritaire puisse néanmoins être défendue dans le cadre de la campagne officielle.

Mais il semble que le requérant appelait de ses voeux un dispositif procédant d'une logique différente, qui aurait consisté à soumettre la question posée à un « débat contradictoire », c'est-à-dire à garantir que les tenants de l'une et l'autre thèse disposeraient d'un temps d'expression comparable, quelle que soit leur représentativité respective.

La préoccupation que l'électeur puisse, du mieux possible, peser les mérites du projet qui lui est soumis et les critiques dont il pourrait faire l'objet est assurément légitime. Pour autant, on ne saurait tirer de l'impératif constitutionnel du pluralisme la justification d'un système de répartition dont l'un des critères serait le sens du vote préconisé par chaque parti. La mise en oeuvre de cet impératif consiste à définir les conditions permettant l'accès à l'antenne de la diversité des courants d'opinion, tels qu'ils existent, sans préjuger de leur teneur, et non à organiser, in abstracto, l'affrontement des thèses. Quant au principe d'égalité, son respect s'apprécie entre les partis, et non entre ces catégories inconnues que constitueraient les partisans du « oui » et les défenseurs du « non ». Le gouvernement ne pouvait donc construire, de façon discrétionnaire, un dispositif qui reviendrait, non à répartir les moyens de la campagne officielle en fonction de l'audience de chaque parti, mais à leur affecter un temps d'expression qui serait déterminé en fonction de leur opinion présumée sur le projet faisant l'objet de la consultation.

En prévoyant que toute formation ayant obtenu cinq pour cent des voix lors du dernier scrutin national disposera d'un temps d'antenne de cinq minutes, et que celles qui sont parvenues à ce résultat en coalition se partageront le même temps, le décret critiqué assure l'expression de tout courant d'opinion disposant d'une audience significative, dans le respect du principe d'égalité. Il paraît donc exempt d'erreur de droit, comme d'erreur manifeste d'appréciation.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Secrétaire général, l'assurance de mes sentiments les meilleurs.

Serge Lasvignes

M. Jean-Éric Schoettl
Secrétaire général du Conseil constitutionnel
2, rue de Montpensier
75001 Paris

III. Mémoire en réplique

Le soussigné entend répliquer brièvement aux observations du Secrétariat Général du gouvernement en date du 30 août 2000 et formuler quelques précisions et observations complémentaires au soutien de son recours en annulation du décret n° 2000-667 du 18 juillet 2000.

A. Sur la légalité interne

1) Le secrétaire général du gouvernement fait valoir tout d'abord que les moyens invoqués par le soussigné seraient fondés « sur des anticipations qui paraissent à tout le moins exagérées », puisqu'il « est en effet peu vraisemblable que la totalité des partis et formations qui bénéficieront, s'ils le souhaitent, de l'habilitation, se rejoignent sur une position unique ».

Cet argument n'est pas pertinent.

- Tout d'abord, il méconnaît ce fait pourtant essentiel que tous les partis politiques disposant d'un groupe parlementaire ou regroupés dans l'un deux, que ce soit au Sénat ou à l'Assemblée nationale, ont adopté le projet de réforme à une très large majorité ; mis à part quelques votes individuels négatifs, tous les partis politiques habilités à faire campagne ont soutenu le projet de réforme. Loin de constituer une « anticipation exagérée », l'argument présenté au soutien du recours résultait d'un constat que le Secrétariat Général du gouvernement semble ne pas vouloir faire. Et ce constat pouvait être fait avant même que ne soit édicté l'acte attaqué.

L'argument n'est d'ailleurs pas totalement étranger aux préoccupations du secrétariat général du gouvernement, qui reconnaît finalement que « le gouvernement peut ... être conduit, lorsqu'il fixe le seuil d'habilitation, à prendre en compte, autant que faire se peut, les opinions prévisibles des représentants des différents partis, afin qu'une thèse très minoritaire puisse néanmoins être défendue dans le cadre de la campagne officielle ». En l'espèce, il était d'autant plus facile de prendre en compte les opinions des représentants des différents partis que celles-ci s'étaient largement exprimées dans les médias et avaient été exposées sans aucune ambiguïté dans les assemblées parlementaires.

- Ensuite, peu importe que la position des partis et formations bénéficiant de l'habilitation ne soit pas « unique », dès lors que les prises de position publiques des chefs et principales personnalités de ces partis politiques, qu'ils appartiennent à la majorité ou à l'opposition parlementaires, aboutissent en fait à l'approbation de la réforme. Peu importe les nuances ou les réserves, dès lors que la recommandation est de voter « Oui » le 24 septembre prochain.

2) Le secrétariat général du gouvernement soutient ensuite que « le gouvernement doit veiller à concilier le respect d'un certain nombre de règles et principes de valeur constitutionnelle », parmi lesquels l'article 4 de la Constitution, aux termes duquel « les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage », et l'impératif constitutionnel du pluralisme. Observant que le requérant « appelait de ses voeux un dispositif ... qui aurait consisté à soumettre la question posée à un débat contradictoire, c'est-à-dire à garantir que les tenants de l'une ou l'autre thèse disposeraient d'un temps d'expression comparable, quelle que soit leur représentativité respective », il en conclut que « le gouvernement ne pouvait ... construire, de façon discrétionnaire, un dispositif qui reviendrait, non à répartir les moyens de la campagne officielle en fonction de l'audience de chaque parti, mais à leur affecter un temps d'expression qui serait déterminé en fonction de leur opinion présumée sur le projet faisant l'objet de la consultation ».

L'argument ne saurait emporter la conviction.

- Tout d'abord, il faut rappeler une fois de plus qu'il ne saurait être question d'opinions présumées, mais bien d'opinions connues. Nous sommes en matière de révision constitutionnelle en application de l'article 89 de la Constitution, et les opinions des uns et des autres sont parfaitement connues, puisque le projet a été débattu au sein des assemblées parlementaires et approuvé en termes identiques par les deux assemblées.

- Ensuite, l'argument méconnaît la nature profonde du référendum, qui est un dialogue entre le Président et le peuple, seul détenteur de la souveraineté. Si les partis politiques « concourent à l'expression du suffrage », ils n'ont aucun monopole en la matière. C'est en réalité le pouvoir constituant du peuple qui est en cause, et il n'existe en vérité aucune raison de transposer au référendum du 24 septembre 2000, premier référendum décidé en application de l'article 89 de la Constitution, la jurisprudence sur le temps de parole et l'organisation de la campagne officielle élaborée par le Conseil d'État.

- Enfin, l'argument méconnaît la portée exacte des critiques adressées par le requérant au dispositif arrêté par le gouvernement.

Ce sont bien la liberté d'information et le respect du pluralisme qui sont en cause, dès lors que la répartition des temps de parole entre partisans du « oui » et partisans du « non » est aussi disproportionnée.

Le déséquilibre est d'autant plus préjudiciable au débat, et donc à l'information du peuple, que ce sont précisément les partis et groupements politiques qui sont favorables à la réforme qui bénéficient des moyens publics de financement de leurs activité en application de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988, et qui ont donc pu consacrer des moyens de propagande au soutien de leur thèse dont les partis politiques favorables au « non » ne disposent pas.

En fait, plus que les critères d'habilitation retenus, c'est la répartition des temps de parole entre partisans du « oui » et du « non » qui apparaît critiquable. C'est ce déséquilibre sensible qui devra être sanctionné.

En vérité, tout semble avoir été organisé de manière à ce qu'il n'y ait aucun débat contradictoire. L'on se demande quelle pourra être l'information dont disposeront les citoyens qui n'auront pas, dans les faits, bénéficié de la confrontation des idées pour forger leur opinion.

Contrairement à ce qui se fait en matière d'élections législatives par exemple, où les candidats peuvent adresser leur profession de foi aux électeurs, aucun autre document que le texte de la question soumise au vote ne sera adressé aux citoyens. Et la campagne officielle, qui existe pour permettre le débat, est organisée de telle manière que la contradiction n'existe pas.

Le Conseil constitutionnel ne saurait entériner un tel système, aussi évidemment contraire à la démocratie.

B. Observations complémentaires

Le présent recours présente une double originalité :

- d'une part, il critique l'un des actes préparatoires à un référendum constitutionnel en application de l'article 89 de la Constitution,

- d'autre part, il intervient à un moment où le Conseil constitutionnel, de manière tout à fait nouvelle, et pour la première fois en la matière, se reconnaît une compétence qu'il qualifie d'exceptionnelle pour statuer sur la validité d'un tel acte, chose qu'il refusait jusqu'à ses décisions des 25 juillet 2000 Hauchemaille et 23 août 2000 Hauchemaille et Larrouturou.

Le présent recours s'inscrit donc dans un cadre jurisprudentiel tout à fait nouveau, dont il appartient au Conseil constitutionnel de préciser la nature et dont il convient d'apprécier la portée en termes d'autorité de la chose jugée.

a) S'agissant de la nature du recours formé par le requérant, il n'est pas contestable que celui-ci s'apparente au recours pour excès de pouvoir.

Mais le Conseil constitutionnel n'est nullement tenu par cette qualification, et il pourrait utilement considérer que son intervention s'inscrit dans un cadre juridique distinct, différent du contentieux de l'excès de pouvoir.

Il pourrait ainsi consacrer le caractère autonome de ce recours, et écarter les solutions admises par le Conseil d'État en matière d'actes préparatoires à un référendum.

Il pourrait également, par une combinaison de ses fonctions consultative et juridictionnelle, substituer au dispositif arrêté par le gouvernement un dispositif différent, plus équitable, voire égalitaire, aux termes duquel le temps de parole de la campagne officielle serait réparti également entre partisans du « oui » et partisans du « non ».

b) S'agissant de l'autorité de la chose jugée, il importe d'observer que le Conseil constitutionnel a rendu deux décisions le 23 août dernier pour rejeter deux recours dirigés contre notamment le décret n° 2000-667 du 18 juillet 2000. Dès lors la question se pose de savoir si l'autorité de la chose jugée peut être opposée au requérant qui entend voir censurer le même texte.

Une réponse négative s'impose.

S'agissant en effet de deux décisions de rejet, aucune autorité de chose jugée ne saurait leur être attachée, étant observé au surplus que d'une part, la décision rendue sur le recours de M. Hauchemaille ne précise pas les moyens qu'il avait invoqués, et que d'autre par, les moyens invoqués par le requérant sont différents de ceux invoqués par M. Larrouturou.

Pour ces raisons, le Conseil constitutionnel ne saurait être lié par les décisions précitées.

C'est pourquoi le requérant conclut à l'annulation du décret n° 2000-667 du 18 juillet 2000.

Fait à Paris, le 5 septembre 2000